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COMMUNAUTE, Aliénation, Capitalisme, Communisme, MARX

L'aliénation ne peut être surmontée que dans le cadre d'une communauté nouvelle soumise à une hétéronomie elle-même radicalement Autre (puisque la communauté est hétéronomie et en même temps totalité), rompant avec la communauté traditionnelle soumise à la loi de l'Idole. Mais contrairement à ce qu'affirme Marx une telle révolution ne saurait être le produit des contradictions immanentes au capitalisme, comme si l'oppression suscitant naturellement son envers, la résistance, le capitalisme ne pouvait que s'effondrer et avec lui toute trace d'aliénation. Ainsi serait atteinte la « communauté des individus complets », quand serait « rétablie non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur la possession commune de tous les moyens de production » écrit Marx dans L’Idéologie allemande. Mais cette communauté sans classe et sans aliénation n'est pas vraiment nouvelle puisqu'elle exclut, au même titre que la communauté traditionnelle, toute autonomie individuelle : en effet l'individu désaliéné de Marx n'est qu'une abstraction, hors finitude, sans "existence" réelle face à la "communauté de travail" à laquelle il est sommer de s'identifier (au-delà même d'une quelconque appartenance nationale ou ethnique). C'est ainsi que le communisme répète, mais en pire (dans sa volonté de faire monde et de "purifier" l'homme de toute aliénation), le système sacrificiel du paganisme, là où le capitalisme ne fait que le prolonger, tout en limitant ses aspects totalitaires et sacrificiels, puisqu'il reconnait au moins juridiquement l'individu dans son existence autonome.


"Mais cette visée d’une communauté nouvelle conduit inévitablement, parce qu’elle est anticapitaliste, à une répétition du système sacrificiel, avec sa communauté écrasante. Car la révolution anticapitaliste vise à faire disparaître, de la communauté juste qu’elle veut établir, toute trace d’aliénation . C’est ce qu’elle vise, puisque le capitalisme est la forme qu’a prise, dans l’histoire, l’aliénation. Et ce qui caractérise le projet de Marx comme gnostique. Marx veut alors une émancipation « totale », accomplie par l’« homme générique », une « émancipation humaine ». Mais gnosticisme présent aussi dans L’Idéologie allemande (1845-1846) où l’individu, ignorant toute finitude radicale, devient, par la révolution communiste, abstraitement autonome."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CHOIX, Ethique, Temps, Aliénation, KIERKEGAARD

La philosophie de l'existence pose, non seulement le choix comme essentiel, mais l'identité du choix et de l'éthique. Ainsi pour Kierkegaard, « le fait de choisir est une expression vraie et rigoureuse de l’éthique ». La détermination du bien et du mal vient en second, sachant que l'existant choisit d'abord le mal, dans l'espoir justement d'échapper au choix, de renoncer à la contradiction du bien et du mal. Ainsi dans le phénomène de l'aliénation, dégagé par la psychanalyse, un choix est bien présupposé (puisque le sujet s'y constitue comme tel, outre le phénomène de la séparation), liant le sujet à l'Autre, mais de telle sorte qu'il soit empêché d'agir. Du côté de Kierkegaard, c'est la sphère esthétique qui illustre le non-choix, ou plutôt l'indifférence au choix. A contrario, dans le temps réel où s'effectue le choix, en ce point d'éternité, surgit une vérité que le sujet aura la responsabilité de pérenniser, en répétant, en confirmant le choix.


"Un tel choix essentiel est certes inconcevable pour la métaphysique. Comment pourrait-il y avoir place pour un choix essentiel, là où tout ce qui est va naturellement, nécessairement vers son bien, et où le choix ne peut donc porter que sur les moyens ? C’est ce que dit clairement Aristote : « Le souhait porte plutôt sur la fin, et le choix, sur les moyens pour parvenir à la fin. » Le choix est, au contraire, dégagé comme choix essentiel par la pensée de l’existence. Choix de la fin, et non plus des moyens. Car le sujet existant ne va pas naturellement vers le bien, fût-ce d’abord en se trompant dans la détermination de ce bien ; il commence par le rejeter. C’est Kierkegaard qui, le premier, a ainsi présenté le choix – il parle lui-même de « choix absolu ». Un tel choix se caractérise d’abord, pour lui, par la gravité de l’instant où il est effectué. Gravité qui tient à l’épreuve de ce que nous appelons le « temps réel », à l’imprévisible du choix qui sera fait, et aux conséquences du non-choix."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CAPITALISME, Aliénation, Capitalisme, Ethique, HEIDEGGER

La révolution véritable ne peut prétendre abolir toute aliénation, en particulier celle propre au capitalisme, mais au contraire - en reconnaissant le caractère inéliminable de cette aliénation - engager le sujet à s'y confronter. C'est ce qu'exprime Heidegger en indiquant que, pour le Dasein, l'éthique consiste à faire "le choix du choix" afin de lutter contre la déchéance et l'inhauthenticité que représente justement l'absence de choix (même si Heidegger se tait sur les conditions sociales et politique d'un tel choix).


"Ce qui fait le fond du monde païen, c’est que l’existant y est empêché, par le sacrifice, de se confronter à l’aliénation inéliminable et d’advenir comme individu. La révolution véritable doit donc introduire un monde où l’existant puisse advenir ainsi. C’est-à-dire un monde qui ouvre l’espace de l’éthique essentielle. C’est d’une telle éthique qu’il s’agit chez Heidegger quand il dit du Dasein que celui-ci, toujours d’abord « déchu » dans le « On » et la « privation de choix » et perdu dans l’inauthenticité ou impropriété (Uneigentlichkeit), doit, pour devenir lui-même et accéder à son authenticité et propriété, effectuer le « choix du choix », s’affronter à cette inauthenticité inéliminable et l’assumer."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Paganisme, Contrat de travail, Aliénation

Le capitalisme relève bien du paganisme au moins sous deux aspects : la formation d'un Autre absolu faux, que représente la monnaie ou le capital, et l'exercice d'une violence sacrificielle au nom de cette idole, avec le contrat de travail (exploitation légale du travail) par lequel le travailleur cède librement la plus-value de son labeur à son employeur. Car le capitalisme n'apparait historiquement que dans le contexte du droit : indissociablement droit au travail et droit à la propriété. Ce contrat a beau être désavantageux, et ce travail aliénant, il demeure légalement transparent et il ouvre au travailleur la possibilité de se désaliéner (notamment par l'expertise acquise) pour se réaliser, dans un autre contexte, comme individu autonome.


"S’il est, dans son principe, de même que le paganisme brut, pulsion de mort, [le capitalisme] est pulsion de mort révélée comme telle et qui ne se dissimule plus. Il est mis en œuvre par l’histoire, en même temps (Marx le sait bien) que le droit qui, primordialement, assure la propriété, la propriété privée. Tout paganisme qu’il est, il laisse donc place à l’individu. Exactement, à l’existant pour que celui-ci advienne comme individu véritable – ce dont le droit peu à peu dans l’histoire lui donne toutes les conditions, mais ce qu’il peut toujours refuser. Le capitalisme est bien ce mode de paganisme que la philosophie doit aujourd’hui revouloir. De  sorte qu’il n’y a pas aujourd’hui, face au monde actuel comme technico-économique, disons capitaliste, à réclamer un réveil (ou sursaut) collectif de l’esprit."
JURANVILLE, 2017, HUCM

ALTERITE, Aliénation, Maître, Finitude

L'altérité dans le monde ordinaire se présente sous une forme tronquée, qui pour être fausse n'en est pas moins réelle, objectivement et subjectivement : c'est la relation aliénante à un Autre absolu identifié au maître, qui réduit le sujet au rang de serviteur, qui empêche l'épreuve de toute finitude radicale. L'Autre ne peut pas, dans ces conditions, apparaître comme vraiment Autre, celui qui s'adresse au sujet comme à son Autre : il ne dispense qu'une altérité faussée, même si lui-même fait bien référence à un Autre absolu, sinon il ne serait pas le maître.


" Or cette altérité ordinaire ne se borne pas à être fausse objectivement et théoriquement, elle l’est aussi et surtout subjectivement et pratiquement. Et l’existant ne se contente pas d’y déployer une objectivité fausse, il va jusqu’à y supposer comme principe de l’objectivité la chose originelle, mais elle-même faussée, illusoire et même hallucinatoire. Ce qui constitue, après ses dimensions névrotique et perverse, la dimension psychotique de l’altérité ordinaire. Altérité ordinaire comme aliénation."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Contrat de travail, Individu, Autre, MARX

Au sujet du contrat de travail, pilier du système capitaliste, il faut reconnaître qu'il est incontestablement aliénant, puisque le travailleur y épuise ses forces et se détourne par là-même de cette "mise en œuvre de soi-même", comme le dit Marx, en quoi devrait consister un véritable travail créateur. Il s'agirait de travailler d'abord "sur soi" (et pas seulement "pour soi") afin de mettre à l'épreuve la fausse identité qu'on s'est toujours donnée, et que l'Autre, par sa grâce, nous invite à renouveler en épousant une nouvelle identité à partir de ce qu'il donne. Le rejet de l'Autre cesse avec l'acceptation du don. L'Autre se donne comme matière, matière comme maternité et « maternité dans son intégral “pour-l’autre”» dit Levinas. Depuis de cette matière, en son sein, le travail de la forme devenant sculpture de soi peut commencer. Dans le travail aliéné au contraire la forme s'impose de l'extérieur (ordres du patron, contraintes machiniques, etc.). Le travail n'est pas assimilé ou digéré, en soi et par soi, il n'est pas non plus assumé jusqu'au bout comme épreuve douloureuse, mais repassé immédiatement à l'autre travailleur, lequel est pris dans le même circuit et le même refus. N'oublions pas que, par définition, contracter reste un acte libre et c'est bien en ce choix que réside d'abord l'aliénation beaucoup plus que dans les conditions de travail plus ou moins éprouvantes mais aussi plus ou moins négociables.


"L’existant rejette toute identité nouvelle qui assumerait la finitude radicale, toute individualité vraie ; et il préfère penser qu’il est toujours déjà suffisamment individu et que, simplement, on l’a privé des conditions de son travail (c’est ce que Marx, illusoirement, dit des prolétaires : « Le travail a perdu chez eux toute apparence d’une mise en œuvre de soi-même, et ne maintient leur vie qu’en l’appauvrissant » ). Dans le contrat de travail, le travail est aliéné, mais d’une aliénation que veut l’existant, et ce contrat ne fait donc bien, rejetant l’individualité vraie, que prolonger la violence sacrificielle."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Obsession, Possession, Persécution

D'abord l'aliénation à l'idéal-du-moi se fait obsession, que la grâce permet de surmonter, mais en laissant intouchée l'injustice sociale. Puis l'aliénation au Phallus se fait possession, que l'élection permet d'assumer et de dépasser, mais sans pouvoir faire accepter de tous la justice sociale. Enfin l'aliénation au Surmoi se fait persécution, contre laquelle la foi permet de lutter, en démystifiant la jouissance dudit Surmoi assimilé à la Chose.


"Celui qui obsède se trouvait devant la place ; celui qui possède s’est installé au cœur de la place ; celui qui persécute chasse de place en place, le persécuté n’ayant plus de place, plus de lieu... Nous devrions, par rapport à cet Autre, le laisser nous poursuivre jusqu’à ce qu’il ait infusé en nous. Jusqu’à ce que nous soyons devenus, comme lui, Chose originelle s’ouvrant à lui. Jusqu’à ce que nous l’ayons laissé parler par notre bouche... Mais la persécution est, pour le patient, fondamentalement négative. Face à quoi le psychanalyste lui dispense sa foi. Foi en l’Autre absolu vrai qui n’est pas le Surmoi."
JURANVILLE, ICFH, 2010

ALIENATION, Religion, Scène primitive, Séparation, LACAN

On peut qualifier de "religieuse" l'aliénation fondamentale qui constitue l'une des deux opérations par lesquelles le sujet se réalise dans sa relation à l'Autre, la seconde étant la séparation. Si la "réalité psychique" même au sens de Freud est "religieuse", selon Lacan, c'est dans la mesure où elle est suspendue à une première articulation signifiante perçue (faussement) comme totale et complémentaire, celle du couple parental, avec pour signifié un rapport sexuel supposé parfait dont l'enfant ne peut que se sentir exclu (c'est la fameuse "scène primitive"), rejeté au titre de déchet sacrifié. De là le sens en quelque sorte inné, la fascination universelle et pérenne de l'être humain pour le sacrifice en général, en tant que noyau dur de l'aliénation religieuse.

"Lacan , comme les « jeunes hégéliens » en leur temps, dénonce comme religieuse, et précisément sacrificielle, cette aliénation constitutive. L’aliénation serait l’une des deux « opérations de la réalisation du sujet » dans sa « dépendance signifiante du lieu de l’Autre », dans son « rapport à l’Autre ». Elle serait abstraitement aliénation au langage – mais comme langage alors faussé, le « couple primitif de l’articulation signifiante » n’étant pas reconnu dans la finitude radicale qu’il signifie, mais cru illusoirement sans manque... Et en même temps Lacan dirige vers l’autre « opération de la réalisation du sujet », laquelle serait, non plus aliénation, mais séparation, se-parare mais aussi, pour Lacan, se parere, engendrement de soi-même, autonomie. Mais le discours psychanalytique ne peut poser expressément cette autonomie réelle, ni la religion vraie qu’elle suppose, ni le monde juste dans lequel elle se déploie."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Révolution, Altérité, Objectivité

 Avec les révolutions socialistes et le totalitarisme, le XXè siècle aura été le témoin d'une "aliénation de la désaliénation elle-même" comme le dit Levinas, prouvant par là-même ce qu'elles niaient farouchement, à savoir le caractère inéliminable de l'aliénation. Cela parce que l'aliénation a été ramenée à sa seule dimension sociale, elle n'a pas été vue dans son caractère essentiel, comme constitutive de la finitude humaine. On a voulu lui substituer une identité mythique à "retrouver", à "libérer", celle d'un "moi" déjà là (quelque soit le nom qu'on lui donne), exactement comme chez Hegel. A l'inverse la pensée de l'existence, celle de Levinas notamment, sous-estime trop l'enjeu politique de l'aliénation, comme elle efface trop vite la perspective d'une identité en général : « Unicité sans intériorité, moi sans repos en soi, otage de tous – homme sans identité » écrit Levinas. Même chose chez Lacan avec sa conception d'un Autre sans Autre, qui en ne reconnaissant pas, pour le sujet, la possibilité de se faire l'Autre de l'Autre, d'en retirer identité et objectivité, rend impossible toute désaliénation sociale.

"Et c’est toujours cette altérité pure au-delà de toute identité qui s’exprime chez Lacan dans sa formule bien connue qu’« il n’y a pas d’Autre de l’Autre ». Or n’est-ce pas en excluant de pouvoir jamais poser comme telle l’altérité vraie qu’on conforte le plus définitivement la prise dans l’aliénation ordinaire, et donc le monde sacrificiel ? Ne faut-il pas au contraire poser malgré tout l’altérité dans toute sa vérité, en tant qu’elle met chacun en situation, comme identité et autonomie, de reconstituer l’objectivité vraie et qu’elle ouvre à la révolution et à l’institution, à partir de là, du monde juste ?"
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Sexualité, Possession, Objet

Tout homme doit affronter l'aliénation à la sexualité - figurée d'abord par couple parental et plus généralement par le Phallus - pour se libérer de son pouvoir de possession. Là où le sujet se tenait devant l'Autre comme son objet, son complément, voire son instrument, il doit réaliser - par la grâce de l'Autre vrai, par exemple le psychanalyste - que le "rapport sexuel" n'existe pas et que la sexualité recèle, fondamentalement, la pulsion de mort.


"Aliénation perverse à ce qui est supposé pouvoir, tout pouvoir, s’être fait absolument objet. Aliénation qui capte, dans la sexualité comme objectivité finie illusoirement absolutisée, l’humain en tant qu’il est constitutivement en relation avec l’autre humain . Aliénation qui caractérise la socialisation première et ordinaire. Aliénation qui est alors, pour le patient, non plus obsession, mais possession : celui qui obsède s’était installé devant la place ; celui qui possède s’est installé au cœur de la place."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Révélation, Discours psychanalytico-individuel, Discours philosophico-clérical

Pour surmonter l'aliénation ordinaire - tout en la reconnaissant dans sa forme minimale qu'est la sexualité, au niveau du sujet individuel - l'existant doit s'installer dans le discours de l'individu (ou psychanalytico-individuel). Mais affirmer l'altérité vraie n'est possible qu'en passant par la Révélation, qui au demeurant fait la vérité de chacun des grands discours. Or c'est plus particulièrement la fonction du discours du clerc (ou philosophico-clérical), qui se tient à la place de l'Autre, d'instaurer la justice ou la concorde entre les différents discours, de proclamer la révolution vraie dans l'esprit même de la Révélation, tout en reconnaissant l'aliénation dans sa forme minimale, soit le capitalisme, au niveau du sujet social.

"L’existant peut, contre l’altérité ordinaire et son fond d’aliénation psychotique et sacrificielle, affirmer ou supposer ensuite, avec l’existence, une altérité vraie. Altérité vraie qui doit venir de l’Autre absolu vrai dans sa Révélation... Et c’est sur fond de ces Révélations que l’existant peut effectivement échapper au système sacrificiel et advenir à son être d’Autre, à son unicité et autonomie d’individu. Et donc s’établir dans le vrai discours de l’individu... Et c’est sur fond de ces Révélations que l’existant va pouvoir, à partir de ce discours, s’établir dans tous les discours fondamentaux. Et suprêmement, puisque c’est celui qui est tenu de la place de l’Autre, dans le vrai discours du clerc, ou discours philosophico-clérical."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Obsession, Analysant, Analyste

L'analysant subit l'aliénation spécifique à l'idéal-du-moi que représente, à ses yeux, l'analyste, au point d'en être obsédé. Cette obsession pour l'Autre a sa justification puisqu'il s'agit bien de reconstituer, à partir de lui, une identité vraie en lieu et place du symptôme ; mais dans le cadre de la cure, il revient à l'analyste de faire cesser cette obsession, en l'occurrence névrotique, par la grâce qu'il dispense à l'analysant et qui doit l'inviter à s'exprimer librement.


"Pareille obsession, où l’Autre (et le psychanalyste comme Idéal du Moi est un tel Autre) nous « assiège », où il nous enjoint sans cesse de nous assujettir davantage à lui, peut avoir sa positivité. Lévinas l’a fortement marqué, qui parle de l’« expérience sensible en tant qu’obsession par autrui – ou maternité »... Nous devrions, par rapport à cet Autre, le laisser entrer, accepter qu’il nous donne notre identité (vraie). Plutôt que d’élever des remparts contre lui, que de nous remparer avec le symptôme. Mais l’obsession, pour le patient, est fondamentalement négative. Face à quoi le psychanalyste dispense sa grâce. « Levant le siège », il permet alors au patient de sortir de lui-même, de parler librement, de s’ouvrir autant qu’il le peut à cet Autre qui l’obsédait, et de nouer cette parole dans un savoir nouveau et vrai."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Finitude, Holocauste, Paganisme, HEIDEGGER

Heidegger analyse parfaitement l'aliénation comme conséquence inévitable d'une finitude non assumée ; mais c'est aussi au nom de la finitude qu'il refuse d'envisager la possibilité d'un savoir rédempteur. Pire, en proclamant l'"esprit du peuple" dans son année de rectorat, il promet au même titre que le Führer de vaincre et même de supprimer ladite aliénation, interprétée de surcroit en terme de déracinement, faisant ainsi allégeance à l'idole la plus païenne qui soit, le peuple lui-même (appartenant à la patrie, appartenant au sol, etc.) ; cette folie ne pouvait s'achever que par la catastrophe historique que l'on sait. Ce qui eut lieu avec l'holocauste fut proprement un acte sacrificiel en l'honneur de cette idole, et dans l'intention de venger l'aliénation de ceux qui, supposément, n'auraient pas reçu toutes les conditions de l'émancipation, et ceci à cause des nantis, des "élus" (d'où la persécution des Juifs au premier chef).


"Les camps sont ces lieux où – au nom, prétendument, de ceux qui n’auraient pas reçu les conditions de leur accomplissement, ou auxquels on les aurait enlevées – on a voulu, par ressentiment, priver les hommes de toutes les conditions qui font l’homme dans sa dignité d’homme... Les camps sont ces lieux en particulier où on a voulu priver de toutes les conditions ceux dont on avait l’idée, secrètement, qu’ils les avaient reçues en abondance, toutes les « personnes de condition » et, parmi eux, suprêmement, les Juifs. Comme si l’élection n’était pas un acte par quoi on s’engage à répondre à un appel de l’Autre ! Et comme si le peuple juif n’avait pas, lui, répondu positivement à un appel qui avait été adressé à tous les hommes (lesquels, s’ils y ont répondu négativement, peuvent toujours prétendre ensuite qu’ils n’ont pas eu les « conditions ») !"
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Déchéance, Identité, Holocauste

Dès lors que l'existence essentielle est affirmée, l'aliénation doit être reconnue comme constitutive de la relation à l'Autre, car cette altérité de l'Autre et en même temps l'identité nouvelle qu'on reçoit de lui est toujours d'abord refusée. L'existant réduit alors sa propre identité au statut de déchet par rapport à un Autre ramené lui-même à une identité mythique et close. Pire, la négation sociale de cette réalité de l'aliénation - effet de l'aliénation elle-même - conduit au projet sacrificiel d'éliminer ceux que le peuple désigne comme responsables de cette déchéance, les réduisant alors eux-même à la pire des déchéances - ce qui a débouché historiquement à la catastrophe de l'holocauste. Le juif, soi-disant refermé sur son identité et considéré volontiers comme parangon du capitaliste, est ainsi accusé d'avoir confisqué les conditions de toute émancipation : il est condamné à payer à la place de ceux qui, en réalité, refusent justement de payer le prix pour s'émanciper (ce qui, une nouvelle fois, définit l'aliénation).


"Et la volonté illusoire d’éliminer toute aliénation devient alors volonté de rendre à ceux qui sont pris dans l’aliénation les conditions dont on les aurait prétendument privés, expropriés. Illusion, bien sûr, aux yeux de qui affirme l’existence, parce que les conditions sont toujours d’abord refusées par l’existant qui s’abandonne complaisamment à l’aliénation, et parce qu’il ne suffit nullement de les lui redonner pour qu’il les accueille enfin. C’était l’illusion de Marx de croire que la plus-value était de l’ordre de la création. Et qu’elle se trouvait scandaleusement extorquée au travailleur, parce que celui-ci ne disposait plus des conditions de son travail que se serait appropriées le capitaliste. Alors qu’elle est l’objet en tant que s’y marque le refus de la création, et qu’elle est par avance extorquable."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Discours, Maitrise, Capitalisme

Le discours psychanalytique reconnait l'aliénation comme inévitable, comme conséquence de la pulsion de mort, et il la relie nécessairement à l'institution sociale dont c'est la nature même de promouvoir la jouissance (et le travail), à savoir le discours capitaliste. L'aliénation se constitue ordinairement dans le capitalisme par la production de la plus-value, qui est en fait la part de jouissance qui revient au maitre - et non au travailleur qui a consenti à ce travail faute d'avoir pu ou voulu entreprendre lui-même, travailleur qui est donc dispensé de ce risque d'avoir à énoncer un désir, une vérité première. Il n'y a donc pas eu extorsion comme l'affirme Marx, puisque ce supplément n'est nullement le produit de sa "pure" force de travail, de son désir propre, mais seulement d'un savoir formel et d'un dispositif technique mis à sa disposition, dont certes il a acquis l'expertise. Cela ne rend pas son travail plus authentique ou plus satisfaisant pour autant, c'est même le contraire ; ce n'est pas la pulsion de vie qui est mise en oeuvre ici mais bien la pulsion de mort. Cette aliénation réelle et inévitable peut cependant être supportée dans les limites du droit, sans lequel le capitalisme lui-même ne fonctionnerait pas. Ordinairement, elle est pourtant, inévitablement, contestée par deux autres types de discours. Le discours de l'hystérique, ou discours du peuple, conteste l'aliénation devenue symptôme en se tournant vers un Autre sachant - clerc, scientifique ou professeur - pour le délivrer de son aliénation au maître politique. Sauf que ce pivotement plaçant maintenant le savoir en position de maître ne modifie pas sa propre relation fascinée avec la maîtrise, puisque l'hystérique (le peuple) attend maintenant tout d'un supposé savoir qui, d'être sans sujet et sans destination, ne le satisfait pas davantage que l'énoncé primordial du maître - d'autant plus que ce savoir reste son produit, comme tout à l'heure la plus-value, simplement récupéré par l'Autre. Reste alors le discours universitaire, ou discours du clerc, dont nous voyons déjà comment il s'auto-justifie en se revendiquant comme seul véritable savoir, seule source (littéralement autor-isée) de vérité, alors qu'il trompe l'étudiant en lui faisant croire que s'il s'assujettissait à ce savoir il pourrait s'affranchir du maître et même de toute aliénation - alors que lui-même, ce faisant, ne fait que collaborer activement au pouvoir du maître.

"Dans le discours de l’universitaire, celui (l’universitaire, le clerc) qui semble s’être éloigné de la jouissance ordinaire et avoir accédé au savoir vrai se tourne vers tous les hommes en leur faisant croire que, s’ils s’assujettissent eux aussi à ce savoir, ils seront délivrés du maître auprès duquel ils s’aliènent. Mais cette lutte ne fait que transformer celui qui la mène en maître d’un type nouveau, en maître qui n’est que le ministre d’un maître suprême (les grands auteurs, le Moi idéal , ultimement Dieu lui-même). Et elle ne fait qu’absolutiser l’aliénation dans laquelle tous sont pris. Diffusion générale de l’aliénation dont on prétendait se délivrer."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Capitalisme, Psychanalyse, Pulsion de mort

Le discours psychanalytique ne supprime pas l'aliénation, même s'il donne toutes les conditions nécessaires (venues de l'Autre) pour que la vérité puisse advenir dans la parole du patient et que celui-ci se libère de ses symptômes sous leur forme maligne ; tout simplement parce qu'il ne supprime pas la pulsion de mort, toujours à l'oeuvre derrière le masque grimaçant du Surmoi et de la culpabilité, de sorte que le patient peut toujours faire le choix paradoxal de l'aliénation en se soumettant à ce "mauvais" Autre plutôt qu'à l'Autre vrai. De la même manière le droit, pour le sujet social, n'a pas vocation à éliminer toute aliénation dès lors que pris dans le système capitaliste - lequel, en s'adossant au droit, limite pourtant (sans les éliminer) ses propres effets pervers - l'individu se laisse berner par la pseudo-création de plus-value, interprétée comme plus-de-jouir par Lacan, autrement dit le contraire même de la création, de sorte que cette participation volontaire à la jouissance capitaliste le conduit non seulement à s'aliéner aux biens du maître mais aussi à perdre réellement ses droits (alors que toutes les conditions pour en bénéficier étaient données et le sont toujours : l'Autre ne peut donc pas être accusé d'avoir failli à la place du sujet).

"Certes le droit détermine les conditions qui doivent être données socialement à l’existant pour accéder à soi-même. Conditions nécessaires, mais non suffisantes, la possibilité existant toujours, et devenant inévitablement réelle, de ne pas jouir de ses droits, et d’en rester à l’aliénation inéliminable. Le capitalisme est, selon nous, la forme sociale qu’a prise explicitement dans l’histoire – forme inséparable du droit, des progrès du droit – cette aliénation inéliminable."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Capitalisme, Illusion, Idéologie, MARX

Dénonçant une aliénation persistante, de nature religieuse, dans le système de Hegel, les jeunes hégéliens en appellent à la libération de la conscience individuelle, mais reconduisent une aliénation que leur reproche à juste titre Marx : cette individualité n'est nullement libre, si elle ne prend pas conscience de ses conditions matérielles de subsistance et demeure donc ce qu'elle est déjà chez Hegel : philosophiquement idéaliste et politiquement petite-bourgeoise. Marx, quant à lui, répète la même illusion consistant à prétendre éliminer toute aliénation dans le social, en croyant pouvoir mettre à bas le capitalisme - alors que ni l'une ni l'autre ne sont éliminables -, au nom d'une même identité métaphysique insuffisamment critiquée (certes matérialiste et non plus idéaliste) et d'une autonomie simplement supposée. Etant donné ses fins révolutionnaires, le marxisme conduit à une idéologie encore plus aliénante et dévastatrice que le capitalisme puisque toute finitude y apparaitra comme insupportable.

"Concevoir l’aliénation comme éliminable apparaît, dès lors que l’existence essentielle a été introduite (par Kierkegaard), comme une illusion. Et comme une illusion dans laquelle l’existant toujours d’abord et toujours à nouveau tend à retomber. Ainsi pour les « jeunes hégéliens » – dont l’illusion est dénoncée par Marx –, mais aussi pour Marx lui-même... Marx répète lui aussi, selon nous, la même identité métaphysique, la même identité fausse rejetant l’altérité (c’est l’individu producteur dans sa prétendue suffisance à soi) ; et il participe lui aussi (et dramatiquement cette fois-ci du fait de sa visée idéologique de révolution) de la même illusion d’une aliénation qu’on pourrait éliminer (en l’occurrence, celle qu’implique le capitalisme)."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Altérité, Identité, Existence, HEGEL

Il y a bien chez Hegel, en tant que point d'aboutissement extrême de la métaphysique, une reconnaissance et une pensée de l'altérité mais seulement comme aliénation surmontée. L'existence apparaît bien comme relation essentielle à l'Autre, lequel s'ouvre en retour à son Autre ; mais cet Autre apparaît finalement conforme à une identité déjà-là, simplement perdue puis retrouvée, finalement désaliénée ; nullement comme un Autre pourvoyeur d'une identité nouvelle et imprévisible, que l'existant devrait découvrir et reconstituer peu à peu.

"Et l’altérité n’aura été, pour Hegel, qu’une aliénation, et une aliénation surmontable. L’ouverture à l’Autre n’aura été que l’occasion de perdre l’identité qu’on s’était donnée – c’est l’aliénation. Non pas pour recevoir de l’Autre, imprévisiblement, une identité nouvelle qu’on aurait à reconstituer peu à peu dans l’épreuve de la finitude radicale – c’eût été l’altérité vraie, inséparable de l’existence essentielle. Mais pour accéder à l’identité (fausse selon nous) qu’on avait toujours déjà au fond de soi – c’est l’aliénation surmontée."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

ALIENATION, Révolution, Existence, Société, MARX

L'aliénation pour Hegel est le processus nécessaire par lequel l'esprit absolu s'incarne et se perd, dans un premier temps, dans la conscience humaine, pour mieux se ressaisir et se comprendre lui-même. Aliénation purement formelle et de type religieuse dénoncent les jeunes hégéliens et Marx en particulier, lequel souligne le caractère avant tout social et économique de l'aliénation et en appelle à la révolution pour permettre une autonomie réelle. Mais l'inconséquence de Marx, au regard de l'existence, qu'il suppose et reconnait pourtant - au moins formellement, au titre de l'individu concret disposant de sa force de travail - est d'ignorer les conséquences encore plus aliénantes et totalitaires d'une révolution prétendant nier l'aliénation dans son principe. Comme si pour penser l'existence il ne fallait pas en même temps reconnaitre le caractère radical et inévitable de l'aliénation, comme sujétion à l'Autre en général (et d'abord à l'Autre absolu), justement pour la vaincre - autant que possible, mais jamais totalement - comme prétendue justification du pouvoir (laquelle doit revenir au droit).


"Marx, parce qu’il ne fait que supposer l’existence, entretient, avec sa révolution, l’illusion dangereuse, « aliénante », d’un triomphe total sur l’aliénation. De cette aliénation la philosophie doit, avec l’existence et l’inconscient, soutenir que, certes ultimement sociale, elle est radicale et définitive, mais soutenir aussi qu’elle peut, par une révolution vraie, être vaincue comme principe organisateur du monde social et limitée dans ses conséquences."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

DISCOURS, Aliénation, Fascination, Sens, LACAN

A l'exception du discours analytique, qui lui substitue un effet de sens, tout discours exerce un effet de fascination qui se traduit socialement par une aliénation. C'est d'abord vrai pour le discours du maître qui se déploie depuis une signification (S1) renvoyant à une vérité supposément représentée par le sujet lui-même ($), face à laquelle l'autre ne pourra se situer que comme déchet, seulement apte à produire des objets-déchets ou objets pulsionnels. Inversant ce discours du maître le discours analytique se tient depuis l'objet (a) et vise, chez l'autre d'abord identifié à son symptôme ($), à produire peu à peu la signification (S1) qui le concerne vraiment (après avoir, dans un premier temps, rejeté le savoir S2 sur l'analyste "supposé-savoir"). Les deux autres discours confortent plus ou moins le discours du maître en demeurant dans la fascination : le discours de l'hystérique, partant de la souffrance du symptôme ($), s'adresse au maître (S1) pour qu'il le libère de son aliénation en produisant un savoir, mais un savoir dont il ne peut jouir lui-même, coincé qu'il reste dans sa jouissance pulsionnelle. Enfin le discours universitaire se veut volontiers en lutte contre le maître tout en visant la libération de l'autre, l'étudiant, mais c'est l'inverse qui se produit : il arrime sa parole depuis un savoir déjà constitué (S2), lui-même supposé vrai depuis une signification (S1) originaire et surtout imaginaire, et en réduisant son interlocuteur à l'objet-déchet (a) il produit littéralement l'aliénation du sujet ($).

"Ce discours du maître est, pour le discours psychanalytique, son « envers », son retournement terme à terme. Car le psychanalyste tient son discours de la place de l’objet-déchet (le « a »). Et ce à quoi il vise, c’est à la production de la parole vraie (et alors réellement vraie – le « S1 ») par le patient- analysant. Par le patient-analysant qui est arrivé avec sa souffrance, avec son assujettissement vain au symptôme (c’est le « $ »). Et qui va laisser se déposer sur le psychanalyste toutes ses paroles sans vérité (c’est le « S2 »), jusqu’à ce qu’elles puissent se nouer imprévisiblement dans sa propre parole vraie que l’interprétation du psychanalyste aura annoncée, préparée, entamée. Tel est l’« effet de sens » que, selon Lacan, le discours psychanalytique substituerait à l’« effet de fascination » du discours du maître."
JURANVILLE, 2010, ICFH