La révolution anticapitaliste rêve d'une société où l'autonomie de ses membres serait également pleine et entière - négation d'une finitude pourtant bien réelle, qui limite pareille autonomie, et exacerbation d'une vision totalitaire de la société, puisque nul n'est censé échapper au mouvement de l'histoire. Mais si les fins sont purement formelles et illusoires, les moyens (techniques et informationnels, notamment) utilisés pour promouvoir cette vision sont redoutablement efficaces puisqu'ils sont empruntés au capitalisme lui-même, qui les a inventés. Les victimes potentielles de ce système sont les individus comme tels réduits à l'état de déchets, fondus dans la "masse", étant donné que les classes elles-mêmes sont disqualifiées, sinon dissoutes totalement, au profit de cette entité abstraite et inhumaine. Bien que sa politique extérieure soit expansionniste, totalité oblige, le véritable bras armé de ce régime est la police intérieure traquant tous ceux qui pourraient mettre en danger, ou tout simplement remettre en cause, par leur créativité (perçue comme marque d'égoïsme et preuve de trahison) la perfection supposée du système.
COMMUNISME, Totalitarisme, Capitalisme, Individu
COMMUNAUTE, Aliénation, Capitalisme, Communisme, MARX
"Mais cette visée d’une communauté nouvelle conduit inévitablement, parce qu’elle est anticapitaliste, à une répétition du système sacrificiel, avec sa communauté écrasante. Car la révolution anticapitaliste vise à faire disparaître, de la communauté juste qu’elle veut établir, toute trace d’aliénation . C’est ce qu’elle vise, puisque le capitalisme est la forme qu’a prise, dans l’histoire, l’aliénation. Et ce qui caractérise le projet de Marx comme gnostique. Marx veut alors une émancipation « totale », accomplie par l’« homme générique », une « émancipation humaine ». Mais gnosticisme présent aussi dans L’Idéologie allemande (1845-1846) où l’individu, ignorant toute finitude radicale, devient, par la révolution communiste, abstraitement autonome."
JURANVILLE, 2010, ICFH
CAPITALISME, Mal, Paganisme, Sacrifice
Si le capitalisme participe du paganisme en général comme machine à produire des idoles, il s'y oppose par ailleurs en reconnaissant le mal qu'il produit ; il ne vise pas à purifier la société de tout mal, comme le fait le paganisme ancien, en le repoussant sur la victime expiatoire. Il veut simplement la fin de la guerre et de la violence sacrificielle contre les individus.
CAPITALISME, Travail, Plus-value, Jouissance, MARX, LACAN
Le vrai principe de la valeur réside bien dans le travail et non dans la marchandise fétichisée, comme l'a bien vu Marx, mais il n'est pas non plus dans la plus-value soi-disant extorquée au travailleur par le capitaliste. En interprétant celle-ci comme "plus-de-jouir", Lacan souligne la complicité du travailleur pris dans la même jouissance que le maître, le même fétichisme du capital, à qui finalement il ne fait que rendre la dime de ce plus-de-jouir.
CAPITALISME, Travail, Plus-value, Création
"Le travailleur qui perçoit son salaire ne cède pas, en échange, du travail créateur qui serait «sacrifié». Il cède du travail que Marx dit vivant parce que produisant du capital en plus ou capital variable (qu'il oppose au travail mort que serait le capital constant), mais qui n'est en réalité que du travail mort, voué à l'avance à sa propre mort dans le capital - car la plus-value produite ne fait que déployer toujours plus loin l'identité anticipative du capital, laquelle n'est que la mythique puissance de vie fausse de la Mère-Nature du paganisme!. À ce travail mort, social, humain parce que l'individualité y a peu d'importance et parce qu'on peut y dresser à peu près tout homme, Stirner oppose, lui, de manière existentiellement plus juste, le travail réellement vivant, créateur, « égoiste parce que personne ne peut faire à ta place tes compositions musicales ou exécuter tes tableaux ». La philosophie est donc fondée à récuser la conception ordinaire du capitalisme, sous quelque forme que ce soit, pleinement louangeuse ou radicalement critique."
JURANVILLE, 2021, UJC
CAPITALISME, Révélation, Révolution, Individu
"L’existant est appelé, par la révélation qui lui en donne toutes les conditions, à revouloir pour le bien le capitalisme comme forme minimale du mal social. Pour le bien qui est la possibilité qu’advienne l’individu, en réponse à la révélation. La révélation veut le capitalisme pour autant qu’il est le paganisme quand celui-ci est empêché, par le droit, de broyer la possibilité qu’advienne l’individu."
JURANVILLE, 2010, ICFH
CAPITALISME, Révélation, travail, Protestantisme , WEBER
Les analyses de Max Weber font le lien entre la révélation religieuse, le désenchantement du monde et le développement du capitalisme. Le judaïsme ancien, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejette les superstitions et la magie, et introduit une rupture avec le monde tout en reconnaissant le non-sens constitutif de l'existence humaine, autrement dit le péché. C'est en assumant ce non-sens, donc en recueillant la révélation, que le capitalisme prend naissance comme forme minimale du mal social. Mais ce premier capitalisme se supporte de l'élection d'un peuple, et reste donc limité ou marginal (un « capitalisme de paria » dit Weber) : financier, en fait. Seule la grâce chrétienne, qui a vocation à se répandre dans le monde, peut en même temps étendre le capitalisme au commerce (lequel se diffuse en même temps que la foi), supporté par l'institution de l'Eglise. Mais c'est justement cette mondanisation de la grâce, devenue sacramentelle (et presque magique, "consacrant" un quasi-réenchantement du monde), qui la fausse et qui empêche l'institution définitive du capitalisme. Le protestantisme tient que l'autonomie offerte par la révélation, aussi bien que le capitalisme, relèvent du domaine privé et ne doivent pas être posés dans le monde ; pour lui l'état de grâce (supposant l'élection) et même le salut, passent par le dévouement au travail, que seul Dieu est censé juger. Le protestantisme favorise donc bien la généralisation du capitalisme comme industriel, puisqu'il absorbe la totalité du monde du travail. Encore faut-il admettre que le désenchantement du monde, introduit par la révélation, doit être fixé socialement par l'Etat, et que l'oeuvre produite ne doit pas être seulement formelle (comme simple incitation au travail) mais aboutir à un savoir réel.
CAPITALISME, Aliénation, Capitalisme, Ethique, HEIDEGGER
"Ce qui fait le fond du monde païen, c’est que l’existant y est empêché, par le sacrifice, de se confronter à l’aliénation inéliminable et d’advenir comme individu. La révolution véritable doit donc introduire un monde où l’existant puisse advenir ainsi. C’est-à-dire un monde qui ouvre l’espace de l’éthique essentielle. C’est d’une telle éthique qu’il s’agit chez Heidegger quand il dit du Dasein que celui-ci, toujours d’abord « déchu » dans le « On » et la « privation de choix » et perdu dans l’inauthenticité ou impropriété (Uneigentlichkeit), doit, pour devenir lui-même et accéder à son authenticité et propriété, effectuer le « choix du choix », s’affronter à cette inauthenticité inéliminable et l’assumer."
JURANVILLE, 2010, ICFH
CAPITALISME, Individu, Droit, Contrat de travail
Le capitalisme permet à chacun de s'engager sur la voie de l'individualité, sans risquer la violence physique ou la mort, en tout cas il lui en donne toutes les garanties juridiques ; mais paradoxalement c'est au prix d'y aliéner sa force de travail, son temps et sa créativité - de par la nature même du contrat de travail - et finalement de renoncer (au moins provisoirement) à son individualité.
CAPITALISME, Religion, Discours, Paganisme, WEBER
C'est en tant qu'être fondamentalement religieux, donc païen à la racine, que le sujet social actuel adopte le système capitaliste. Mais s'il représente un paganisme minimal, épuré de toute croyance, le capitalisme requiert aussi toutes les grandes religions, sans quoi il ne pourrait pas assumer ce fond de péché qu'enseignent précisément ces religions ; corrélativement il requiert d'être accepté par celles-ci, au moins implicitement, et par les grands discours sociaux auxquels elles correspondent. En effet les trois religions révélées (judaïsme, christianisme, islam) correspondent respectivement aux discours du clerc, de individu, et du peuple, tandis que le bouddhisme comme principale religion instituée est lié au discours du maître. Quant aux trois autres religions asiatiques instituées - confucianisme, taoïsme, hindouisme - elles font écho, respectivement, aux trois religions occidentales révélées.
CAPITALISME, Religion, Paganisme, Dieu, BENJAMIN
Pour Walter Benjamin le caractère religieux du capitalisme ne fait aucun doute. Il manifesterait même la forme extrême du "culte" en tant que dépouillé de toute spiritualité ou de toute assise mythologique, l'adoration fétichiste étendue à toute sorte d'objets rendus infiniment désirables, sans distinction aucune du sacré et du profane, et finalement le refus de toute relation vraie à l'Autre absolu (ceci, au sein du monde historique où l’altérité a pourtant été reconnue, justement du fait de la religion). L'Autre divin qui serait bien plutôt rendu responsable de la perte de sens, inévitable dans le monde capitaliste ; Dieu accusé d'autoritarisme, de paternalisme, ou bien alors d'infantilisme et d'amateurisme, pour avoir complètement raté sa création. Où l'on retrouve ce que dit Lacan à propos du Surmoi : « Le Surmoi est haine de Dieu, reproche à Dieu d’avoir si mal fait les choses ». Selon Benjamin il ne resterait plus au vrai Dieu que de rester un Dieu « caché », clos dans le « secret de sa maturité ».
DEMOCRATIE, Capitalisme, Religion, Paganisme
La démocratie véritable, représentative, parlementaire, ne peut finalement se justifier qu'en se réclamant des grandes religions, contre ses propres déviations totalitaires et contre le paganisme brut, faussement religieux, baignant le monde capitaliste. C'est pourtant en assumant le capitalisme comme forme terminale et minimale du paganisme que l'homme actuel assume sa finitude, et peut s'installer dans cette autonomie qu'il détient de l'Autre absolu (celui des grandes religions révélées ou instituées) à travers l'élection.
CAPITALISME, Paganisme, Non-sens, Enchantement
Si le capitalisme prolonge le non-sens de l'ancien paganisme - sur fond de "désenchantement du monde" (Weber) -, exprimant la finitude radicale de l'homme, c'est pour avoir idolâtré non seulement la marchandise mais plus généralement la valeur d'échange, et ce jusqu'au non-sens. Non parce que la valeur d'usage serait plus originelle et authentique (au contraire celle-ci est abstraite et illusoire), mais parce que l'idéologie du profit occulte la véritable relation à l'Autre - qui est don - en perpétuant un système foncièrement sacrificiel (sursignifiant et "enchanteur" ou à l'inverse insignifiant et "désenchanté") faisant de l'individu sa principale victime. Explicitement et factuellement dans le cas du paganisme traditionnel, seulement implicitement et potentiellement dans le cas du capitalisme, lequel reconnait néanmoins les droits de l'individu et lui offre même - de facto - la possibilité de se "libérer" de son emprise, s'il le veut, en l'ouvrant à l'Autre comme son égal et pas seulement à ses biens.
CAPITALISME, Démocratie, Finitude, Individu
La finitude radicale de l'humain est, par définition, destinée à demeurer. Cela signifie entre autres que le devenir-individu ne saurait être égalitaire, quand bien même à travers l'histoire et le progrès des institutions, le droit reconnait à chacun une égale liberté. Mais, dans la réalité, la liberté ne saurait être égale, car elle tend à se fuir elle-même. C'est ce compromis que représente le capitalisme, entre d'une part une inégalité et une injustice persistantes, à cause de ladite finitude (pulsion de mort, sexualité, domination...), et un cadre légal et démocratique garantissant la possibilité pour chacun de devenir individu autonome. Le capitalisme mondialisé - régulé par les traités - empêche les Etats d'incarner "eux-mêmes" l'individu, de se substituer aux citoyens en les "forçant" par exemple à être égaux, ou de revendiquer une autonomie qui ne pourrait être qu'illusoire ; en somme il force les Etats, les cultures et les religions à la coopération et au dialogue.
CAPITALISME, Paganisme, Contrat de travail, Aliénation
Le capitalisme relève bien du paganisme au moins sous deux aspects : la formation d'un Autre absolu faux, que représente la monnaie ou le capital, et l'exercice d'une violence sacrificielle au nom de cette idole, avec le contrat de travail (exploitation légale du travail) par lequel le travailleur cède librement la plus-value de son labeur à son employeur. Car le capitalisme n'apparait historiquement que dans le contexte du droit : indissociablement droit au travail et droit à la propriété. Ce contrat a beau être désavantageux, et ce travail aliénant, il demeure légalement transparent et il ouvre au travailleur la possibilité de se désaliéner (notamment par l'expertise acquise) pour se réaliser, dans un autre contexte, comme individu autonome.
CAPITALISME, Paganisme, Etat, Peuple, MARX
"[Le capitalisme] nous le posons comme ce paganisme minimal qu’a voulu la révélation (et dont, bien sûr, elle se distingue, rappelons-le contre Benjamin), mais comme ce paganisme minimal dégagé dans le cadre de l’État, d’un État qui n’est pas le Léviathan de Hobbes et qui dispense de véritables droits et ouvre l’espace pour l’individu réel. Le peuple n’accède donc à sa vérité (sur fond de quoi pourra se constituer une véritable démocratie) que pour autant qu’il veut la présence, dans le monde social, du capitalisme. Vérité du peuple qu’on doit dire alors utopique, parce que, face au paganisme dans lequel s’empêtrent les peuples, elle n’a d’abord « pas de lieu »."
JURANVILLE, 2010, ICFH
CAPITALISME, Finitude, Droit, Individu
Concernant la finitude radicale et les maux qu'elle engendre, la faute ultime consiste à la nier plutôt que de l'assumer sous sa forme minimale - car la finitude étant inéliminable, ses conséquences néfastes n'en seront alors qu'aggravées. Ainsi du capitalisme, qui n'est pas un bien mais effectivement un mal (une forme de système sacrificiel avec ses idoles), sauf qu'en même temps, il reste la seule institution reconnaissant par principe la place de l'individu comme tel et offrant les conditions de son autonomie effective (libertés de propriété, de travail, d'entreprise, etc. encadrées par le droit).
CAPITALISME, Orient, Occident, Droit, WEBER
Même mondialisé, l'esprit du capitalisme reste occidental si l'on en croit Max Weber, car c'est bien en Occident, notamment sous l'impulsion de l'éthique protestante, que l'universelle "pulsion de profit" a trouvé son objectivation rationnelle à travers la quasi-science économique, ainsi que son support par le droit. Cela supposait une "ascèse intramondaine", selon le mot de Weber, incompatible avec le traditionalisme oriental sous ses formes spirituelles (religieuses) aussi bien que temporelles (féodalisme). L'orient n'aura donc intégré le capitalisme que comme un instrument et "un artefact venu de l'extérieur" (Weber).
CAPITALISME, Mondialisation, Monde, Altérité
Quand l'univers devient monde - totalité et altérité - par le jeu de la mondialisation capitaliste, on peut avoir le sentiment, au prime abord, d'une explosion des injustices et des inégalités, d'une prostitution générale de la Valeur, d'un rabaissement de l'altérité sur l'uniformité. Surtout lorsque le capitalisme se présente lui-même, dans son discours, comme le plus grand Bien possible, oubliant qu'il n'est au mieux qu'un moindre mal, soit la continuation sous des formes à peu près acceptables du paganisme ancien. Et pourtant, ce qu'il faut retenir du "monde actuel", mondialisé, c'est bien la grâce dispensée par lui à tous ces mondes qui, issus du paganisme, accueillant ou refusant parfois la mondialisation, sont pourtant reconnus par lui dans leur altérité vraie.
CAPITALISME, Maître, Plus-value, Individu, LACAN
Le discours du maître est contemporain de la Révélation juive, qui rompt avec le discours du peuple (hystérique) dominant dans la société païenne traditionnelle. Quant au capitalisme, il est une variante apparue assez récemment du discours du maître, quand ce dernier fait produire à l'esclave sous contrat la fameuse plus-value, le "plus-de-jouir" selon Lacan. Or ce dernier fait valoir, contrairement aux affirmations de Marx, que la plus-value n'est nullement extorquée au travailleur puisqu'elle est réalisée grâce aux conditions de productivité offertes par le maître (investissement, moyens techniques, etc.) et pas seulement par la force de travail. De plus elle ne représente rien d'émancipateur ou de créatif pour le travailleur, précisément car elle n'est pas de son fait, et se trouve bien plutôt réduite à un pur objet de jouissance, l'objet de consommation fétichisé. Lorsque Lacan évoque la "sortie" hors du discours capitaliste, il précise bien que cela ne sera "pas pour tout le monde", soulignant que cela reste un privilège de la démarche analytique et donc du sujet individuel, nullement du sujet social. Pour ce dernier la libération de l'individu ne saurait passer par l'abolition du capitalisme, qui ramènerait à une forme de paganisme aggravé, ignorant toute finitude radicale et n'ayant de cesse de "conjurer" le mal par la voie du sacrifice (réduction au silence de toute parole dissidente, par exemple, dans les régimes communistes) ; elle ne passera pas davantage par une exaltation sans réserve du même capitalisme, comme une fuite en avant (véritablement désespérée) vers un monde idéal ayant aboli le mal et la souffrance, un monde sans finitude. Il n'y a pas d'autre voie que celle d'un capitalisme raisonné laissant la possibilité à chacun de se réaliser comme individu, la société ayant cessé d'être idéalisée comme fin pour apparaître (enfin) comme simple moyen.