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DROIT AU TRAVAIL, Capitalisme, Individu, Démocratie

L'institution de la démocratie apporte un droit civil nouveau, le droit au travail. Il est fait pour garantir un minimum de sécurité pour le travailleur pris dans une relation asymétrique avec un possédant, l'employeur, qui ne connait pas la même urgence vitale de travailler, et qui serait tenté d'en profiter en l'absence de règles de droit. Le droit au travail n'efface pas la violence inhérente au contrat de travail - puisque en vendant sa force de travail sur le marché, l'individu renonce (au moins provisoirement) à son oeuvre propre - mais il en limite la portée, et en cela il exprime la vérité du capitalisme : à savoir qu'il n'est pas le mal absolu, il ne revient pas au système sacrificiel archaïque, mais il n'est pas non plus la panacée - notamment en termes de "progrès" - qu'il prétend être. Il est juste un moindre mal.


"Le droit de propriété avait permis, au-delà du paganisme, la formation du capital ; la liberté de culte avait permis qu'on s'y rapportât comme à une idole ; la liberté d'expression avait permis de mettre en œuvre le capitalisme ; le droit au travail lui donne la limite de principe hors de laquelle il ne peut y avoir de vérité. Il ne sera fixé que dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948, et en France dans la Constitution de 1958."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

SANTE, Droit, Individu, Capitalisme

A l'âge du capitalisme industriel le droit civil nouveau est le droit à la santé, "fondement de tous les autres bien qu'on peut avoir dans cette vie" selon Descartes, impliquant d'une certaine manière "maîtrise et possession de la nature"... Car il ne s'agit plus seulement d'assurer le niveau homeostasique d'un accord avec la nature, mais pour l'homme d'assurer son bien-être physique et mental, voire... de durer longtemps (en bonne santé) pour être toujours plus performant. Si ce droit nouveau profite indéniablement à l'individu comme tel, il suppose une administration et une planification rigoureuse dont les travers bureaucratiques rappellent le concept foucaldien de "biopolitique.


"Le droit nouveau est d'abord droit civil, en l'occurrence droit à la santé - grâce qui, là encore, n'empêche pas l'homme de fuir d'abord le radical de sa finitude, du mal en lui. Un tel droit suppose que l'homme, radicalement fini, se laisse prendre dans le développement, décisivement industriel, du capitalisme qui, pour y puiser de l'énergie et en tirer la matière à soumettre aux formes qu'il a conçues, détruit la nature telle qu'elle se donne d'abord et y lâche des forces de mort (cf. le dispositif de la technique chez Heidegger). Mais santé sur fond de laquelle il pourra engager le travail vers son individualité vraie..."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT DE PROPRIETE, Violence, Capitalisme, Individu,MARX

Le droit de propriété comporte une violence inacceptable autant qu'inéliminable, c'est pourquoi il doit être limité par le droit lui-même, jusqu'à rendre cette violence acceptable. Violence, non pas parce que celui qui possède vole nécessairement son semblable, mais parce qu'en s'accroissant (inévitablement, avec la généralisation des échanges) la propriété consomme toujours plus de main d'oeuvre et fait produire de la plus-value au travailleur. Et aussi parce qu'à l'origine du capitalisme, le droit positif n'a fait que légaliser les vagues de spoliation - à la fois contre l'Etat féodal et contre les petits propriétaires paysans - consacrant le droit du "plus possédant". Expropriation et exploitation capitalistes tant dénoncées par Marx, qui va jusqu'à condamner le droit lui-même comme simple instrument de domination. Mais droit de propriété pourtant légitime dans son principe, car la propriété résulte de l'entreprise et de la création individuelle, que peu d'individus ont le courage, l'opiniâtreté et le talent de conduire à terme (quand bien même ils en auraient reçu les moyens par d'autres). La violence engendrée par la propriété et ses abus n'est pas équivalente à la violence sacrificielle originelle, elle en est juste la forme subsistante inéliminable à l'époque du capitalisme, et c'est donc bien comme droit civil (droit de l'individu et pour l'individu) que ce droit de propriété peut être à la fois reconnu et encadré, en regard du droit du travail et de ses progrès eux-mêmes légitimes.


"La vérité du droit ne peut advenir, comme droit de l’individu, qu’à partir du droit positif combattu dans ce que sa violence a d’inacceptable, et reconnu dans ce que sa violence a d’inéliminable... Le droit s’accorde donc tout à fait avec le système capitaliste. Non pas au sens de Marx où il serait complice de la violence absolue de ce système. Mais au sens où il donne à ce système les limites que celui-ci veut avoir. Ces limites ne lui sont pas imposées de l’extérieur, comme s’il était toujours le système sacrificiel païen dans sa forme brute. Elles se développent bien plutôt à partir de la violence inéliminable du contrat de travail, et elles donnent à l’existant toutes les conditions pour s’arracher à la tentation du paganisme brut et pour devenir et redevenir l’individu. Là est le sens de l’État et du droit – et aussi du capitalisme."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DROIT, Liberté d'expression, Capitalisme, Liberté de la presse, MARX

Le droit civil qui apparaît (par la grâce) avec l'institution de la science est la liberté d'expression. Prolongée en liberté d'entreprendre pour lui donner toute son effectivité, pour que l'individu parvienne à créer son oeuvre, il débouche finalement sur le capitalisme industriel. Et cependant si pour cette forme de capitalisme, le Capital est l'Autre, c'est n'est jamais qu'un Autre faux, une idole se servant du travailleur pour lui faire produire la plus-value. Or, là où Marx parle d'extorsion, Juranville y voit bien plus une aliénation consentie - conséquence du refus de créer par soi-même -, une participation à la volonté de jouissance capitaliste, rien d'autre qu'une manifestation de la pulsion de mort.
Quant au droit politique qui apparaît avec l'institution de la science, c'est la liberté de la presse. Mais là encore il ne peut que se fausser, face à "la terrible réalité qu'est la passion de l'inégalité parmi les hommes, en l'occurrence réalité des classes sociales" dit Juranville. Et cela ne tient pas seulement aux différences de revenus mais à la position des citoyens par rapport aux procès de production capitaliste. Car comme le dit Marx, "il n'y a que deux classes en présence : la classe ouvrière, qui ne dispose que de sa force de travail ; la classe capitaliste, qui possède le monopole des moyens de production sociaux tout comme celui de l'argent" - auquel il faut donc ajouter le monopole de la presse.



"De même que la finance donnait son effectivité au droit de propriété, de même que le commerce donnait sont effectivité à la liberté de culte (par la diffusion de la foi), de même l'industrie donne son effectivité à la liberté d'expression, en lui permettant de devenir production d'objets, voire production d'œuvres. D'où l'on peut conclure que le droit civil débouche sur l'émergence du capitalisme industriel, où le capital n'est plus objet comme dans le capitalisme financier (intérêt), plus sujet comme dans le capitalisme commercial (profit). Capitalisme où le capital est l'Autre."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Information, Capitalisme, Individu

Le droit à l'information est un pilier de l'institution du capitalisme, car même si le capitalisme crée ses propres idoles, il permet de s'affranchir de l'idole du pouvoir comme telle (laquelle retient l'information, et ment). Pour le meilleur et pour le pire, il libère à la fois l'individu vrai et l'individualisme (le culte de l'individu), la liberté de dire et l'obligation de tout dire (illusion de la "transparence"). Finalement il laisse le choix entre un faux "souci de soi" et le "souci de l'autre".


"Il eût fallu, pour accéder à la véritable exception et individualité, quitter le souci de soi pour le "souci de l'autre", comme le dit Levinas - c'est ce dont le système capitaliste laisse, par le droit, la possibilité à chacun. D'où l'on peut conclure que l'institution du capitalisme doit conduire à l'avènement, comme droit politique nouveau, du droit à l'information - par quoi le droit effectivement s'accomplit. Droit qui permet à l'existant de s'arracher à son aliénation d'individu individualiste devant l'idole, suprêmement devant celle qu'est le pouvoir souverain (et celui qui le détient)."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Etat, Internationalisation, Capitalisme

Avec l'institution du capitalisme, l'internationalisation du droit (différent du "droit international") affirme le principe fondateur du droit qu'est la volonté de paix parmi les hommes. Elle implique que la souveraineté de l'Etat, désabsolutisée, se soumette à l'autorité de la "conscience universelle", dont les instances juridiques internationales sont les représentantes. C'est sous ces conditions - cosmopolitiques, limitant son arbitraire - que l'Etat peut garantir concrètement (administrativement et plus seulement politiquement) à chacun les conditions (sociales) pour s'accomplir comme individu.


"L'institution du capitalisme se manifeste, dans le monde social, par l'internationalisation du droit - qui en est aussi l'accomplissement, puisque l'individu reçoit alors toute la place qu'il devrait recevoir... Avec l'Etat législatif toujours présent, l'Etat administratif gère l'économie en prenant des "mesures". Etat entrepreneur et Etat providence. L'institution du capitalisme débouche donc sur l'accomplissement tant de l'Etat tel qu'il avait été voulu par la philosophie, que du droit dans lequel l'Etat se déploie et qui consiste à donner à chacun toutes les conditions (sociales) pour devenir individu véritable. Ce que disant, nous nous opposons à Carl Schmitt et à sa thèse selon laquelle l'actuel Etat administratif serait idéalement "Etat totalitaire"."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DEMOCRATIE, Religion, Politique, Capitalisme

Certes il semblerait que la démocratie s'établisse originellement - ce fut le cas à Athènes avec les réformes de Clisthène, a fortiori dans les démocraties contemporaines - contre l'emprise de la religion sur le politique, contre ses hiérarchies, en instituant le politique avant tout comme un espace public et laïc. Sauf que le peuple n'en conserve pas moins ses tendances profondément païennes et sacrificielles, renouant incessamment avec l'idolâtrie, refusant de voir émerger l'individu dans son autonomie. D'où la nécessité, pour la philosophie devant accomplir la démocratie, de reconnaître, d'une part la portée politique des grandes religions, en particulier celle du christianisme (qui seul peut faire entendre et accepter universellement la voix de l'individu, fondement de la démocratie), d'autre part la place du capitalisme comme institution assumant une forme inévitable et minimale de paganisme.


"La philosophie doit donc d’une part, pour accomplir la démocratie, reconnaître la portée politique décisive, contre le paganisme, des grandes religions (au-delà de la tentative purement formelle de Platon dans Les Lois, avec le religieux qu’il y affirme). Portée politique décisive du christianisme d’abord parce que c’est par lui que l’acceptation jusqu’au bout, par le sujet social, de la démocratie devient possible, et qu’il est la voie (pour reprendre Rosenzweig reprenant saint Jean). Du judaïsme ensuite parce qu’il est, apparue d’emblée, la vérité qu’il faut atteindre au bout de cette voie. De l’islam enfin et, au-delà de la révélation, de toutes les grandes religions instituées par l’homme, parce que celui-là et celles-ci sont la vie en tant qu’elle peut, par cette voie, s’élever à cette vérité. Et la philosophie doit alors d’autre part, parce que le paganisme foncier est inéliminable, donner toute sa place – jusqu’à l’instituer – au capitalisme comme forme minimale du paganisme. Sans les grandes religions et sans le capitalisme, la démocratie ne pourra s’accomplir."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DEMOCRATIE, Individu, Capitalisme, Paganisme, HOBBES

L'inscription du capitalisme dans la structure de l’État semble favoriser l’émergence de l’individu, mais cette configuration ne suffit pas à fonder une démocratie authentique. L’histoire, loin de consolider la démocratie représentative, tend à faire ressurgir les mirages de la démocratie directe. Que le peuple reste profondément lié à une logique païenne, malgré l'avènement du christianisme, semble le présupposé de Hobbes dans son Léviathan, puisque l’État y est présenté comme une idole, un « dieu mortel » imposant une soumission totale. L'espace de liberté intérieure concédée à l'individu (christianisme oblige) n'autorise aucun progrès, aucune émancipation, tellement cette liberté reste abstraite ; l’individu réel, capable de se manifester à travers une œuvre reconnue publiquement, n’y trouve pas sa place. Même les apports de Spinoza sur la liberté d’expression ne suffisent pas à faire émerger la figure d'un individu autonome.


"Et cependant, à partir de là, aucune démocratie véritable ne peut se constituer. Et cela parce que l’idole reconnue comme telle qu’est l’État selon Hobbes ne laisse aucune place pour l’avènement d’un individu réel, lequel doit pouvoir offrir au jugement de tous l’œuvre par laquelle il est advenu comme tel. Son individu n’est qu’un individu formel, et l’espace de liberté d’expression que Spinoza ajoute dans son Traité théologico-politique ne suffit pas pour accueillir la puissance de nouveauté de l’individu réel."
JURANVILLE, 2010, ICFH 

IDEOLOGIE, Autonomie, Finitude, Capitalisme, MARX

C'est légitimement que Marx voit d'abord dans le capitalisme le prolongement du système sacrificiel qu'il prétend abolir, un système injuste qui entrave depuis toujours l'accès à l'autonomie individuelle. Ce qu'il ne voit pas c'est que cette autonomie suppose la reconnaissance de la finitude radicale (sinon pourquoi l'autonomie devrait-elle être conquise ?), la pulsion de mort qui travaille l'homme tant au plan social qu'individuel. Or le projet marxiste de société communiste, unitaire, voire totalitaire, montre qu'il n'est pas prêt à assumer ladite finitude, en l'occurrence ce qu'il y a d'inéliminable dans l'aliénation capitaliste et d'imparfait dans le système démocratique parlementaire. La philosophie critique se meut donc en idéologie, concrètement en idéologies conquérantes et concurrentes, dont le but démentiel est l'instauration d'un pouvoir absolu et l'éradication de toute autonomie individuelle.


"De là le retournement de la pensée philosophique en idéologie, qui rejette la philosophie. Et en idéologie qui devient diversité d’idéologies en conflit, lesquelles, conquérant le pouvoir, déploient toutes un semblable système totalitaire. Une idéologie devant fatalement apparaître qui voudra éliminer expressément, du Tout parfait qu’elle prétend construire, l’ennemi par excellence du système sacrificiel païen, le peuple qui, le premier, a accueilli la révélation, avec l’autonomie réelle qu’elle offre à l’homme, mais aussi la finitude radicale qu’elle l’appelle à y assumer, le peuple juif. La démocratie représentative ne peut donc être établie dans sa vérité que si, contre la tentative d’abolir tout système sacrificiel, et notamment, aujourd’hui, le capitalisme, on décide d’assumer l’inéliminable d’un tel système, et si l’on en reconnaît, dans le capitalisme, la forme minimale, à assumer justement. Si l’on ne se borne pas à constater et à tolérer la présence du capitalisme, mais qu’on en veuille l’institution."
JURANVILLE, 2010, ICFH

COMMUNISME, Totalitarisme, Capitalisme, Individu

La révolution anticapitaliste rêve d'une société où l'autonomie de ses membres serait également pleine et entière - négation d'une finitude pourtant bien réelle, qui limite pareille autonomie, et exacerbation d'une vision totalitaire de la société, puisque nul n'est censé échapper au mouvement de l'histoire. Mais si les fins sont purement formelles et illusoires, les moyens (techniques et informationnels, notamment) utilisés pour promouvoir cette vision sont redoutablement efficaces puisqu'ils sont empruntés au capitalisme lui-même, qui les a inventés. Les victimes potentielles de ce système sont les individus comme tels réduits à l'état de déchets, fondus dans la "masse", étant donné que les classes elles-mêmes sont disqualifiées, sinon dissoutes totalement, au profit de cette entité abstraite et inhumaine. Bien que sa politique extérieure soit expansionniste, totalité oblige, le véritable bras armé de ce régime est la police intérieure traquant tous ceux qui pourraient mettre en danger, ou tout simplement remettre en cause, par leur créativité (perçue comme marque d'égoïsme et preuve de trahison) la perfection supposée du système.


"Or cette totalité d’un monde voulu parfait est menacée décisivement par l’ individu. Individu toujours plus présent avec les progrès du droit, et avec le développement du capitalisme, inséparable de ces progrès. Car ce que permet le capitalisme, c’est certes, directement, l’individu bourgeois (voire prolétarien) dont la liberté n’est que formelle. Mais ce que permet le capitalisme, c’est aussi, indirectement, l’individu créateur dont la liberté est, elle, réelle. La révolution anticapitaliste débouche donc sur la répétition, mais en aggravé, du système sacrificiel. Répétition Puisque ladite révolution, même si elle fut voulue au nom de l’individu, s’élève, comme prétendu bien et, en fait, mal absolu, contre l’individu. Mais répétition en aggravé . Puisqu'un tel individu a été, dans l’histoire, par le droit, idéalement voulu et déjà réellement fixé comme le bien par excellence. Puisqu’il y a dans le monde social des existants qui veulent s’engager, comme individus, dans la « voie [difficile] du créateur »."
JURANVILLE, 2010, ICFH

COMMUNAUTE, Aliénation, Capitalisme, Communisme, MARX

L'aliénation ne peut être surmontée que dans le cadre d'une communauté nouvelle soumise à une hétéronomie elle-même radicalement Autre (puisque la communauté est hétéronomie et en même temps totalité), rompant avec la communauté traditionnelle soumise à la loi de l'Idole. Mais contrairement à ce qu'affirme Marx une telle révolution ne saurait être le produit des contradictions immanentes au capitalisme, comme si l'oppression suscitant naturellement son envers, la résistance, le capitalisme ne pouvait que s'effondrer et avec lui toute trace d'aliénation. Ainsi serait atteinte la « communauté des individus complets », quand serait « rétablie non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur la possession commune de tous les moyens de production » écrit Marx dans L’Idéologie allemande. Mais cette communauté sans classe et sans aliénation n'est pas vraiment nouvelle puisqu'elle exclut, au même titre que la communauté traditionnelle, toute autonomie individuelle : en effet l'individu désaliéné de Marx n'est qu'une abstraction, hors finitude, sans "existence" réelle face à la "communauté de travail" à laquelle il est sommer de s'identifier (au-delà même d'une quelconque appartenance nationale ou ethnique). C'est ainsi que le communisme répète, mais en pire (dans sa volonté de faire monde et de "purifier" l'homme de toute aliénation), le système sacrificiel du paganisme, là où le capitalisme ne fait que le prolonger, tout en limitant ses aspects totalitaires et sacrificiels, puisqu'il reconnait au moins juridiquement l'individu dans son existence autonome.


"Mais cette visée d’une communauté nouvelle conduit inévitablement, parce qu’elle est anticapitaliste, à une répétition du système sacrificiel, avec sa communauté écrasante. Car la révolution anticapitaliste vise à faire disparaître, de la communauté juste qu’elle veut établir, toute trace d’aliénation . C’est ce qu’elle vise, puisque le capitalisme est la forme qu’a prise, dans l’histoire, l’aliénation. Et ce qui caractérise le projet de Marx comme gnostique. Marx veut alors une émancipation « totale », accomplie par l’« homme générique », une « émancipation humaine ». Mais gnosticisme présent aussi dans L’Idéologie allemande (1845-1846) où l’individu, ignorant toute finitude radicale, devient, par la révolution communiste, abstraitement autonome."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Mal, Paganisme, Sacrifice

Si le capitalisme participe du paganisme en général comme machine à produire des idoles, il s'y oppose par ailleurs en reconnaissant le mal qu'il produit ; il ne vise pas à purifier la société de tout mal, comme le fait le paganisme ancien, en le repoussant sur la victime expiatoire. Il veut simplement la fin de la guerre et de la violence sacrificielle contre les individus.


"L'institution du capitalisme s'élève contre la guerre en général, au-delà de toutes les justifications qu'on a pu en donner. Et elle déclare l'ère de la guerre terminée. Cela parce qu'elle s'oppose au paganisme brut comme système sacrificiel. Lequel rejette le mal (la finitude radicale, la pulsion de mort, le péché) sur la victime devenue bouc émissaire pour assurer la "perfection du groupe social", sa "participation au bien", au vrai, au réel. Rejet violent du mal, qui est lui-même le mal."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Travail, Plus-value, Jouissance, MARX, LACAN

Le vrai principe de la valeur réside bien dans le travail et non dans la marchandise fétichisée, comme l'a bien vu Marx, mais il n'est pas non plus dans la plus-value soi-disant extorquée au travailleur par le capitaliste. En interprétant celle-ci comme "plus-de-jouir", Lacan souligne la complicité du travailleur pris dans la même jouissance que le maître, le même fétichisme du capital, à qui finalement il ne fait que rendre la dime de ce plus-de-jouir.


"La lucidité de Marx c'est de bien voir le conflit existentiel majeur alors présent (entre le capitaliste et le travailleur). L'aveuglement de Marx, c'est de croire que la plus-value serait extorquée au travailleur comme sa puissance active et créatrice. Alors que la plus-value est puissance de mort, à l'avance extorquable, n'est nullement personnelle (Lacan note le consentement fondamental à cette extorsion au profit de l'idole). La lucidité de Lacan, c'est d'avoir montré ce qui est au fond de la plus-value, ce qu'il appelle le plus-de-jouir - l'objet 'a' comme trace d'une mythique jouissance absolue hors finitude radicale : l'esclave (le travailleur) reste pris dans cette jouissance, devrait au maître (au capitaliste) la dîme de ce plus-de-jouir."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Travail, Plus-value, Création

La philosophie interprète le VIIe commandement comme une invitation à un capitalisme raisonné, capable de laisser place à l’individualité grâce au droit. Deux conceptions ordinaires s’opposent : celle d’Adam Smith, qui glorifie le capitalisme via la « main invisible » où l’intérêt individuel sert l’intérêt général, et celle de Marx, qui le condamne pour son caractère sacrificiel, où le travailleur est exploité par l’extorsion de la plus-value. Cependant, ces visions méconnaissent la finitude de l'existence humaine et tombent dans l’illusion d’une identité immédiate. Chez Smith, travail et capital font un et sont complémentaires ; chez Marx, l'identité originelle du travailleur est supposée et retrouvée par la révolution. Or, l’homme, fasciné par l’idole du capital ou obsédé par la plus-value, y sacrifie son autonomie créatrice. Le travail supposé « vivant » de Marx, produisant du capital, est en réalité déjà « mort », contrairement au travail créateur, unique et « égoïste » défendu par Stirner. La philosophie rejette ainsi les conceptions ordinaires du capitalisme, qu’elles soient laudatives ou critiques.


"Le travailleur qui perçoit son salaire ne cède pas, en échange, du travail créateur qui serait «sacrifié». Il cède du travail que Marx dit vivant parce que produisant du capital en plus ou capital variable (qu'il oppose au travail mort que serait le capital constant), mais qui n'est en réalité que du travail mort, voué à l'avance à sa propre mort dans le capital - car la plus-value produite ne fait que déployer toujours plus loin l'identité anticipative du capital, laquelle n'est que la mythique puissance de vie fausse de la Mère-Nature du paganisme!. À ce travail mort, social, humain parce que l'individualité y a peu d'importance et parce qu'on peut y dresser à peu près tout homme, Stirner oppose, lui, de manière existentiellement plus juste, le travail réellement vivant, créateur, « égoiste parce que personne ne peut faire à ta place tes compositions musicales ou exécuter tes tableaux ». La philosophie est donc fondée à récuser la conception ordinaire du capitalisme, sous quelque forme que ce soit, pleinement louangeuse ou radicalement critique."
JURANVILLE, 2021, UJC

CAPITALISME, Révélation, Révolution, Individu

La révélation appelle nécessairement le capitalisme, non comme bien mais comme le moindre mal social, et comme le terme suprême de la révolution : soit un système social régi par le droit, ouvert à l'avènement de l'individu. Cet événement est proclamé par la philosophie dès lors qu'elle reconnait la vérité de toutes les grandes religions, elles-mêmes reconnaissant l'autonomie de l'individu.


"L’existant est appelé, par la révélation qui lui en donne toutes les conditions, à revouloir pour le bien le capitalisme comme forme minimale du mal social. Pour le bien qui est la possibilité qu’advienne l’individu, en réponse à la révélation. La révélation veut le capitalisme pour autant qu’il est le paganisme quand celui-ci est empêché, par le droit, de broyer la possibilité qu’advienne l’individu."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Révélation, travail, Protestantisme , WEBER

Les analyses de Max Weber font le lien entre la révélation religieuse, le désenchantement du monde et le développement du capitalisme. Le judaïsme ancien, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejette les superstitions et la magie, et introduit une rupture avec le monde tout en reconnaissant le non-sens constitutif de l'existence humaine, autrement dit le péché. C'est en assumant ce non-sens, donc en recueillant la révélation, que le capitalisme prend naissance comme forme minimale du mal social. Mais ce premier capitalisme se supporte de l'élection d'un peuple, et reste donc limité ou marginal (un « capitalisme de paria » dit Weber) : financier, en fait. Seule la grâce chrétienne, qui a vocation à se répandre dans le monde, peut en même temps étendre le capitalisme au commerce (lequel se diffuse en même temps que la foi), supporté par l'institution de l'Eglise. Mais c'est justement cette mondanisation de la grâce, devenue sacramentelle (et presque magique, "consacrant" un quasi-réenchantement du monde), qui la fausse et qui empêche l'institution définitive du capitalisme. Le protestantisme tient que l'autonomie offerte par la révélation, aussi bien que le capitalisme, relèvent du domaine privé et ne doivent pas être posés dans le monde ; pour lui l'état de grâce (supposant l'élection) et même le salut, passent par le dévouement au travail, que seul Dieu est censé juger. Le protestantisme favorise donc bien la généralisation du capitalisme comme industriel, puisqu'il absorbe la totalité du monde du travail. Encore faut-il admettre que le désenchantement du monde, introduit par la révélation, doit être fixé socialement par l'Etat, et que l'oeuvre produite ne doit pas être seulement formelle (comme simple incitation au travail) mais aboutir à un savoir réel.


"Le désenchantement du monde ne peut donc être définitivement établi, et rendre possible l’avènement du capitalisme sous sa forme essentielle, comme capitalisme industriel, que si l’autonomie offerte par la révélation, à la fois, se diffuse auprès de tous (révélation chrétienne), et n’est pas posée comme telle dans le monde (risque de falsification de la grâce dans le catholicisme). Ce qui caractérise cette réinterprétation de la révélation chrétienne qu’est le protestantisme. Protestantisme pour lequel il n’y a pas d’autre indice du salut, de l’état de grâce (et d’élection) que dans l’exercice d’un métier comme Beruf, «  vocation  ». Dans un travail sans relâche qui reconnaît certes le sens vrai, en Dieu au-delà du monde. Mais qui s’affronte toujours à nouveau au non-sens constitutif. Dans un travail qui débouche sur une œuvre, et rationnellement produite. Mais sur une œuvre formelle (le produit de l’industrie)."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Aliénation, Capitalisme, Ethique, HEIDEGGER

La révolution véritable ne peut prétendre abolir toute aliénation, en particulier celle propre au capitalisme, mais au contraire - en reconnaissant le caractère inéliminable de cette aliénation - engager le sujet à s'y confronter. C'est ce qu'exprime Heidegger en indiquant que, pour le Dasein, l'éthique consiste à faire "le choix du choix" afin de lutter contre la déchéance et l'inhauthenticité que représente justement l'absence de choix (même si Heidegger se tait sur les conditions sociales et politique d'un tel choix).


"Ce qui fait le fond du monde païen, c’est que l’existant y est empêché, par le sacrifice, de se confronter à l’aliénation inéliminable et d’advenir comme individu. La révolution véritable doit donc introduire un monde où l’existant puisse advenir ainsi. C’est-à-dire un monde qui ouvre l’espace de l’éthique essentielle. C’est d’une telle éthique qu’il s’agit chez Heidegger quand il dit du Dasein que celui-ci, toujours d’abord « déchu » dans le « On » et la « privation de choix » et perdu dans l’inauthenticité ou impropriété (Uneigentlichkeit), doit, pour devenir lui-même et accéder à son authenticité et propriété, effectuer le « choix du choix », s’affronter à cette inauthenticité inéliminable et l’assumer."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Individu, Droit, Contrat de travail

Le capitalisme permet à chacun de s'engager sur la voie de l'individualité, sans risquer la violence physique ou la mort, en tout cas il lui en donne toutes les garanties juridiques ; mais paradoxalement c'est au prix d'y aliéner sa force de travail, son temps et sa créativité - de par la nature même du contrat de travail - et finalement de renoncer (au moins provisoirement) à son individualité.


"Le monde où l’existant peut, comme individu, s’affronter à l’aliénation inéliminable et l’assumer, est justement le monde dans lequel le capitalisme est apparu. Sans doute le capitalisme est-il le prolongement du paganisme. L’existant y est déchet de l’idole (Autre absolu faux) – maintenant, celui de la monnaie ou argent. Il y subit (ou exerce) une violence sacrificielle – maintenant, celle du contrat de travail. Bref, il y fuit toujours son individualité, sa puissance créatrice. Et cependant le capitalisme (en cela il s’oppose au paganisme traditionnel ou paganisme brut) ne se développe que pour autant que se développe autour de lui le droit."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Religion, Discours, Paganisme, WEBER

C'est en tant qu'être fondamentalement religieux, donc païen à la racine, que le sujet social actuel adopte le système capitaliste. Mais s'il représente un paganisme minimal, épuré de toute croyance, le capitalisme requiert aussi toutes les grandes religions, sans quoi il ne pourrait pas assumer ce fond de péché qu'enseignent précisément ces religions ; corrélativement il requiert d'être accepté par celles-ci, au moins implicitement, et par les grands discours sociaux auxquels elles correspondent. En effet les trois religions révélées (judaïsme, christianisme, islam) correspondent respectivement aux discours du clerc, de individu, et du peuple, tandis que le bouddhisme comme principale religion instituée est lié au discours du maître. Quant aux trois autres religions asiatiques instituées - confucianisme, taoïsme, hindouisme - elles font écho, respectivement, aux trois religions occidentales révélées.


"Si, comme le souligne Weber, ces religions [asiatiques] n'ont pas porté initialement le capitalisme, elles sont parfaitement capables de l'accueillir et de se l'approprier, ce que Weber doit lui-même reconnaître. Et cela, d'une part, parce qu'elles fixent le non-sens fondamental sous le nom de vide, de nirvana (Freud y a relié sa pulsion de mort) — malgré l'attachement taoïste au « jardin enchanté » que serait le monde. Et, d'autre part, parce qu'elles donnent la plus grande place au maître, et précisément, sous sa figure religieuse, au saint. Ces religions ne relèveraient pas d'une « prophétie de mission » (agir dans le monde) comme les religions révélées, mais d'une « prophétie exemplaire », où les prophètes s'offrent comme exemples et modèles. Le capitalisme apparaît donc bien comme le paganisme minimal, dévoilé dans son fond de péché - ce dont le paganisme brut ne voulait certes rien savoir."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Religion, Paganisme, Dieu, BENJAMIN

Pour Walter Benjamin le caractère religieux du capitalisme ne fait aucun doute. Il manifesterait même la forme extrême du "culte" en tant que dépouillé de toute spiritualité ou de toute assise mythologique, l'adoration fétichiste étendue à toute sorte d'objets rendus infiniment désirables, sans distinction aucune du sacré et du profane, et finalement le refus de toute relation vraie à l'Autre absolu (ceci, au sein du monde historique où l’altérité a pourtant été reconnue, justement du fait de la religion). L'Autre divin qui serait bien plutôt rendu responsable de la perte de sens, inévitable dans le monde capitaliste ; Dieu accusé d'autoritarisme, de paternalisme, ou bien alors d'infantilisme et d'amateurisme, pour avoir complètement raté sa création. Où l'on retrouve ce que dit Lacan à propos du Surmoi : « Le Surmoi est haine de Dieu, reproche à Dieu d’avoir si mal fait les choses ». Selon Benjamin il ne resterait plus au vrai Dieu que de rester un Dieu « caché », clos dans le « secret de sa maturité ».


"Le capitalisme dévoile donc ce qui est au fond du principe du paganisme, et qui était caché dans le paganisme traditionnel  –  le mal absolu, la haine du vrai Dieu, le refus de l’ouverture à l’Autre à laquelle il appelle. D’un côté, dans le capitalisme, l’existant, comme « conscience monstrueusement coupable qui ne sait pas expier », « s’empare du culte, non pour y expier cette culpabilité [effet du culte traditionnel], mais pour la rendre universelle, pour la faire entrer de force dans la conscience et, enfin et surtout, pour impliquer Dieu dans cette culpabilité ». Que Dieu soit rongé par la culpabilité d’avoir créé l’homme pécheur et clos à l’Autre  ! Que Dieu soit lui-même dénoncé comme clos à son Autre qu’est l’homme !"
JURANVILLE, 2010, ICFH