L'institution de la démocratie apporte un droit civil nouveau, le droit au travail. Il est fait pour garantir un minimum de sécurité pour le travailleur pris dans une relation asymétrique avec un possédant, l'employeur, qui ne connait pas la même urgence vitale de travailler, et qui serait tenté d'en profiter en l'absence de règles de droit. Le droit au travail n'efface pas la violence inhérente au contrat de travail - puisque en vendant sa force de travail sur le marché, l'individu renonce (au moins provisoirement) à son oeuvre propre - mais il en limite la portée, et en cela il exprime la vérité du capitalisme : à savoir qu'il n'est pas le mal absolu, il ne revient pas au système sacrificiel archaïque, mais il n'est pas non plus la panacée - notamment en termes de "progrès" - qu'il prétend être. Il est juste un moindre mal.
DROIT AU TRAVAIL, Capitalisme, Individu, Démocratie
SANTE, Droit, Individu, Capitalisme
"Le droit nouveau est d'abord droit civil, en l'occurrence droit à la santé - grâce qui, là encore, n'empêche pas l'homme de fuir d'abord le radical de sa finitude, du mal en lui. Un tel droit suppose que l'homme, radicalement fini, se laisse prendre dans le développement, décisivement industriel, du capitalisme qui, pour y puiser de l'énergie et en tirer la matière à soumettre aux formes qu'il a conçues, détruit la nature telle qu'elle se donne d'abord et y lâche des forces de mort (cf. le dispositif de la technique chez Heidegger). Mais santé sur fond de laquelle il pourra engager le travail vers son individualité vraie..."
JURANVILLE, 2015, LCEDL
DROIT DE PROPRIETE, Violence, Capitalisme, Individu,MARX
DROIT, Liberté d'expression, Capitalisme, Liberté de la presse, MARX
Quant au droit politique qui apparaît avec l'institution de la science, c'est la liberté de la presse. Mais là encore il ne peut que se fausser, face à "la terrible réalité qu'est la passion de l'inégalité parmi les hommes, en l'occurrence réalité des classes sociales" dit Juranville. Et cela ne tient pas seulement aux différences de revenus mais à la position des citoyens par rapport aux procès de production capitaliste. Car comme le dit Marx, "il n'y a que deux classes en présence : la classe ouvrière, qui ne dispose que de sa force de travail ; la classe capitaliste, qui possède le monopole des moyens de production sociaux tout comme celui de l'argent" - auquel il faut donc ajouter le monopole de la presse.
"De même que la finance donnait son effectivité au droit de propriété, de même que le commerce donnait sont effectivité à la liberté de culte (par la diffusion de la foi), de même l'industrie donne son effectivité à la liberté d'expression, en lui permettant de devenir production d'objets, voire production d'œuvres. D'où l'on peut conclure que le droit civil débouche sur l'émergence du capitalisme industriel, où le capital n'est plus objet comme dans le capitalisme financier (intérêt), plus sujet comme dans le capitalisme commercial (profit). Capitalisme où le capital est l'Autre."
JURANVILLE, 2015, LCEDL
DROIT, Information, Capitalisme, Individu
Le droit à l'information est un pilier de l'institution du capitalisme, car même si le capitalisme crée ses propres idoles, il permet de s'affranchir de l'idole du pouvoir comme telle (laquelle retient l'information, et ment). Pour le meilleur et pour le pire, il libère à la fois l'individu vrai et l'individualisme (le culte de l'individu), la liberté de dire et l'obligation de tout dire (illusion de la "transparence"). Finalement il laisse le choix entre un faux "souci de soi" et le "souci de l'autre".
DROIT, Etat, Internationalisation, Capitalisme
"L'institution du capitalisme se manifeste, dans le monde social, par l'internationalisation du droit - qui en est aussi l'accomplissement, puisque l'individu reçoit alors toute la place qu'il devrait recevoir... Avec l'Etat législatif toujours présent, l'Etat administratif gère l'économie en prenant des "mesures". Etat entrepreneur et Etat providence. L'institution du capitalisme débouche donc sur l'accomplissement tant de l'Etat tel qu'il avait été voulu par la philosophie, que du droit dans lequel l'Etat se déploie et qui consiste à donner à chacun toutes les conditions (sociales) pour devenir individu véritable. Ce que disant, nous nous opposons à Carl Schmitt et à sa thèse selon laquelle l'actuel Etat administratif serait idéalement "Etat totalitaire"."
JURANVILLE, 2015, LCEDL
DEMOCRATIE, Religion, Politique, Capitalisme
"La philosophie doit donc d’une part, pour accomplir la démocratie, reconnaître la portée politique décisive, contre le paganisme, des grandes religions (au-delà de la tentative purement formelle de Platon dans Les Lois, avec le religieux qu’il y affirme). Portée politique décisive du christianisme d’abord parce que c’est par lui que l’acceptation jusqu’au bout, par le sujet social, de la démocratie devient possible, et qu’il est la voie (pour reprendre Rosenzweig reprenant saint Jean). Du judaïsme ensuite parce qu’il est, apparue d’emblée, la vérité qu’il faut atteindre au bout de cette voie. De l’islam enfin et, au-delà de la révélation, de toutes les grandes religions instituées par l’homme, parce que celui-là et celles-ci sont la vie en tant qu’elle peut, par cette voie, s’élever à cette vérité. Et la philosophie doit alors d’autre part, parce que le paganisme foncier est inéliminable, donner toute sa place – jusqu’à l’instituer – au capitalisme comme forme minimale du paganisme. Sans les grandes religions et sans le capitalisme, la démocratie ne pourra s’accomplir."
JURANVILLE, 2010, ICFH
DEMOCRATIE, Individu, Capitalisme, Paganisme, HOBBES
L'inscription du capitalisme dans la structure de l’État semble favoriser l’émergence de l’individu, mais cette configuration ne suffit pas à fonder une démocratie authentique. L’histoire, loin de consolider la démocratie représentative, tend à faire ressurgir les mirages de la démocratie directe. Que le peuple reste profondément lié à une logique païenne, malgré l'avènement du christianisme, semble le présupposé de Hobbes dans son Léviathan, puisque l’État y est présenté comme une idole, un « dieu mortel » imposant une soumission totale. L'espace de liberté intérieure concédée à l'individu (christianisme oblige) n'autorise aucun progrès, aucune émancipation, tellement cette liberté reste abstraite ; l’individu réel, capable de se manifester à travers une œuvre reconnue publiquement, n’y trouve pas sa place. Même les apports de Spinoza sur la liberté d’expression ne suffisent pas à faire émerger la figure d'un individu autonome.
IDEOLOGIE, Autonomie, Finitude, Capitalisme, MARX
C'est légitimement que Marx voit d'abord dans le capitalisme le prolongement du système sacrificiel qu'il prétend abolir, un système injuste qui entrave depuis toujours l'accès à l'autonomie individuelle. Ce qu'il ne voit pas c'est que cette autonomie suppose la reconnaissance de la finitude radicale (sinon pourquoi l'autonomie devrait-elle être conquise ?), la pulsion de mort qui travaille l'homme tant au plan social qu'individuel. Or le projet marxiste de société communiste, unitaire, voire totalitaire, montre qu'il n'est pas prêt à assumer ladite finitude, en l'occurrence ce qu'il y a d'inéliminable dans l'aliénation capitaliste et d'imparfait dans le système démocratique parlementaire. La philosophie critique se meut donc en idéologie, concrètement en idéologies conquérantes et concurrentes, dont le but démentiel est l'instauration d'un pouvoir absolu et l'éradication de toute autonomie individuelle.
COMMUNISME, Totalitarisme, Capitalisme, Individu
La révolution anticapitaliste rêve d'une société où l'autonomie de ses membres serait également pleine et entière - négation d'une finitude pourtant bien réelle, qui limite pareille autonomie, et exacerbation d'une vision totalitaire de la société, puisque nul n'est censé échapper au mouvement de l'histoire. Mais si les fins sont purement formelles et illusoires, les moyens (techniques et informationnels, notamment) utilisés pour promouvoir cette vision sont redoutablement efficaces puisqu'ils sont empruntés au capitalisme lui-même, qui les a inventés. Les victimes potentielles de ce système sont les individus comme tels réduits à l'état de déchets, fondus dans la "masse", étant donné que les classes elles-mêmes sont disqualifiées, sinon dissoutes totalement, au profit de cette entité abstraite et inhumaine. Bien que sa politique extérieure soit expansionniste, totalité oblige, le véritable bras armé de ce régime est la police intérieure traquant tous ceux qui pourraient mettre en danger, ou tout simplement remettre en cause, par leur créativité (perçue comme marque d'égoïsme et preuve de trahison) la perfection supposée du système.
COMMUNAUTE, Aliénation, Capitalisme, Communisme, MARX
"Mais cette visée d’une communauté nouvelle conduit inévitablement, parce qu’elle est anticapitaliste, à une répétition du système sacrificiel, avec sa communauté écrasante. Car la révolution anticapitaliste vise à faire disparaître, de la communauté juste qu’elle veut établir, toute trace d’aliénation . C’est ce qu’elle vise, puisque le capitalisme est la forme qu’a prise, dans l’histoire, l’aliénation. Et ce qui caractérise le projet de Marx comme gnostique. Marx veut alors une émancipation « totale », accomplie par l’« homme générique », une « émancipation humaine ». Mais gnosticisme présent aussi dans L’Idéologie allemande (1845-1846) où l’individu, ignorant toute finitude radicale, devient, par la révolution communiste, abstraitement autonome."
JURANVILLE, 2010, ICFH
CAPITALISME, Mal, Paganisme, Sacrifice
Si le capitalisme participe du paganisme en général comme machine à produire des idoles, il s'y oppose par ailleurs en reconnaissant le mal qu'il produit ; il ne vise pas à purifier la société de tout mal, comme le fait le paganisme ancien, en le repoussant sur la victime expiatoire. Il veut simplement la fin de la guerre et de la violence sacrificielle contre les individus.
CAPITALISME, Travail, Plus-value, Jouissance, MARX, LACAN
Le vrai principe de la valeur réside bien dans le travail et non dans la marchandise fétichisée, comme l'a bien vu Marx, mais il n'est pas non plus dans la plus-value soi-disant extorquée au travailleur par le capitaliste. En interprétant celle-ci comme "plus-de-jouir", Lacan souligne la complicité du travailleur pris dans la même jouissance que le maître, le même fétichisme du capital, à qui finalement il ne fait que rendre la dime de ce plus-de-jouir.
CAPITALISME, Travail, Plus-value, Création
"Le travailleur qui perçoit son salaire ne cède pas, en échange, du travail créateur qui serait «sacrifié». Il cède du travail que Marx dit vivant parce que produisant du capital en plus ou capital variable (qu'il oppose au travail mort que serait le capital constant), mais qui n'est en réalité que du travail mort, voué à l'avance à sa propre mort dans le capital - car la plus-value produite ne fait que déployer toujours plus loin l'identité anticipative du capital, laquelle n'est que la mythique puissance de vie fausse de la Mère-Nature du paganisme!. À ce travail mort, social, humain parce que l'individualité y a peu d'importance et parce qu'on peut y dresser à peu près tout homme, Stirner oppose, lui, de manière existentiellement plus juste, le travail réellement vivant, créateur, « égoiste parce que personne ne peut faire à ta place tes compositions musicales ou exécuter tes tableaux ». La philosophie est donc fondée à récuser la conception ordinaire du capitalisme, sous quelque forme que ce soit, pleinement louangeuse ou radicalement critique."
JURANVILLE, 2021, UJC
CAPITALISME, Révélation, Révolution, Individu
"L’existant est appelé, par la révélation qui lui en donne toutes les conditions, à revouloir pour le bien le capitalisme comme forme minimale du mal social. Pour le bien qui est la possibilité qu’advienne l’individu, en réponse à la révélation. La révélation veut le capitalisme pour autant qu’il est le paganisme quand celui-ci est empêché, par le droit, de broyer la possibilité qu’advienne l’individu."
JURANVILLE, 2010, ICFH
CAPITALISME, Révélation, travail, Protestantisme , WEBER
Les analyses de Max Weber font le lien entre la révélation religieuse, le désenchantement du monde et le développement du capitalisme. Le judaïsme ancien, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejette les superstitions et la magie, et introduit une rupture avec le monde tout en reconnaissant le non-sens constitutif de l'existence humaine, autrement dit le péché. C'est en assumant ce non-sens, donc en recueillant la révélation, que le capitalisme prend naissance comme forme minimale du mal social. Mais ce premier capitalisme se supporte de l'élection d'un peuple, et reste donc limité ou marginal (un « capitalisme de paria » dit Weber) : financier, en fait. Seule la grâce chrétienne, qui a vocation à se répandre dans le monde, peut en même temps étendre le capitalisme au commerce (lequel se diffuse en même temps que la foi), supporté par l'institution de l'Eglise. Mais c'est justement cette mondanisation de la grâce, devenue sacramentelle (et presque magique, "consacrant" un quasi-réenchantement du monde), qui la fausse et qui empêche l'institution définitive du capitalisme. Le protestantisme tient que l'autonomie offerte par la révélation, aussi bien que le capitalisme, relèvent du domaine privé et ne doivent pas être posés dans le monde ; pour lui l'état de grâce (supposant l'élection) et même le salut, passent par le dévouement au travail, que seul Dieu est censé juger. Le protestantisme favorise donc bien la généralisation du capitalisme comme industriel, puisqu'il absorbe la totalité du monde du travail. Encore faut-il admettre que le désenchantement du monde, introduit par la révélation, doit être fixé socialement par l'Etat, et que l'oeuvre produite ne doit pas être seulement formelle (comme simple incitation au travail) mais aboutir à un savoir réel.
CAPITALISME, Aliénation, Capitalisme, Ethique, HEIDEGGER
"Ce qui fait le fond du monde païen, c’est que l’existant y est empêché, par le sacrifice, de se confronter à l’aliénation inéliminable et d’advenir comme individu. La révolution véritable doit donc introduire un monde où l’existant puisse advenir ainsi. C’est-à-dire un monde qui ouvre l’espace de l’éthique essentielle. C’est d’une telle éthique qu’il s’agit chez Heidegger quand il dit du Dasein que celui-ci, toujours d’abord « déchu » dans le « On » et la « privation de choix » et perdu dans l’inauthenticité ou impropriété (Uneigentlichkeit), doit, pour devenir lui-même et accéder à son authenticité et propriété, effectuer le « choix du choix », s’affronter à cette inauthenticité inéliminable et l’assumer."
JURANVILLE, 2010, ICFH
CAPITALISME, Individu, Droit, Contrat de travail
Le capitalisme permet à chacun de s'engager sur la voie de l'individualité, sans risquer la violence physique ou la mort, en tout cas il lui en donne toutes les garanties juridiques ; mais paradoxalement c'est au prix d'y aliéner sa force de travail, son temps et sa créativité - de par la nature même du contrat de travail - et finalement de renoncer (au moins provisoirement) à son individualité.
CAPITALISME, Religion, Discours, Paganisme, WEBER
C'est en tant qu'être fondamentalement religieux, donc païen à la racine, que le sujet social actuel adopte le système capitaliste. Mais s'il représente un paganisme minimal, épuré de toute croyance, le capitalisme requiert aussi toutes les grandes religions, sans quoi il ne pourrait pas assumer ce fond de péché qu'enseignent précisément ces religions ; corrélativement il requiert d'être accepté par celles-ci, au moins implicitement, et par les grands discours sociaux auxquels elles correspondent. En effet les trois religions révélées (judaïsme, christianisme, islam) correspondent respectivement aux discours du clerc, de individu, et du peuple, tandis que le bouddhisme comme principale religion instituée est lié au discours du maître. Quant aux trois autres religions asiatiques instituées - confucianisme, taoïsme, hindouisme - elles font écho, respectivement, aux trois religions occidentales révélées.
CAPITALISME, Religion, Paganisme, Dieu, BENJAMIN
Pour Walter Benjamin le caractère religieux du capitalisme ne fait aucun doute. Il manifesterait même la forme extrême du "culte" en tant que dépouillé de toute spiritualité ou de toute assise mythologique, l'adoration fétichiste étendue à toute sorte d'objets rendus infiniment désirables, sans distinction aucune du sacré et du profane, et finalement le refus de toute relation vraie à l'Autre absolu (ceci, au sein du monde historique où l’altérité a pourtant été reconnue, justement du fait de la religion). L'Autre divin qui serait bien plutôt rendu responsable de la perte de sens, inévitable dans le monde capitaliste ; Dieu accusé d'autoritarisme, de paternalisme, ou bien alors d'infantilisme et d'amateurisme, pour avoir complètement raté sa création. Où l'on retrouve ce que dit Lacan à propos du Surmoi : « Le Surmoi est haine de Dieu, reproche à Dieu d’avoir si mal fait les choses ». Selon Benjamin il ne resterait plus au vrai Dieu que de rester un Dieu « caché », clos dans le « secret de sa maturité ».