Si la présence est d'acte du sacré, et la puissance ce par quoi et dans quoi il s'accomplit la création est à la fois l'effet et le principe subjectif du sacré. Il s'agit, par la création, d'échapper à la puissance fantasmatique, traditionnelle, du sacré, la création qui débouche sur l'oeuvre individuelle elle-même engageant tout autre à créer à son tour. Certes l'existant suppose toujours d'abord la création de l'Autre absolu, celle qui vient du Père (le sacré par excellence), s'accomplit par le Fils (via son Sacrifice), et vise à étendre l'Esprit sur la terre. S'ouvre alors l'espace du sacré, et donc de la création, pour la créature séparée imitant en cela l'oeuvre du Christ, c'est-à-dire réalisant son individualité. Lui aussi traverse la passion de l'oeuvre et lui aussi accomplit en cela un sacrifice essentiel. Comme le Fils, il communique d'abord sa présence et sa grâce et s'efface devant son oeuvre, s'en remettant à l'Autre ; puis il communique sa puissance et son élection, à l'oeuvre comme à tous ceux qui la poursuivront et devront à leur tour en subir la passion ; enfin il communique la création elle-même et la foi en celle-ci, dans le fait que l'oeuvre sera finalement accueillie par tous et accomplira la Révélation.
CREATION, Sacré, Oeuvre, Trinité
CREATION, Raison, Autonomie, Loi
Comme vérité de l'autonomie, la création - qu'elle soit humaine ou divine - veut la loi, la loi telle qu'elle provient de l'Autre comme cause - que cet Autre soit déjà là ou à venir. Mais par ailleurs la loi demande à être justifiée par la raison, qui elle-même demande à être posée socialement dans le savoir (pour répondre à toutes les objections).
CREATION, Oeuvre, Consistance, Dieu
Contrairement à la chose, consistante mais non produite, et contrairement à l'outil, produit mais inconsistant (par lui-même), l'oeuvre se veut consistante en même temps que produite. Par consistance il faut entendre à la fois la totalité et l'unité de l'oeuvre (elle tient en ses divers éléments) et son achèvement (elle apparait dans le temps, après l'épreuve de la finitude). Mais ces conditions mêmes renvoient à une consistance parfaite qui ne peut être que celle de la Création divine, hors finitude. La consistance de l'Oeuvre originelle tient à la substance même de son Créateur, essentiellement trinitaire, ce en quoi elle consiste - et ek-siste - elle-même avec ses trois Personnes en relation (Père, Fils, Esprit). Trois Personnes qui entrent en jeu par deux fois dans la création, dont la structure est le sénaire (les "6 jours" de la Création), deux fois le ternaire, le second aboutissant à l'achèvement de la créature créatrice, l'être humain.
CREATION, Nomination, Homme, Dieu
La création s'exerce par la nomination, divine d'abord (comme il est rapporté dans la Genèse), humaine ensuite pour donner consistance aux choses. "Dieu se reposa lorsque dans l’homme il eut déposé son pouvoir créateur" et lorsque "les choses reçoivent leur nom de l’homme" écrit Benjamin. Ensuite Dieu créa la femme afin que l'homme ne se sente pas seul, à partir d'une côte prélevée sur l'homme (on peut voir dans cette partie désormais manquante le Phallus dont parle la psychanalyse) : elle devient dès lors son semblable et son égale. Cependant la puissance créatrice ne tarde pas à se fausser chez l'homme, à se transformer en rivalité avec Dieu (adoration d'idoles fausses, sacrifices, prétention par la magie d'égaler Dieu... toute la panoplie du paganisme). C'est bien parce qu'un matriarcat s'installe, célébrant la Nature plutôt que le divin, ou le corps maternel plutôt que la parole paternelle, que la tentation - ourdie par le serpent-phallus (prétendant effacer la castration) - touche d'abord la femme, puis l'homme immédiatement, puisqu'il ne tarde pas à croquer à son tour dans la pomme (objet partiel du corps maternel). Même finitude donc, chez l'homme et la femme, qu'ils devront assumer (et non pas nier) dans le désir et la sexualité comme moyen de se tourner vers l'Autre, de le "connaître", et bien sûr moyen de procréer ...des semblables, d'autres créatures de Dieu.
CREATION, Historicité, Autre, Existant
"L’historicité se donne au savoir comme création. Car l’histoire, toujours d’abord chassée de son immédiateté par l’existant, est acceptée par lui pour autant qu'il s'établit dans son autonomie (un mode de l'immédiateté) et qu'il veut la faire reconnaitre de tous. Autonomie et vérité, ce qui définit la création. L'existant, par son œuvre propre, participe au déploiement de l'histoire, puisque toute œuvre requiert un monde où elle puisse être reconnue de tous et invite chacun à entrer à son tour dans son œuvre d'individu. La création est l'objectivité absolue de l'historicité et ce dans quoi elle s'accomplit. Comme création par l'existant radicalement fini, elle suppose que celui-ci en ait reçu les conditions (grâce, élection, foi) de l'Autre absolu. Elle suppose donc la Création par l'Autre absolu, puisque ces conditions font de l'existant l'œuvre de cet Autre."
JURANVILLE, 2017, HUCM
CREATION, Existence, Autre, Essence
Si l'existence est absolument essentielle (conforme absolument à son essence), c'est parce qu'elle est essentiellement création. Elle est d'abord le fait de l'Autre divin qui, tourné vers son Autre, lui supposant l'existence, lui donne toutes les conditions pour exister vraiment, c'est-à-dire pour créer.
CREATION, Mélancolie, Absolu, Autonomie, KIERKEGAARD
La création est l’acte par lequel l’être fini transforme sa finitude en autonomie et en vérité, recréant un absolu à partir de lui-même. Cette création est issue de la mélancolie, elle-même causée par le Bien. La mélancolie pousse l’être fini à désirer le savoir, à participer à l’Œuvre de la Création. Mais il existe deux formes de mélancolie : la vraie mélancolie, féconde, qui mène à la création et à un savoir absolu, et qui doit être supposée à tout créateur y compris au créateur suprême (car il attend que son oeuvre soit confirmée par sa créature) ; la mélancolie fausse, stérile, où le sujet se replie sur un faux absolu, une Chose close sur elle-même, refusant la relation et la finitude — ce que Kierkegaard appelle le "démoniaque". Kierkegaard reconnaît une mélancolie sublime, tournée vers une grande idée, mais refuse d’en faire la base d’un savoir absolu, craignant qu’on nie ainsi la finitude humaine. Or refuser d’objectiver la création et le savoir, c’est paradoxalement tomber dans la mélancolie fausse que Kierkegaard dénonce. Par ailleurs la création, troisième temps de l'analyse de la mélancolie, correspond à la troisième preuve de l'existence de Dieu chez Descartes, celle qui établit Dieu comme cause première absolue et l'être fini comme cause absolument libre, capable de devenir créateur.
CREATION, Consistance, Oeuvre, Histoire
La consistance est ce qui caractérise l'oeuvre, d'abord divine avec le sénaire primordial de la Création (double ternaire comprenant le divin et l'humain), puis humaine (avec le quaternaire) dans la mesure où l'homme doit reprendre à son compte cette création qu'il a lui-même faussée, en se posant lui-même comme quart-élément. La consistance du quinaire s'impose aussi du fait que l'oeuvre humaine n'est réalisable que dans l'Histoire, ouverte avec le sacrifice du Christ. Enfin le sénaire se répète avec la consistance du savoir sur lequel débouche l'oeuvre humaine.
CHOSE, Création, Autre, Sujet
Devenir Chose est l'horizon du sujet, ce qui est possible par la création dans laquelle le sujet s'identifie à l'Autre absolu. Car en tant qu'unité et en même temps réalité, la Chose est d'abord la substance de cet Autre absolu créateur, puis elle devient celle de tout existant en devenir, par le biais de sa création. Cependant, elle tend à se réduire à une Chose mythique (corps maternel, monde sacrificiel) et, même accomplie, l'œuvre devient statique et inerte, fascinée par elle-même.
CAPITALISME, Travail, Plus-value, Création
"Le travailleur qui perçoit son salaire ne cède pas, en échange, du travail créateur qui serait «sacrifié». Il cède du travail que Marx dit vivant parce que produisant du capital en plus ou capital variable (qu'il oppose au travail mort que serait le capital constant), mais qui n'est en réalité que du travail mort, voué à l'avance à sa propre mort dans le capital - car la plus-value produite ne fait que déployer toujours plus loin l'identité anticipative du capital, laquelle n'est que la mythique puissance de vie fausse de la Mère-Nature du paganisme!. À ce travail mort, social, humain parce que l'individualité y a peu d'importance et parce qu'on peut y dresser à peu près tout homme, Stirner oppose, lui, de manière existentiellement plus juste, le travail réellement vivant, créateur, « égoiste parce que personne ne peut faire à ta place tes compositions musicales ou exécuter tes tableaux ». La philosophie est donc fondée à récuser la conception ordinaire du capitalisme, sous quelque forme que ce soit, pleinement louangeuse ou radicalement critique."
JURANVILLE, 2021, UJC
ANGOISSE, Liberté, Création, Autre
"Même si la création est la cause éminente de l’angoisse, c’est la liberté qui en est la cause directe. La liberté est, dans le processus créateur, ce qui se communique d’abord à ce qu’il y a à créer – et ce qui revient ensuite au créateur comme angoisse, tant que l’œuvre, l’Autre qui est à créer, n’a pas atteint la consistance objective. Directement, la création est ainsi, non pas la cause, mais l’effet de l’angoisse, ce qui l’accueille, ce qui la reveut."
JURANVILLE, 2000, ALTER
INCONSCIENT, Angoisse, Création, Interprétation
L'inconscient fait passer de l’interprétation (vérité de l’hétéronomie) à la création (vérité de l’autonomie), ou de la métonymie à la métaphore, comme si la substance et la puissance créatrice de l'Autre passait enfin au fini. C'est toujours l'inconscient qui, par l'interprétation, donne sa vérité à la peur : peur de poser l'autonomie à laquelle l'Autre de l'hétéronomie nous appelle. Et c'est encore l'inconscient qui, par la création, donne sa vérité à l'angoisse : angoisse devant l'hétéronomie essentielle que le sujet devrait poser et assumer par lui-même. Mais le plus souvent, deux cas se présentent revenant à fuir la création : soit le fini se fait sujet social, livré à une peur mondaine ordinaire, tétanisante (devant les maîtres par exemple) et fuit l'angoisse dans la sexualité ; soit le fini se fait individu, connait la véritable angoisse de la séparation, mais il lui manque le courage d'oeuvrer pour instituer un monde juste, ce qui revient à nier autant l'hétéronomie que l'autonomie vraies.
ALTERITE, Identité, Relation, Création
L'altérité n'est pas le contraire de l'identité ; elle s'oppose juste à l'identité immédiate, fermée sur soi, pour lui substituer une identité vraie à reconstituer dans la relation. "Reconstituer" en effet, car il faut bien supposer une identité originelle "en-deça" de la relation, et qui l'ouvre en se dé-accomplissant "elle-même", librement, pour ainsi se reconstituer comme "vraie" dans l'Autre. Ce mouvement n'est rien d'autre que l'acte d'existence comme création.
ALTERITE, Création, Révélation, Identité
L'acte créateur est le mode d'existence propre de l'altérité divine (qui est aussi l'identité originelle), et la révélation représente la possibilité, pour la créature, de reconnaître en l'Autre absolu sa propre identité vraie (lui qui se complaisait jusque là dans une identité fausse, refusant à la fois sa propre finitude et l'altérité de l'Autre). Or pour la créature, le fait d'entrer à son tour dans une créativité existante le conduit jusqu'au savoir, savoir de l'existence permettant d'instituer un monde juste où chacun puisse être reconnu enfin comme Autre véritable.
METAPHORE, Philosophie, Création, Nom
"Toujours semblable structuralement à la métaphore première qui est celle du nom, la métaphore intervient, pour le savoir philosophique, d’abord comme métaphore de l’être, par quoi on entre dans le langage (discours) de la philosophie, de son savoir ; ensuite comme métaphore du concept, par quoi on énonce les propositions de ce savoir ; enfin comme métaphore de la raison, par quoi on établit le système de ce savoir. Encore faut-il que la métaphore ait conduit effectivement à l’épreuve de toute la finitude, que l’identification entre le terme qui a subi la substitution et celui qui lui a été substitué ne se fasse que par cette épreuve – et alors l’identité sur laquelle on débouche sera véritable."
JURANVILLE, 2024, PL