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DESIR, Loi, Oedipe, Chose, GIRARD, LACAN

L'articulation du désir et de la loi découle de l'absence de la Chose. De son absence et non d'abord de son interdiction : la loi du désir, qui commande de désirer du fait de l'absence de la Chose, n'est pas pour Lacan la loi de l'Oedipe, ni évidemment la pulsion de mort, qui serait plutôt la négation de tout désir. Elle ne se réduit pas non plus au mimétisme, comme le soutient René Girard, qui en reste à la version imaginaire de cette loi (incluant le désir de reconnaissance) avec ses conséquences en termes de violence cathartique et sacrificielle. L'homme brancherait son désir sur le désir de l'autre, son être et ses avoirs, faute de satisfaire pleinement ses besoins. L'agressivité ne serait qu'une conséquence de la rivalité. Girard ignore le désir primordial de la Chose (de la mère) et réduit l'Oedipe à un simple désir mimétique rapporté au modèle paternel ; il ne voit pas que c'est la pulsion de mort, et non le désir, qui est à l'oeuvre dans la violence mimétique. Pour Lacan la loi originelle n'interdit rien, elle détermine ce qu'il y a à être et en ce sens elle se confond avec le désir, sans être pour autant naturelle, car il s'agit de la loi du signifiant. Autrement dit l'objet n'est pas désirable parce qu'interdit : dans ce cas la loi ne serait que transgressive et liée à la culpabilité ; la loi du langage stipule bien plutôt que l'objet, ou plutôt la Chose, est impossible à atteindre (car le signifiant, par définition, est irréductible au réel), et positivement engage à désirer. La première version de la loi (et de l'Oedipe) correspond à la névrose, elle n'est pas ce qui est refoulé mais une loi qui refoule.


"Deux conceptions sont possibles. Soit on considère que la loi constitue le désir « malgré elle », parce qu’elle interdit un objet qu’elle rendrait par là même désirable. Le désir est alors essentiellement transgressif. Et inséparable du sentiment de culpabilité. Soit on soutient que la loi constitue le désir parce qu’elle commande le désir. Et en ce cas la faute ne peut plus être dans le désir même. La première conception reprend tout à fait les termes de l’Œdipe, et c’est celle que Lacan présente le plus souvent. Celle qu’on situe dans « l’Œdipe symbolique ». Mais ce n’est pas sa conception la plus profonde, ni le plus rigoureusement conforme à la théorie du signifiant. Car dans la loi de l’Œdipe, il faut distinguer deux aspects : d’une part ce qui ressortit à l’interdit, et qui est en fait tout à fait conforme à ce que dit Girard de la relation imaginaire ; d’autre part le caractère de loi, issu du langage. Mais comment voudrait-on que par la loi du langage la mère soit interdite ? Interdite, elle ne l’est que dans l’Œdipe, dans la névrose dont on verra que le mythe (et le complexe) d’Œdipe est un produit, selon Lacan même. La Mère est impossible. Telle est la castration véritable. La rivalité œdipienne dissimule cette absence de la Chose, elle est un trompe-la-mort. Un leurre disposé par les pulsions de vie pour cacher la présence de la pulsion de mort. Elle est ce qui refoule et non ce qui est refoulé."
JURANVILLE, 1984, LPH

CREATION, Raison, Autonomie, Loi

Comme vérité de l'autonomie, la création - qu'elle soit humaine ou divine - veut la loi, la loi telle qu'elle provient de l'Autre comme cause - que cet Autre soit déjà là ou à venir. Mais par ailleurs la loi demande à être justifiée par la raison, qui elle-même demande à être posée socialement dans le savoir (pour répondre à toutes les objections).


"Dès qu’il affirme l’existence, le fini suppose une raison vraie, au-delà de la raison ordinaire qui est, en son fond, violente. Que lui manque-t-il dès lors pour poser enfin cette raison vraie, pour la poser socialement, dans le savoir, comme elle doit l’être au demeurant, puisqu’elle ne serait pas raison si elle ne répondait pas à toutes les objections ? Que lui manque-t-il pour rompre réellement avec le fond violent de la raison ordinaire, avec la soumission à la loi de l’Autre faux, et pour reconnaître la loi dans toute sa vérité ? Il lui manque de donner vérité objective à l’autonomie qu’il a reçue de l’Autre. Et donc de s’engager jusqu’au bout dans la création, qui est vérité de l’autonomie. La création est ainsi ce qui, en l’homme comme en Dieu, veut la loi."
JURANVILLE, 2000, JEU

CAUSE, Identité, Oubli, Loi

L'identité avec l'existence définit la cause, laquelle fait acte de la loi pour le sujet. Cette loi, le sujet s'en saisit pour reconstituer peu à peu une nécessité à travers l'oeuvre - mais toujours d'abord le fini refuse pareille cause remettant "en cause" son identité immédiate et l'appelant à devenir cause lui-même. D'abord, par la grâce, la cause se donne comme objet fini (agissant comme cause matérielle), lequel est censé se faire oublier comme tel - mais l'existant refuse d'oublier l'objet, le fausse et l'absolutise, refoulant de ce fait la cause elle-même (comme dans la science). Ensuite, par l'élection reçue de l'Autre, la cause se donne comme sujet (agissant comme cause formelle), lequel peine à s'oublier comme substance, en tout cas comme conscience faussement souveraine (comme souvent en philosophie). Puis, par la foi, la cause se donne comme Autre (agissant comme cause finale), pour permettre à l'existant d'affronter la finitude et d'accepter l'oubli essentiel, afin de devenir Autre à son tour - mais le fini fausse cet Autre, lui attribuant une puissance sans finitude (quand la religion vire à la superstition). Enfin, par le don, la cause se donne comme Chose (agissant comme cause efficiente), Chose créatrice ouverte sur son Autre, ce que doit devenir à son tour le sujet existant par l'accomplissement de l'oeuvre.


"Accordons-le à la pensée de l’existence, le sujet s’arrête d’abord à une conception fausse de la cause. Car il rejette la cause vraie qui, l’appelant à devenir lui-même cause vraie, créatrice, lui ferait éprouver sa finitude. De la cause il n’accepte alors que ce qui ne met en rien « en cause » son identité immédiate à lui, le monde où se déploie cette identité, la signification et le savoir caractéristiques de ce monde. Une cause qui certes ordonne, comme principe, l’objectivité, et qui y introduit la nécessité, mais une nécessité formelle, en rien existentielle. Une cause qui certes suppose une succession temporelle, mais dans le cadre du temps imaginaire – de sorte que cette sorte de cause peut être supprimée, comme dans la science positive, au profit de la loi abstraite. Au fond de cette conception courante règne cependant, parce que le sujet reste radicalement fini, une cause toute-puissante qu’il ne maîtrise plus par son savoir. Cause comme l’Autre absolu, non plus le vrai, mais le faux qu’il s’est inventé, et qui lui aurait fait subir le « traumatisme de la finitude ». Mais la pensée de l’existence, en refusant toute position, dans un savoir nouveau, de la cause vraie, ne rejoint-elle pas en fait cette conception courante ? Pourtant elle suppose elle-même, par cela seul qu’elle affirme la finitude radicale et l’Autre absolu, une telle cause vraie et créatrice."
JURANVILLE, 2000, JEU

DISCOURS DU MAITRE, Loi, Fantasme, Politique, LACAN

La forme essentielle du discours du maître est le discours politique, selon lequel le savoir (et le monde) peut faire une totalité sous le règne de la loi. Pourtant, en soumettant l'esclave et le forçant à travailler, loin de convertir l'autre à la loi, il provoque l'apparition d'un supplément, un "plus-de-jouir" justement en dehors de toute loi puisque la référence au grand Autre a dès lors disparu (S1 est inaccessible). En réalité le seul "ordre" dont ce monde peut se prévaloir, à l'aune du discours du maître, est simplement un fantasme de totalité, que constitue la relation sous-jacente du $ (côté maître) avec le "a" (côté esclave) dont il se compète, $ <> a étant bien la formule du fantasme. D'où l'illusion d'un rapport sexuel totalisant, substitution de l'objet à la Chose, et donc impossibilité de toute sublimation (où il faudrait qu'inversement l'objet devienne Chose). Le discours du maître ne fait pas acte, il laisse le peuple être ce qu'il est, protégé certes, mais dominé et exploité, voire sacrifié s'il le faut.

"Cette fixation au fantasme est ce qui bloque la sublimation. Certes le maître est le castré, celui qui s’est assujetti à la loi de la castration, en s’exposant à la mort. Il a sublimé. Mais le discours du maître ferme l’accès à la sublimation. De la Chose n’est retenu que l’objet a . Et la jouissance de l’Autre ne peut plus se dégager de la jouissance sexuelle. Le discours du maître conforte en l’autre l’illusion qu’il y a un rapport sexuel, que le masculin et le féminin se complètent et constituent l’harmonie du monde. L’autre sait pourtant, et le savoir établit, qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Mais le maître permet à l’autre de supporter ce savoir qu’il a en horreur, en en dissimulant les conséquences dernières. Il est le castré, celui qui s’est sacrifié, qui a payé pour les autres, et c’est pour cela qu’il reçoit tous les honneurs. Le discours du maître n’implique aucune haine parce que personne ne veut s’y identifier au maître."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS DU MAITRE, Loi, Plus-de-jouir, Fascination, LACAN

Le discours du maitre est le premier dans l'ordre d'apparition des discours : le maître ici n'est pas celui qui enseigne mais celui qui édicte la loi de ce qui est. Cette loi (historiquement elle vient avec la Révélation juive, et rend possible la philosophie) n'est pas d'abord rapportée à l'Autre absolu vrai (divin), mais à un Autre absolu faux, l'idole païenne dont le maître se fait le représentant (il faudra l'Histoire et d'autres événements "cruciaux" pour qu'advienne le règne de l'Autre absolu vrai). L'ordre social qui en découle ne peut être qu'injuste mais la loi du maitre parvient à s'imposer à l'aune d'une rationalité dogmatique (creuse, mais ayant réponse à tout) suffisamment déployée pour faire illusion. Cela, face à l'esclave qui, de son côté, se laisse fasciner par le maître et ne peut s'affranchir de l'illusion du tout-social, ni donc revendiquer son individualité. Le maître est celui qui, initialement, s'est affranchi justement de ce fantasme, et qui, renonçant à la jouissance, a osé affronter la mort. Il reste à l'esclave de travailler pour le maître, avec pour seul privilège d'accéder à quelque savoir technique, tandis qu'il se fait lui-même objet-déchet - mais un objet de plus en plus nécessaire de sorte que se reconstitue le fantasme du maître, sujet devenant dépendant de son objet. De là à imaginer, comme le développe Hegel, que l'expertise acquise par l'esclave pourra suffire à renverser le maître, on sait que ce raccourci est vivement critiqué par Marx : aucun changement profond n'est matériellement possible dans le cadre de ce dispositif de domination tant que l'esclave est spolié de la plue-value de son travail. Il n'en aurait pas la force, une révolution serait nécessaire, donc un changement structurel de discours. Lacan répond à Hegel que le maître n'est pas seul à se vautrer dans la jouissance de l'objet, une part du plus-de-jouir revient bien à l'esclave (sinon il ne serait pas maintenu "esclave" aussi bien d'un "idéal" de la consommation), et il répond à Marx que justement l'esclave s'enchaîne de lui-même à la jouissance d'objet, refusant à nouveau le travail sur soi de renonciation nécessaire à une vraie émancipation, et que dans ces conditions - révolution ou pas - il serait abusif de parler d'un quelconque "progrès".

"Le discours apparaît dans le monde social – et c’est là qu’il a sa réalité matérielle – comme réponse à la question qui se pose aux hommes quant à ce qu’ils ont à être. Et cette réponse consiste d’abord à énoncer la loi qui organise ce monde. Une loi qui est initialement celle de l’Autre absolu faux, de l’idole, mais qui n’est pas définitivement celle-là, et pourra devenir celle de l’Autre absolu vrai, du vrai Dieu. Ambiant dans le monde social, ce primordial discours peut être déployé expressément comme tel, comme raison et donc savoir rationnel. Il justifie ce qui est. Mais ce qui est est d’abord inévitablement injuste, parce que l’effet de ce discours sur son autre, sur celui auquel il s’adresse, est alors non pas de l’aider à se conformer à la loi énoncée, mais de le vouer à la fascination devant cette raison et de le soumettre à l’arbitraire éventuel de celui qui tient le discours... Celui qui tient ce primordial discours suscite en son autre la toujours présente, toujours prête à surgir à nouveau soumission fascinatoire devant le tout social, devant l’idole selon la loi de laquelle le tout est ordonné et devant le maître qui incarne cette idole – non pas maître qui enseigne, mais maître qui domine. Soumission fascinatoire dont on peut dire qu’elle est libre, mais d’une liberté qui se perd – c’est là une des formes de la pulsion de mort – et qui ne peut plus se recouvrer par soi, il y faudra l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL