Les analyses de Max Weber font le lien entre la révélation religieuse, le désenchantement du monde et le développement du capitalisme. Le judaïsme ancien, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejette les superstitions et la magie, et introduit une rupture avec le monde tout en reconnaissant le non-sens constitutif de l'existence humaine, autrement dit le péché. C'est en assumant ce non-sens, donc en recueillant la révélation, que le capitalisme prend naissance comme forme minimale du mal social. Mais ce premier capitalisme se supporte de l'élection d'un peuple, et reste donc limité ou marginal (un « capitalisme de paria » dit Weber) : financier, en fait. Seule la grâce chrétienne, qui a vocation à se répandre dans le monde, peut en même temps étendre le capitalisme au commerce (lequel se diffuse en même temps que la foi), supporté par l'institution de l'Eglise. Mais c'est justement cette mondanisation de la grâce, devenue sacramentelle (et presque magique, "consacrant" un quasi-réenchantement du monde), qui la fausse et qui empêche l'institution définitive du capitalisme. Le protestantisme tient que l'autonomie offerte par la révélation, aussi bien que le capitalisme, relèvent du domaine privé et ne doivent pas être posés dans le monde ; pour lui l'état de grâce (supposant l'élection) et même le salut, passent par le dévouement au travail, que seul Dieu est censé juger. Le protestantisme favorise donc bien la généralisation du capitalisme comme industriel, puisqu'il absorbe la totalité du monde du travail. Encore faut-il admettre que le désenchantement du monde, introduit par la révélation, doit être fixé socialement par l'Etat, et que l'oeuvre produite ne doit pas être seulement formelle (comme simple incitation au travail) mais aboutir à un savoir réel.
"Le désenchantement du monde ne peut donc être définitivement établi, et rendre possible l’avènement du capitalisme sous sa forme essentielle, comme capitalisme industriel, que si l’autonomie offerte par la révélation, à la fois, se diffuse auprès de tous (révélation chrétienne), et n’est pas posée comme telle dans le monde (risque de falsification de la grâce dans le catholicisme). Ce qui caractérise cette réinterprétation de la révélation chrétienne qu’est le protestantisme. Protestantisme pour lequel il n’y a pas d’autre indice du salut, de l’état de grâce (et d’élection) que dans l’exercice d’un métier comme Beruf, « vocation ». Dans un travail sans relâche qui reconnaît certes le sens vrai, en Dieu au-delà du monde. Mais qui s’affronte toujours à nouveau au non-sens constitutif. Dans un travail qui débouche sur une œuvre, et rationnellement produite. Mais sur une œuvre formelle (le produit de l’industrie)."
JURANVILLE, 2010, ICFH