La position de l'essence est le concept, en tant qu'énonciation et acte de la pensée (non comme simple signifié, comme le veut Hegel), là ou l'être n'était que la substance de la pensée. Le concept est l'essence vraie et existante recevant effectivement sa vérité. Cet acte positionnel consiste en une métaphore, qui est le principe en acte de toute objectivité. Juranville dit quelle est "la chose originelle se posant elle-même comme Autre, créant son Autre", c'est-à-dire qu'elle pose l'essence et, avec celle-ci, maintient ouvert le champ de l'objectivité. Notons que la toute première métaphore reste la métaphore de l'être, où celui-ci se substitue à l'étant et reçoit par-là même une signification nouvelle, essentielle, celle de substance pour la pensée comme on l'a dit (en ce sens il n'est pas un concept comme les autres, il est le concept d'avant toute différenciation et toute conceptualisation). Les concepts se forment successivement dès qu'il s'agit de poser chacune des essences, chacun des modes particuliers de l'être. Les concepts surgissent donc, certes imprévisiblement, mais pour s'ordonner immanquablement en système, ne serait-ce qu'en raison de la structure propre de toute création métaphorique : en effet l'essence n'est posée dans un ternaire que pour être d'abord refusée, recréée dans un quaternaire (où le sujet se pose comme quart-élément), puis reposée dans un nouveau ternaire. Enfin la dynamique de la création des concepts relève de l'élection (de même que l'ouverture de l'être relevait de la grâce) ; élection qui "suppose l’assomption, par le sujet, de l’appel de l’Autre comme appel à l’œuvre et au savoir" dit Juranville, cet appel donc à poser les essences, à créer les concepts. Cela ne veut pas dire que l'existant reçoive et assume l'élection, le concept est donc toujours d'abord partiellement faux : ordinaire et convenu, empirique ou "scientifique", voire absolu ou métaphysique. Ou bien alors le concept est assumé comme création vraie et existante, mais dénié comme débouchant sur un savoir transmissible et systématique (c'est la position des pensées de l'existence, voire des pensées contemporaines de la "différence").
CONCEPT, Essence, Etre, Métaphore
CERTITUDE, Parole, Reconnaissance, Castration, DESCARTES
"Pour Lacan, il y a l’acte de la parole, ou plus précisément ce qui le fait acte, soit la présence de l’articulation du signifiant. Il y a donc l’énonciation. C’est ce qui fait l’acte de la pensée (et la situe d’emblée dans l’inconscient). Il y a ensuite le passage au signifié, là où de fait on peut parler de l’être. Et c’est à ce moment que devient possible une certitude, qui se constituera proprement et s’affirmera enfin dans l’acte effectif de la parole du sujet. Parce que parler, c’est assumer le signifié, et donc le phénomène de la castration. Mais cette constitution de la certitude ne tient pas à l’émergence d’une reconnaissance : on est à l’avance reconnu, on a déjà sa place dans le monde – comme castré cependant, c’est-à-dire comme le phallus, comme l’indication de ce phallus « perdu », l’index du phallus. Assumer la castration, c’est accepter cette reconnaissance, se la garantir. La reconnaissance demeure donc bien d’abord celle par l’Autre absolu, mais elle se confirme et s’affirme dans et par l’acte de la parole adressé à l’Autre présent. La certitude est toujours celle d’un Je suis (qui comme pour Descartes, renvoie là aussi à un réel, au sens précis de ce terme pour Lacan)."
JURANVILLE, 1984, LPH
ACTE, Résolution, Pensée, Etre, HEIDEGGER
Pour Heidegger, l'acte essentiel se confond avec la résolution par laquelle l'existant répond à l'appel de l'être. Au-delà de la simple résolution il y répond activement par la pensée, qui certes comme accomplissement ou déploiement d'une chose "dans la plénitude de son essence", ne relève pas, pour Heidegger, de l'objectivité d'un savoir. "La pensée accomplit la relation de l’être à l'essence de l'homme", sans être cette relation elle-même car comme le précise Heidegger, "la pensée la présente seulement à l’être comme ce qui lui est remis à elle-même par l’être." Cela signifie clairement qu'aucune fin n'est assignable à l'acte, que son achèvement reste voué à l'imprévisible, que son accomplissement n'est pas de l'ordre d'un "objectif" - à moins de confondre l'acte avec un faire, une technique de la pensée, comme s'y emploie la métaphysique depuis Platon, selon Heidegger.
DISCOURS, Etre, Langage, Question
L'ensemble des discours, selon Juranville, appartient au "champ philosophique", qui est celui de la Question sur l'être dans la perceptive de son unité ; de là que pour tout discours, la double référence au savoir et à la vérité s'impose ; mais chacun répond à la question selon des principes différents, et seul le discours philosophique proprement dit assume consciemment et pleinement cette finalité. Mais chacun y participe, et tous se valent au regard du principe général selon lequel l'unité de l'être, ou plutôt l'être-un de l'étant est recherchée et proposée dans le cadre du langage, et d'un langage en acte comme le discours. Dans ce contexte, le rôle du sujet parlant est d'assumer l'unité d'un certain point de vue (subjectivité) sur l'étant, d'abord par la nomination, puis de projeter un certain mode d'être et même plusieurs qui rassemblent l'étant (objectivité), en tant que ce que le sujet énonce s'articule logiquement et peut se répéter. La question de l'unité, voire de la conformité entre le langage et l'être, est traditionnellement celle de la vérité ; et la façon de l'envisager, de l'affirmer ou de la mettre en doute, est précisément ce qui différencie les différents discours. Toujours à l'intérieur du champ problématique, philosophique, seules quatre réponses sont possibles, et les voici :
DISCOURS, Question, Etre, Signifiant, LACAN
"Mais en énonçant comme thèse sur l’« être » le signifiant comme vérité partielle, et en le présentant selon sa structure quadripartite fondamentale, le discours analytique laisse le savoir inconscient s’écrire. Ainsi pour le concept de l’inconscient. Le discours analytique demeure donc un discours spéculatif, et ne saurait comme tel échapper à l’illusion propre au discours. Croire qu’il le pourrait, ce serait en fait le discours philosophique."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS METAPHYSIQUE, Pouvoir, Totalité, Unité, PARMENIDE
"Si l’on considère l’objet du questionnement philosophique, et que l’on souligne que le caractère fictif de l’objet rendrait vain le questionnement même, on est conduit à ce discours que nous avons appelé métaphysique. Pour lui, ce que poursuit le questionnement philosophique existe, il y a une vérité pour tout ce qui est ; on pourrait dire que les choses sont faites pour que l’homme les pense... Le discours métaphysique est le discours totalisant sur lequel se fonde tout discours politique, en tant qu’essentiellement justificateur, et a fortiori toute idéologie... Et c’est de ce discours métaphysique, trop souvent confondu avec la philosophie elle-même et le discours que nous appellerons philosophique, que Lacan, croyant parler de la philosophie, dira qu’il est le « discours du maître ».
JURANVILLE, LPH, 1984
METAPHORE, Etre, Concept, Raison
"D’abord la métaphore de l’être, où l’être (comme verbe) se substitue à l’étant (comme nom qui a perdu sa signifiance originelle). En tout ce qui est, on suppose alors la présence active du principe (du verbe) créateur. C’est cette « équivocité » qu’Adorno présentait, négativement à tort, comme « ontologisation de l’ontique », arrêt à l’étant en tant qu’il est illusoirement élevé à l’absolu comme être. C’est cette même équivocité que Heidegger avait soulignée dans l’ἐὸν grec, nom et verbe, parce que participe. Ensuite, pour le déploiement du langage philosophique, la métaphore du concept, où l’usage philosophique du terme devenant concept se substitue à l’usage ordinaire du langage (de quelqu’un qui travaille à son bureau, on peut dire ainsi : Non, il ne travaille pas, il joue – et diriger, ce disant, vers le concept philosophique, spéculatif, « psychologique », dirait Wittgenstein). Le principe créateur (l’essence) est alors posé, sur son mode particulier (ici le jeu), par le concept. Enfin la métaphore de la raison, où la dualité qui le définit se substitue au concept menacé de perdre sa signifiance et de retomber dans l’usage ordinaire. Par cette dernière métaphore, le langage de la pensée philosophique devient celui du savoir philosophique."
JURANVILLE, 2017, HUCM
METAPHORE, Philosophie, Essence, Etre, HEIDEGGER
"Par [la métaphore] on quitte le plan où les réalités dépendent les unes des autres et n’ont pas d’unité en elles-mêmes. Et on passe sur le plan de l’essence qui est la position de la Chose dans son unité – position qui n’est autre que l’acte créateur originel de l’Autre absolu ; sur le plan de l’essence qui est le présupposé constitutif du langage philosophique tel qu’il est établi depuis Socrate (il y a, dit-il, une essence des choses – à confirmer certes, dans le dialogue, mais elle est présupposée)... Soulignons que ces métaphores constitutives du langage philosophique peuvent être instituées en toutes langues. Certes à partir d’un terme dont la signification sera devenue indéterminée, et renverra simplement au fait d’être signifiée, dans le langage humain et, primordialement, dans le langage en général, dans la parole de l’Autre absolu. Cette signification aura à être reconnue comme celle de l’essence – à la suite de quoi viendront d’abord le terme d’être, puis tous les concepts philosophiques. Elle est au moins implicite en toute langue. Heidegger le note à propos de l’être (sinon directement de l’essence) : « Supposons qu’il n’y ait pas cette signification indéterminée d’“être”, et que nous ne comprenions pas non plus ce que ce signifier veut dire. Qu’y aurait-il alors ? Seulement un nom et un verbe en moins dans cette langue ? Non. Dans ce cas il n’y aurait pas de langue »."
JURANVILLE, 2017, HUCM
METAPHORE, Etre, Sujet, Révolution
"Le sujet est ensuite découvert dans sa finitude irréductible. C’est ce qu’a apporté Kant. Non seulement l’objet doit selon lui (c’est la « révolution copernicienne ») se régler sur la connaissance, c’est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, mais il doit être donné dans l’expérience sensible. Pas d’autre savoir reconnu de tous que celui des sciences positives, qui n’envisage qu’un objet fini. L’homme doit se vouloir sujet absolu, mais cela ne vaut que pour le domaine moral et reste de toute façon hors d’atteinte (c’est l’idéal impossible de sainteté), et la faille de la finitude est toujours là. Certes Hegel va reprendre les analyses de Kant et soutenir que la finitude inéliminable alors découverte peut être dépassée dialectiquement, le sujet humain se faire sujet absolu déployant le savoir vrai, philosophique... Mais ledit savoir absolu, quelque perfection formelle qu’il ait atteinte, n’a pas bénéficié (c’est le moins qu’on puisse dire!) de la reconnaissance universelle... Il y a bien pourtant reconnaissance implicite, en ce temps, pour le savoir philosophique comme cosmologique. C’est le progrès général, notamment juridique, des sociétés historiques. Progrès qui débouche sur la Révolution française. Mais, dans cette Révolution, surgit, précisément par la Terreur et la Contre-Terreur, l’évidence d’une autre finitude, de ce que nous appelons la finitude radicale ou pulsion de mort."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Sujet, Science
"La reconnaissance du savoir, un savoir universellement reconnu et donc irréfutable, c’est ce qui est visé par l’étant (l’étant humain – l’homme, dit Levinas, est « l’étant par excellence ») devenant, au deuxième moment du déploiement de la métaphore de l’être, sujet... Descartes est le premier à avoir ainsi, par l’entreprise du doute qu’il a extrémisée dans les Méditations, fait apparaître le sujet dans sa vérité. Aristote avait parlé du sujet, de l’ὐποκείμενον, mais en tant que support d’un mouvement où toute la vérité résidait dans ce qui était visé, dans l’objet (encore qu’il ne parle pas d’objet comme il parle de sujet). Descartes, dans la recherche d’un savoir absolument indubitable, décrit le mouvement du doute portant d’abord sur la connaissance sensible, puis, par l’hypothèse du Malin Génie, sur la connaissance mathématicorationnelle elle-même. Jusqu’à déboucher sur la certitude du Ego sum ego existo, Je suis j’existe. Mais celle-ci, instantanée, ne devient celle d’un sujet élevé à sa vérité que parce que le Dieu puissant et bon dont l’existence est alors démontrée assure la continuité de cette certitude, l’identité du sujet à travers le temps. De là la constitution d’un nouveau savoir philosophique définitif, au-delà du savoir mathématique qui reste un modèle de savoir indubitable, le savoir cosmologique du solipsisme – le sujet, dans sa solitude heureuse offerte par Dieu, est en position de recréer le monde."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Objet, Théologie
"L’objet (l’étant) est ensuite reconnu dans sa finitude. Il est toujours le sensible par rapport à l’être comme l’intelligible. Mais il est de plus le fini par rapport à l’être comme l’absolu ; il est le radicalement fini dans le cas de l’homme, dès lors que, par le péché, celui-ci se détourne de Dieu, de l’absolu, de ce qui est par excellence l’être ou l’intelligible – toujours présenté comme l’intemporel, alors qu’il est maintenant créateur. À partir du Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection), l’avènement du christianisme devait permettre, par la grâce en lui glorifiée, d’obtenir la diffusion et l’universalisation les plus amples ; de passer outre aux limites qu’avaient rencontrées la philosophie et, plus originellement, le judaïsme, d’abord porteur seul de la Révélation. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque médiévale. Le savoir définitif qui y est élaboré est celui, théologique, du réalisme. Il se fonde sur le langage comme verbe (avec ses trois personnes, ses trois temps – passé, présent, futur – et ses trois modes fondamentaux – indicatif, impératif, subjonctif –, toujours à l’image de la Trinité divine)."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Objet, Ontologie
"La métaphore de l'être pose d’abord l’étant comme objet. L’étant n’est alors identifié que formellement, et pas encore réellement, à l’être. L’objet (ici l’étant) est d’abord absolutisé – illusoirement parce qu’il devra être découvert dans sa finitude, véritablement aussi parce qu’un savoir en est définitivement établi. L’étant, en effet, est identifié formellement à l’être, l’étant comme sensible participe de l’être comme intelligible – ce que Heidegger souligne (à l’époque de la « métaphysique », du « platonisme », la « différence ontologique » entre l’étant et l’être serait perdue, interprétée comme celle du sensible et de l’intelligible). L’être lui-même (l’idée) n’est pas alors envisagé comme temps réel, créateur, mais, parce qu’intemporel, hors temps, comme se différenciant de l’étant apparemment pris dans le temps, en fait dans le temps ordinaire, imaginaire, en fait donc lui-même hors temps. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque antique. Le savoir définitif qui y est développé est celui, ontologique, de l’idéalisme. Il se fonde sur le langage comme nom."
JURANVILLE, 2024, PL