Affichage des articles dont le libellé est Etre. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Etre. Afficher tous les articles

CONCEPT, Essence, Etre, Métaphore

La position de l'essence est le concept, en tant qu'énonciation et acte de la pensée (non comme simple signifié, comme le veut Hegel), là ou l'être n'était que la substance de la pensée. Le concept est l'essence vraie et existante recevant effectivement sa vérité. Cet acte positionnel consiste en une métaphore, qui est le principe en acte de toute objectivité. Juranville dit quelle est "la chose originelle se posant elle-même comme Autre, créant son Autre", c'est-à-dire qu'elle pose l'essence et, avec celle-ci, maintient ouvert le champ de l'objectivité. Notons que la toute première métaphore reste la métaphore de l'être, où celui-ci se substitue à l'étant et reçoit par-là même une signification nouvelle, essentielle, celle de substance pour la pensée comme on l'a dit (en ce sens il n'est pas un concept comme les autres, il est le concept d'avant toute différenciation et toute conceptualisation). Les concepts se forment successivement dès qu'il s'agit de poser chacune des essences, chacun des modes particuliers de l'être. Les concepts surgissent donc, certes imprévisiblement, mais pour s'ordonner immanquablement en système, ne serait-ce qu'en raison de la structure propre de toute création métaphorique : en effet l'essence n'est posée dans un ternaire que pour être d'abord refusée, recréée dans un quaternaire (où le sujet se pose comme quart-élément), puis reposée dans un nouveau ternaire. Enfin la dynamique de la création des concepts relève de l'élection (de même que l'ouverture de l'être relevait de la grâce) ; élection qui "suppose l’assomption, par le sujet, de l’appel de l’Autre comme appel à l’œuvre et au savoir" dit Juranville, cet appel donc à poser les essences, à créer les concepts. Cela ne veut pas dire que l'existant reçoive et assume l'élection, le concept est donc toujours d'abord partiellement faux : ordinaire et convenu, empirique ou "scientifique", voire absolu ou métaphysique. Ou bien alors le concept est assumé comme création vraie et existante, mais dénié comme débouchant sur un savoir transmissible et systématique (c'est la position des pensées de l'existence, voire des pensées contemporaines de la "différence").


"De même que l’être ne peut être reconnu comme ouvrant à tout un développement objectif jusqu’au savoir, que par la grâce, de même le concept ne peut être reconnu comme constituant effectivement ce savoir, que par l’élection. Élection qui, certes, est liée très étroitement à la grâce. Élection cependant qui, à la différence de la grâce, suppose l’assomption, par le sujet, de l’appel de l’Autre comme appel à l’œuvre et au savoir. C’est par elle, communiquée comme la grâce, qu’on accède, dans la pensée, au concept qui pose l’essence. Essence qui est, pour tout existant, son autonomie réelle, sa puissance créatrice, son pouvoir, et même son devoir, de faire œuvre. Le fini toutefois refuse d’abord de poser ainsi l’élection. Et le concept ne peut donc plus, comme nous le voulions, déterminer effectivement le savoir vrai, vers quoi va la pensée. Dès lors, là aussi, comme pour l’être, deux possibilités. Ou bien – première possibilité – on affirme un concept qui exprimerait le savoir ; mais ce concept alors est faux. Tel est le concept vague du savoir ordinaire. Mais aussi celui de la science, qu’il soit pur ou empirique, et celui de la métaphysique. Ou bien – deuxième possibilité – on affirme un concept vrai, comme acte d’existence ; mais ce concept ne permet aucun savoir. Tel est le concept vers quoi conduit la pensée de l’existence. Or refuser ainsi tout savoir systématique où s’articuleraient des concepts vrais, n’est-ce pas laisser intouché le savoir déjà là, toujours supposé total ? N’est-ce pas renoncer à la pointe, sociale, de son autonomie d’existant ?"
JURANVILLE, 2000, JEU

CERTITUDE, Parole, Reconnaissance, Castration, DESCARTES

Toute parole s'adresse à un autre, présent ou absent (s'il s'agit de l'Autre absolu), dont il semble que le sujet escompte la reconnaissance ; car toute parole implique la castration, et le désir, par laquelle le sujet se fait phallus, et objet de désir, pour l'Autre. C'est à ce niveau de reconnaissance que la certitude se constitue dans l'acte de parole, illustré par le cogito de Descartes. Quelque soit l'énoncé produit, l'énonciation résiste au doute, puisqu'elle présuppose d'emblée l'être ("je pense", donc "je suis, j'existe"). Triple certitude cartésienne : de la pensée, du sujet qui pense, de l'être du sujet comme pensant, reprise par Lacan en ces termes : d'abord l'articulation signifiante (ou énonciation, au niveau inconscient), puis le passage au signifié (de fait, à l'être), enfin la certitude du sujet assumant sa parole (autrement dit sa castration). Mais il convient de préciser que la certitude, celle de l'être du sujet, si elle implique bien la reconnaissance, celle de l'Autre absolu, n'en est pas la conséquence directe : elle consiste plutôt à se découvrir, dans le monde, dans son être, toujours déjà reconnu en tant que phallus pour l'Autre, donc une nouvelle fois à assumer la castration.


"Pour Lacan, il y a l’acte de la parole, ou plus précisément ce qui le fait acte, soit la présence de l’articulation du signifiant. Il y a donc l’énonciation. C’est ce qui fait l’acte de la pensée (et la situe d’emblée dans l’inconscient). Il y a ensuite le passage au signifié, là où de fait on peut parler de l’être. Et c’est à ce moment que devient possible une certitude, qui se constituera proprement et s’affirmera enfin dans l’acte effectif de la parole du sujet. Parce que parler, c’est assumer le signifié, et donc le phénomène de la castration. Mais cette constitution de la certitude ne tient pas à l’émergence d’une reconnaissance : on est à l’avance reconnu, on a déjà sa place dans le monde – comme castré cependant, c’est-à-dire comme le phallus, comme l’indication de ce phallus « perdu », l’index du phallus. Assumer la castration, c’est accepter cette reconnaissance, se la garantir. La reconnaissance demeure donc bien d’abord celle par l’Autre absolu, mais elle se confirme et s’affirme dans et par l’acte de la parole adressé à l’Autre présent. La certitude est toujours celle d’un Je suis (qui comme pour Descartes, renvoie là aussi à un réel, au sens précis de ce terme pour Lacan)."
JURANVILLE, 1984, LPH

ACTE, Résolution, Pensée, Etre, HEIDEGGER

Pour Heidegger, l'acte essentiel se confond avec la résolution par laquelle l'existant répond à l'appel de l'être. Au-delà de la simple résolution il y répond activement par la pensée, qui certes comme accomplissement ou déploiement d'une chose "dans la plénitude de son essence", ne relève pas, pour Heidegger, de l'objectivité d'un savoir. "La pensée accomplit la relation de l’être à l'essence de l'homme", sans être cette relation elle-même car comme le précise Heidegger, "la pensée la présente seulement à l’être comme ce qui lui est remis à elle-même par l’être." Cela signifie clairement qu'aucune fin n'est assignable à l'acte, que son achèvement reste voué à l'imprévisible, que son accomplissement n'est pas de l'ordre d'un "objectif" - à moins de confondre l'acte avec un faire, une technique de la pensée, comme s'y emploie la métaphysique depuis Platon, selon Heidegger.

"À l'appel de l'Etre, appel en lui d’un Autre absolu, l'existant répondrait favorablement par le vouloir-avoir-conscience ou résolution... La résolution est engagement dans l'acte véritable et ce qu'il a absolument nouveau. Mais si, pour Heidegger l'acte qui est déjà la résolution étendue vers son accomplissement et même se confond avec lui, cet accomplissement ne relève pas de l’objectivité universellement reconnu d'un savoir... Pour lui, assigner une fin à l’acte, à l’agir, c’est le confondre avec le faire, c’est la falsification traditionnelle, venu du platonisme (Platon d’abord, mais encore Aristote) pour lequel il n’y a pas de surgissement imprévisible de l’être, de l’être comme existence, rien qu’une essence intemporelle (et fausse par là même)."
JURANVILLE, PHER, 2019

DISCOURS, Etre, Langage, Question

L'ensemble des discours, selon Juranville, appartient au "champ philosophique", qui est celui de la Question sur l'être dans la perceptive de son unité ; de là que pour tout discours, la double référence au savoir et à la vérité s'impose ; mais chacun répond à la question selon des principes différents, et seul le discours philosophique proprement dit assume consciemment et pleinement cette finalité. Mais chacun y participe, et tous se valent au regard du principe général selon lequel l'unité de l'être, ou plutôt l'être-un de l'étant est recherchée et proposée dans le cadre du langage, et d'un langage en acte comme le discours. Dans ce contexte, le rôle du sujet parlant est d'assumer l'unité d'un certain point de vue (subjectivité) sur l'étant, d'abord par la nomination, puis de projeter un certain mode d'être et même plusieurs qui rassemblent l'étant (objectivité), en tant que ce que le sujet énonce s'articule logiquement et peut se répéter. La question de l'unité, voire de la conformité entre le langage et l'être, est traditionnellement celle de la vérité ; et la façon de l'envisager, de l'affirmer ou de la mettre en doute, est précisément ce qui différencie les différents discours. Toujours à l'intérieur du champ problématique, philosophique, seules quatre réponses sont possibles, et les voici :

"1) il n’y a pas de vérité, 2) il y a une vérité totale, 3) il y a vérité totale et vérité partielle. Reste logiquement une quatrième réponse possible, selon laquelle il y a bien une vérité, mais uniquement une vérité partielle. Ce serait une théorie pour laquelle il y aurait bien le désir, mais nullement l’objet du désir. La pensée de Lacan, et donc la théorie de l’inconscient, assume cette quatrième possibilité, sous le nom de discours analytique."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS, Question, Etre, Signifiant, LACAN

Tout discours a pour vocation de répondre à la question de l'être- même si seul le discours philosophique le reconnait explicitement -, en ce sens tout discours peut être considéré comme spéculatif. A ce titre, Lacan se contente de viser le discours philosophique qu'il rabat sur le discours du maître, comme supposant un signifié qui serait total. Mais il sait aussi que tout discours se nourrit d'une illusion constitutive, précisément de promouvoir une réponse unitaire à cette question de l'être ; et le discours de l'analyste pas moins qu'un autre, dès lors qu'il fait du signifiant l'instance à même d'y répondre ("vérité partielle" selon Juranville). Que fait banalement le sujet en analyse sinon soulever la question de son existence, de son être-là, de son être "soi", puisque déjà l'inconscient (en tant que pure articulation signifiante) vaut comme remise en question du soi, du sexe, du rapport à l'autre ? Mais pour Lacan, spéculer sur la question, soit le propre de la philosophie, est "une honte" ; l'ontologie est une "hontologie" car il n'y a pas de métalangage, pas de dire possible sur le dire, donc pas de langage de l'être ; la vérité de tel être ne peut surgir imprévisiblement que de l'inconscient, de la bouche parlante de la Chose elle-même.

"Mais en énonçant comme thèse sur l’« être » le signifiant comme vérité partielle, et en le présentant selon sa structure quadripartite fondamentale, le discours analytique laisse le savoir inconscient s’écrire. Ainsi pour le concept de l’inconscient. Le discours analytique demeure donc un discours spéculatif, et ne saurait comme tel échapper à l’illusion propre au discours. Croire qu’il le pourrait, ce serait en fait le discours philosophique."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS METAPHYSIQUE, Pouvoir, Totalité, Unité, PARMENIDE

Le discours métaphysique récuse la Question philosophique puisqu'il part du postulat que le sens est déjà là, présent dans la totalité du monde, et qu'il suffit de le reconnaître (par la voie de l'initiation, réservée à quelques un). Il y a une vérité pour chaque chose de ce monde et chaque chose n'existe qu'en hommage, pourrait-on dire, à la totalité. C'est le discours fondateur, celui qui institue le discours comme pouvoir ou instrument de pouvoir ; c'est donc, par excellence, le discours politique. Celui-là même que Lacan appelle Discours du maître, en le confondant d'ailleurs avec le discours philosophique, lequel n'est identifiable véritablement qu'avec Socrate et Platon. En Grèce, le discours métaphysique se présente exemplairement chez Parménide, dont l'enseignement se résume à deux principes : 1) « L’être est, le non-être n’est pas », donc la négativité (doute, erreur, différence même) ne sont qu'illusions (ce que contestera Platon dans le Sophiste), 2) « C’est la même chose que penser et être », c'est-à-dire que la pensée est le moyen par lequel l'être se présente comme Un : la pensée tisse les relations nécessaires pour ramener tout étant à l'être, toute partie au Tout, et finalement l'être à l'Un. Le principe de la pensée spéculative, méthode du discours métaphysique, tient à ceci : Etre-un, c'est penser, et réciproquement. La même pensée du Tout se retrouve chez Héraclite, même s'il met l'accent sur le devenir plutôt que sur l'Etre éternel : pour lui également l'être individuel n'a aucune réalité face au grand principe ordonnateur du monde qu'est le Logos.

"Si l’on considère l’objet du questionnement philosophique, et que l’on souligne que le caractère fictif de l’objet rendrait vain le questionnement même, on est conduit à ce discours que nous avons appelé métaphysique. Pour lui, ce que poursuit le questionnement philosophique existe, il y a une vérité pour tout ce qui est ; on pourrait dire que les choses sont faites pour que l’homme les pense... Le discours métaphysique est le discours totalisant sur lequel se fonde tout discours politique, en tant qu’essentiellement justificateur, et a fortiori toute idéologie... Et c’est de ce discours métaphysique, trop souvent confondu avec la philosophie elle-même et le discours que nous appellerons philosophique, que Lacan, croyant parler de la philosophie, dira qu’il est le « discours du maître ».
JURANVILLE, LPH, 1984

METAPHORE, Etre, Concept, Raison

Une fois admis que le principe créateur du langage philosophique est l'essence, on montre que ce langage se déploie selon trois métaphores. La première est la métaphore de l'être, sur le fond d'une équivocité entre le verbe (être) et le nom (étant), le premier se substituant au second dans l'opération. La seconde est la métaphore du concept, qui permet de passer du sens ordinaire des termes à leur usage spéculatif, et donc de déployer richement le langage philosophique. La troisième est la métaphore de la raison, car il faut toujours justifier le concept en posant une dualité qui le définit ; de sorte qu'en ouvrant le concept à la contradiction, en enchainant et en résolvant toutes les contradictions, se constitue le savoir philosophique.

"D’abord la métaphore de l’être, où l’être (comme verbe) se substitue à l’étant (comme nom qui a perdu sa signifiance originelle). En tout ce qui est, on suppose alors la présence active du principe (du verbe) créateur. C’est cette « équivocité » qu’Adorno présentait, négativement à tort, comme « ontologisation de l’ontique », arrêt à l’étant en tant qu’il est illusoirement élevé à l’absolu comme être. C’est cette même équivocité que Heidegger avait soulignée dans l’ἐὸν grec, nom et verbe, parce que participe. Ensuite, pour le déploiement du langage philosophique, la métaphore du concept, où l’usage philosophique du terme devenant concept se substitue à l’usage ordinaire du langage (de quelqu’un qui travaille à son bureau, on peut dire ainsi : Non, il ne travaille pas, il joue – et diriger, ce disant, vers le concept philosophique, spéculatif, « psychologique », dirait Wittgenstein). Le principe créateur (l’essence) est alors posé, sur son mode particulier (ici le jeu), par le concept. Enfin la métaphore de la raison, où la dualité qui le définit se substitue au concept menacé de perdre sa signifiance et de retomber dans l’usage ordinaire. Par cette dernière métaphore, le langage de la pensée philosophique devient celui du savoir philosophique."
JURANVILLE, 2017, HUCM

METAPHORE, Philosophie, Essence, Etre, HEIDEGGER

Le propre du langage philosophique est de parvenir à nommer l'essence des choses, ce qui revient à répéter l'acte créateur de l'Autre absolu en posant cette fois la Chose dans son unité, ce qui est précisément la définition de l'essence. Le procédé linguistique qui permet d'envisager l'essence est la métaphore ; c'est donc de métaphores que le langage philosophique se nourrit, à commencer par la métaphore de l'être par laquelle le verbe (être) se substitut au nom (étant), et ceci potentiellement dans toutes les langues - quelques soient les nuances sémantiques locales pouvant affecter ce terme d'être, son caractère essentiel, foncièrement indéterminé, demeure.

"Par [la métaphore] on quitte le plan où les réalités dépendent les unes des autres et n’ont pas d’unité en elles-mêmes. Et on passe sur le plan de l’essence qui est la position de la Chose dans son unité – position qui n’est autre que l’acte créateur originel de l’Autre absolu ; sur le plan de l’essence qui est le présupposé constitutif du langage philosophique tel qu’il est établi depuis Socrate (il y a, dit-il, une essence des choses – à confirmer certes, dans le dialogue, mais elle est présupposée)... Soulignons que ces métaphores constitutives du langage philosophique peuvent être instituées en toutes langues. Certes à partir d’un terme dont la signification sera devenue indéterminée, et renverra simplement au fait d’être signifiée, dans le langage humain et, primordialement, dans le langage en général, dans la parole de l’Autre absolu. Cette signification aura à être reconnue comme celle de l’essence – à la suite de quoi viendront d’abord le terme d’être, puis tous les concepts philosophiques. Elle est au moins implicite en toute langue. Heidegger le note à propos de l’être (sinon directement de l’essence) : « Supposons qu’il n’y ait pas cette signification indéterminée d’“être”, et que nous ne comprenions pas non plus ce que ce signifier veut dire. Qu’y aurait-il alors ? Seulement un nom et un verbe en moins dans cette langue ? Non. Dans ce cas il n’y aurait pas de langue »."
JURANVILLE, 2017, HUCM

METAPHORE, Etre, Sujet, Révolution

Puis, toujours le deuxième moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie bien l'étant au sujet, mais en le reconnaissant dans sa finitude : selon Kant c'est l'objet qui se règle sur la connaissance, c'est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, et il faut admettre qu'il ne se donne que dans l'expérience sensible. Il ne peut y avoir de sujet absolu que dans le domaine moral, et encore cela ne relève t-il que qu'un idéal. Hegel ouvre certes la voie, dialectique, vers un sujet absolu et même un savoir absolu, explicitement philosophique, mais qui ne peut obtenir aucune reconnaissance universelle. Ce savoir philosophique débouche pourtant, à la fin de l'époque moderne, sur l'événement de la Révolution et donc sur la reconnaissance au moins d'un progrès, essentiellement juridique ; progrès inséparable d'ailleurs d'une autre finitude dite "radicale", elle-même morale et comme redoublant la finitude naturelle, puisqu'elle consiste dans le refus même de la liberté et de tout progrès, volonté de répétition pure, pulsion de mort.

"Le sujet est ensuite découvert dans sa finitude irréductible. C’est ce qu’a apporté Kant. Non seulement l’objet doit selon lui (c’est la « révolution copernicienne ») se régler sur la connaissance, c’est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, mais il doit être donné dans l’expérience sensible. Pas d’autre savoir reconnu de tous que celui des sciences positives, qui n’envisage qu’un objet fini. L’homme doit se vouloir sujet absolu, mais cela ne vaut que pour le domaine moral et reste de toute façon hors d’atteinte (c’est l’idéal impossible de sainteté), et la faille de la finitude est toujours là. Certes Hegel va reprendre les analyses de Kant et soutenir que la finitude inéliminable alors découverte peut être dépassée dialectiquement, le sujet humain se faire sujet absolu déployant le savoir vrai, philosophique... Mais ledit savoir absolu, quelque perfection formelle qu’il ait atteinte, n’a pas bénéficié (c’est le moins qu’on puisse dire!) de la reconnaissance universelle... Il y a bien pourtant reconnaissance implicite, en ce temps, pour le savoir philosophique comme cosmologique. C’est le progrès général, notamment juridique, des sociétés historiques. Progrès qui débouche sur la Révolution française. Mais, dans cette Révolution, surgit, précisément par la Terreur et la Contre-Terreur, l’évidence d’une autre finitude, de ce que nous appelons la finitude radicale ou pulsion de mort."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Sujet, Science

Dans un second moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie l'étant au sujet, lequel part en quête d'une reconnaissance universelle du savoir : cela correspond, historiquement, à l"époque moderne de l'institution de la science. Il revient à Descartes, par l'entreprise du doute, d'avoir établi le sujet dans sa vérité, et d'en déduire la connaissance du monde (on parlera donc du "savoir cosmologique du solipsisme", lequel ne se déploie plus par le nom, mais par la proposition). Mais sans la véracité divine, n'existerait aucune garantie de quelque savoir que ce soit. Le sujet, certes séparé et fini, est désormais en mesure de recréer le monde, même si les philosophes rationalistes postérieurs à Descartes atténueront, voire nieront, cette liberté créatrice et cette finitude du sujet en ramenant celui-ci dans le giron de la substance divine (notamment Spinoza).

"La reconnaissance du savoir, un savoir universellement reconnu et donc irréfutable, c’est ce qui est visé par l’étant (l’étant humain – l’homme, dit Levinas, est « l’étant par excellence ») devenant, au deuxième moment du déploiement de la métaphore de l’être, sujet... Descartes est le premier à avoir ainsi, par l’entreprise du doute qu’il a extrémisée dans les Méditations, fait apparaître le sujet dans sa vérité. Aristote avait parlé du sujet, de l’ὐποκείμενον, mais en tant que support d’un mouvement où toute la vérité résidait dans ce qui était visé, dans l’objet (encore qu’il ne parle pas d’objet comme il parle de sujet). Descartes, dans la recherche d’un savoir absolument indubitable, décrit le mouvement du doute portant d’abord sur la connaissance sensible, puis, par l’hypothèse du Malin Génie, sur la connaissance mathématicorationnelle elle-même. Jusqu’à déboucher sur la certitude du Ego sum ego existo, Je suis j’existe. Mais celle-ci, instantanée, ne devient celle d’un sujet élevé à sa vérité que parce que le Dieu puissant et bon dont l’existence est alors démontrée assure la continuité de cette certitude, l’identité du sujet à travers le temps. De là la constitution d’un nouveau savoir philosophique définitif, au-delà du savoir mathématique qui reste un modèle de savoir indubitable, le savoir cosmologique du solipsisme – le sujet, dans sa solitude heureuse offerte par Dieu, est en position de recréer le monde."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Objet, Théologie

Puis, toujours dans le premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie bien l'étant à l'objet, mais en le reconnaissant dans sa finitude (un être non seulement sensible et temporel, mais pécheur, et fuyant sa finitude) par rapport à l'être absolu, divin, éternel (alors qu'il est créateur) : cette interprétation correspond historiquement à la période médiévale. Avec l'institution de l'Eglise, se déploie le savoir théologique trinitaire du réalisme, fondé sur le Verbe, donc ouvert à la temporalité. Cette fois le Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection) devait permettre l'universalisation de la Révélation et de son savoir.

"L’objet (l’étant) est ensuite reconnu dans sa finitude. Il est toujours le sensible par rapport à l’être comme l’intelligible. Mais il est de plus le fini par rapport à l’être comme l’absolu ; il est le radicalement fini dans le cas de l’homme, dès lors que, par le péché, celui-ci se détourne de Dieu, de l’absolu, de ce qui est par excellence l’être ou l’intelligible – toujours présenté comme l’intemporel, alors qu’il est maintenant créateur. À partir du Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection), l’avènement du christianisme devait permettre, par la grâce en lui glorifiée, d’obtenir la diffusion et l’universalisation les plus amples ; de passer outre aux limites qu’avaient rencontrées la philosophie et, plus originellement, le judaïsme, d’abord porteur seul de la Révélation. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque médiévale. Le savoir définitif qui y est élaboré est celui, théologique, du réalisme. Il se fonde sur le langage comme verbe (avec ses trois personnes, ses trois temps – passé, présent, futur – et ses trois modes fondamentaux – indicatif, impératif, subjonctif –, toujours à l’image de la Trinité divine)."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Objet, Ontologie

Dans un premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie l'étant à l'objet, soit à une version seulement formelle de l'être qui se divise de surcroit en un pôle sensible temporel (mais c'est un temps imaginaire) et un pôle intelligible intemporel : cette interprétation "métaphysique" de la différence être-étant, où le premier n'est jamais qu'une version absolutisée du second, correspond historiquement à la période antique. Dans la cadre de la démocratie et de l'institution de l'Etat, s'y déploie le savoir ontologique de l'idéalisme, fondé sur le Nom - mais un savoir qui ne peut pas atteindre la reconnaissance universelle.

"La métaphore de l'être pose d’abord l’étant comme objet. L’étant n’est alors identifié que formellement, et pas encore réellement, à l’être. L’objet (ici l’étant) est d’abord absolutisé – illusoirement parce qu’il devra être découvert dans sa finitude, véritablement aussi parce qu’un savoir en est définitivement établi. L’étant, en effet, est identifié formellement à l’être, l’étant comme sensible participe de l’être comme intelligible – ce que Heidegger souligne (à l’époque de la « métaphysique », du « platonisme », la « différence ontologique » entre l’étant et l’être serait perdue, interprétée comme celle du sensible et de l’intelligible). L’être lui-même (l’idée) n’est pas alors envisagé comme temps réel, créateur, mais, parce qu’intemporel, hors temps, comme se différenciant de l’étant apparemment pris dans le temps, en fait dans le temps ordinaire, imaginaire, en fait donc lui-même hors temps. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque antique. Le savoir définitif qui y est développé est celui, ontologique, de l’idéalisme. Il se fonde sur le langage comme nom."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Inconscient, Chose

La métaphore de l'être se déploie jusqu'à l'affirmation de l'inconscient comme essence de l'existence, justement parce qu'on y découvre le primordial rejet de l'existence, la finitude radicale ; mais aussi au terme de cet affrontement nécessaire que propose la psychanalyse, un sens nouveau surgit, une identité nouvelle et vraie : c'est le moment de la Chose parlante et créatrice, l'accomplissement de la métaphore de l'être pour l'existant.

"La métaphore de l’être atteint au terme de son déploiement, et est pleinement assumée par l’homme, par l’existant, quand, au-delà de l’affirmation de l’existence, est énoncée l’affirmation de l’inconscient. Car affirmer l’être comme existence, c’est appeler l’existant à s’affronter à son primordial rejet de l’existence, jusqu’à assumer pleinement celle-ci. Mais affirmer l’inconscient, l’être comme l’inconscient même, c’est dire ce qu’on découvre au terme de cet affrontement, dans cette assomption : l’inconscient comme essence de l’existence. Découverte de Freud, lequel engage le patient-analysant à dire librement, à propos d’un rêve, autour d’un symptôme, « ce qui lui passe par la tête », sans le juger, si incongru ou inconvenant ou vide de sens que ce soit, jusqu’à ce que cette succession de paroles libres – succession selon la structure quaternaire de l’existence – débouche sur un sens qui éclaire le tout, sur une identité et consistance nouvelle, qui était et est justement l’inconscient... C’est, dans le déploiement de la métaphore de l’être, le moment de la Chose, quand l’étant humain, l’existant, s’identifie réellement, avec toute sa finitude, à l’être, à la Chose créatrice originelle, à Dieu."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Autre, Dasein, HEIDEGGER

Dans la métaphore de l'être il est essentiel que l'être soit tout autre, et non de même nature que l'étant : il est verbe, ou temps réel, quand l'étant est nom, ou temps imaginaire ; de même lorsque Heidegger pose l'homme comme Dasein, métaphoriquement, le Dasein devient l'Autre de l'être, du Sein ; de même encore lorsqu'il remplace finalement le Sein (être) par l'Ereignis (Evénement originel) - exempt d'ontologie, donc de savoir, selon lui -, l'Ereignis donne son propre nom à l'homme, Eigen, qui devient l'Autre de cet Autre. Le déploiement de la métaphore de l'être serait ainsi parvenu à son troisième moment, celui de l'altérité, mais aucune reconnaissance universelle du savoir philosophique n'est envisageable selon Heidegger...

"La reconnaissance universelle du savoir philosophique est rendue philosophiquement concevable quand le déploiement de la métaphore de l’être parvient à son troisième moment. Que l’Autre, avant tout l’Autre absolu, est affirmé comme lieu premier de la vérité. Et que l’homme, l’étant humain, est en position de devenir l’Autre de cet Autre. Troisième moment où la métaphore rétrospective, comme dans le cas d’Abraham et de Jacob, est énoncée expressément (ici celle qui substitue l’être à l’étant). Heidegger aurait perçu, selon Levinas – c’est capital pour la métaphore –, que l’être est tout autre que l’étant, qu’il est verbe (pour nous, temps réel), quand l’étant est substantif (pour nous, temps imaginaire). C’est ainsi que Heidegger, à partir de l’être, Sein, comme Autre absolu, pose l’homme comme Dasein, non plus simplement un étant, mais l’être lui-même, l’être-là. C’est la métaphore. L’homme posé comme l’Autre de l’Autre, comme doué, malgré et avec sa finitude radicale, d’une vérité nouvelle et propre, créatrice de même que celle de l’Autre absolu."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Rétrospection, Autre

La métaphore, par laquelle le fini reconstitue son identité nouvelle et vraie, suppose bien l'accomplissement d'une oeuvre parvenant, au moins implicitement, à la reconnaissance de tous. Mais pour cela il faut supposer l'intervention de l'Autre absolu d'où provient nécessairement la substitution de l'être. Or celle-ci ne peut surgir, dans son déploiement, qu'après avoir franchi les moments de l'objet et du sujet, selon la structure propre de l'existence. D'où le concept de "métaphore rétrospective", précisément pour ce qui concerne la métaphore de l'être, en tant qu'elle provient de l'Autre absolu : c'est celle-là même qui fut énoncée dans la Bible par l'Autre divin "Je suis ce que je serai", et qui fera travailler, rétrospectivement, l'être humain et notamment - sans qu'il en soit même conscient - le philosophe. Car derrière l'apparente énigme, il ne faut voir que la contradiction, portée par la métaphore, mais dont la solution n'incombe qu'à l'homme, entre l'identité ordinaire (du moi, du peuple, etc.) et l'identité reconstituée vraie.

"Dans le mouvement par lequel se déploie la métaphore, le moment de l’Autre ne peut être atteint – c’est ce qu’implique la structure de l’existence – qu’après que ceux de l’objet et du sujet ont été parcourus. La métaphore de l’être en tant qu’elle vient de l’Autre peut donc travailler d’emblée ce à quoi elle fait subir une substitution, elle ne peut surgir elle-même explicitement qu’en un troisième moment, être en cela une métaphore rétrospective... Métaphore de l’être qui permet selon nous de penser le savoir philosophique, le savoir de l’essentiel. Un tel savoir ne devient, à nos yeux, possible à l’existant que par une intervention de l’Autre absolu, en l’occurrence celle de la Révélation. Où, à Moïse s’apprêtant à dire au peuple d’Israël: « Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous » (Exode, 3, 13), soulignant que ce peuple demandera aussitôt quel est son nom, et priant l’Éternel de lui dire ce nom, celui-ci répond: « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël: “Je suis ce que je serai” m’a envoyé vers vous. » Métonymie, avions-nous dit dans le cadre de la Révélation. Remplacement de l’expression ordinaire « Le Dieu de vos pères » par l’énigmatique « Je suis ce que je serai. » Cette énigme devant être résolue et l’étant dans la signification absolument rationnelle élaborée par le savoir philosophique. Mais, en même temps qu’il y a remplacement (métonymique), il y a substitution (métaphorique). À l’usage ordinaire de la conjugaison du verbe « être » (« Je suis le Dieu de vos pères ») est substitué un usage « intensif », redoublé, en forme de noeud, écrit en caractères gras (« Je suis ce que je serai »), du même mot qui devient absolument signifiant. C’est la métaphore de l’être, qui portera la philosophie dans toute son histoire, mais qui ne sera dégagée expressément qu’en un moment tardif de cette histoire, comme pour toutes les métaphores rétrospectives."
JURANVILLE, 2024, PL

INDIVIDU, Oeuvre, Etre, Unicité

L'unicité de l'oeuvre est d'abord celle de l'être se détachant de l'étant anonyme, c'est donc bien celle également de l'individu ; elle se prouve et s'éprouve comme unité d'une matière et d'une forme.

"L’œuvre est d’abord l’extérieur de l’œuvre. C’est l’œuvre en tant que, surgissant dans le monde, elle se distingue des autres étants, des objets ordinaires. Elle se distingue des « objets » ordinaires parce qu’elle est reconstitution, parmi eux, de la « chose » originelle. Elle se distingue des autres « étants » parce que, parmi les étants en relation les uns avec les autres dans le tout du monde, elle est, non seulement étant, mais être ; parce qu’elle est, parmi eux, l’être même, comme puissance originelle. Unicité de l’œuvre, comme celle de l’individu. Unicité de l’œuvre qui se marque en ceci qu’elle n’est pas reproductible comme le sont les autres étants, les autres objets ; par ceci qu’en elle la forme ne peut pas être séparée de la matière, et qu’on ne peut pas « réaliser » cette forme dans une autre matière pour obtenir un objet équivalent, une même œuvre."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT