Pour éviter d'être vaine et de s'assimiler à un refus de tout savoir, pour accomplir la vocation politique de la philosophie, la critique (qui est, rappelons-le, négation et savoir) ne saurait être immédiate ; elle présuppose la question comme ce qui accomplit la vocation éthique de la philosophie. Mais c'est bien la politique qui, finalement, justifie l'éthique, et en constitue l'aboutissement. Grâce à la critique, la philosophie est doublement fondatrice. D'abord, du côté de l'objet, elle permet de fonder l'objectivité vraie face à l'objectivité ordinaire, laquelle tend toujours à s'absoluiser faussement : elle le fait par la puissance spéculative et créatrice (métaphorique) du concept. Ensuite, du côté du sujet, elle permet à la subjectivité de se fonder elle-même sur la certitude, comme fondatrice du savoir et de l'objectivité du savoir. Mais ce principe fondateur subjectif implique la reconnaissance de la finitude radicale - par le moi s'identifiant à l'Autre absolu et assumant l'élection, donc pas seulement en tant qu'individu.
CRITIQUE, Fondation, Philosophie, Certitude
CERTITUDE, Sujet, Enonciation, Folie, LACAN, DESCARTES
Pour Lacan, la certitude du sujet est fondée sur l'acte de l'énonciation, bien qu'elle porte indéniablement sur l'être - au dernier terme un étant marqué par la castration, un sujet du désir, assumé dans sa relation à l'Autre. Pour Descartes également la certitude est fondée sur l'acte de la pensée, qui est bien une parole, d'où s'en conclut l'existence, le "je suis", au dernier terme une "res cotigans" - un sujet, certes, au sens de ce qui demeure identique sous les changements (soit le contenu divers des pensées) - car sans cela la certitude des pensées ne serait que ponctuelle. C'est en assurant le sujet dans son être que le dieu non trompeur, finalement, le conforte dans ses pensées, et dans le fait qu'il n'est pas fou (la distinction raison/folie n'intervient pas au niveau purement signifiant du cogito). Telle est le sens en tout cas de l'interprétation de Lacan avec sa logique du signifiant : il y a d'abord l'articulation signifiante, au niveau de l'énonciation, mais la certitude apparaît avec le surgissement du signifié, produit de cette articulation, donc effectivement avec l'être. Le "je suis" surgit non comme la conséquence mais comme le signifié du "je pense". Mais pour Lacan, contrairement à Descartes, on ne peut en déduire aucune permanence du sujet, lequel ne pense pas tout le temps ou ne saurait le dire - encore Descartes évoque-t-il son propre être de désir et de doute, par opposition avec la puissance de ce dieu, témoignant par là qu'il n'est pas fou. Le fou lui, pense et parle tout le temps, au sens où il semble parlé par l'Autre, sans pouvoir effectuer le passage du signifiant au signifié, le signifiant passant directement dans le réel avec le phénomène de l'hallucination.
CERTITUDE, Parole, Reconnaissance, Castration, DESCARTES
"Pour Lacan, il y a l’acte de la parole, ou plus précisément ce qui le fait acte, soit la présence de l’articulation du signifiant. Il y a donc l’énonciation. C’est ce qui fait l’acte de la pensée (et la situe d’emblée dans l’inconscient). Il y a ensuite le passage au signifié, là où de fait on peut parler de l’être. Et c’est à ce moment que devient possible une certitude, qui se constituera proprement et s’affirmera enfin dans l’acte effectif de la parole du sujet. Parce que parler, c’est assumer le signifié, et donc le phénomène de la castration. Mais cette constitution de la certitude ne tient pas à l’émergence d’une reconnaissance : on est à l’avance reconnu, on a déjà sa place dans le monde – comme castré cependant, c’est-à-dire comme le phallus, comme l’indication de ce phallus « perdu », l’index du phallus. Assumer la castration, c’est accepter cette reconnaissance, se la garantir. La reconnaissance demeure donc bien d’abord celle par l’Autre absolu, mais elle se confirme et s’affirme dans et par l’acte de la parole adressé à l’Autre présent. La certitude est toujours celle d’un Je suis (qui comme pour Descartes, renvoie là aussi à un réel, au sens précis de ce terme pour Lacan)."
JURANVILLE, 1984, LPH
CERTITUDE, Subjectivité, Critique, Finitude, DESCARTES
"Comment l’existant qui s’est mis en marge du monde ordinaire et qui se réclame, comme individu, d’une évidence vraiment absolue (c’est sa « vision ») peut-il donner à cette évidence toute son objectivité ? Il est là devant l’objectivité ordinaire. Pour pouvoir réellement la dépasser, il doit découvrir non seulement que c’est par finitude radicale qu’il l’avait faussement absolutisée, mais surtout que c’est lui comme sujet qui la produit et la reproduit : il doit donc poser la subjectivité en lui et en tout existant comme ce qui peut produire et reproduire l’objectivité absolue. Or position et subjectivité définissent la certitude, comme position et objectivité définissent l’évidence. La certitude est ainsi la subjectivité absolue de la critique, ce par quoi elle s’accomplit, comme l’évidence en est l’objectivité absolue, ce dans quoi elle s’accomplit."
JURANVILLE, HUCM, 2017
CERTITUDE, Evidence, Subjectivité, Objectivité
L'évidence, comme la certitude, sont des actes du sujet. L'évidence n'est pas l'objectivité en soi, mais la position subjective de l'objectivité, et en tant que telle l'instrument de la (bonne) mélancolie ; tandis que la certitude n'est pas la subjectivité en soi, mais la position de la subjectivité, et comme telle l'instrument de la culpabilité essentielle. La certitude est l'acte du sujet se posant comme principe de toute objectivité, quant il vise au savoir vrai, et quand l'objectivité commune, avec son évidence trompeuse, s'effondre sous l'effet du doute radical.
CERTITUDE, Culpabilité, Objectivité, Altérité, DESCARTES
"Que la certitude soit l’instrument de la culpabilité, cela se comprend déjà en ce qu’elle rappelle au sujet qu’il a à s’objectiver, à accomplir son œuvre de sujet. C’est cette certitude qui meut Descartes dans sa recherche du principe. C’est elle qu’il dégage comme telle pour y atteindre, puisque c’est à partir d’elle qu’il reconstituera, avec la grâce du Dieu bon, tout le système du savoir vrai."
JURANVILLE, 2000, ALTER