Le discours du clerc ordinaire ne s'en tient pas malheureusement à promouvoir l'autonomie par le savoir sous la condition d'une relation authentique à l'Autre absolu, qui tiendrait compte de la finitude. Son référentiel est la totalité déjà là d'un monde où rien de vraiment nouveau ni d'imprévu ne peut survenir. Il met donc son savoir au service des intérêts du Maître, en inventant la bureaucratie, machine à broyer les individus et à effacer tout ce qui pourrait faire "problème". Dévoyé au service de la valeur et non plus dévoué à l'essence, il se transforme en idéologie au lieu de s'assumer comme philosophie. Ce qui impliquerait de vouloir explicitement la justice et donc de laisser une place relative à chacun des discours sociaux, mais il confond la "rédemption" de l'humanité avec le "salut" d'une communauté (préférentielle), au mépris donc de la justice et des individus.
"Cet ordinaire discours clérical, que ce soit sous les figures qu’il prend dans le monde historique et que nous avons présentées avec Weber et Lacan, ou que ce soit sous la figure la plus générale, ne se borne pas à être faux objectivement et théoriquement ; il l’est, comme la dernière référence à Lacan l’a laissé pressentir, subjectivement et pratiquement ; et il l’est en tant qu’idéologie. De l’idéologie, gardons quant à nous, sans entrer en discussion avec Marx, ceci d’abord qu’il s’agit d’un discours qui, comme tel, se fonde sur un principe, mais voulu comme valeur, et non pas comme essence (ainsi que le voudrait la philosophie), et d’un discours qui, à partir de ce principe, justifie tout, et notamment ce qui pourrait faire problème. Et ceci d’autre part que ceux qui mettraient en question ce principe, cette valeur suprême, et la justification qu’à partir de lui on propose, seraient, par le discours idéologique, voués à l’exclusion sacrificielle, rejetés dans les « ténèbres extérieures ». Qu’on pense à l’idéologie du nazisme, avec comme valeur supérieure, le peuple et la race ; à celle du fascisme, avec l’État ; à celle du stalinisme, avec le parti ; à celle du maoïsme, avec les masses. À la place de la rédemption qui eût été le principe subjectif d’un vrai discours du clerc, ce qui apparaît alors comme principe subjectif de l’ordinaire discours du clerc, c’est le salut. De même qu’on avait vu, pour le discours du peuple, venir à la place de la création l’évolution et, pour le discours du maître, venir à la place de la révélation le progrès. Le salut est ainsi le troisième maître mot des conceptions ordinaires et fausses de l’histoire."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT