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EPOQUE, Rupture, Evénement, Histoire

L'histoire ne se réduit pas une temporalité humaine linéaire, elle est constituée comme telle de plusieurs ruptures que l'on nomme "événements". Ceux-ci déterminent à leur tour différents points d'arrêt scandant l'histoire universelle, que l'on nomme "époques" (antique, médiévale, moderne, contemporaine, actuelle). Ces ruptures ne sont en rien naturelles, elles sont les conséquences d'une pensée humaine capable de nouveauté, libératrice pour l'individu, mais pour cela nullement acceptée immédiatement par le sujet social. Le moment où un tel conflit entre rupture et réaction s'estompe, par delà les époques, peut être anticipé comme la "fin de l'histoire". Enfin tout événement, dont la portée est universelle, peut être dit "philosophique" en tant qu'il résulte d'une affirmation primordiale, avant de se prolonger en institution politique, et de donner lieu à une réalité sociale nouvelle.


"L’histoire qui débouche sur le monde actuel peut être présentée comme une succession d’époques. Ces époques sont toutes des temps d’arrêt où tout est déterminé par un même événement qui fait histoire. Elles résultent à chaque fois de la conjonction entre, d’une part une rupture relevant de la philosophie et, d’autre part, le refus opposé à cette rupture – la fin de l’histoire étant atteinte quand la rupture qui se produit assume et fixe elle-même ledit refus."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

ELECTION, Savoir, Grâce, Responsabilité, SOCRATE

L'affirmation socratique de l'idée, ainsi que le précepte du "connais-toi toi-même", impliquent à la fois grâce et élection. La grâce pour offrir à chacun, sur la base du non-savoir, la possibilité de reconstituer par soi-même le savoir rationnel, jusqu'à l'idée. Mais aussi élection car Socrate se propose d'aider ses interlocuteurs dans cette épreuve, au moyen de la maïeutique et en usant des vertus de l'ironie ou de l'aporie. Ce devoir lui est rappelé par la fameuse voix démonique - soit sa singularité, son propre "symptôme" - et qui le détourne de toute activité inutile et nuisible. L'élection est privilège, car peu répondent effectivement à l'appel de l'Autre ; mais elle est aussi courage (face la haine que déclenche l'élu chez ceux qui s'en tiennent au savoir ordinaire) et responsabilité (puisqu'il s'agit de répondre de la loi devant tout autre).


"Socrate dispense bien, et même communique, au-delà de sa grâce, son élection à son interlocuteur. Privilège, parce qu’on suppose à l’avance que la loi édictée (en l’occurrence le Connais-toi toi-même) ne sera observée que par certains : il faut avoir été présent lors de l’appel de l’Autre ; et (c’est le courage de l’élu), à la fois, souffrir les épreuves qu’on devra traverser pour y et en répondre et, surtout, supporter la haine qu’on suscite inévitablement chez ceux qui ne se sont pas engagés dans cette responsabilité. Mais privilège offert à chacun. L’élection est privilège, mais en même temps subordination, parce qu’on doit y rendre des comptes aux autres, être responsable devant eux qui sont l’instance devant laquelle, à l’avance, on se soumet."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

ELECTION, Métonymie, Analyse, Sublime

La position d'élu qui est celle de l'analyste, au-delà du cas de Freud, doit être également supposée au patient. Ce dernier est appelé à faire un travail d'interprétation, jusqu'à dégager cette image d'élu qu'il pressentait en lui au premier jour de son engagement dans l'analyse. L'objectivité de ce travail et de son résultat passe par l'usage de la métonymie, selon Juranville, car au-delà de la métaphore faisant surgir la signification, c'est l'objet cette fois, et plus précisément la Chose que pose la métonymie, et avec elle l'essence comme le sublime de la Chose. Le sublime est la condition pour que l'élection soit reconnue, dans sa vérité, par celui qui n'avait de cesse premièrement de la rejeter.


"Du fait de l'élection dans laquelle s'accomplit la grâce alors dispensée, Freud, en affirmant l'inconscient, introduit donc une rupture qui va jusqu'au savoir. C'est sa position d'élu. Celle que Lacan lui reconnaît quand il parle de la « passion de Freud », de sa "démarche éthique", sa "soif de vérité" (surtout avec la 2è topique, où il rompt avec la science, l'altérité survient, avec le Surmoi (Autre faux) et la pulsion de mort). Mais la même élection doit être, par l'analyste, supposée (il la lui communique) au patient, qui doit pouvoir tenir à son tour le rôle de l'analyste, lequel est convié par là à un travail - travail d'interprétation."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

ELECTION, Démocratie, Judaïsme, Existence

Le monde contemporain repose sur l’idée que la vérité ne vient pas de l’homme lui-même, mais de l’Autre (Dieu, autrui, peuple) dont il est et se veut l'élu. C’est la logique que partagent à la fois la pensée chrétienne de l’existence et la pensée messianique issue du judaïsme. Cette même structure se manifeste dans la démocratie représentative et parlementaire, où les gouvernants cherchent, à travers le vote du peuple, la confirmation d’être les « élus » de l’Autre.


"Le monde contemporain, fondé comme il l'est sur l'affirmation de l'existence, se donne en effet par ceci que, pour lui, la vérité surgit d'abord en l'Autre (suprêmement l'Autre divin, de là l'Autre humain et, socialement, dans le peuple) et qu'elle ne peut venir à l'homme que dans la mesure où il est et se veut l'élu de cette Autre. C'est ce qu'avancent tant la première pensée de l'existence, liée au christianisme, que la deuxième pensée de l'existence ou pensée messianique, liée au judaïsme."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

EGLISE, Liberté, Christ, Paganisme, HEGEL

Le monde médiéval se désagrège sous le poids de sa propre contradiction : l’écart entre l’enseignement du Christ et la vie réelle de l’Église. Le message du Christ repose sur la liberté individuelle, seulement authentique si elle repose sur la "conscience du péché" (Kierkegaard) et sur l’amour du prochain. C'est le coeur du message délivré par le Sermon sur la Montagne, lequel ne se contente pas de reprendre la Loi (« tu ne tueras point ») mais valorise aussi l’aumône, la prière et le jeûne dans le secret du cœur. Mais l’Église, en reproduisant la violence et la barbarie — notamment à travers les croisades —, trahit l'enseignement du Christ ; elle retourne, comme le dénonce Hegel, "le principe de la liberté chrétienne en une illégitime et immorale servitude des âmes". Quant aux ordres monastiques et chevaleresques (dondés au 13è siècle), ils prônent certes la plus haute vertu, mais renoncent à changer le monde commun. Le vrai changement passera, à la fin du Moyen Âge, par une rupture avec l'Eglise, celle de la Réforme voulue par le moine Luther, lequel en appelle à un monde nouveau "où l'homme se détermine par lui-même à être libre" (Hegel).


"L'enseignement du Christ se caractérise par la liberté en tant qu'elle est reconnue à chacun comme individu. Liberté qui n'est réelle qui si elle passe par la "porte étroite", comme le dit saint Mathieu ; par la porte étroite de la "conscience du péché", prolonge Kierkegaard. Liberté qui n'est réelle que si elle est attentive à la liberté de l'autre homme, que si elle est "amour du prochain" - ce que développe lumineusement le célèbre Sermon sur la Montagne... Mais les excès et comportements barbares sont sans cesse reproduits pour ou dans ou par l'Eglise. C'est pour nous la repaganisation de l'Eglise."
JURANVILLE, LCEDL, 2015

EGLISE, Evangélisation, Universel, Paganisme

L’ordre sacrificiel résiste à l’évangélisation par laquelle l’Église diffuse l’universel vrai, comme l’empire romain avait autrefois étendu l’universel de l’État par la romanisation. À la persécution du pouvoir, qui cherche à éliminer tout extérieur au système sacrificiel, répond la figure du martyr, témoin de la foi et de la vérité qu’il incarne. Peu à peu, Rome s’efface comme puissance militaire pour devenir le centre spirituel d’un nouvel universel, celui de l’Église, acceptant symboliquement la position de « déchet » au profit de cette vérité nouvelle. Mais cette grâce universelle se fausse inévitablement : d’une part en laissant subsister les formes de l’ordre traditionnel, d’autre part dans certaines déviations internes — exaltations ascétiques ou monastiques — que Hegel opposera à la vérité luthérienne de la foi intérieure et de la liberté spirituelle.


"De même que l'universel de l'Etat s'étendait par la romanisation, c'est-à-dire par le souci républicain du bien public, de même l'universel posé comme tel de l'Eglise s'étend par l'évangélisation. Rome s'est effacée comme centre de puissance militaire et matérielle pour devenir un centre de puissance spirituelle. De ce qu'elle a accepté de quelque manière la position de déchet devant ces tribus dans lesquelles elle fait advenir une vérité nouvelle. Mais cette évangélisation, si elle est possible et réelle par la grâce, l'est aussi et surtout parce que la grâce se fausse et laisse alors subsister l'ordre traditionnel."
JURANVILLE, LCEDL, 2015

EGLISE, Catholicisme, Universel, Homme

S’élevant contre l’État romain retombé dans le paganisme qu’il prétendait dépasser, l’Église se veut universelle en tant qu’elle est instituée par l’Autre divin et qu’elle affirme le péché de l’homme — péché qui n’est rien d’autre que le paganisme, c’est-à-dire le refus de la finitude et la prétention à occuper la place de Dieu. Son message consiste donc à assumer la finitude humaine pour réaliser la justice véritable (dans l’attente de la « Cité de Dieu » selon Augustin) et à restaurer la place de l’individu, niée dans le paganisme. L’Église se veut catholique, apostolique et romaine : – catholique, comme universelle, celle de Jean, apôtre de l’élection et du messianisme ; – apostolique, comme missionnaire, celle de Paul, apôtre de la grâce, diffusant l’universalité du salut aux païens ; – romaine, enfin, parce qu’elle s’appuie sur l’universel déjà institué de l’Empire romain — universel devenu formel et faux — et qu’elle se fonde sur Pierre, figure de la foi et de son affirmation dans la célèbre profession de foi. En bref, l’Église réalise l’institution du salut dans l’histoire, chaque homme y prenant part au moyen des sacrements.


"L'institution de l'Eglise, par quoi se manifeste le savoir théologique du réalisme, s'effectue contre ce qu'est devenu l'Etat, qui prétendait s'élever contre l'ordre traditionnel païen et qui s'est fait reprendre par lui. En tant qu'elle est instituée par l'Autre divin, par le Christ, du seul fait de l'affirmation du péché et en tant qu'elle est, par là même, idéale et éternelle, l'Eglise indique à l'Etat ce qui doit être sa fin à lui : non plus rejeter tout paganisme - ce rejet est une illusion, le paganisme est le péché de l'homme - mais l'assumer pour le bien [universel vrai et justice] et pour autant que place peut être alors laissée à l'individu. Pour Augustin la cité de Dieu aurait été "prophétisée et préfigurée" par l'Etat des Hébreux, mais elle devrait "se bâtir à partir de tous les peuples réunis". Or l'institution de l'Eglise est celle définitivement de l'Eglise catholique, apostolique et romaine."
JURANVILLE, LCEDL, 2015

DROIT AU TRAVAIL, Capitalisme, Individu, Démocratie

L'institution de la démocratie apporte un droit civil nouveau, le droit au travail. Il est fait pour garantir un minimum de sécurité pour le travailleur pris dans une relation asymétrique avec un possédant, l'employeur, qui ne connait pas la même urgence vitale de travailler, et qui serait tenté d'en profiter en l'absence de règles de droit. Le droit au travail n'efface pas la violence inhérente au contrat de travail - puisque en vendant sa force de travail sur le marché, l'individu renonce (au moins provisoirement) à son oeuvre propre - mais il en limite la portée, et en cela il exprime la vérité du capitalisme : à savoir qu'il n'est pas le mal absolu, il ne revient pas au système sacrificiel archaïque, mais il n'est pas non plus la panacée - notamment en termes de "progrès" - qu'il prétend être. Il est juste un moindre mal.


"Le droit de propriété avait permis, au-delà du paganisme, la formation du capital ; la liberté de culte avait permis qu'on s'y rapportât comme à une idole ; la liberté d'expression avait permis de mettre en œuvre le capitalisme ; le droit au travail lui donne la limite de principe hors de laquelle il ne peut y avoir de vérité. Il ne sera fixé que dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948, et en France dans la Constitution de 1958."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

SANTE, Droit, Individu, Capitalisme

A l'âge du capitalisme industriel le droit civil nouveau est le droit à la santé, "fondement de tous les autres bien qu'on peut avoir dans cette vie" selon Descartes, impliquant d'une certaine manière "maîtrise et possession de la nature"... Car il ne s'agit plus seulement d'assurer le niveau homeostasique d'un accord avec la nature, mais pour l'homme d'assurer son bien-être physique et mental, voire... de durer longtemps (en bonne santé) pour être toujours plus performant. Si ce droit nouveau profite indéniablement à l'individu comme tel, il suppose une administration et une planification rigoureuse dont les travers bureaucratiques rappellent le concept foucaldien de "biopolitique.


"Le droit nouveau est d'abord droit civil, en l'occurrence droit à la santé - grâce qui, là encore, n'empêche pas l'homme de fuir d'abord le radical de sa finitude, du mal en lui. Un tel droit suppose que l'homme, radicalement fini, se laisse prendre dans le développement, décisivement industriel, du capitalisme qui, pour y puiser de l'énergie et en tirer la matière à soumettre aux formes qu'il a conçues, détruit la nature telle qu'elle se donne d'abord et y lâche des forces de mort (cf. le dispositif de la technique chez Heidegger). Mais santé sur fond de laquelle il pourra engager le travail vers son individualité vraie..."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Liberté d'expression, Capitalisme, Liberté de la presse, MARX

Le droit civil qui apparaît (par la grâce) avec l'institution de la science est la liberté d'expression. Prolongée en liberté d'entreprendre pour lui donner toute son effectivité, pour que l'individu parvienne à créer son oeuvre, il débouche finalement sur le capitalisme industriel. Et cependant si pour cette forme de capitalisme, le Capital est l'Autre, c'est n'est jamais qu'un Autre faux, une idole se servant du travailleur pour lui faire produire la plus-value. Or, là où Marx parle d'extorsion, Juranville y voit bien plus une aliénation consentie - conséquence du refus de créer par soi-même -, une participation à la volonté de jouissance capitaliste, rien d'autre qu'une manifestation de la pulsion de mort.
Quant au droit politique qui apparaît avec l'institution de la science, c'est la liberté de la presse. Mais là encore il ne peut que se fausser, face à "la terrible réalité qu'est la passion de l'inégalité parmi les hommes, en l'occurrence réalité des classes sociales" dit Juranville. Et cela ne tient pas seulement aux différences de revenus mais à la position des citoyens par rapport aux procès de production capitaliste. Car comme le dit Marx, "il n'y a que deux classes en présence : la classe ouvrière, qui ne dispose que de sa force de travail ; la classe capitaliste, qui possède le monopole des moyens de production sociaux tout comme celui de l'argent" - auquel il faut donc ajouter le monopole de la presse.



"De même que la finance donnait son effectivité au droit de propriété, de même que le commerce donnait sont effectivité à la liberté de culte (par la diffusion de la foi), de même l'industrie donne son effectivité à la liberté d'expression, en lui permettant de devenir production d'objets, voire production d'œuvres. D'où l'on peut conclure que le droit civil débouche sur l'émergence du capitalisme industriel, où le capital n'est plus objet comme dans le capitalisme financier (intérêt), plus sujet comme dans le capitalisme commercial (profit). Capitalisme où le capital est l'Autre."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Information, Capitalisme, Individu

Le droit à l'information est un pilier de l'institution du capitalisme, car même si le capitalisme crée ses propres idoles, il permet de s'affranchir de l'idole du pouvoir comme telle (laquelle retient l'information, et ment). Pour le meilleur et pour le pire, il libère à la fois l'individu vrai et l'individualisme (le culte de l'individu), la liberté de dire et l'obligation de tout dire (illusion de la "transparence"). Finalement il laisse le choix entre un faux "souci de soi" et le "souci de l'autre".


"Il eût fallu, pour accéder à la véritable exception et individualité, quitter le souci de soi pour le "souci de l'autre", comme le dit Levinas - c'est ce dont le système capitaliste laisse, par le droit, la possibilité à chacun. D'où l'on peut conclure que l'institution du capitalisme doit conduire à l'avènement, comme droit politique nouveau, du droit à l'information - par quoi le droit effectivement s'accomplit. Droit qui permet à l'existant de s'arracher à son aliénation d'individu individualiste devant l'idole, suprêmement devant celle qu'est le pouvoir souverain (et celui qui le détient)."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Etat, Droit de propriété, Droit de suffrage

"Le droit est savoir de la finitude. Savoir des conditions que le fini doit recevoir pour atteindre la finitude essentielle" écrit Juranville. Mais le droit est établi par l'Etat, qui implique à la fois pouvoir et autorité : pouvoir (comme volonté dans sa réalité) pour triompher des résistances que la voloté de justice suscite immanquablement ; autorité (comme vérité de la volonté) pour transposer la volonté de justice en capacité pour chacun de reconstituer la loi à laquelle il est soumis. Le droit qui apparait avec l'institution de l'Etat est lui-même double : à la fois civil et politique. Le droit civil fondamental est alors le droit de propriété, reconnu à chaque particulier par l'Etat comme condition matérielle de son autonomie. Le droit politique fondamental est maintenant le droit de suffrage, permettant à chacun de participer au pouvoir dans le cadre d'une démocratie.


"L'Etat véritable suppose que toutes les conditions aient été données socialement à chacun pour accéder à son autonomie d'individu. Le droit est savoir de la finitude. Savoir des conditions que le fini doit recevoir pour atteindre la finitude essentielle. Mais le droit est établi dans l'Etat par la volonté qui institue l'Etat pour autant que cette volonté triomphe des résistances qu'elle rencontre, c'est-à-dire pour autant que cette volonté est pouvoir. Pourvoir qui est la volonté dans sa réalité. Mais le pouvoir peut être fondé ou sur la violence (répétition de la violence sacrificielle) - et alors la résistance provient positivement de l'exigence, légitime, d'autonomie réelle. Ou sur la grâce, qui libère l'autre et le met en position de reconstituer à partir de soi la loi à laquelle il est soumis - l'Etat véritable suppose donc l'autorité, comme vérité de la volonté, l'autorité en ce que la volonté, qui a produit l'œuvre apparaît comme devant et pouvant devenir celle de chacun. Ce qui tient à l'élection qu'elle porte en elle et communique."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Etat, Internationalisation, Capitalisme

Avec l'institution du capitalisme, l'internationalisation du droit (différent du "droit international") affirme le principe fondateur du droit qu'est la volonté de paix parmi les hommes. Elle implique que la souveraineté de l'Etat, désabsolutisée, se soumette à l'autorité de la "conscience universelle", dont les instances juridiques internationales sont les représentantes. C'est sous ces conditions - cosmopolitiques, limitant son arbitraire - que l'Etat peut garantir concrètement (administrativement et plus seulement politiquement) à chacun les conditions (sociales) pour s'accomplir comme individu.


"L'institution du capitalisme se manifeste, dans le monde social, par l'internationalisation du droit - qui en est aussi l'accomplissement, puisque l'individu reçoit alors toute la place qu'il devrait recevoir... Avec l'Etat législatif toujours présent, l'Etat administratif gère l'économie en prenant des "mesures". Etat entrepreneur et Etat providence. L'institution du capitalisme débouche donc sur l'accomplissement tant de l'Etat tel qu'il avait été voulu par la philosophie, que du droit dans lequel l'Etat se déploie et qui consiste à donner à chacun toutes les conditions (sociales) pour devenir individu véritable. Ce que disant, nous nous opposons à Carl Schmitt et à sa thèse selon laquelle l'actuel Etat administratif serait idéalement "Etat totalitaire"."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

LIBERTE D'ENSEIGNEMENT, Eglise, Raison, Christianisme, SAINT AUGUSTIN

L'institution de l'Eglise a promu la liberté d'enseignement car, comme le dit en substance Saint Augustin, les hommes doivent faire le bien (ce qu'enseigne le Christianisme) mais ils ne peuvent bien faire ce qu'ils ignorent. L'individu doit donc pouvoir reconstituer à partir de soi toute vérité révélée, et c'est ce que veut également le Christianisme. Sur le plan historique et institutionnel, il est nécessaire que la raison, capable d'affronter toute objection, confirme l'autorité de l'Eglise dans un espace reconnu comme laïc et autonome. A terme, on peut penser que la liberté d'enseignement conduira à poser comme telle, et à faire accepter par tous la vérité de toutes les grandes religions.


"Le droit politique nouveau qui apparaît avec l'institution de l'Eglise est la liberté d'enseignement... C'est cette liberté d'enseignement que l'Etat médiéval a voulu établir - en reprenant le leg des écoles philosophiques antiques. Ainsi pour les universités qui apparaissent peu à peu à partir du XIè siècle, et dont le grade par excellence est la licentia ubique docenti, la liberté d'enseigner en tout lieu."
JURANVILLE, 2015, LCEDL 

DROIT CANON, Eglise, Etat, Egalité

Le Droit canon est le moyen, pour l'institution de l'Eglise, d'affirmer son principe d'égalité entre tous les hommes, conformément à la célèbre proclamation de saint Paul : "Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car tous vous êtes un en Jésus Christ" (Galates, 3, 28). Il n'abolit certes pas les différences voire les hiérarchies constitutives de l'humain, selon ses principes, mais au moins il s'assigne comme but de réaliser le bien commun. Dans cette optique, le droit matrimonial apparaît comme central car c'est avec la famille et la consommation du mariage (union des deux sexes dans la procréation) que se soude le lien social, dans le respect toutefois de la personne individuelle et du libre consentement (abandon de la répudiation et de la polygamie). L'autorité de l'Eglise s'affiche indépendamment du pouvoir de l'Etat (conformément à la célèbre parole des Evangiles "rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est Dieu"), sur lequel elle entend exercer un contrôle moral, contrairement à ce qui existait à Rome où cette autorité émanait, de façon immanente à l'Etat, de la voix des ancêtres. L'institution de l'Eglise avait promu, d'abord pour elle-même, la liberté d'enseignement ; mais faute de perspective philosophico-scientifique unifiée ou vraiment universelle, les savoirs se contentent d'épouser les différents discours sociaux qui se déclinent typiquement, au Moyen-Age, comme autant d'"ordres" (clergé, noblesse, tiers-état) contredisant le concept même d'"Etat" (que la Royauté centralisée et surtout la République rétabliront).


"Tel est le propre de l'Etat médiéval comme Etat des états, où l'Etat n'est qu'un état parmi d'autres, où un état, celui de la noblesse, détient le pouvoir d'Etat, tandis qu'un autre, celui du clergé, veut exercer son autorité sur l'Etat."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

SUBSTANCE, Sens, Doute, Individu, DESCARTES, LACAN

Pas de vrai savoir du sens sans épreuve du non-sens, lequel apparaît à l'existant dans le monde, comme savoir ordinaire de ce monde. Le doute permet de circonscrire ce non-sens en affirmant, comme avec Descartes, l'existence individuelle. Elle s'exprime dans le langage par la proposition, et par le jugement catégorique (chez Kant) ; son concept (ou sa catégorie, toujours chez Kant) est alors celui de substance. Chez Descartes, c'est la substance pensante, finie en l'homme mais infinie en Dieu. Chez Lacan on retrouvera le noeud des trois substances : pensante ou imaginaire (le sens), étendue ou symbolique (l'articulation signifiante), jouissante ou réelle (le signifiant dans son absolu).


"Le savoir du sens en tant qu'il est toujours déjà illusoire, doit être reconstitué comme vrai par chacun, dans l'épreuve du non-sens. Le sens illusoire que l'homme met en question (en doute) comme individu, est celui de l'ordinaire monde sacrificiel ; et le sens vrai qu'il reconstitue est celui du monde juste où chacun reçoit toutes les conditions pour devenir individu. Doute hyperbolique en tant que, d'un côté, il forge l'hypothèse du Malin génie et que, de l'autre, il lui oppose son refus par la proclamation souveraine 'Je suis, j'existe'. Par le doute, l'homme se refuse à la loi de la jouissance ; le savoir nouveau alors dégagé dans sa possibilité pourra avoir de l'objectivité."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

DOUTE, Malin génie, Illusion, Grâce, DESCARTES

Si le doute méthodique conduisait Descartes jusqu'à l'évidence, apparemment indépassable, des vérités mathématiques, le doute hyperbolique remet en cause - provisoirement, avec l'hypothèse du Malin Génie - le primat de la raison au profit de la seule pensée, la pensée la plus pure et la plus libre, potentiellement la plus folle, mais aussi grosse d'une rationalité future, conduisant au savoir vrai. Car la pensée du Malin Génie, pur non-sens en elle-même, fait surgir la grâce chez celui qui la conçoit (un peu comme Socrate affirmant ne rien savoir, mais plus radicalement) : il se place en retrait, quasiment en position de déchet, pour mieux dévoiler la fausseté du "malin" qui croit pouvoir l'illusionner et le manipuler, ce que la psychanalyse appelle le Surmoi, symbole de tous les maitres et faux dieux prétendant régner sur les esprits et sur le monde.


"Evénement capital qu'est avec Descartes l'affirmation du doute - laquelle n'est autre que la proclamation d'un savoir philosophique nouveau, entièrement rationnel. "Chemin du doute" (Hegel) qui n'est autre que le chemin (la mét-hode, de hodos chemin, voie) de la science... Ce doute est quelque chose d'essentiel dans quoi on se replie par liberté, contre le savoir ordinaire dénoncé dans sa fausseté. Mais aussi doute fou, puisque, par lui, on dénonce l'objectivité reconnue de tous. Le Malin Génie est le Dieu qu'envisage le fou dans sa psychose pathologique. Or, si l'affirmation cartésienne du doute fait rupture, c'est par la grâce qu'elle implique. Car Descartes, avec son doute hyperbolique, se met, par rapport au Dieu trompeur ou Malin Génie, dans la position du déchet."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

DOUTE, Cause, Désir, Savoir, DESCARTES

C'est avec le doute radical que l'on passe d’un savoir cosmologique potentiel, tourné vers la substance, à un savoir réel centré sur la cause, où Dieu est reconnu comme cause première. L'enjeu étant que ce savoir réel trouve son principe, il faut une preuve de l’existence de Dieu. Or cette preuve ne peut plus être l’argument ontologique, purement formel : elle doit être la première (puis la seconde) preuve par les effets, dans une démarche incluant le doute, mais au-delà de sa simple dimension de refus, comme désir : « Comment serait-il possible que je puisse connaître que je doute et que je désire — c’est-à-dire qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas parfait — si je n’avais en moi aucune idée d’un être plus parfait que le mien ? » (Troisième Méditation, §23). La cause est l’identité originaire à partir de quoi tout ce qui existe pour nous a commencé d’exister. La cause véritable est donc créatrice — en dernier ressort, c’est toujours Dieu lui-même. Chez Descartes, c’est encore l’idée de Dieu en moi, grâce divine, qui déploie le savoir par la libre volonté, à travers les contradictions de la finitude humaine. De ce mouvement naît un nouveau savoir, reconstruit dans sa réalité et doté d’objectivité. Cette objectivité s’exprime dans le langage — non plus pris comme simple proposition, mais comme articulation de propositions. Cela correspond, chez Kant, au jugement hypothétique parmi les jugements de relation, et à la catégorie de la cause. Quant au savoir philosophique qui en résulte, dégagé dans sa nécessité, il possède encore sa propre objectivité, que manifeste le langage pris cette fois comme système de toutes les propositions : un système où, d’une part, toutes les propositions sont produites par un même principe, et où, d’autre part, chacune peut devenir principe pour toutes les autres. Cela correspond, chez Kant, au jugement disjonctif et à la catégorie de la communauté. La communauté véritable est ainsi fondamentalement religieuse : elle est ordonnée par la loi du vrai Dieu, cause première, grâce à laquelle les êtres finis accèdent à leur autonomie de substances individuelles.


"Au-delà de son phénomène, comme refus, Descartes établit le doute dans sa vérité, comme désir. Désir qui se rapporte à l'Autre comme tel, et comme l'Autre est ouverture pure à son Autre, désir qui vise par là à s'approprier le manque en l'Autre, son manque heureux... Il faut affirmer le doute dans son essence, comme indifférence. Elle est négation et en même temps désir. Négation du désir ordinaire et faux qui demande à être comblé, et place laissée au désir vrai qui vise à être creusé... Cependant, l’homme, être radicalement fini, rejette d’abord ce désir. Il réduit l’Autre, qui le suscite, à un objet censé être plénitude — un fétiche capable, croit-il, de le combler. Pourtant, le véritable accomplissement du désir n’est possible que si l’homme assume ce rejet et transforme l’objet-fétiche en objet-déchet, c’est-à-dire en signe de sa propre finitude."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

DEMOCRATIE, Individu, Représentation, Parlementarisme

Le peuple n'est pas cette masse indivise que les nationalismes ou les collectivismes se plaisent à mythifier. Il est bien un ensemble d'individus qui se soumettent librement, et qui parfois se consacrent activement à la volonté générale, représentée concrètement par une majorité élue. Ceci dans le cadre d'un Etat respectant la séparation des pouvoirs, afin d'éviter que l'individu ne risque de devenir victime d'un pouvoir absolu. C'est donc parce qu'elle se fonde sur l'individu que la démocratie véritable se veut représentative et qu'elle s'accomplit comme démocratie parlementaire : la voix de chacun valant théoriquement celle de quiconque dans le débat public, mais ne valant politiquement et pratiquement qu'en tant qu'elle est représentée.


"De là le fait que la démocratie est, dans sa vérité, démocratie représentative. Une telle démocratie n'est pas un pis-aller imposé par l'impossibilité de rassembler régulièrement tous les membres de la cité. De là aussi le fait que la démocratie représentative est, dans sa réalité, démocratie parlementaire. Ce n'est pas quelque chose fondé sur le seul libéralisme, le fondement décisif du système parlementaire réside dans la démocratie bien comprise et la place qu'elle assure à l'individu. Car la séparation ou division des pouvoirs trouve son sens dans l'individu qui doit pouvoir advenir librement, hors de toute soumission à un pouvoir écrasant. Et le Parlement est lieu de discussion publique, certes, et même d'opposition pour des vérités relatives entre lesquelles s'établiront des compromis."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DEMOCRATIE, Individualisme, Cosmopolitisme, Judaïsme

L'individualisme a remplacé l'égalitarisme prolétarien, mais il repose sur une illusion : croire que la grâce reçue suffit, sans travail personnel visant à accepter sa finitude, sans reconnaissance de l'Autre absolu en soi, ce qui rend vaine toute perspective d'autonomie véritable. Contre tout individualisme apolitique, la démocratie véritable introduit le pluralisme (à travers la représentation) qui doit s'ouvrir au cosmopolitisme et non se refermer en particularisme. Bien sûr le particularisme juif peut sembler une exception, mais c'est parce qu'il a été de fait rejeté, alors qu'il sert en réalité de modèle pour les autres peuples, pour avoir justement introduit l'exigence de la grâce et de l'élection. La véritable universalité, illustrée par le messianisme juif, naît du particularisme mais s'accomplit dans la démocratie vers un cosmopolitisme accueillant toutes les particularités.


"L'évidence (égalitaire) du prolétariat, l'idée que certes n'ont pas reçu les conditions ou en ont été privés alors que d'autres en regorgent, la recherche à ce propos d'un coupable, la certitude (païenne) qu'il y ou que c'est le "système", tout cela est aujourd'hui, après l'Holocauste et l'affirmation de l'inconscient, inacceptable. Certes il y a et il y aura toujours des luttes sociales à mener pour que certaines conditions soient données ou redonnées à tous. Mais chacun est, dans le monde actuel, renvoyé à sa responsabilité d'individu, qui a à ne pas céder à l'envie et à la haine contre l'"élu" (alors qu'il l'est lui aussi, s'il le veut, l'élu !). Mais la falsification sociale traditionnelle toujours présente de la grâce se manifeste, avec la fin de l'évidence du prolétariat par la venue au jour de l'individualisme. On n'y considère plus qu'on n'a pas reçu la grâce. Mais on s'arrête à celle qu'on a reçue, avec l'illusion qu'on n'a rien à faire de plus. On est devenu, par la grâce, principe et origine. Mais on ne veut pas voir qu'on ne l'est réellement, effectivement, que dans la mesure où l'on fait un travail, où l'on entre dans l'épreuve de la ladite finitude et où l'on découvre en soi l'Autre absolu, seul absolument principe et sans lequel on n'est pas soi-même principe. L'individu individualiste n'est pas l'individu véritable."
JURANVILLE, 2015, LCEDL