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CONSCIENCE, Intersubjectivité, Finitude, Autre, HUSSERL

Husserl attribue - légitimement -  au sujet une "conscience constituante" créatrice de sens et capable de reconstruire le savoir, à condition de dépasser l'attitude naturelle par la réduction phénoménologique. Or cette capacité suppose a minima une foi en la raison, héritée de la philosophie grecque. Mais il est illusoire, pour la conscience, de prétendre dépasser la finitude radicale sur la foi de l'intersubjectivité raisonnable - altérité fausse. S'impose, au coeur même de la conscience, la présence d'un Autre absolu capable d'instiller une "conscience de la rupture de la conscience" (Levinas), ce qui ouvre alors la voie vers l'inconscient - altérité vraie.


"Et cependant Husserl se leurre quant à la possibilité pour la conscience, à partir de cette foi, d'échapper à la finitude radicale. Plus généralement il se leurre quant à la science phénoménologique que pourrait constituer cette conscience en se faisant confirmer par l'intersubjectivité. Comme si l'intersubjectivité, le rapport à l'autre homme comme alter ego, n'était pas une altérité fausse. Il se leurre avec son idée d'une surconscience sans inconscient, puisque l'Autre vrai alors manqué par la conscience est l'inconscient même, et puisque l'inconscient est ce que la philosophie, comme, selon Lévinas, "conscience de la rupture de la conscience", eût dû proclamer."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

CHRISTIANISME, Péché, Philosophie, Sacrifice

La philosophie antique a bien valorisé l'individu et légitimé son droit à la connaissance, à la jouissance et au bonheur, elle a bien fait progresser l'idée de justice, mais elle n'a pas pu empêcher l'effondrement du monde antique, car elle n'a pas affronté ni même identifié le mal à sa racine : le fait qu'un homme puisse, contrairement à ce qu'énonçait Socrate, "être méchant volontairement", autrement dit vouloir le mal pour le mal. C'est bien ce qui a rendu indispensable le christianisme, et inévitable sa victoire historique contre le système sacrificiel - pour lequel l'individu ne compte pas, saut à être exclu de la communauté. Or pas plus individuellement que collectivement, contrairement encore à ce que postule la philosophie, l'homme ne peut se sauver lui-même : comment s'ouvrir absolument à l'Autre si un tel Autre absolu n'intervient pas directement dans l'histoire, montrant "personnellement" la voie de l'Amour contraire à celle du sacrifice ? Comment le refus de l'existence (pulsion de mort), de l'altérité, pourrait il être surmonté sans la Grâce divine qui est altérité en acte par le don de soi ?


"Le monde antique ne peut que s’effondrer quand est absolument mis en question, par l’avènement du christianisme, ce qui, dans ce monde, empêchait la philosophie d'accomplir son acte : l'entraînement toujours évident du peuple dans la violence sacrificielle, dans ce qui est, pour nous, la constitutivement humaine volonté du mal pour le mal. Car l'évènement du christianisme fait qu'est dénoncée comme péché la vie de jouissance plus ou moins raffinée - mais toujours entraînée dans la violence sacrificielle - dans laquelle s'abîmait l'empire romain. Une telle dénonciation résulte de ce que l'absolu est intervenu dans le monde. Non pas, au sens de Hegel où il y serait toujours déjà présent et y prendrait simplement conscience de soi. Mais au sens de Kierkegaard où il y serait venu pour changer imprévisiblement quelque chose du côté des humains. Au-delà de toute la téléologie que proclame la philosophie traditionnelle de Platon à Hegel, le péché est, comme l'a bien vu saint Augustin, volonté du mal pour le mal. Et en même temps il est, par la grâce de Dieu, sans cesse racheté et ramené vers le bien. Le christianisme a vaincu quand il eut été avéré que la philosophie par elle-même ne pouvait pas faire accepter de tous, du peuple, la justice qu'elle avait voulu introduire. Le christianisme qui combat la violence sacrificielle dont le sujet individuel est la victime désignée. Car le péché de l'homme est ce que nous avons appelé sa finitude radicale, son primordial refus de l'existence, c'est-à-dire de l'ouverture à l'Autre en tant que c'est de cet Autre qu'il recevrait son identité vraie."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

MORT, Jugement dernier, Pulsion de mort, Résurrection, SAINT AUGUSTIN

Dans La Cité de Dieu, Saint Augustin aborde le Jugement dernier où chacun sera jugé sur ses œuvres. Le Christ revenu séparera alors les justes des méchants, établissant les premiers dans la résurrection de l'esprit et de la chair, dans la béatitude éternelle. Les méchants, quant à eux, seront condamnés à ce qu'Augustin appelle (après l'apôtre Jean) la "seconde mort", infiniment pire que la première : « là, les hommes ne seront plus avant la mort ni après la mort, mais toujours dans la mort, et ainsi jamais vivants, jamais morts, mais mourants sans fin » et « il n'y aura pour l'homme rien de pis que lorsque la mort elle-même sera sans mort ». Ce châtiment éternel où l'âme et le corps seront éternellement unis dans la souffrance correspond à ce que la psychanalyse appelle la "pulsion de mort", tourment ordinaire de celui qui s'éloigne de la pulsion de vie, qui refuse "l'ouverture existante et aimante à l'Autre" (Juranville).


"Seconde mort qui est pour nous enfermement dans cette pulsion de mort qui fait l'enfer quotidien de l'homme pécheur, mais qui peut toujours être reprise (et alors on y échappe) dans la pulsion de vie et l'ouverture existante et aimante à l'Autre."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CHRIST, Péché, Grâce, Fils

Le péché, haine de Dieu (ou de l'infini), fait tellement souffrir l'existant que celui-ci déplace cette haine et cette souffrance sur la victime expiatoire : ainsi fonctionne le système sacrificiel, que vient justement remettre en cause le Christ, par son sacrifice, en endurant la souffrance mais surtout en ressuscitant d'entre les morts. Car l'affirmation socratique de l'idée, même si elle rompt formellement avec ce système, ne suffit pas à faire accepter pour tous une justice où chaque individu puisse être reconnu dans son identité à la fois citoyenne et personnelle. Et la dénonciation de l'injustice par l'existant ne peut se faire sans emporter quelque désir de vengeance, et donc reconduire l'injustice ; seul le Christ, totalement en dehors du péché de l'homme, le peut. En outre seul le Fils de Dieu, comme personne égale au Père, échappe à l'idolâtrie qui caractérise l'homme-enfant supposé victime de la "scène primitive" (Freud) : cette vision hallucinée de la sexualité (complémentarité) parentale (élargie au cosmos, et au social) qui est au fondement de toute religiosité païenne. Le philosophe tend à réduire le mal à la "faute", entendue comme faiblesse, ou ignorance ; il ne veut pas admettre (il ne le peut pas) que le péché est constitutif de son esprit, de sa (mauvaise) volonté, nullement de sa "nature" ; seul le dieu, exempt de péché, peut le lui révéler. C'est aussi la raison pour laquelle seul Dieu peut pardonner vraiment aux hommes, effaçant leurs péchés, en leur accordant positivement sa grâce : non pas la grâce que Socrate concède au disciple en le supposant raisonnable, mais la grâce divine qui rétablit le bien chez tous les hommes (le Christ s'adresse au sujet social, effectivement pêcheur). Le Christ communique non seulement la grâce, mais aussi l'élection, car il s'agit, pour les apôtres et les croyants d'enseigner et d'accomplir la Loi (l'Amour du prochain), de devenir comme il est dit dans la Bible "le sel de la terre".


""Il faut, dit fermement Kierkegaard, une révélation venant de Dieu pour éclairer l'homme sur la nature du péché et lui montrer qu'il ne réside pas dans le fait pour lui de ne pas avoir compris le juste, mais dans le fait qu'il ne veut pas le comprendre ni s'y conformer" dit Kierkegaard. Or cette affirmation par le Christ du péché fait rupture du fait de la grâce qu'elle implique. Grâce dispensée non plus, comme avec Socrate, au sujet individuel, mais au sujet social ,expressément pêcheur. Grâce qui n'est plus rencontre, mais pardon. Car, le Christ, dans son Sacrifice, se fait librement déchet, et même déchet social. Librement puisqu'en même temps il s'affirme Dieu, Dieu comme Fils, à la fois fils de Dieu et fils de l'homme. Le pardon rétablit dans sa vérité et consistance d'Autre celui qui s'était complu dans la finitude et avait refusé d'assumer cette finitude. Or être l'Autre qui pardonne, même si c'est en soi toujours possible à Dieu, est impossible à l'homme, devant certains crimes abominables, de l'ordre de la violence sacrificielle, qui se commettent contre lui ou contre les siens. Le Christ (…) introduit une rupture (…) qui va jusqu'au savoir. Et l'élection qui (…) est offerte au sujet social, au peuple, apparaît maintenant comme jugement. Le Christ en effet, dans son sacrifice (…) manifeste une élection, celle qu'il a reçue du Père et au nom de laquelle il dénonce la loi ordinaire, sacrificielle, du monde social ; il dirige expressément vers l'objectivité absolue, celle de la Loi vraie par excellence. Le Christ affirme - et c'est fondamental - qu'il n'est pas venu abroger la loi mais l'accomplir. Paul : "toute la loi tient, dans sa plénitude, en une seule parole : Tu aimeras ton Prochain comme toi-même". Cette élection est, comme la grâce, communiquée par le Christ à tout homme, même s'il sait qu'elle va être d'abord rejetée (ou faussée), par la plupart. C'est ce que montre son enseignement, formulé avec (…) une autorité propre (d'élu véritable), et non pas de délégué."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Mal, Paganisme, Sacrifice

Si le capitalisme participe du paganisme en général comme machine à produire des idoles, il s'y oppose par ailleurs en reconnaissant le mal qu'il produit ; il ne vise pas à purifier la société de tout mal, comme le fait le paganisme ancien, en le repoussant sur la victime expiatoire. Il veut simplement la fin de la guerre et de la violence sacrificielle contre les individus.


"L'institution du capitalisme s'élève contre la guerre en général, au-delà de toutes les justifications qu'on a pu en donner. Et elle déclare l'ère de la guerre terminée. Cela parce qu'elle s'oppose au paganisme brut comme système sacrificiel. Lequel rejette le mal (la finitude radicale, la pulsion de mort, le péché) sur la victime devenue bouc émissaire pour assurer la "perfection du groupe social", sa "participation au bien", au vrai, au réel. Rejet violent du mal, qui est lui-même le mal."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Travail, Plus-value, Jouissance, MARX, LACAN

Le vrai principe de la valeur réside bien dans le travail et non dans la marchandise fétichisée, comme l'a bien vu Marx, mais il n'est pas non plus dans la plus-value soi-disant extorquée au travailleur par le capitaliste. En interprétant celle-ci comme "plus-de-jouir", Lacan souligne la complicité du travailleur pris dans la même jouissance que le maître, le même fétichisme du capital, à qui finalement il ne fait que rendre la dime de ce plus-de-jouir.


"La lucidité de Marx c'est de bien voir le conflit existentiel majeur alors présent (entre le capitaliste et le travailleur). L'aveuglement de Marx, c'est de croire que la plus-value serait extorquée au travailleur comme sa puissance active et créatrice. Alors que la plus-value est puissance de mort, à l'avance extorquable, n'est nullement personnelle (Lacan note le consentement fondamental à cette extorsion au profit de l'idole). La lucidité de Lacan, c'est d'avoir montré ce qui est au fond de la plus-value, ce qu'il appelle le plus-de-jouir - l'objet 'a' comme trace d'une mythique jouissance absolue hors finitude radicale : l'esclave (le travailleur) reste pris dans cette jouissance, devrait au maître (au capitaliste) la dîme de ce plus-de-jouir."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Religion, Discours, Paganisme, WEBER

C'est en tant qu'être fondamentalement religieux, donc païen à la racine, que le sujet social actuel adopte le système capitaliste. Mais s'il représente un paganisme minimal, épuré de toute croyance, le capitalisme requiert aussi toutes les grandes religions, sans quoi il ne pourrait pas assumer ce fond de péché qu'enseignent précisément ces religions ; corrélativement il requiert d'être accepté par celles-ci, au moins implicitement, et par les grands discours sociaux auxquels elles correspondent. En effet les trois religions révélées (judaïsme, christianisme, islam) correspondent respectivement aux discours du clerc, de individu, et du peuple, tandis que le bouddhisme comme principale religion instituée est lié au discours du maître. Quant aux trois autres religions asiatiques instituées - confucianisme, taoïsme, hindouisme - elles font écho, respectivement, aux trois religions occidentales révélées.


"Si, comme le souligne Weber, ces religions [asiatiques] n'ont pas porté initialement le capitalisme, elles sont parfaitement capables de l'accueillir et de se l'approprier, ce que Weber doit lui-même reconnaître. Et cela, d'une part, parce qu'elles fixent le non-sens fondamental sous le nom de vide, de nirvana (Freud y a relié sa pulsion de mort) — malgré l'attachement taoïste au « jardin enchanté » que serait le monde. Et, d'autre part, parce qu'elles donnent la plus grande place au maître, et précisément, sous sa figure religieuse, au saint. Ces religions ne relèveraient pas d'une « prophétie de mission » (agir dans le monde) comme les religions révélées, mais d'une « prophétie exemplaire », où les prophètes s'offrent comme exemples et modèles. Le capitalisme apparaît donc bien comme le paganisme minimal, dévoilé dans son fond de péché - ce dont le paganisme brut ne voulait certes rien savoir."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DEMOCRATIE, Capitalisme, Religion, Paganisme

La démocratie véritable, représentative, parlementaire, ne peut finalement se justifier qu'en se réclamant des grandes religions, contre ses propres déviations totalitaires et contre le paganisme brut, faussement religieux, baignant le monde capitaliste. C'est pourtant en assumant le capitalisme comme forme terminale et minimale du paganisme que l'homme actuel assume sa finitude, et peut s'installer dans cette autonomie qu'il détient de l'Autre absolu (celui des grandes religions révélées ou instituées) à travers l'élection.


"L'universel vrai surgissant comme Autre absolu, il ne peut être reconstitué par l'homme que dans la mesure où, élu de cet Autre vrai, il assume le primordial refus qu'il lui oppose et qui se manifeste par la fabrication d'un Autre absolu faux (idole, Surmoi)."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Finitude, Droit, Individu

Concernant la finitude radicale et les maux qu'elle engendre, la faute ultime consiste à la nier plutôt que de l'assumer sous sa forme minimale - car la finitude étant inéliminable, ses conséquences néfastes n'en seront alors qu'aggravées. Ainsi du capitalisme, qui n'est pas un bien mais effectivement un mal (une forme de système sacrificiel avec ses idoles), sauf qu'en même temps, il reste la seule institution reconnaissant par principe la place de l'individu comme tel et offrant les conditions de son autonomie effective (libertés de propriété, de travail, d'entreprise, etc. encadrées par le droit).


"Le capitalisme étant l'organisation économique par laquelle il faut passer comme hétéronomie pour accéder à la véritable autonomie... C'est l'institution décisive, ultime, pour la justice que veut la philosophie : assumer, pour et dans la justice, l'injustice inéliminable des hommes, leur soumission complaisante, toujours, à l'idole ; l'assumer sous sa forme minimale - sous une forme telle que, si on veut la combattre, l'injustice reviendra, et alors sous une forme extrême."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Mondialisation, Monde, Altérité

Quand l'univers devient monde - totalité et altérité - par le jeu de la mondialisation capitaliste, on peut avoir le sentiment, au prime abord, d'une explosion des injustices et des inégalités, d'une prostitution générale de la Valeur, d'un rabaissement de l'altérité sur l'uniformité. Surtout lorsque le capitalisme se présente lui-même, dans son discours, comme le plus grand Bien possible, oubliant qu'il n'est au mieux qu'un moindre mal, soit la continuation sous des formes à peu près acceptables du paganisme ancien. Et pourtant, ce qu'il faut retenir du "monde actuel", mondialisé, c'est bien la grâce dispensée par lui à tous ces mondes qui, issus du paganisme, accueillant ou refusant parfois la mondialisation, sont pourtant reconnus par lui dans leur altérité vraie.


"Mondialisation : quand l'univers s'accomplit en monde et que l'altérité de chacun est acceptée et recueillie. Grâce paradoxale du matérialisme du monde actuel. (...) Le monde actuel s'efface comme vérité en assumant l'ordinaire matérialisme comme sien ; et, porté qu'il est quand même, ce faisant, par sa vérité essentielle, il reconnaît quand même, aux mondes qui se donnaient par leur paganisme brut, la possibilité d'une vérité spirituelle pure. Grâce dispensée à tous ces mondes."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Concurrence, Valeur, Travail

Le risque n'est pas tant la concurrence (certes encadrée par le droit du travail et le droit du commerce), fixant la valeur d'échange à partir du moindre coût de revient, que la tentation de se détourner de la concurrence pour se replier sur l'illusoire valeur d'usage. Négation de la finitude radicale et refus de l'assumer socialement de manière acceptable. Ce qui est à craindre, c'est que le "plus-de-jouir communautaire" (produisant des victimes sacrificielles) engendré par le communisme (refusant la concurrence) autant que par le capitalisme dérégulé (refusant le droit) prenne le pas sur la volonté de concurrence valorisant le travail et l'individu à travers le travail.


"Le droit au travail ne peut rester lui-même que si, lui qui limite le capitalisme, il ouvre à la concurrence la plus libre. Il y a concurrence là où il s'agit de s'affronter à la pulsion de mort non reconnue comme telle et de la capitaliser peu à peu (au lieu de se disperser dans la jouissance et la consommation), jusqu'à produire la marchandise. Entrer dans la concurrence, c'est ne pas en rester à la jouissance immédiate, c'est ne pas rester hors concours, hors jeu, c'est concourir, entrer dans le jeu social où l'on perd toujours (en jouissance immédiate) et où l'on gagne toujours (en honneur, en dignité, en valeur)... D'un côté on veut un capitalisme sans limitation par le droit. De l'autre, on veut, par la révolution communiste, abolir le capitalisme. Dans les deux cas, régression vers le paganisme brut et sa communauté qui broie l'individu : on ne veut pas voir ce qui fait la vérité du capitalisme, d'être la forme acceptable de la finitude radicale telle qu'elle se manifeste socialement, d'être ce qu'il y a d'inéliminable et en même temps d'assumable dans le paganisme."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

BEAU, Grâce, Absolu, Finitude

Le beau est l'essence même de la grâce, et l'instrument de la véritable libération. En effet la beauté représente l'absolu qui se manifeste dans le réel, révélant à l'homme une finitude qu'il suppose - à travers l'émotion esthétique - partagée par tous.


"Le beau est, aux yeux de tous, l'absolu surgissant dans le réel, ce qui révèle à l'homme sa finitude et, la portant lui-même, suppose les hommes à même de la porter à leur tour. La philosophie qui reprend l'affirmation de l'inconscient se donne à nouveau comme perspective la justification objective du beau."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

AUTRE, Mère, Sexualité, Oeuvre, LEVINAS

La relation à l’Autre, à travers les perspectives de Levinas, commence par la figure de la femme-mère, qui, en établissant la demeure, introduit l’espace où la loi paternelle est transmise ; ce processus substitue métaphoriquement le père à la mère comme essentiel, passant du corps au verbe. Cependant, l’Autre reste souvent réduit à un objet de pulsion, ce que Levinas ne reconnaît pas vraiment dans sa vision de la sexualité, qu’il inscrit dans un mouvement vers l’enfant et l’amour, où l'ego renonce à soi. Pour Levinas, le féminin attire le masculin vers une "transsubstantiation" par le plaisir corporel. En contraste, la psychanalyse met en avant la pulsion de mort (c'est sa version du "péché originel"), réduisant l’Autre à un objet (l’objet 'a'), une tendance qui se déploierait en système social sacrificiel si elle n'était pas contenue dans des formes éthiquement et politiquement acceptables. D'objet l'Autre peut être recréé comme essentiel via l'oeuvre (notamment le savoir), puisqu'elle s'effectue toujours depuis l'Autre et requiert la reconnaissance de tout Autre.


"Travailler à cette œuvre, c'est en effet faire exister pour soi la place de l'Autre au jugement duquel l'œuvre en progrès est sans cesse offerte, et du point de vue duquel est elle, en cela, peu à peu produite... C'est ce que fait implicitement la psychanalyse avec ceci qu'elle ouvre et réouvre au patient l'espace d"une telle œuvre... Et c'est ce que fait explicitement la philosophie en préparant l'institution du monde juste dans lequel chacun aura l'espace où, par l'œuvre, il peut devenir individu - et Autre vrai."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

AUTRE, Prochain, Responsabilité, Absolu, LEVINAS

La relation à l'Autre comme Prochain, ou proximité, est présentée par Levinas comme identification signifiante et plus précisément métaphorique : il s'agit de se substituer à l'Autre dans la responsabilité de ses fautes et de son malheur. Dans cette relation Autrui est l'absolument Autre, sur le modèle de la relation entre la mère et l'enfant (comme don et demande d'amour, respectivement, illimités), où chacun est bien l'Absolu pour l'autre. Mais cette responsabilité devant l'Autre en général, au-delà de la mère, l'homme la refuse ordinairement préférant adorer quelque Absolu faux (fabriqué à dessein par la société) ; se détournant du visage signifiant du Prochain, il se détourne en même temps de la loi de Dieu. Ce rejet de l'altérité essentielle, et surtout le refus des responsabilités qu'elle implique, représente le péché de l'homme selon Levinas. L'homme recule devant la séparation, qu'il a pourtant reçue de l'Autre, et il préfère déconsidérer son Prochain plutôt que d'y reconnaître l'Autre absolu vrai et surtout d'être confronté à sa loi.


"C'est ce que Levinas développe dans Totalité et infini, où il s'agit pour l'existant (et il peut toujours ne pas le faire) d'accueillir l'Autre qui surgit et qui met en question sa clôture sur soi, son "athéisme", sa séparation en tant que, l'ayant reçue de l'Autre, il a tenté de se renfermer en elle sans plus rien sentir de l'absence de l'Autre. Autre qu'il doit l'accueillir comme visage qui s'exprime, qui parle, qui signifie la loi - et d'abord de ne pas tuer. Autre qu'on ne porte plus dans ses entrailles, mais qu'on accueille dans un face-à-face. L'accueil de cet Autre introduirait, contre le système social sacrificiel, la justice."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

AUTONOMIE, Droit, Non-sens, Fin de l'Histoire

Le monde juste de la fin de l'histoire n'est pas le paradis sur terre : c'est le monde où l'homme imparfait assume sa finitude et surtout ses contradictions, comme le fait que des institutions justes n'empêchent en rien la continuation de la violence, des injustices et du non-sens. Le droit n'est que le savoir pratique de la finitude, pas son abolition ; il dit juste ce qu'il faut faire avec, et comment limiter au mieux l'injustice. Le paganisme n'ignore par les règles qu'il fait proliférer sous la forme de tabous, il rejette avant tout l'autonomie des individus, pilier incontournable du droit. Mais l'autonomie n'est pas un acquis définitif, elle est remise en question et création de sens à partir du non-sens - il n'y a donc pas lieu de déplorer la supposée "perte du sens" dans la société de la fin de l'histoire. C'est bien plutôt la forclusion de tout non-sens, l'oubli de la finitude en général, qui conduit à la pire des tyrannies, celle d'une fausse autonomie purement abstraite revendiquée au double titre d'un droit de jouissance et d'un devoir de transparence.


"Mais l'autonomie véritable, créatrice, est toujours d'abord rejetée par l'existant comme une possibilité insupportable. Et, plutôt que de donner sens au non-sens constitutif, il préfère alors s'abîmer dans le non-sens, quitte à le parer plus ou moins d'un sens illusoire. Ce qui prend une portée particulièrement significative dans le monde actuel où à la fois l'autonomie créatrice est proclamée socialement et où en même temps le non-sens constitutif est posé comme tel. Et le même rejet de l'autonomie créatrice possible, et donc le même engouffrement dans le non-sens, se retrouverait aujourd'hui chez ceux qui déplorent la perte du sens. Comme si le sens, le vrai, ne devait pas être recréé à partir du non-sens ! Ce mouvement de rejet correspond, dans le monde actuel, à la captation par l'autonomie la plus abstraite - qui se donne comme visée de jouissance qu'aucune autorité n'aurait limité - et qui se manifeste comme exigence de transparence par quoi on s'assure que nulle autorité ne s'exerce, autonomie abstraite qui suppose alors une profonde dépression."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

ART, Poésie, Métaphore, Savoir

La rencontre de l'Autre, en qui réside initialement le sens, ouvre la perspective d'un savoir du sens (ou savoir de l'âme, dirait Kierkegaard) qui, reconstitué, trouve son objectivité dans le langage poétique, domaine de la métaphore. Pris dans sa simple possibilité, ce savoir nouveau s'exprime dans la poésie en tant que langage épique et par la métaphore en tant que substitution ; il trouve sa forme matérielle et sa reconnaissance sociale dans les arts plastiques (liés à l'espace, d'où leur caractère épique selon Rosenzweig). Pris maintenant dans sa corruptibilité (car sa réalité est faite de contradictions), ce savoir s'exprime dans la poésie en tant que langage lyrique et par la métaphore en tant qu'accentuation ; sa forme matérielle et son existence sociale se retrouvent dans la musique (liée au flux du temps). Pris enfin dans sa personnalité, résolvant les conflits, le savoir de l'âme s'exprime dans la poésie en tant que langage dramatique et par la métaphore comme identification ; il affirme son objectivité et son existence sociale dans les arts de la représentation (liés à l'action).


"Si l'art est ce par quoi s'obtient l'accord de tous les individus d'une communauté, la poésie (comme vérité de l'existence) est ce par quoi l'homme fait exister au sens plein du terme, en lui donnant consistance, ce qui apparaît autour de lui. La poésie est "art général", dit Hegel, ce que reprend Rosenzweig. Qui en fait "l'art vivant au sens propre", avant que Heidegger ne proclame que "Tout Art est dans son essence poésie". Par une modalité qui établit la représentation dans sa consistance. Dans une consistance qui est elle-même nécessité."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

AMOUR, Amitié, Démocratie, Politique

La démocratie est à la politique, sur le plan social, ce que l'amitié est à l'amour, sur le plan individuel : à savoir une façon d'assumer la finitude constitutive à laquelle l'homme est confronté dans sa relation avec l'autre. C'est le capitalisme qu'il s'agit d'assumer dans le cadre de la politique, et c'est la sexualité dans le cadre de l'amour.


"L’amour est, quant aux relations individuelles, comme la politique quant aux relations sociales : non pas une relation particulière, mais l'absolutisation ou intensification de toute relation... De même que l'amour, assumant la finitude radicale comme sexualité, laisse place à l'amitié et conduit, au-delà de la passion primordiale, à la vie de l'esprit, de même la politique, assumant cette même finitude comme capitalisme, laisse place à la démocratie."
JURANVILLE, 2015 

ALTERITE, Identité, Existence, Finitude

La pensée philosophique qui ne voit dans l'altérité qu'une composante ontologique de l'identité, qu'un mode transitoire vers la connaissance de soi (comme pour Hegel), manque évidemment l'altérité essentielle requise dans le cadre d'une pensée de l'existence. Car précisément l'existence se définit comme altérité mais aussi comme identité, les deux étant à penser ensemble. Mais à leur tour, les pensées de l'existence qui se contentent de poser un Autre absolu au-delà de l'humain, ou à la limite à l'intérieur de l'humain, en guise d'altérité, sans poser comme telle l'identité vraie qu'elle suppose, passent également à côté de l'altérité essentielle. Contrairement aux pensées traditionnelles de l'identité, ces pensées de l'existence reconnaissent bien la finitude radicale de l'humain, mais elles ne lui offrent aucune solution pour dépasser l'identité ordinaire, la condamnent à une autoflagellation sans fin. Le salut vient de l'identité vraie contenue en l'Autre, d'abord comme Autre absolu, laquelle s'efface comme telle devant son Autre en supposant à celui-ci identité et consistance - ce qui ne contredit nullement la finitude de l'existant, puisque cette identité nouvelle surgit du don imprévisible émanant de l'Autre absolu (c'est la grâce qui lui est accordée), à condition que l'existant la reconstitue par lui-même (c'est l'élection qui lui est destinée), mais à condition d'abord qu'il l'accueille (c'est la foi qui lui est communiquée).


"La vérité impliquée par l'affirmation de l'existence et qu'on doit d'ailleurs s'approprier dans le savoir est celle de l'altérité. Altérité essentielle qui, en même temps qu'elle fait s'effondrer l'identité ordinaire, anticipative, suppose une autre identité, vrai, créatrice. Altérité essentielle qui, par là même, caractérise primordialement l'Autre divin et, à partir de là seulement, mais à partir de là nécessairement, l'Autre humain... Une telle altérité, la philosophie contemporaine ne pourra pas d'abord la penser pleinement, parce qu'il faudrait poser comme telle l'identité vraie qu'elle suppose, et que ce serait d'abord contredire la finitude radicale découverte avec l'altérité... De là le fait que la philosophie contemporaine se contente en général de désigner d'une manière ou d'une autre un Autre absolu au-delà de l'humain et par lequel celui-ci découvrirait sa finitude radicale. Autre qui est carrément Dieu chez Kierjkegaard ou Rosenzweig, mais qui se retrouve aussi comme être, puis Ereignis (événement appropriant) chez Heidegger."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

ABSOLU, Finitude, Objectivité, Péché

L'homme ne peut prétendre, par ses propres moyens, qu'à la connaissance d'une objectivité finie. Mais en assumant sa finitude, sa séparation, en renonçant à "l'illusion du grand Tout mythologique", l'homme se dispose à accueillir le Nouveau, l'Autre divin. Lequel se laisse caractériser aussi bien comme Absolu (puisque surgissant en dehors de toute relation établie) que comme Infini, puisqu'il n'est soumis à aucune limitation, n'étant ni à l'intérieur du monde ni même à sa limite. Dès lors la finitude peut prendre une nouvelle valeur, l'homme plaçant désormais son identité dans sa relation à l'Autre absolu. La faute, le péché consiste précisément à absolutiser l'objectivité finie, à s'en suffire : orgueil, suffisance ordinaire de la créature, bien plus "mortelle" que la simple tentation charnelle. Mais un espace s'ouvre pour l'objectivation du fini, avec la science galiléenne, dès lors qu'elle ne cherche plus à absolutiser l'objet dans la foulée, laissant à la philosophie la tâche de fixer une effective objectivité absolue dans son propre discours.

"La vérité qu'il faut maintenant à l'homme s'approprier dans le savoir est toujours celle de l'objectivité - mais une objectivité que l'homme d'abord et par lui-même ne peut pas atteindre en tant qu'absolue. D'abord et par lui-même il n'accède qu'à une objectivité finie. La vérité que l'homme a, avec l'affirmation du péché, à s'approprier dans le savoir est en effet celle qui est impliquée dans la nature. Dans une nature qui, en l'homme, est corrompue par le péché. Une coupure se trace donc entre l'objectivité imparfaite que l'homme peut atteindre par lui-même, et l'objectivité parfaite qu'il ne peut atteindre que par Dieu, par la grâce de Dieu. Effondrement du finalisme aristotélicien, de la perspective selon laquelle peu à peu, par un progrès continu, sans rupture et de manière prévisible, l'idée se réaliserait. Certes l'idée ultimement se réalisera, et un finalisme "transcendant" pourra être justifié. Or l'objectivité apparaît comme caractérisant d'abord le divin, déterminé maintenant, d'une manière non grecque, comme l'absolu. Et elle est opposée, en tant qu'objectivité absolue, à ce que l'homme, déterminé maintenant, d'une manière là aussi non grecque, par sa finitude, peut par lui-même atteindre d'objectivité, et qui est objectivité finie."
JURANVILLE, 2015, LCEDH