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CHRISTIANISME, Péché, Philosophie, Sacrifice

La philosophie antique a bien valorisé l'individu et légitimé son droit à la connaissance, à la jouissance et au bonheur, elle a bien fait progresser l'idée de justice, mais elle n'a pas pu empêcher l'effondrement du monde antique, car elle n'a pas affronté ni même identifié le mal à sa racine : le fait qu'un homme puisse, contrairement à ce qu'énonçait Socrate, "être méchant volontairement", autrement dit vouloir le mal pour le mal. C'est bien ce qui a rendu indispensable le christianisme, et inévitable sa victoire historique contre le système sacrificiel - pour lequel l'individu ne compte pas, saut à être exclu de la communauté. Or pas plus individuellement que collectivement, contrairement encore à ce que postule la philosophie, l'homme ne peut se sauver lui-même : comment s'ouvrir absolument à l'Autre si un tel Autre absolu n'intervient pas directement dans l'histoire, montrant "personnellement" la voie de l'Amour contraire à celle du sacrifice ? Comment le refus de l'existence (pulsion de mort), de l'altérité, pourrait il être surmonté sans la Grâce divine qui est altérité en acte par le don de soi ?


"Le monde antique ne peut que s’effondrer quand est absolument mis en question, par l’avènement du christianisme, ce qui, dans ce monde, empêchait la philosophie d'accomplir son acte : l'entraînement toujours évident du peuple dans la violence sacrificielle, dans ce qui est, pour nous, la constitutivement humaine volonté du mal pour le mal. Car l'évènement du christianisme fait qu'est dénoncée comme péché la vie de jouissance plus ou moins raffinée - mais toujours entraînée dans la violence sacrificielle - dans laquelle s'abîmait l'empire romain. Une telle dénonciation résulte de ce que l'absolu est intervenu dans le monde. Non pas, au sens de Hegel où il y serait toujours déjà présent et y prendrait simplement conscience de soi. Mais au sens de Kierkegaard où il y serait venu pour changer imprévisiblement quelque chose du côté des humains. Au-delà de toute la téléologie que proclame la philosophie traditionnelle de Platon à Hegel, le péché est, comme l'a bien vu saint Augustin, volonté du mal pour le mal. Et en même temps il est, par la grâce de Dieu, sans cesse racheté et ramené vers le bien. Le christianisme a vaincu quand il eut été avéré que la philosophie par elle-même ne pouvait pas faire accepter de tous, du peuple, la justice qu'elle avait voulu introduire. Le christianisme qui combat la violence sacrificielle dont le sujet individuel est la victime désignée. Car le péché de l'homme est ce que nous avons appelé sa finitude radicale, son primordial refus de l'existence, c'est-à-dire de l'ouverture à l'Autre en tant que c'est de cet Autre qu'il recevrait son identité vraie."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CHRISTIANISME, Négation, Vie, Péché, NIETZSCHE

La critique nietzschéenne du christianisme peut être dite biaisée et insincère, car il l'attaque de biais, à partir d'une interprétation gnostique qu'il sait erronée, selon laquelle le péché reviendrait intégralement à la chair et ses faiblesses. Comme si le péché n'était pas constitutivement volonté du mal pour le mal, et pour cela seulement négation de la vie. Comme s'il ne fallait pas, pour tout homme, affronter ses démons en traversant une Passion similaire à celle du Christ, en remettant en question sa propre existence pour accéder à l'Amour créateur. Nulle négation de la vie, de la créativité, nulle faiblesse comme telle valorisée dans le christianisme.


"Du christianisme il dénonce ainsi entre autres la dualité de l’âme et du corps, ou le corps et donc la vie seraient niés, mais c'est là une interprétation gnostique du christianisme selon laquelle l'âme, d'abord prisonnière du corps, aurait à en être libérée pour connaître la béatitude. Il dénonce la doctrine du péché ou l’âme se laisserait toujours d'abord tenter par le corps, mais Nietzsche sait bien qu'il y a, en l'homme faible ou fort, négateur ou affirmateur de la vie, une volonté du mal pour le mal, une jouissance à la cruauté qui est dans les deux cas, quoi qu'il en dise, une négation de la vie... Nietzsche dénonce aussi bien sûr la doctrine du Jugement dernier qui devient, pour tous les négateurs de la vie, le sommet de la vengeance imaginaire. Tout cela, alors que Nietzsche a reconnu l'inévitable, pour l'affirmateur de la vie, pour le créateur, de traverser une passion comme le Christ par excellence l’a traversée."
JURANVILLE, 2021, UJC

CHRIST, Péché, Grâce, Fils

Le péché, haine de Dieu (ou de l'infini), fait tellement souffrir l'existant que celui-ci déplace cette haine et cette souffrance sur la victime expiatoire : ainsi fonctionne le système sacrificiel, que vient justement remettre en cause le Christ, par son sacrifice, en endurant la souffrance mais surtout en ressuscitant d'entre les morts. Car l'affirmation socratique de l'idée, même si elle rompt formellement avec ce système, ne suffit pas à faire accepter pour tous une justice où chaque individu puisse être reconnu dans son identité à la fois citoyenne et personnelle. Et la dénonciation de l'injustice par l'existant ne peut se faire sans emporter quelque désir de vengeance, et donc reconduire l'injustice ; seul le Christ, totalement en dehors du péché de l'homme, le peut. En outre seul le Fils de Dieu, comme personne égale au Père, échappe à l'idolâtrie qui caractérise l'homme-enfant supposé victime de la "scène primitive" (Freud) : cette vision hallucinée de la sexualité (complémentarité) parentale (élargie au cosmos, et au social) qui est au fondement de toute religiosité païenne. Le philosophe tend à réduire le mal à la "faute", entendue comme faiblesse, ou ignorance ; il ne veut pas admettre (il ne le peut pas) que le péché est constitutif de son esprit, de sa (mauvaise) volonté, nullement de sa "nature" ; seul le dieu, exempt de péché, peut le lui révéler. C'est aussi la raison pour laquelle seul Dieu peut pardonner vraiment aux hommes, effaçant leurs péchés, en leur accordant positivement sa grâce : non pas la grâce que Socrate concède au disciple en le supposant raisonnable, mais la grâce divine qui rétablit le bien chez tous les hommes (le Christ s'adresse au sujet social, effectivement pêcheur). Le Christ communique non seulement la grâce, mais aussi l'élection, car il s'agit, pour les apôtres et les croyants d'enseigner et d'accomplir la Loi (l'Amour du prochain), de devenir comme il est dit dans la Bible "le sel de la terre".


""Il faut, dit fermement Kierkegaard, une révélation venant de Dieu pour éclairer l'homme sur la nature du péché et lui montrer qu'il ne réside pas dans le fait pour lui de ne pas avoir compris le juste, mais dans le fait qu'il ne veut pas le comprendre ni s'y conformer" dit Kierkegaard. Or cette affirmation par le Christ du péché fait rupture du fait de la grâce qu'elle implique. Grâce dispensée non plus, comme avec Socrate, au sujet individuel, mais au sujet social ,expressément pêcheur. Grâce qui n'est plus rencontre, mais pardon. Car, le Christ, dans son Sacrifice, se fait librement déchet, et même déchet social. Librement puisqu'en même temps il s'affirme Dieu, Dieu comme Fils, à la fois fils de Dieu et fils de l'homme. Le pardon rétablit dans sa vérité et consistance d'Autre celui qui s'était complu dans la finitude et avait refusé d'assumer cette finitude. Or être l'Autre qui pardonne, même si c'est en soi toujours possible à Dieu, est impossible à l'homme, devant certains crimes abominables, de l'ordre de la violence sacrificielle, qui se commettent contre lui ou contre les siens. Le Christ (…) introduit une rupture (…) qui va jusqu'au savoir. Et l'élection qui (…) est offerte au sujet social, au peuple, apparaît maintenant comme jugement. Le Christ en effet, dans son sacrifice (…) manifeste une élection, celle qu'il a reçue du Père et au nom de laquelle il dénonce la loi ordinaire, sacrificielle, du monde social ; il dirige expressément vers l'objectivité absolue, celle de la Loi vraie par excellence. Le Christ affirme - et c'est fondamental - qu'il n'est pas venu abroger la loi mais l'accomplir. Paul : "toute la loi tient, dans sa plénitude, en une seule parole : Tu aimeras ton Prochain comme toi-même". Cette élection est, comme la grâce, communiquée par le Christ à tout homme, même s'il sait qu'elle va être d'abord rejetée (ou faussée), par la plupart. C'est ce que montre son enseignement, formulé avec (…) une autorité propre (d'élu véritable), et non pas de délégué."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

BOUDDHISME, Christianisme, Pulsion de mort, Péché, NIETZSCHE

Le bouddhisme est la religion humainement constituée par excellence, par opposition au christianisme, principale religion révélée. Cela n'empêche pas Nietzsche de les rejeter tout uniment, au prétexte que le péché comme le principe de Nirvana seraient des négations de la vie (avec cette nuance que le bouddhisme, supposément athée, épargnerait au fidèle culpabilité et ressentiment, et par ailleurs respecterait le principe de hiérarchie). Or si la pulsion de mort est bien la traduction (freudienne) du péché, elle ne se confond nullement avec le principe de Nirvana synonyme de renoncement : ce dernier, comme sagesse et spiritualité, suppose la pulsion de mort (donc le péché) et la suppose dépassée. Enfin, pas de finitude radicale sans la relation à quelque Autre absolu, donc pas de religion constituée qui ne suppose une révélation et un Dieu.


"Le principe de Nirvana requiert l'acceptation et assomption de la pulsion de mort. De cette pulsion de mort qui est l'ordinaire vouloir-vivre. De cette pulsion de mort qui est au fond rejet de la vraie jouissance (et vie), spirituelle, avec l'Autre ; et qui est arrêt, à partir de là, à une jouissance matérielle, sensible. De cette pulsion de mort qui est péché. Lequel est donc présent dans le bouddhisme. De même qu’y est présent le Dieu sans lequel l'homme n'aurait pas pu s’arracher à son enfermement dans le péché, dans l'ordinaire désir (vouloir-vivre, pulsion de vie), dans la souffrance."
JURANVILLE, 2019, FHER

ANGOISSE, Péché, Liberté, Sens, KIERKEGAARD

Même si elle est la condition du péché, pour Kierkegaard, l'angoisse n'est pas causée directement par le désir et la conscience du péché, mais par la pure possibilité de la liberté, et par l'unicité marquée d'une ignorance radicale. L'alternative du bien et du mal, nullement anticipable, se présente après coup dans le temps réel : le péché consiste à s'enfermer - par choix - dans le non-sens, lequel ne nourrit pas l'angoisse mais au contraire la bouche, de même qu'il compromet la liberté, par soumission au fini et à la sexualité. Le bon choix, à l'inverse, consiste à reconnaître l'angoisse comme liberté qui se fuit, et donc à donner du sens à ce qui n'en a pas : pareil don rapproche la créature du divin.


"Qu’est-ce donc que l’angoisse, pour Kierkegaard ? Elle est « condition préalable du péché » et ne se comprend que par lui. Elle est suscitée dans l’être fini par la liberté. Par la possibilité de la liberté. Par une simple possibilité, qui n’est pas celle, pour Kierkegaard, d’une alternative déterminée entre le bien et le mal. C’est légitimement que Kierkegaard refuse de partir ici d’une telle alternative, parce que ce serait certes maintenir la supposition du savoir et, disons, perdre l’unicité – sans laquelle il n’y a plus d’angoisse. D’où son affirmation que l’angoisse n’a pas d’objet, ou que son objet n’est rien, ou encore est le rien."
JURANVILLE, 2000, ALTER

ABSOLU, Finitude, Objectivité, Péché

L'homme ne peut prétendre, par ses propres moyens, qu'à la connaissance d'une objectivité finie. Mais en assumant sa finitude, sa séparation, en renonçant à "l'illusion du grand Tout mythologique", l'homme se dispose à accueillir le Nouveau, l'Autre divin. Lequel se laisse caractériser aussi bien comme Absolu (puisque surgissant en dehors de toute relation établie) que comme Infini, puisqu'il n'est soumis à aucune limitation, n'étant ni à l'intérieur du monde ni même à sa limite. Dès lors la finitude peut prendre une nouvelle valeur, l'homme plaçant désormais son identité dans sa relation à l'Autre absolu. La faute, le péché consiste précisément à absolutiser l'objectivité finie, à s'en suffire : orgueil, suffisance ordinaire de la créature, bien plus "mortelle" que la simple tentation charnelle. Mais un espace s'ouvre pour l'objectivation du fini, avec la science galiléenne, dès lors qu'elle ne cherche plus à absolutiser l'objet dans la foulée, laissant à la philosophie la tâche de fixer une effective objectivité absolue dans son propre discours.

"La vérité qu'il faut maintenant à l'homme s'approprier dans le savoir est toujours celle de l'objectivité - mais une objectivité que l'homme d'abord et par lui-même ne peut pas atteindre en tant qu'absolue. D'abord et par lui-même il n'accède qu'à une objectivité finie. La vérité que l'homme a, avec l'affirmation du péché, à s'approprier dans le savoir est en effet celle qui est impliquée dans la nature. Dans une nature qui, en l'homme, est corrompue par le péché. Une coupure se trace donc entre l'objectivité imparfaite que l'homme peut atteindre par lui-même, et l'objectivité parfaite qu'il ne peut atteindre que par Dieu, par la grâce de Dieu. Effondrement du finalisme aristotélicien, de la perspective selon laquelle peu à peu, par un progrès continu, sans rupture et de manière prévisible, l'idée se réaliserait. Certes l'idée ultimement se réalisera, et un finalisme "transcendant" pourra être justifié. Or l'objectivité apparaît comme caractérisant d'abord le divin, déterminé maintenant, d'une manière non grecque, comme l'absolu. Et elle est opposée, en tant qu'objectivité absolue, à ce que l'homme, déterminé maintenant, d'une manière là aussi non grecque, par sa finitude, peut par lui-même atteindre d'objectivité, et qui est objectivité finie."
JURANVILLE, 2015, LCEDH