Nous savons que, "sur les cimes du désespoir" (comme le dit Cioran), le moi doit finir par affronter le non-sens radical et donc par poser la répétition comme essentielle. Ce qui ne produit pas tant qu'il accorde créance aux absolus faux qui le protègent du non-sens ; tant qu'il s'en tient au sens courant (empiriste ou métaphysique) excluant tout absolu vrai, toute finitude radicale, tout non-sens pur. Le désespoir ne disparaît pas pour autant : se fuyant comme essentiel, il se pérennise comme haine de l'Autre et haine de soi, il s'assimile finalement à cette forme de répétition pure (mais non essentielle) que la psychanalyse appelle pulsion de mort.
DESESPOIR, Non-sens, Haine, Répétition
DESESPOIR, Moi, Autonomie, Finitude, KIERKEGAARD
Pour Kierkegaard, le désespoir est une « maladie du moi », née de la tension entre autonomie et finitude. Le moi, rapport à soi et à l’Autre (son auteur), tend à rejeter sa dépendance et veut s’autosuffire, mais échoue : de là vient le désespoir. Celui-ci prend deux formes : ne pas vouloir être soi (désespoir-faiblesse, qui rejette l’autonomie ou désespère du temporel/éternel) et vouloir être soi sans accepter sa finitude (désespoir-défi, refus de Dieu). Si Kierkegaard reconnaît l’autonomie réelle du moi, il refuse qu’elle puisse, par elle seule, atteindre l’absolu. Le désespoir ne peut être surmonté que par la foi : en voulant être soi-même, le moi se tourne vers la puissance qui l’a posé, ce qui définit la foi.
DESESPOIR, Répétition, Non-sens, Autre, FREUD
"Rappelons comment la répétition apparaît au sujet fini. Il y a le non-sens, qui résulte de la finitude. Mais, tant que le sujet croit au sens dont il recouvre ce non-sens, tant qu’il a recours à quelque Autre absolu qui « garantit » un sens illusoire, tant qu’il ne rejette pas pareil absolu, le non-sens qui se répète peut ne pas lui apparaître. C’est en désespérant, c’est par le désespoir comme négation de l’absolu, qu’il s’affronte enfin à ce non-sens. Cela ne veut pas dire qu’il se découvre voué à un non-sens indépassable. Du seul fait qu’il s’établit absolument dans le désespoir, une vérité est supposée, un sens nouveau et vrai, et une nouvelle jouissance - comme dans le doute absolu de Descartes. Simplement le sens pour lui devra se constituer à partir du non-sens."
JURANVILLE, 2000, L’INCONSCIENT
DESESPOIR, Mort, Foi, Non-sens, KIERKEGAARD
Kierkegaard décrit le désespoir comme une "maladie mortelle", une perte de sens touchant la vie aussi bien que la mort, puisque la mort elle-même ne saurait nous en délivrer. Le non-sens étant général, il ne reste plus qu'à le poser comme constitutif de l'existence et à supposer le sens venant exclusivement de l'Autre absolu. Cet état d'esprit caractérise la foi. Or si Kierkeggard reconnait que celle-ci peut finalement donner sens à l'existence, en reconduisant le moi jusqu'à sa source et donc jusqu'à lui-même, si elle parvient même à vaincre le désespoir, il ne fait aucune mention d'une causalité entre la positivité du moi, porté par la foi, et l'affirmation du sens ; autrement dit le moi ne dispose d'aucune autonomie supplémentaire grâce à la foi, ce qui reste malgré tout, bien désespérant !
DESESPOIR, Non-sens, Répétition, Absolu, KIERKEGAARD
La répétition se définit comme sens et en même temps non-sens - non sens essentiel (sinon il n'y aurait pas de répétition). Or qu'est-ce que d'abord ce non-sens ? La négation (horrifiée) de tout absolu qui ferait sens, et en même temps l'affirmation paradoxale d'un absolu faux (faux car excluant toute finitude radicale, toute relation essentielle à l'Autre). Le sens d'un tel non-sens consistera à le conduire jusqu'à son terme, avec la négation de l'absolu faux et l'affirmation (désespérée) du non-sens essentiel.
DEFI, Absolu, Hystérie, Désespoir
Le défi est une manifestation du désespoir dirigée contre l'absolu faux, mais sous deux formes. D'un côté défi à l'absolu vrai pour l'accuser de s'être transformé en usurpateur injuste et violent, et ainsi l'amener à se (re)manifester comme vrai, tout en sachant qu'il ne cédera jamais devant pareille provocation - c'est le défi diabolique tentant de faire souffrir le Dieu bon et vrai (ou encore défi de Don Juan au Commandeur en tant que vrai père). D'un autre côté, défi à l’ordre commun sacrificiel qui l'on sait injuste et faux, non pour le combattre mais pour l'amener à se manifester et donc se dénoncer comme tel - c'est le défi hystérique, par exemple le défi de Sganarelle à son maître Don Juan. Certes la pensée de l'existence dénonce ce double défi hystérico-diabolique, puisqu'il s'en tient à l'Autre absolu faux, mais sans vouloir elle-même porter le défi essentiel jusqu'à l'objectivité - n'est-pas alors s'en tenir au désespoir ?