La contradiction se présente comme la négation d'une identité, et plus profondément d'une essence reconnue comme fausse au coeur de cette identité. Grâce à la contradiction, la véritable essence peut être posée dans le concept ; mais cette essence sera nécessairement faussée, par finitude, et donc à son tour contredite. D'une façon générale, la contradiction fait s'effondrer, chez le sujet ou en dehors de lui, toute identité supposée déjà là et donc anticipative ; corollairement elle fait découvrir l'Autre comme le lieu premier de la vérité. La contradiction principale, bien décrite par Hegel, est celle du sujet et de l'objet, puisque le premier n'a de cesse, sur le chemin de la reconnaissance, de chercher à s'objectiver ; ce faisant il commence par poser l'identité déjà-là de l'objet, depuis sa propre identité subjective supposée, ce qui n'aboutit qu'à une détermination subjective de l'objet ; il ne lui reste plus qu'à remette également en question sa propre identité subjective. Etc.
CONTRADICTION, Identité, Essence, Objectivité, HEGEL
CONTRADICTION, Identité, Autre, Existence, KIERKEGAARD
"En refusant qu’à partir de la contradiction éprouvée par le fini, et grâce à l’Autre qui s’y manifeste, un savoir nouveau puisse advenir, la pensée de l’existence ne rejoint-elle pas ce qui fait le fond de la conception commune ou métaphysique ? Ne rejoint-elle pas l’image d’un Autre absolu tout-puissant qui ne voudrait pas pour lui, comme Autre vrai, la contradiction dans sa relation au fini comme son Autre, mais qui, lui-même hors contradiction, vouerait, comme Autre faux, le fini à une contradiction sans vérité, destructrice de toute identité, et de tout être, à la contradiction devenue terreur sacrificielle ? Nous verrons plus loin que la terreur est elle-même, face à la contradiction comme négation de l’essence, négation de l’être."
JURANVILLE, 2000, JEU
CHOIX, Liberté, Identité, Finitude
La liberté fondamentale consiste à se révolter contre l'aliénation à l'identité immédiate que l'on s'était donnée, pour embrasser la finitude de l'existence et pour s'y confronter. Elle se manifeste par le choix qui est position d'une telle liberté, devant l'Autre, dans l'objectivité du discours. Un choix que le sujet devra inlassablement répéter et confirmer, car il sait qu'il sera, par finitude justement, tenté d'y renoncer.
CAUSE, Identité, Oubli, Loi
L'identité avec l'existence définit la cause, laquelle fait acte de la loi pour le sujet. Cette loi, le sujet s'en saisit pour reconstituer peu à peu une nécessité à travers l'oeuvre - mais toujours d'abord le fini refuse pareille cause remettant "en cause" son identité immédiate et l'appelant à devenir cause lui-même. D'abord, par la grâce, la cause se donne comme objet fini (agissant comme cause matérielle), lequel est censé se faire oublier comme tel - mais l'existant refuse d'oublier l'objet, le fausse et l'absolutise, refoulant de ce fait la cause elle-même (comme dans la science). Ensuite, par l'élection reçue de l'Autre, la cause se donne comme sujet (agissant comme cause formelle), lequel peine à s'oublier comme substance, en tout cas comme conscience faussement souveraine (comme souvent en philosophie). Puis, par la foi, la cause se donne comme Autre (agissant comme cause finale), pour permettre à l'existant d'affronter la finitude et d'accepter l'oubli essentiel, afin de devenir Autre à son tour - mais le fini fausse cet Autre, lui attribuant une puissance sans finitude (quand la religion vire à la superstition). Enfin, par le don, la cause se donne comme Chose (agissant comme cause efficiente), Chose créatrice ouverte sur son Autre, ce que doit devenir à son tour le sujet existant par l'accomplissement de l'oeuvre.
ALTERITE, Identité, Objectivité, Autre, KIERKEGAARD
L'on peut affirmer que la pensée de l'existence - notamment kierkegaardienne - ne tire pas toutes les conséquences de l'altérité radicale, qu'elle suppose pourtant. Puisque si elle admet bien que le fini reçoit de l'Autre absolu toutes les conditions pour accéder à une identité renouvelée, à une existence authentique où il assumerait altérité et finitude, elle exclut, au nom même de la finitude, que cette identité puisse être posée objectivement et que cette existence se traduise par un savoir. Ainsi, au niveau de la "sphère esthétique", où le fini étant appelé à trouver un sens au sens-sens, où le recevant même il exclut de le reconstituer sans relâche dans l'épreuve de la finitude, et retombe finalement dans une identité immédiate et superficielle. De même encore au niveau de la "sphère éthique", où le sujet étant appelé à reconnaître sa relation constitutive à l'Autre, ainsi qu'à tout autre humain, où recevant même cette injonction il n'en assume pas la pleine responsabilité et en arrive, par sa passivité, à cautionner l'injustice. De même enfin au niveau de la "sphère religieuse", où le sujet étant appelé à accueillir l'Autre absolu, où lui reconnaissant sans doute une identité vraie et radicalement autre, reconnaissant donc l'altérité, il refuse de la poser de quelque façon objectivement dans le savoir, au nom de sa finitude radicale à lui.
ALTERITE, Identité, Relation, Création
L'altérité n'est pas le contraire de l'identité ; elle s'oppose juste à l'identité immédiate, fermée sur soi, pour lui substituer une identité vraie à reconstituer dans la relation. "Reconstituer" en effet, car il faut bien supposer une identité originelle "en-deça" de la relation, et qui l'ouvre en se dé-accomplissant "elle-même", librement, pour ainsi se reconstituer comme "vraie" dans l'Autre. Ce mouvement n'est rien d'autre que l'acte d'existence comme création.
IDENTITE, Altérité, Existence, Structure existentiale, KIERKEGAARD
Les fameuse "sphères de l'existence" selon Kierkegaard sont quasiment homologues aux "structures existentiales" (Juranville) déductibles de la théorie de l'inconscient, deux théories qui visent à établir la vérité de l'existence à l'aune d'une altérité radicale. Ces structures permettent de situer, et de formaliser, différents modes de l'identité avec l'existence, sachant qu'elles témoignent à chaque fois d'un évitement de la part du sujet pour poser cette identité avec toute l'objectivité requise du point de vue de l'Autre. D'abord le mode de la séparation avec la sphère esthétique, qui correspond à la structure perverse en psychanalyse. Ensuite celui du choix qui caractérise la sphère éthique, à laquelle correspond la névrose. Enfin la répétition, propose à la sphère religieuse selon Kierkegaard, à laquelle on peut faire correspondre la sublimation. Il existe une quatrième sphère pourtant écartée d'office par Kierkegaard, considérée comme impossible et hors existence puisqu'excluant par principe l'altérité : ce serait la métaphysique, stade de l'identité originelle avant toute relation, à laquelle il faudrait faire alors correspondre la psychose.
ALTERITE, Identité, Existence, Finitude
La pensée philosophique qui ne voit dans l'altérité qu'une composante ontologique de l'identité, qu'un mode transitoire vers la connaissance de soi (comme pour Hegel), manque évidemment l'altérité essentielle requise dans le cadre d'une pensée de l'existence. Car précisément l'existence se définit comme altérité mais aussi comme identité, les deux étant à penser ensemble. Mais à leur tour, les pensées de l'existence qui se contentent de poser un Autre absolu au-delà de l'humain, ou à la limite à l'intérieur de l'humain, en guise d'altérité, sans poser comme telle l'identité vraie qu'elle suppose, passent également à côté de l'altérité essentielle. Contrairement aux pensées traditionnelles de l'identité, ces pensées de l'existence reconnaissent bien la finitude radicale de l'humain, mais elles ne lui offrent aucune solution pour dépasser l'identité ordinaire, la condamnent à une autoflagellation sans fin. Le salut vient de l'identité vraie contenue en l'Autre, d'abord comme Autre absolu, laquelle s'efface comme telle devant son Autre en supposant à celui-ci identité et consistance - ce qui ne contredit nullement la finitude de l'existant, puisque cette identité nouvelle surgit du don imprévisible émanant de l'Autre absolu (c'est la grâce qui lui est accordée), à condition que l'existant la reconstitue par lui-même (c'est l'élection qui lui est destinée), mais à condition d'abord qu'il l'accueille (c'est la foi qui lui est communiquée).
ALTERITE, Création, Révélation, Identité
L'acte créateur est le mode d'existence propre de l'altérité divine (qui est aussi l'identité originelle), et la révélation représente la possibilité, pour la créature, de reconnaître en l'Autre absolu sa propre identité vraie (lui qui se complaisait jusque là dans une identité fausse, refusant à la fois sa propre finitude et l'altérité de l'Autre). Or pour la créature, le fait d'entrer à son tour dans une créativité existante le conduit jusqu'au savoir, savoir de l'existence permettant d'instituer un monde juste où chacun puisse être reconnu enfin comme Autre véritable.
ALTERITE, Discours du clerc, Philosophie, Identité
"La philosophie que Platon a introduite à partir du dialogue socratique, et en voulant poser comme tel le savoir que vise ce dialogue, a au cœur d’elle-même l’altérité. Elle est altérité, ouverture aux objections de l’Autre dans le dialogue, mais aussi identité qui vient, comme nouvelle, de cet Autre et de laquelle on devra repartir (pour le savoir) – altérité et identité qui font l’existence ; et elle est savoir vers quoi dirige cette existence."
ALTERITE, Vérité, Identité, Finitude, KIERKEGAARD, LEVINAS
Poser l'altérité comme essentielle et comme vraie, pour l'existant, revient à admettre que sa propre identité en dépend (finitude), et même plus radicalement qu'il la reçoit (imprévisiblement) de l'Autre, à charge pour lui de se construire dans cette relation à l'Autre ; et aussi de renoncer à cette identité première, fantasmée comme autonome dans l'ignorance de l'Autre (finitude radicale, refus), qu'il croyait d'abord être sienne (illusion, aliénation). Ceci n'est possible que parce que l'Autre, en tant que vraiment Autre (altérité radicale), est toujours déjà tourné vers l'existant - de même que celui-ci toujours déjà le fuit et le fuira - lui donnant toutes les conditions (grâce, élection) pour se libérer, s'il le veut (liberté), de son enfermement initial, et pour reconstituer à partir de soi l'identité nouvelle. Kierkegaard a bien dégagé, contre le socratisme (voir extrait ci-dessous), la condition de la grâce, et Levinas de son côté parle de l'élection, également contre Socrate (le « Nul n'est méchant volontairement » s'inverse en « Nul n'est bon volontairement », radicalisant la finitude). Juranville ajoute (rectifiant Levinas) que l'élection place l'existant en position de responsabilité, non seulement dans la relation éthique vis-à-vis d'autrui, mais aussi devant la tâche politique et proprement philosophique de déployer l'objectivité du savoir que cette altérité et cette identité - en tant qu'également et absolument vraies - rend possible.
ALIENATION, Déchéance, Identité, Holocauste
Dès lors que l'existence essentielle est affirmée, l'aliénation doit être reconnue comme constitutive de la relation à l'Autre, car cette altérité de l'Autre et en même temps l'identité nouvelle qu'on reçoit de lui est toujours d'abord refusée. L'existant réduit alors sa propre identité au statut de déchet par rapport à un Autre ramené lui-même à une identité mythique et close. Pire, la négation sociale de cette réalité de l'aliénation - effet de l'aliénation elle-même - conduit au projet sacrificiel d'éliminer ceux que le peuple désigne comme responsables de cette déchéance, les réduisant alors eux-même à la pire des déchéances - ce qui a débouché historiquement à la catastrophe de l'holocauste. Le juif, soi-disant refermé sur son identité et considéré volontiers comme parangon du capitaliste, est ainsi accusé d'avoir confisqué les conditions de toute émancipation : il est condamné à payer à la place de ceux qui, en réalité, refusent justement de payer le prix pour s'émanciper (ce qui, une nouvelle fois, définit l'aliénation).
ALIENATION, Altérité, Identité, Existence, HEGEL
Il y a bien chez Hegel, en tant que point d'aboutissement extrême de la métaphysique, une reconnaissance et une pensée de l'altérité mais seulement comme aliénation surmontée. L'existence apparaît bien comme relation essentielle à l'Autre, lequel s'ouvre en retour à son Autre ; mais cet Autre apparaît finalement conforme à une identité déjà-là, simplement perdue puis retrouvée, finalement désaliénée ; nullement comme un Autre pourvoyeur d'une identité nouvelle et imprévisible, que l'existant devrait découvrir et reconstituer peu à peu.
METAPHORE, Identité, Signifiance, Nom, LEVINAS
"Pourquoi donner une place absolument décisive à la métaphore dans un ouvrage intitulé: Philosophie et langage ? Parce que l’existant a été infidèle (c’est son péché originel, dit Benjamin) à la puissance créatrice du nom; parce que pèse dorénavant sur lui l’exigence de la restaurer effectivement, de reconstituer comme nouvelle l’identité et consistance originelle ; et parce que cette identité pourra alors être principe du savoir philosophique. Or la métaphore permet une telle restauration et reconstitution. Car elle est substitution d’un terme (nom) posé comme pleinement signifiant, lieu d’identité et consistance pleine, à un autre effacé au contraire, renvoyé dans la non-signifiance – le terme effacé ayant à faire jusqu’au bout l’épreuve de sa non-signifiance, jusqu’à se reconstituer comme pleinement signifiant lui aussi. Car l’identité supposée du terme qui subit la substitution est effacée, vidée, réduite à néant par rapport au terme qui lui est substitué et qui est en position d’Autre vrai, lieu par excellence de la vérité, de la signifiance, de l’identité et consistance : la générosité de Booz, trop humain, n’est rien par rapport à celle de la gerbe mythique qui se déploie et s’offre sans réserve... La métaphore peut donc être présentée comme conduisant à l’élaboration d’une identité nouvelle, par identification à l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL