La métaphore, par laquelle le fini reconstitue son identité nouvelle et vraie, suppose bien l'accomplissement d'une oeuvre parvenant, au moins implicitement, à la reconnaissance de tous. Mais pour cela il faut supposer l'intervention de l'Autre absolu d'où provient nécessairement la substitution de l'être. Or celle-ci ne peut surgir, dans son déploiement, qu'après avoir franchi les moments de l'objet et du sujet, selon la structure propre de l'existence. D'où le concept de "métaphore rétrospective", précisément pour ce qui concerne la métaphore de l'être, en tant qu'elle provient de l'Autre absolu : c'est celle-là même qui fut énoncée dans la Bible par l'Autre divin "Je suis ce que je serai", et qui fera travailler, rétrospectivement, l'être humain et notamment - sans qu'il en soit même conscient - le philosophe. Car derrière l'apparente énigme, il ne faut voir que la contradiction, portée par la métaphore, mais dont la solution n'incombe qu'à l'homme, entre l'identité ordinaire (du moi, du peuple, etc.) et l'identité reconstituée vraie.
"Dans le mouvement par lequel se déploie la métaphore, le moment de l’Autre ne peut être atteint – c’est ce qu’implique la structure de l’existence – qu’après que ceux de l’objet et du sujet ont été parcourus. La métaphore de l’être en tant qu’elle vient de l’Autre peut donc travailler d’emblée ce à quoi elle fait subir une substitution, elle ne peut surgir elle-même explicitement qu’en un troisième moment, être en cela une métaphore rétrospective... Métaphore de l’être qui permet selon nous de penser le savoir philosophique, le savoir de l’essentiel. Un tel savoir ne devient, à nos yeux, possible à l’existant que par une intervention de l’Autre absolu, en l’occurrence celle de la Révélation. Où, à Moïse s’apprêtant à dire au peuple d’Israël: « Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous » (Exode, 3, 13), soulignant que ce peuple demandera aussitôt quel est son nom, et priant l’Éternel de lui dire ce nom, celui-ci répond: « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël: “Je suis ce que je serai” m’a envoyé vers vous. » Métonymie, avions-nous dit dans le cadre de la Révélation. Remplacement de l’expression ordinaire « Le Dieu de vos pères » par l’énigmatique « Je suis ce que je serai. » Cette énigme devant être résolue et l’étant dans la signification absolument rationnelle élaborée par le savoir philosophique. Mais, en même temps qu’il y a remplacement (métonymique), il y a substitution (métaphorique). À l’usage ordinaire de la conjugaison du verbe « être » (« Je suis le Dieu de vos pères ») est substitué un usage « intensif », redoublé, en forme de noeud, écrit en caractères gras (« Je suis ce que je serai »), du même mot qui devient absolument signifiant. C’est la métaphore de l’être, qui portera la philosophie dans toute son histoire, mais qui ne sera dégagée expressément qu’en un moment tardif de cette histoire, comme pour toutes les métaphores rétrospectives."
JURANVILLE, 2024, PL