Affichage des articles dont le libellé est WEBER. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est WEBER. Afficher tous les articles

COMMUNAUTE, Société, Hétéronomie, Autonomie, WEBER

Max Weber décrit la communauté plutôt comme une totalité immédiate et affective, et la société plutôt comme une totalité civile et rationnelle. Pour autant il admet qu'il n'existe aucune loi de développement qui ferait passer historiquement de l'une à l'autre, car, dit-il « la grande majorité des relations sociales ont en partie le caractère d’une communalisation, en partie celui d’une socialisation. » Juranville articule avec davantage de précision le rapport entre ces deux types de totalité, en caractérisant la communauté par l'hétéronomie et la société par l'autonomie, à quoi s'ajoute le facteur totalité. Mais il précise que l'hétéronomie en question, ce qui est reçu de l'Autre en général, ne relève pas d'une simple transmission plus ou moins imposée mais, pour chaque individu, d'une décision à la fois instituante et inspirante, qui suppose - paradoxalement - une certaine autonomie. C'est d'abord le fait de vivre en société qui peut apparaître comme une caractéristique universelle, et c'est lorsqu'une telle totalité offre concrètement les conditions d'émergence de l'autonomie, que le sujet social peut s'en saisir et découvrir - non moins paradoxalement - que l'hétéronomie, l'hétéronomie vraie de l'Autre absolu, était la condition de possibilité de son autonomie.


"Pour Weber implicitement comme pour nous explicitement, le décisif, ce n’est pas que la communauté soit totalité immédiate et naturelle, la société, totalité posée comme telle et artificielle ; c’est que la communauté soit totalité avec l’hétéronomie, la société, totalité avec l’autonomie. Car ce qui est découvert d’abord par l’existant qui s’interroge, et qui donc s’établit dans son autonomie, c’est la société dans laquelle il est pris (de là vient qu’on parle en général des « sociétés humaines », non des « communautés humaines », et que la « vie en société » peut apparaître comme une caractéristique universelle, non la « vie en communauté »). Société qui peut, comme totalité, permettre ou empêcher le développement de cette autonomie, l’existant en venant alors à concevoir l’exigence d’une société juste où l’autonomie puisse, et pour chacun, s’accomplir. Et la communauté n’est découverte qu’ensuite, avec la finitude. Et cette découverte commence par être négative pour l’existant, découverte d’une totalité primordiale dans quoi il est toujours déjà pris, en deçà même de la société, et à quoi il doit s’arracher pour accéder à la société qu’il veut, quitte à refuser cet arrachement et à revenir au mythe la communauté. Mais cette découverte peut être aussi positive, quand, avec la finitude comme radicale, apparaît à l’existant que c’est par l’Autre et sa loi qu’il atteindra le bien suprême – bien suprême qui certes était là depuis toujours, mais que lui-même doit alors revouloir, recréer soi (c’est « vivre en communauté », pris au sens d’un acte par quoi on institue ou réinstitue la communauté). Et c’est cela qu’envisage Weber quand il dit que l’identité avec d’autres, le « fait d’avoir en commun certaines qualités, une même situation ou un même comportement ne constitue pas nécessairement une communalisation », et que « c’est uniquement pour autant que celle-ci [cette identité] inspire le sentiment d’une appartenance commune », pour autant que cette identité apparaît en l’Autre comme tel, « que naît une communauté ».
JURANVILLE, 2000, EXISTENCE

CAPITALISME, Révélation, travail, Protestantisme , WEBER

Les analyses de Max Weber font le lien entre la révélation religieuse, le désenchantement du monde et le développement du capitalisme. Le judaïsme ancien, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejette les superstitions et la magie, et introduit une rupture avec le monde tout en reconnaissant le non-sens constitutif de l'existence humaine, autrement dit le péché. C'est en assumant ce non-sens, donc en recueillant la révélation, que le capitalisme prend naissance comme forme minimale du mal social. Mais ce premier capitalisme se supporte de l'élection d'un peuple, et reste donc limité ou marginal (un « capitalisme de paria » dit Weber) : financier, en fait. Seule la grâce chrétienne, qui a vocation à se répandre dans le monde, peut en même temps étendre le capitalisme au commerce (lequel se diffuse en même temps que la foi), supporté par l'institution de l'Eglise. Mais c'est justement cette mondanisation de la grâce, devenue sacramentelle (et presque magique, "consacrant" un quasi-réenchantement du monde), qui la fausse et qui empêche l'institution définitive du capitalisme. Le protestantisme tient que l'autonomie offerte par la révélation, aussi bien que le capitalisme, relèvent du domaine privé et ne doivent pas être posés dans le monde ; pour lui l'état de grâce (supposant l'élection) et même le salut, passent par le dévouement au travail, que seul Dieu est censé juger. Le protestantisme favorise donc bien la généralisation du capitalisme comme industriel, puisqu'il absorbe la totalité du monde du travail. Encore faut-il admettre que le désenchantement du monde, introduit par la révélation, doit être fixé socialement par l'Etat, et que l'oeuvre produite ne doit pas être seulement formelle (comme simple incitation au travail) mais aboutir à un savoir réel.


"Le désenchantement du monde ne peut donc être définitivement établi, et rendre possible l’avènement du capitalisme sous sa forme essentielle, comme capitalisme industriel, que si l’autonomie offerte par la révélation, à la fois, se diffuse auprès de tous (révélation chrétienne), et n’est pas posée comme telle dans le monde (risque de falsification de la grâce dans le catholicisme). Ce qui caractérise cette réinterprétation de la révélation chrétienne qu’est le protestantisme. Protestantisme pour lequel il n’y a pas d’autre indice du salut, de l’état de grâce (et d’élection) que dans l’exercice d’un métier comme Beruf, «  vocation  ». Dans un travail sans relâche qui reconnaît certes le sens vrai, en Dieu au-delà du monde. Mais qui s’affronte toujours à nouveau au non-sens constitutif. Dans un travail qui débouche sur une œuvre, et rationnellement produite. Mais sur une œuvre formelle (le produit de l’industrie)."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Religion, Discours, Paganisme, WEBER

C'est en tant qu'être fondamentalement religieux, donc païen à la racine, que le sujet social actuel adopte le système capitaliste. Mais s'il représente un paganisme minimal, épuré de toute croyance, le capitalisme requiert aussi toutes les grandes religions, sans quoi il ne pourrait pas assumer ce fond de péché qu'enseignent précisément ces religions ; corrélativement il requiert d'être accepté par celles-ci, au moins implicitement, et par les grands discours sociaux auxquels elles correspondent. En effet les trois religions révélées (judaïsme, christianisme, islam) correspondent respectivement aux discours du clerc, de individu, et du peuple, tandis que le bouddhisme comme principale religion instituée est lié au discours du maître. Quant aux trois autres religions asiatiques instituées - confucianisme, taoïsme, hindouisme - elles font écho, respectivement, aux trois religions occidentales révélées.


"Si, comme le souligne Weber, ces religions [asiatiques] n'ont pas porté initialement le capitalisme, elles sont parfaitement capables de l'accueillir et de se l'approprier, ce que Weber doit lui-même reconnaître. Et cela, d'une part, parce qu'elles fixent le non-sens fondamental sous le nom de vide, de nirvana (Freud y a relié sa pulsion de mort) — malgré l'attachement taoïste au « jardin enchanté » que serait le monde. Et, d'autre part, parce qu'elles donnent la plus grande place au maître, et précisément, sous sa figure religieuse, au saint. Ces religions ne relèveraient pas d'une « prophétie de mission » (agir dans le monde) comme les religions révélées, mais d'une « prophétie exemplaire », où les prophètes s'offrent comme exemples et modèles. Le capitalisme apparaît donc bien comme le paganisme minimal, dévoilé dans son fond de péché - ce dont le paganisme brut ne voulait certes rien savoir."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Orient, Occident, Droit, WEBER

Même mondialisé, l'esprit du capitalisme reste occidental si l'on en croit Max Weber, car c'est bien en Occident, notamment sous l'impulsion de l'éthique protestante, que l'universelle "pulsion de profit" a trouvé son objectivation rationnelle à travers la quasi-science économique, ainsi que son support par le droit. Cela supposait une "ascèse intramondaine", selon le mot de Weber, incompatible avec le traditionalisme oriental sous ses formes spirituelles (religieuses) aussi bien que temporelles (féodalisme). L'orient n'aura donc intégré le capitalisme que comme un instrument et "un artefact venu de l'extérieur" (Weber).


"Étant parti du supposé (et fameux) « appétit illimité de profit de l’Asiatique » et y ayant perçu une « pulsion de profit », Weber note qu’il y manque néanmoins « ce qui a été décisif pour l’économie de l’Occident : la rupture, et l’objectivation rationnelle de ce caractère pulsionnel de l’aspiration au profit [= la non-vérité posée comme telle] et son intégration dans un système d’éthique rationnelle intramondaine de l’agir [la non-vérité assumée dans la vérité], telles qu’elles ont été opérées par l’“ascèse intramondaine” du protestantisme en Occident » – ce qui formerait, selon lui et à nos yeux, l’esprit du capitalisme."
JURANVILLE, 2017, HUCM