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CRITIQUE, Fondation, Philosophie, Certitude

Pour éviter d'être vaine et de s'assimiler à un refus de tout savoir, pour accomplir la vocation politique de la philosophie, la critique (qui est, rappelons-le, négation et savoir) ne saurait être immédiate ; elle présuppose la question comme ce qui accomplit la vocation éthique de la philosophie. Mais c'est bien la politique qui, finalement, justifie l'éthique, et en constitue l'aboutissement. Grâce à la critique, la philosophie est doublement fondatrice. D'abord, du côté de l'objet, elle permet de fonder l'objectivité vraie face à l'objectivité ordinaire, laquelle tend toujours à s'absoluiser faussement : elle le fait par la puissance spéculative et créatrice (métaphorique) du concept. Ensuite, du côté du sujet, elle permet à la subjectivité de se fonder elle-même sur la certitude, comme fondatrice du savoir et de l'objectivité du savoir. Mais ce principe fondateur subjectif implique la reconnaissance de la finitude radicale - par le moi s'identifiant à l'Autre absolu et assumant l'élection, donc pas seulement en tant qu'individu.


"C’est ainsi par le moi que se déploie subjectivement la critique. Moi qui a fait, comme individu, dans la position d’exclu de la « scène primitive », sous la menace du sacrifice, l’épreuve de la finitude radicale. Moi qui est entré, comme individu, dans le travail de l’œuvre et de la question – car, s’il s’engage dans cette épreuve en tant que moi, c’est en tant qu’individu qu’il la fait. Mais moi qui, par la critique, vise expressément (c’est son élection de moi, au-delà de la grâce de l’individu, de même que l’élection du concept va au-delà de la grâce de l’être) à instituer le monde juste où chacun pourra devenir individu – et moi."
JURANVILLE, 2000, JEU

CONTRADICTION, Identité, Essence, Objectivité, HEGEL

La contradiction se présente comme la négation d'une identité, et plus profondément d'une essence reconnue comme fausse au coeur de cette identité. Grâce à la contradiction, la véritable essence peut être posée dans le concept ; mais cette essence sera nécessairement faussée, par finitude, et donc à son tour contredite. D'une façon générale, la contradiction fait s'effondrer, chez le sujet ou en dehors de lui, toute identité supposée déjà là et donc anticipative ; corollairement elle fait découvrir l'Autre comme le lieu premier de la vérité. La contradiction principale, bien décrite par Hegel, est celle du sujet et de l'objet, puisque le premier n'a de cesse, sur le chemin de la reconnaissance, de chercher à s'objectiver ; ce faisant il commence par poser l'identité déjà-là de l'objet, depuis sa propre identité subjective supposée, ce qui n'aboutit qu'à une détermination subjective de l'objet ; il ne lui reste plus qu'à remette également en question sa propre identité subjective. Etc.


"La contradiction devient réelle et vraie, quand l’identité immédiate, même sous sa forme la plus pure, comme anticipative, et aussi l’essence telle qu’elle est d’abord déterminée, sont reconnues comme fausses et comme devant être mises en question. Et donc quand on affirme l’existence. La vraie contradiction, d’une part, fait s’effondrer l’identité que se supposait toujours déjà le sujet ; d’autre part, elle fait découvrir l’Autre comme lieu premier de l’identité vraie par laquelle elle se résoudra ; et enfin, elle conduit, grâce à ce qui vient de cet Autre, à la position effective, par le sujet, et pour autant qu’il a traversé toute la finitude, de l’identité nouvelle. Elle est en elle- même, parce qu’au fond de l’identité c’est de l’essence qu’il s’agit, négation de l’essence, négation de l’essence fausse, pour accéder à la vraie. Elle prépare au concept, comme position de l’essence, et y appelle. Dans le travail ici présenté, à tous les niveaux de l’analyse, joue une telle contradiction vraie et existante. L’essence est posée, sous tel ou tel mode, dans un concept ; mais le fini fausse cette essence ; d’où la contradiction ; et sa résolution dans un nouveau concept, que devra créer ou recréer le fini. La contradiction est ainsi, à tous les niveaux de l’analyse, et dans le cadre, à chaque fois, de la forme métaphorique, le mode général de la progression du savoir."
JURANVILLE, 2000, JEU

CONNAISSANCE, Oeuvre, Occasion, Objectivité

Celui qui affirme l'existence suppose certes une oeuvre primordialement vraie, celle de l'Autre absolu, mais il exclut d'abord de poser son oeuvre propre en toute objectivité. Or il n'y a pas d'autre moyen de poser et de confirmer l'oeuvre primordiale que d'y répondre (et d'en répondre) par son oeuvre propre - laquelle recrée de quelque manière la consistance de l'oeuvre antérieure. C'est ainsi seulement que l'oeuvre devient connaissance. Et c'est ainsi que s'accomplit l'occasion, seulement quand l'oeuvre est posé dans son objectivité.


"L’occasion, même si elle est, comme nous l’avons dit, occasion par l’œuvre, est bien, comme on le pense plus communément, occasion pour l’œuvre – mais pour une œuvre qui, se rapportant à une autre œuvre déjà là, est alors connaissance."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT 

CHOSE, Jouissance, Objectivité, Réalité, LACAN

La Chose est la "substance jouissante" selon Lacan, à la fois ce que le sujet veut s'approprier, son objet de désir, et ce qu'il doit devenir. Pour cela il doit poser absolument la Chose, puisque que celle-ci - en tant qu'unité de la réalité (c'est sa définition) - constitue pour lui la forme ultime de l'objectivité : substance jouissante mais également signifiante - puisqu'il n'y a d'objectivité que de langage -, la Chose jouit de son unité toujours reconstituée. C'est cette jouissance de la Chose, et le savoir de cette jouissance, que le sujet vise dans son désir.


"Le langage nous est apparu, avec l’existence, comme le lieu de toute objectivité et, précisément, comme ce dans quoi le sens vrai (l’inconscient), en tant que sens dans le temps (jouissance), se constitue objectivement. Comment, dès lors, le sujet s’engage-t-il, pour son propre compte, vers l’objectivité absolue que permet le langage, et donc vers la jouissance vraie, et même vers la position de cette objectivité absolue, et donc vers le savoir de cette jouissance ? En posant la chose. En la posant jusqu’au bout et, de ce fait, en advenant comme lui-même chose."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

CERTITUDE, Evidence, Subjectivité, Objectivité

L'évidence, comme la certitude, sont des actes du sujet. L'évidence n'est pas l'objectivité en soi, mais la position subjective de l'objectivité, et en tant que telle l'instrument de la (bonne) mélancolie ; tandis que la certitude n'est pas la subjectivité en soi, mais la position de la subjectivité, et comme telle l'instrument de la culpabilité essentielle. La certitude est l'acte du sujet se posant comme principe de toute objectivité, quant il vise au savoir vrai, et quand l'objectivité commune, avec son évidence trompeuse, s'effondre sous l'effet du doute radical.


"De même que la mélancolie a comme instrument l’évidence, et que c’est ainsi qu’elle apparaît au fini, de même la culpabilité a comme instrument la certitude, par quoi elle se donne au fini... L’évidence, l’évidence vraie, est ce qui attire vers sa propre réeffectuation. La certitude est ce qui pousse à accomplir cette réeffectuation, dans l’œuvre et le savoir."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CERTITUDE, Culpabilité, Objectivité, Altérité, DESCARTES

La certitude qui advient au sujet, par l'expérience du cogito et par la grâce du Dieu non trompeur, n'est pas tant un rapport à soi qu'une soumission à l'hétéronomie ; elle se fait instrument de la culpabilité essentielle et fait prendre conscience au sujet qu'il a à s'objectiver, à ne pas en rester à la certitude immédiate de soi. Pourtant, c'est bien comme conscience abstraite ignorant toute finitude, que la subjectivité se pose d'abord intérieurement et qu'elle engage, face au monde, son entreprise d'objectivation. Alors ces deux mouvements inverses, érigeant une subjectivité et une objectivité également absolues, également désincarnées, lui font oublier la certitude première basée sur l'altérité essentielle. Le sujet peut encore reconnaître cette altérité, affirmant sa propre finitude (et culpabilité) mais en occultant cette fois la nécessité de l'objectivation et allant jusqu'à nier toute possibilité d'un savoir vrai. Ce à quoi s'en tient la pensée de l’existence tant qu'elle ignore la vérité structurale de l'inconscient.


"Que la certitude soit l’instrument de la culpabilité, cela se comprend déjà en ce qu’elle rappelle au sujet qu’il a à s’objectiver, à accomplir son œuvre de sujet. C’est cette certitude qui meut Descartes dans sa recherche du principe. C’est elle qu’il dégage comme telle pour y atteindre, puisque c’est à partir d’elle qu’il reconstituera, avec la grâce du Dieu bon, tout le système du savoir vrai."
JURANVILLE, 2000, ALTER

BONHEUR, Culpabilité, Objectivité, Sentiment

La positivité du bonheur doit être soutenue, contre la pensée de l'existence. Puisque le sentiment en général est ce qui permet au sujet de poser l'objet et de se poser dans l'objectivité, et comme le plaisir est ce sentiment qui ouvre au sujet l'espace de l'objectivité (et par quoi il assume sa mélancolie), le bonheur est le sentiment par lequel le sujet atteint enfin une forme d'objectivation (et par quoi il assume sa culpabilité). Chacun recherche le bonheur, comme le stipule Aristote ; restait à définir cet objet, précisément comme objectivité. Or pour la pensée de l'existence, et la quête du bonheur et son accomplissement contreviendraient à la finitude ainsi qu'à l'altérité essentielle, ce serait selon Kierkegaard demeurer au stade de l'esthétique. De même pour Freud le bonheur est pris dans la contradiction entre la satisfaction sexuelle (qui donne un semblant de bonheur) et la répression sociale (qui engendre la mauvaise culpabilité, sans possibilité de l'assumer comme il le faudrait pourtant).


"Nulle place donc pour quelque bonheur où serait assumée la culpabilité ! On pourrait avancer néanmoins que, si le bonheur  se veut accomplissement, sentiment de l’objectivation du sujet, toute pensée qui affirme l’existence, même si elle conçoit le sujet tout autrement que ne le fait la métaphysique, devrait envisager un bonheur existant et vrai. Comme acceptation pure de la contradiction, cette fois-ci radicale, de l’existence. Un tel bonheur serait la béatitude éternelle à laquelle l’existant se rapporte passionnément, d’après Kierkegaard."
JURANVILLE, ALTER, 2000

CONNAISSANCE, Bonheur, Autre, Objectivité

De supposer l'éternité en l'Autre, et la désirer pour soi, ne mène au bonheur que par la voie de la connaissance. Encore faut-il - contrairement à l'attitude métaphysique qui s'y refuse - s'affronter à la finitude et poser l'objectivité du savoir contenu dans l'oeuvre pour le transformer en connaissance. La connaissance, distincte de l’expérience (vérité de l’identité) et du savoir (vérité de l’intériorité), est définie comme la vérité de l’extériorité. Elle repose sur la reconnaissance de l’Autre comme porteur initial de l’identité, permettant au sujet de se définir lui-même en relation avec cet Autre, et de se faire Autre à son tour. Ainsi, la connaissance devient la source du bonheur, par opposition au plaisir lié à l’expérience.


"L’expérience, on l’a vu, est vérité de l’identité, identité constituée comme objective, pour tout Autre, à partir de la différence qui surgit (l’instant). Du savoir nous dirons qu’il est vérité de l’intériorité. La connaissance, elle, est vérité de l’extériorité. Elle pose l’identité comme toujours d’abord présente en l’Autre, toujours d’abord celle de l’Autre, à l’extérieur, et comme devant, à partir de cet Autre, devenir celle du sujet qui, à la fois, pourra poser l’Autre comme extérieur à lui et lui-même comme extérieur à l’Autre – l’un et l’autre ayant, dans cette relation qui se retourne, leur identité et consistance et autonomie vraie."
JURANVILLE, ALTER, 2000

ALTERITE, Identité, Objectivité, Autre, KIERKEGAARD

L'on peut affirmer que la pensée de l'existence - notamment kierkegaardienne - ne tire pas toutes les conséquences de l'altérité radicale, qu'elle suppose pourtant. Puisque si elle admet bien que le fini reçoit de l'Autre absolu toutes les conditions pour accéder à une identité renouvelée, à une existence authentique où il assumerait altérité et finitude, elle exclut, au nom même de la finitude, que cette identité puisse être posée objectivement et que cette existence se traduise par un savoir. Ainsi, au niveau de la "sphère esthétique", où le fini étant appelé à trouver un sens au sens-sens, où le recevant même il exclut de le reconstituer sans relâche dans l'épreuve de la finitude, et retombe finalement dans une identité immédiate et superficielle. De même encore au niveau de la "sphère éthique", où le sujet étant appelé à reconnaître sa relation constitutive à l'Autre, ainsi qu'à tout autre humain, où recevant même cette injonction il n'en assume pas la pleine responsabilité et en arrive, par sa passivité, à cautionner l'injustice. De même enfin au niveau de la "sphère religieuse", où le sujet étant appelé à accueillir l'Autre absolu, où lui reconnaissant sans doute une identité vraie et radicalement autre, reconnaissant donc l'altérité, il refuse de la poser de quelque façon objectivement dans le savoir, au nom de sa finitude radicale à lui.


"Certes, répondrons-nous à la pensée de l’existence, vouloir poser objectivement l’identité vraie supposée par l’altérité, c’est d’abord rejeter l’altérité et la finitude. Mais exclure, comme elle le fait, de pouvoir jamais poser ainsi une telle identité, c’est effectuer le même rejet, et de façon bien plus radicale parce que définitive. De sorte qu’il faut au contraire, si l’on veut affirmer l’altérité – et l’existence –, s’engager à poser objectivement l’identité supposée par cette altérité, avec l’idée que de l’Autre, de l’Autre absolu, viendront les conditions d’une telle objectivité, d’un tel savoir."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000

ALIENATION, Révolution, Altérité, Objectivité

 Avec les révolutions socialistes et le totalitarisme, le XXè siècle aura été le témoin d'une "aliénation de la désaliénation elle-même" comme le dit Levinas, prouvant par là-même ce qu'elles niaient farouchement, à savoir le caractère inéliminable de l'aliénation. Cela parce que l'aliénation a été ramenée à sa seule dimension sociale, elle n'a pas été vue dans son caractère essentiel, comme constitutive de la finitude humaine. On a voulu lui substituer une identité mythique à "retrouver", à "libérer", celle d'un "moi" déjà là (quelque soit le nom qu'on lui donne), exactement comme chez Hegel. A l'inverse la pensée de l'existence, celle de Levinas notamment, sous-estime trop l'enjeu politique de l'aliénation, comme elle efface trop vite la perspective d'une identité en général : « Unicité sans intériorité, moi sans repos en soi, otage de tous – homme sans identité » écrit Levinas. Même chose chez Lacan avec sa conception d'un Autre sans Autre, qui en ne reconnaissant pas, pour le sujet, la possibilité de se faire l'Autre de l'Autre, d'en retirer identité et objectivité, rend impossible toute désaliénation sociale.

"Et c’est toujours cette altérité pure au-delà de toute identité qui s’exprime chez Lacan dans sa formule bien connue qu’« il n’y a pas d’Autre de l’Autre ». Or n’est-ce pas en excluant de pouvoir jamais poser comme telle l’altérité vraie qu’on conforte le plus définitivement la prise dans l’aliénation ordinaire, et donc le monde sacrificiel ? Ne faut-il pas au contraire poser malgré tout l’altérité dans toute sa vérité, en tant qu’elle met chacun en situation, comme identité et autonomie, de reconstituer l’objectivité vraie et qu’elle ouvre à la révolution et à l’institution, à partir de là, du monde juste ?"
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ABSOLU, Finitude, Objectivité, Péché

L'homme ne peut prétendre, par ses propres moyens, qu'à la connaissance d'une objectivité finie. Mais en assumant sa finitude, sa séparation, en renonçant à "l'illusion du grand Tout mythologique", l'homme se dispose à accueillir le Nouveau, l'Autre divin. Lequel se laisse caractériser aussi bien comme Absolu (puisque surgissant en dehors de toute relation établie) que comme Infini, puisqu'il n'est soumis à aucune limitation, n'étant ni à l'intérieur du monde ni même à sa limite. Dès lors la finitude peut prendre une nouvelle valeur, l'homme plaçant désormais son identité dans sa relation à l'Autre absolu. La faute, le péché consiste précisément à absolutiser l'objectivité finie, à s'en suffire : orgueil, suffisance ordinaire de la créature, bien plus "mortelle" que la simple tentation charnelle. Mais un espace s'ouvre pour l'objectivation du fini, avec la science galiléenne, dès lors qu'elle ne cherche plus à absolutiser l'objet dans la foulée, laissant à la philosophie la tâche de fixer une effective objectivité absolue dans son propre discours.

"La vérité qu'il faut maintenant à l'homme s'approprier dans le savoir est toujours celle de l'objectivité - mais une objectivité que l'homme d'abord et par lui-même ne peut pas atteindre en tant qu'absolue. D'abord et par lui-même il n'accède qu'à une objectivité finie. La vérité que l'homme a, avec l'affirmation du péché, à s'approprier dans le savoir est en effet celle qui est impliquée dans la nature. Dans une nature qui, en l'homme, est corrompue par le péché. Une coupure se trace donc entre l'objectivité imparfaite que l'homme peut atteindre par lui-même, et l'objectivité parfaite qu'il ne peut atteindre que par Dieu, par la grâce de Dieu. Effondrement du finalisme aristotélicien, de la perspective selon laquelle peu à peu, par un progrès continu, sans rupture et de manière prévisible, l'idée se réaliserait. Certes l'idée ultimement se réalisera, et un finalisme "transcendant" pourra être justifié. Or l'objectivité apparaît comme caractérisant d'abord le divin, déterminé maintenant, d'une manière non grecque, comme l'absolu. Et elle est opposée, en tant qu'objectivité absolue, à ce que l'homme, déterminé maintenant, d'une manière là aussi non grecque, par sa finitude, peut par lui-même atteindre d'objectivité, et qui est objectivité finie."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

ABANDON, Foi, Objectivité, Autre, KIERKEGAARD

C'est d'abord l'Autre absolu qui, en s'abandonnant, accorde au fini les conditions - essentiellement la foi - pour accéder à la vraie autonomie et à l'objectivité absolue dans ses oeuvres. Car celui qui a la foi, en s'abandonnant à son tour au fini, et en lui redonnant toutes les conditions d'abord données par l'Autre absolu, peut être assuré que son oeuvre sera reconnue universellement. Mais s'abandonner aux autres, dans le monde ordinaire, sans s'abandonner d'abord à l'Autre absolu, ne permettra pas la reconnaissance des oeuvres individuelles par lesquelles des individus témoignent de leur foi, plutôt ces oeuvres seront-elles stigmatisées. Inversement celui qui s'abandonne à l'Autre absolu (à la manière de Kierkegaard) en refusant d'envisager l'abandon à tout autre et en déniant à celui-ci toute possibilité de parvenir à l'objectivité absolue, celui-là s'en tient au "paradoxe" et ne parvient pas non plus à l'autonomie absolue.

"À l’abandon ordinaire, qui permet certes d’accéder à l’objectivité reconnue dans le monde commun, mais qui est clôture sur soi du sujet fini et rejet, par celui-ci, de l’Autre absolu, la pensée de l’existence oppose un abandon vrai. Un abandon par quoi le sujet, contre l’autonomie illusoire où il s’enfermait, accepte sa finitude radicale, et s’abandonne, comme individu, à l’Autre absolu. Kierkegaard part de l’abandon traditionnellement attribué à la femme (« Son être est attachement, abandon, sinon elle n’est pas femme »). Cet abandon peut errer, s’arrêter à l’homme sans aller jusqu’à Dieu, transformer son objet en idole, comme Marguerite avec Faust. Mais, essentiellement, il dépasse tout Autre fini. Il est alors aussi bien masculin que féminin, abandon de la créature en général, où celle-ci, ayant renoncé au moi faux, trouve son vrai moi. Et Kierkegaard remarque d’autre part que l’Autre absolu lui-même, par le paradoxe, s’abandonne au fini. Certes Kierkegaard, comme toute la pensée de l’existence, accorderait que le fini, s’abandonnant à l’Autre absolu qui lui-même s’abandonne, reçoit alors de cet Autre les conditions pour assumer la finitude, et accède à l’autonomie réelle. Autonomie de la foi qui est le « tiers » par quoi « le disciple arrive à entrer en contact avec le paradoxe, quand l’intelligence se résorbe et que le paradoxe s’abandonne ». Kierkegaard accorderait même que le fini se heurte alors à l’objectivité réelle et vraie, celle du paradoxe, celle, pour Lacan, de l’objet « a ». Mais il exclut qu’on puisse, par-là, entrer dans un mouvement qui amène jusqu’à une objectivité absolue reconnue par tous."
JURANVILLE, 2000, ALTERITE

INDIVIDU, Subjectivité, Objectivité, Autre, LACAN

La pensée de l'existence avec Kierkegaard, comme la théorie de l'inconscient avec Lacan, posent la division du sujet en disjoignant temporellement la pensée de l'être ; mais seule la seconde rend possible, pour l'individu, une nouvelle objectivité pour autant que l'Autre lui en donne toutes les conditions : grâce, élection, et foi. En vertu de quoi, de la division du sujet l'on peut repasser à l'indivision, mais cette fois de l'individu, sans quoi aucune rupture de sa part ne serait possible.

"L’individu peut et doit, en tant que subjectivité existante, parvenir à l'objectivité. Car la subjectivité est relation à l’Autre et épreuve, dans cette relation, d’une contradiction à traverser pour devenir pleinement objectif (reconnu)... Mais la relation à l’Autre ne saurait demeurer, aux yeux de qui affirme l’existence, ce qu’elle était pour la pensée moderne, une relation qu’une subjectivité toujours déjà là ouvre pour s’objectiver et se connaître. Aux yeux de qui affirme l’existence, la relation à l’Autre survient imprévisiblement, faisant s’effondrer toute subjectivité déjà là. C’est une telle subjectivité qui commence par l’épreuve de pareil effondrement que vise Lacan quand il déclare : « De naître avec le signifiant, le sujet naît divisé. » Division du sujet qu’il a pu commenter ainsi : « Je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas. » Où il retrouve Kierkegaard opposant, à la subjectivité moderne, la « subjectivité de l’éthique et de l’existence », celle qui assume que « l’existence sépare la pensée et l’être, les tient distants l’un de l’autre dans la succession »... Certes la subjectivité se caractérise initialement et constitutivement par sa « division ». Certes, dans la relation à l’Autre, elle est, toujours d’abord et chaque fois à nouveau, objet, par quoi elle doit reconnaître et à partir de quoi elle doit éprouver sa finitude radicale (c’est ce que Lacan appelle l’objet « a ») – elle est en cela subjectivité finie, se sachant objet fini. Mais elle peut alors, par l’Autre, passer de sa « division » à une « indivision » d’individu, de monade – et devenir, comme, formellement, chez Hegel, subjectivité absolue menant l’objectivité jusqu’à son terme. Indivision du sujet avant tout par la grâce venue de l’Autre, sans laquelle il ne saurait y avoir d’individu... Mais indivision du sujet aussi par l’élection venue de l’Autre, sans laquelle l’individu ne pourrait pas s’engager à accomplir la rupture. Et par la foi venue de l’Autre, sans laquelle l’individu n’accomplirait pas effectivement, dans l’objectivité, cette rupture."
JURANVILLE, 2010, ICFH