Pour éviter d'être vaine et de s'assimiler à un refus de tout savoir, pour accomplir la vocation politique de la philosophie, la critique (qui est, rappelons-le, négation et savoir) ne saurait être immédiate ; elle présuppose la question comme ce qui accomplit la vocation éthique de la philosophie. Mais c'est bien la politique qui, finalement, justifie l'éthique, et en constitue l'aboutissement. Grâce à la critique, la philosophie est doublement fondatrice. D'abord, du côté de l'objet, elle permet de fonder l'objectivité vraie face à l'objectivité ordinaire, laquelle tend toujours à s'absoluiser faussement : elle le fait par la puissance spéculative et créatrice (métaphorique) du concept. Ensuite, du côté du sujet, elle permet à la subjectivité de se fonder elle-même sur la certitude, comme fondatrice du savoir et de l'objectivité du savoir. Mais ce principe fondateur subjectif implique la reconnaissance de la finitude radicale - par le moi s'identifiant à l'Autre absolu et assumant l'élection, donc pas seulement en tant qu'individu.
CRITIQUE, Fondation, Philosophie, Certitude
CONTRADICTION, Identité, Essence, Objectivité, HEGEL
La contradiction se présente comme la négation d'une identité, et plus profondément d'une essence reconnue comme fausse au coeur de cette identité. Grâce à la contradiction, la véritable essence peut être posée dans le concept ; mais cette essence sera nécessairement faussée, par finitude, et donc à son tour contredite. D'une façon générale, la contradiction fait s'effondrer, chez le sujet ou en dehors de lui, toute identité supposée déjà là et donc anticipative ; corollairement elle fait découvrir l'Autre comme le lieu premier de la vérité. La contradiction principale, bien décrite par Hegel, est celle du sujet et de l'objet, puisque le premier n'a de cesse, sur le chemin de la reconnaissance, de chercher à s'objectiver ; ce faisant il commence par poser l'identité déjà-là de l'objet, depuis sa propre identité subjective supposée, ce qui n'aboutit qu'à une détermination subjective de l'objet ; il ne lui reste plus qu'à remette également en question sa propre identité subjective. Etc.
CONNAISSANCE, Oeuvre, Occasion, Objectivité
Celui qui affirme l'existence suppose certes une oeuvre primordialement vraie, celle de l'Autre absolu, mais il exclut d'abord de poser son oeuvre propre en toute objectivité. Or il n'y a pas d'autre moyen de poser et de confirmer l'oeuvre primordiale que d'y répondre (et d'en répondre) par son oeuvre propre - laquelle recrée de quelque manière la consistance de l'oeuvre antérieure. C'est ainsi seulement que l'oeuvre devient connaissance. Et c'est ainsi que s'accomplit l'occasion, seulement quand l'oeuvre est posé dans son objectivité.
CHOSE, Jouissance, Objectivité, Réalité, LACAN
La Chose est la "substance jouissante" selon Lacan, à la fois ce que le sujet veut s'approprier, son objet de désir, et ce qu'il doit devenir. Pour cela il doit poser absolument la Chose, puisque que celle-ci - en tant qu'unité de la réalité (c'est sa définition) - constitue pour lui la forme ultime de l'objectivité : substance jouissante mais également signifiante - puisqu'il n'y a d'objectivité que de langage -, la Chose jouit de son unité toujours reconstituée. C'est cette jouissance de la Chose, et le savoir de cette jouissance, que le sujet vise dans son désir.
CERTITUDE, Evidence, Subjectivité, Objectivité
L'évidence, comme la certitude, sont des actes du sujet. L'évidence n'est pas l'objectivité en soi, mais la position subjective de l'objectivité, et en tant que telle l'instrument de la (bonne) mélancolie ; tandis que la certitude n'est pas la subjectivité en soi, mais la position de la subjectivité, et comme telle l'instrument de la culpabilité essentielle. La certitude est l'acte du sujet se posant comme principe de toute objectivité, quant il vise au savoir vrai, et quand l'objectivité commune, avec son évidence trompeuse, s'effondre sous l'effet du doute radical.
CERTITUDE, Culpabilité, Objectivité, Altérité, DESCARTES
"Que la certitude soit l’instrument de la culpabilité, cela se comprend déjà en ce qu’elle rappelle au sujet qu’il a à s’objectiver, à accomplir son œuvre de sujet. C’est cette certitude qui meut Descartes dans sa recherche du principe. C’est elle qu’il dégage comme telle pour y atteindre, puisque c’est à partir d’elle qu’il reconstituera, avec la grâce du Dieu bon, tout le système du savoir vrai."
JURANVILLE, 2000, ALTER
BONHEUR, Culpabilité, Objectivité, Sentiment
La positivité du bonheur doit être soutenue, contre la pensée de l'existence. Puisque le sentiment en général est ce qui permet au sujet de poser l'objet et de se poser dans l'objectivité, et comme le plaisir est ce sentiment qui ouvre au sujet l'espace de l'objectivité (et par quoi il assume sa mélancolie), le bonheur est le sentiment par lequel le sujet atteint enfin une forme d'objectivation (et par quoi il assume sa culpabilité). Chacun recherche le bonheur, comme le stipule Aristote ; restait à définir cet objet, précisément comme objectivité. Or pour la pensée de l'existence, et la quête du bonheur et son accomplissement contreviendraient à la finitude ainsi qu'à l'altérité essentielle, ce serait selon Kierkegaard demeurer au stade de l'esthétique. De même pour Freud le bonheur est pris dans la contradiction entre la satisfaction sexuelle (qui donne un semblant de bonheur) et la répression sociale (qui engendre la mauvaise culpabilité, sans possibilité de l'assumer comme il le faudrait pourtant).
CONNAISSANCE, Bonheur, Autre, Objectivité
"L’expérience, on l’a vu, est vérité de l’identité, identité constituée comme objective, pour tout Autre, à partir de la différence qui surgit (l’instant). Du savoir nous dirons qu’il est vérité de l’intériorité. La connaissance, elle, est vérité de l’extériorité. Elle pose l’identité comme toujours d’abord présente en l’Autre, toujours d’abord celle de l’Autre, à l’extérieur, et comme devant, à partir de cet Autre, devenir celle du sujet qui, à la fois, pourra poser l’Autre comme extérieur à lui et lui-même comme extérieur à l’Autre – l’un et l’autre ayant, dans cette relation qui se retourne, leur identité et consistance et autonomie vraie."
JURANVILLE, ALTER, 2000
ALTERITE, Identité, Objectivité, Autre, KIERKEGAARD
L'on peut affirmer que la pensée de l'existence - notamment kierkegaardienne - ne tire pas toutes les conséquences de l'altérité radicale, qu'elle suppose pourtant. Puisque si elle admet bien que le fini reçoit de l'Autre absolu toutes les conditions pour accéder à une identité renouvelée, à une existence authentique où il assumerait altérité et finitude, elle exclut, au nom même de la finitude, que cette identité puisse être posée objectivement et que cette existence se traduise par un savoir. Ainsi, au niveau de la "sphère esthétique", où le fini étant appelé à trouver un sens au sens-sens, où le recevant même il exclut de le reconstituer sans relâche dans l'épreuve de la finitude, et retombe finalement dans une identité immédiate et superficielle. De même encore au niveau de la "sphère éthique", où le sujet étant appelé à reconnaître sa relation constitutive à l'Autre, ainsi qu'à tout autre humain, où recevant même cette injonction il n'en assume pas la pleine responsabilité et en arrive, par sa passivité, à cautionner l'injustice. De même enfin au niveau de la "sphère religieuse", où le sujet étant appelé à accueillir l'Autre absolu, où lui reconnaissant sans doute une identité vraie et radicalement autre, reconnaissant donc l'altérité, il refuse de la poser de quelque façon objectivement dans le savoir, au nom de sa finitude radicale à lui.
ALIENATION, Révolution, Altérité, Objectivité
Avec les révolutions socialistes et le totalitarisme, le XXè siècle aura été le témoin d'une "aliénation de la désaliénation elle-même" comme le dit Levinas, prouvant par là-même ce qu'elles niaient farouchement, à savoir le caractère inéliminable de l'aliénation. Cela parce que l'aliénation a été ramenée à sa seule dimension sociale, elle n'a pas été vue dans son caractère essentiel, comme constitutive de la finitude humaine. On a voulu lui substituer une identité mythique à "retrouver", à "libérer", celle d'un "moi" déjà là (quelque soit le nom qu'on lui donne), exactement comme chez Hegel. A l'inverse la pensée de l'existence, celle de Levinas notamment, sous-estime trop l'enjeu politique de l'aliénation, comme elle efface trop vite la perspective d'une identité en général : « Unicité sans intériorité, moi sans repos en soi, otage de tous – homme sans identité » écrit Levinas. Même chose chez Lacan avec sa conception d'un Autre sans Autre, qui en ne reconnaissant pas, pour le sujet, la possibilité de se faire l'Autre de l'Autre, d'en retirer identité et objectivité, rend impossible toute désaliénation sociale.
ABSOLU, Finitude, Objectivité, Péché
L'homme ne peut prétendre, par ses propres moyens, qu'à la connaissance d'une objectivité finie. Mais en assumant sa finitude, sa séparation, en renonçant à "l'illusion du grand Tout mythologique", l'homme se dispose à accueillir le Nouveau, l'Autre divin. Lequel se laisse caractériser aussi bien comme Absolu (puisque surgissant en dehors de toute relation établie) que comme Infini, puisqu'il n'est soumis à aucune limitation, n'étant ni à l'intérieur du monde ni même à sa limite. Dès lors la finitude peut prendre une nouvelle valeur, l'homme plaçant désormais son identité dans sa relation à l'Autre absolu. La faute, le péché consiste précisément à absolutiser l'objectivité finie, à s'en suffire : orgueil, suffisance ordinaire de la créature, bien plus "mortelle" que la simple tentation charnelle. Mais un espace s'ouvre pour l'objectivation du fini, avec la science galiléenne, dès lors qu'elle ne cherche plus à absolutiser l'objet dans la foulée, laissant à la philosophie la tâche de fixer une effective objectivité absolue dans son propre discours.