Lacan reconnait que le désir du psychanalyste se rapproche du désir de Socrate, à savoir justement transmettre un désir plutôt qu'un savoir ; et qu'il s'agit d'incarner plutôt le non-savoir, en se retirant (provisoirement) du jeu comme sujet du désir pour s'en faire l'objet ; et Lacan reconnaît qu'il s'agit de la grâce commune du psychanalyste et de Socrate. Mais il rejette (légitimement) la possibilité, pour le psychanalyste, d'un savoir qui se saurait, alors qu'on ne peut pas l'exclure sans se contredire s'agissant du philosophe. Il rejette aussi (cette fois injustement) toute possibilité, pour le discours philosophique, de justifier la rationalité du discours psychanalytique.
"Lacan sait bien que le discours psychanalytique, qui ne peut pas lui-même justifier sa présence dans l'actuel monde social, est menacé et qu'il aurait besoin d'une justification et confirmation. Le discours psychanalytique ouvre en effet à l'existant l'espace pour devenir individu véritable. Pour s'affronter à la finitude de l'humain, s'arracher aux modèles sociaux traditionnels, rompre avec l'entraînement vers le paganisme. Déjà Socrate au commencement de l'histoire ouvrait cet espace, quand, à son interlocuteur venu chercher auprès de lui le savoir, il répondait que lui-même ne sait pas; que chacun a toujours déjà en soi, par la présence de l'idée, la vérité; qu'il faut la faire revenir par un travail de réminiscence; et que le savoir en résultera. Grâce de Socrate par son affirmation de non-savoir (alors qu'il sait, mais c'est parce qu'il a laissé travailler en lui le non-savoir)."
JURANVILLE, UJC, 2021