Affichage des articles dont le libellé est 2024. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est 2024. Afficher tous les articles

PHILOSOPHIE, Justice, Discours, Critique, LEVINAS

Levinas conçoit la philosophie comme une quête de justice, en opposition à la pensée de Heidegger, qu’il associe à un enracinement ontologique païen et sacrificiel. Contre toute sacralisation de l’Être, la philosophie doit se tourner vers l’Autre et viser une justice fondée sur la reconnaissance éthique : reconnaître en Autrui un maître. Le savoir véritable ne se réduit ni au savoir scientifique ni à une vérité identitaire, anticipable : il suppose l’ouverture à l’Infini, une origine en-deçà de toute origine, révélant un sujet créé et investi par l’Autre. Le discours philosophique doit donc rester profondément diachronique, fondé sur un rapport au Dire toujours instable, toujours à redire, qui ne se referme jamais sur le dit. Ce Dire n’est pas contenu dans un système : il est une parole qui doit se dédire, car vouloir la rassembler reviendrait à la trahir, à ramener l’Autre à l’Être. Le Moi, chez Levinas, est toujours déjà substitué par l’Autre, dans une relation d’obsession, de persécution, qui le prive de toute possibilité de repli identitaire. Il est voué à une an-archie, à une absence de fondement qui empêche toute clôture du savoir ou de la conscience.
Cependant, cette altérité radicale ne se limite pas à la relation au prochain. Levinas introduit la notion de tiers, figure essentielle pour penser la société, la justice et la politique. Le tiers, c’est l’autre du prochain, mais aussi un autre prochain, par lequel surgit la nécessité de l’égalité, de la comparaison, et d’un ordre commun. Cette dimension n’est pas empirique : elle est d’emblée inscrite dans la relation à Autrui, et appelle une justice qui dépasse la simple proximité éthique. Elle introduit la pensée, l’histoire, l’écriture, et suppose un juge souverain entre les incomparables. Ainsi, la philosophie devient la mesure – non de la charité, mais de l’amour transformé en sagesse politique. Toutefois, Levinas contesterait toute tentative de clore cette justice dans un système. Un savoir universellement reconnu et anticipable par tous serait incompatible avec l’ouverture imprévisible à l’Autre. La justice, même politique, reste chez lui une exigence éthique, une orientation, non une institution achevée. Elle ne rompt pas avec le monde sacrificiel par une fondation nouvelle, mais persiste comme question : celle de savoir si la nécessité rationnelle peut être principe, ou si elle suppose un en-deçà, un au-delà de tout principe, fondé sur la transcendance de l’Autre.



"La critique devrait, chez Levinas, conduire à un savoir absolument rationnel fondé sur un principe. Car elle est, par lui, identifiée à la philosophie et dite l’essence du savoir. Elle viserait le savoir vrai, donnant place, en lui, à l’Autre comme tel; un savoir allant au-delà du savoir ordinaire qui reste, lui, dans les limites de l’identité anticipative et fausse, que ce soit celui du monde traditionnel païen ou celui de la science... La critique semble bien conduire à assumer, dans le cadre du discours comme Dire et comme Dit, ce moment de critique radicale exercée contre le discours lui-même. À l’assumer comme une conséquence nécessaire de l’existence essentielle et de sa finitude radicale en l’homme. À l’assumer comme vérité supposée en l’autre homme et en sa parole surgissant imprévisiblement. De là ce qu’on peut appeler le discours philosophique au sens propre, comme tiers discours. On serait passé par le discours ontologique avec sa réduction du Dire au Dit; puis par le discours sceptique s’en tenant au Dire contre le Dit; et enfin on en viendrait à un Dire dont le Dit assumerait ce passage – et qui exprimerait le savoir de l’existence... Mais la critique ne peut aucunement, aux yeux de Levinas, en venir à proposer un savoir qui se poserait comme tel, à partir d’un principe."
JURANVILLE, 2024, PL

CREATION, Nomination, Homme, Dieu

La création s'exerce par la nomination, divine d'abord (comme il est rapporté dans la Genèse), humaine ensuite pour donner consistance aux choses. "Dieu se reposa lorsque dans l’homme il eut déposé  son pouvoir créateur" et lorsque "les choses reçoivent  leur nom de l’homme" écrit Benjamin. Ensuite Dieu créa la femme afin que l'homme ne se sente pas seul, à partir d'une côte prélevée sur l'homme (on peut voir dans cette partie désormais manquante le Phallus dont parle la psychanalyse) : elle devient dès lors son semblable et son égale. Cependant la puissance créatrice ne tarde pas à se fausser chez l'homme, à se transformer en rivalité avec Dieu (adoration d'idoles fausses, sacrifices, prétention par la magie d'égaler Dieu... toute la panoplie du paganisme). C'est bien parce qu'un matriarcat s'installe, célébrant la Nature plutôt que le divin, ou le corps maternel plutôt que la parole paternelle, que la tentation - ourdie par le serpent-phallus (prétendant effacer la castration) - touche d'abord la femme, puis l'homme immédiatement, puisqu'il ne tarde pas à croquer à son tour dans la pomme (objet partiel du corps maternel). Même finitude donc, chez l'homme et la femme, qu'ils devront assumer (et non pas nier) dans le désir et la sexualité comme moyen de se tourner vers l'Autre, de le "connaître", et bien sûr moyen de procréer ...des semblables, d'autres créatures de Dieu.


"En fait, conformément à ce que dit le chapitre I de la Genèse  (« Mâle et femelle il les créa » – pour la reproduction, comme  les animaux), et de même si l’on suit les chapitres ii et iii,  l’homme et la femme sont rigoureusement égaux, dans leur finitude humaine. Car, si la femme est tentée la première, par le serpent qui incarne l’ordre matriarcal traditionnel, l’homme l’est aussitôt après, par la femme qui lui tend la pomme. Laquelle n’est autre que le corps maternel ou une partie de ce corps, l’objet pulsionnel (ou objet a de Lacan), avec quoi il va tenter  de combler son manque (celui qu’a provoqué l’extraction de la côte, ou encore la castration symbolique). Dès lors l’homme désirera pour autant qu’au lieu de tenter de le combler par la  pomme, il laissera se creuser ce manque et l’assumera en se rapportant à l’Autre; et la femme désirera pour autant que, sans manque apparent à l’origine, mais finie et ayant cédé à la tentation du serpent-phallus, l’ayant envié, elle assumera elle aussi son manque. Ce désir, en l’un et l’autre sexes, se forme à partir de la tentation par l’objet partiel (pomme ou serpent-phallus), est toujours d’abord, en cela, désir sexuel, voué, comme le voulait l’Autre divin, à la reproduction. Laquelle, pour les humains, devient procréation, production de semblables spirituels qui auront à être voulus et aimés comme Autres vrais."
JURANVILLE, 2024, PL

CHOSE, Création, Autre, Sujet

Devenir Chose est l'horizon du sujet, ce qui est possible par la création dans laquelle le sujet s'identifie à l'Autre absolu. Car en tant qu'unité et en même temps réalité, la Chose est d'abord la substance de cet Autre absolu créateur, puis elle devient celle de tout existant en devenir, par le biais de sa création. Cependant, elle tend à se réduire à une Chose mythique (corps maternel, monde sacrificiel) et, même accomplie, l'œuvre devient statique et inerte, fascinée par elle-même.


"Elle est pour nous la réalité dans son unité, unité et en même temps réalité – d’abord la substance de l’Autre absolu et, à partir de là, celle, en formation, de  chaque existant. La Chose est, fondamentalement et d’abord, la Chose vraie, que l’existant a à devenir à l’image de l’Autre absolu comme Chose créatrice par excellence."
JURANVILLE, 2024, PL

AUTRE, Absolu, Finitude, Rédemption, ROSENZWEIG

La philosophie contemporaine depuis Kierkegaard a fait de l'altérité une donnée essentielle. Non seulement l'Autre surgit imprévisiblement, dans le temps réel, mais l'identité elle-même se reconstitue à partir de ce qui vient et viendra de l'Autre, au-delà de la fausse identité apportée par la seule relation sujet-objet. Or seul un Autre absolu (absolument Autre, jamais clos sur lui-même) peut choisir de s'ouvrir à son Autre et ainsi sauver le sujet de sa finitude radicale, soit justement le refus de l'altérité inscrit dans la nature de l'homme. C'est ce qui fait dire à Rosenzweig que la vraie puissance de Dieu se manifeste dans la Rédemption, pour lui-même comme pour la créature : « Dieu est le Rédempteur, en un sens bien plus fort qu’il n’est Créateur et Révélateur… Il n’est pas seulement le Rédempteur, il accueille la Rédemption en  dernière instance pour lui-même. » Cela n'empêche pas l'Autre d'être immédiatement faussé par la créature, par finitude, transformé en un Autre clôt sur soi et fétichisé.


"L’Autre est toujours d’abord Autre vrai, avant tout l’Autre  absolu qui suprêmement existe, veut l’existence, alors que  l’homme primordialement la rejette, ce primordial rejet constituant ce qui nous appelons sa finitude radicale. Cet Autre s’ouvre par essence à l’homme comme à son Autre, il le veut Autre vrai, fait que, tout radicalement fini qu’il soit, il ait toutes  les conditions pour devenir un tel Autre. Pour Booz, chez Hugo, c’est un songe descendant du ciel et le mettant en possession de sa puissance créatrice et procréatrice."
JURANVILLE, 2024, PL

AUTRE, Autrui, Absolu, Infini, LEVINAS

La philosophie comme critique, selon Levinas, consiste à reprendre la question de l'être (heideggérienne), en la reformulant comme responsabilité devant l'Autre - cet Autre absolu qu'est Autrui, ou encore cet infiniment Autre, qu'il nomme parfois Dieu. L'éthique s'oppose ainsi à l'ontologie, à sa prétention au savoir, dans laquelle serait retombé Heidegger - faux savoirs dans lesquels se dissimulent toujours les idoles païennes.


"Heidegger, concevant plus essentiellement la philosophie que ne l’avait fait la tradition philosophique, avait dégagé la différence entre l’étant et l’être (ce que nous appelons la métaphore de l’être). Levinas commence par la reprendre dans toute sa dimension temporelle (l’étant du côté du temps imaginaire, l’être du côté du temps réel). Heidegger avait présenté la philosophie comme question de l’être, avec le non-savoir essentiel dont il faut alors faire l’épreuve. Levinas s’attache, lui, à ce non-savoir et précisément à la négation qui y est supposée d’un savoir faux, c’est-à-dire à la critique, qu’il va jusqu’à identifier à la philosophie."
JURANVILLE, 2024, PL

DISCOURS UNIVERSITAIRE, Savoir, Autre, Philosophie, HEGEL

Le discours universitaire s'oppose au discours du maître, et plaçant le savoir et non plus la loi en position dominante, bien qu'il n'efface pas l'effet de fascination propre à tout discours et qu'il reconduise une volonté de pouvoir. L'universitaire (et d'abord le clerc, historiquement) revendique un Autre absolu au-delà du maître, et aussi au-delà de l'objet idolâtré par le peuple. Dans l'optique philosophique qui englobe largement ce discours, cela correspond d'une part à l'attitude critique kantienne (réduction de la connaissance à l'objectivité finie mais supposition d'un Absolu moral au-delà, pour éviter justement l'idolâtrie), d'autre part à la Science hégélienne (pour qui le doute et la finitude font partie du chemin par lequel le Concept en vient à se poser dans sa vérité). Reste une impuissance caractéristique, pour ce discours, à atteindre justement l'Autre (toujours idéalisé, en fait) et donc à rendre crédible la vérité visée. Si Lacan surnomme Hegel « le plus sublime des hystériques », paradoxalement, c'est bien parce que l'effet produit par ce discours (sa chaine signifiante inférieure) reconduit, en l'inversant, la relation signifiante hystérique (chaine supérieure dudit discours) en tant qu'elle se méprend, typiquement, sur la nature même du désir, rabattu sur un désir de savoir, savoir attribué à un sujet qui plus est ! « C’est la béance où s’engouffre le sujet qu’il [ce discours] produit de devoir supposer un auteur au savoir » dit Lacan dans Radiophonie, soit la "Je-cratie", cette fausse identité du "Je idéal, du Je qui maîtrise", où Lacan voit le mythe philosophique par excellence. Reste que, socialement, du point de vue de l'histoire, ce discours doit avoir sa légitimité selon Juranville, comme les trois autres discours ; disons même que son rôle, de par sa nature intellectuelle, sa position enseignante, sa relative abnégation au regard du pouvoir (ce que Juranville appelle sa "grâce") est de favoriser une telle reconnaissance mutuelle entre les différents discours.

"Un troisième discours est alors introduit par l’existant  pour autant que, s’étant engagé dans l’épreuve de la finitude  radicale, il est prêt à en assumer expressément quelque chose et qu’il veut, à partir de là, réellement s’opposer au discours du  maître. Discours dont la dominante n’est plus la loi, comme pour le discours du maître, ni le symptôme, comme pour le  discours hystérico-populaire, mais le savoir où s’exprime cette  assomption expresse. Ce discours s’oppose bien réellement au discours du maître, il élève bien un autre pouvoir contre le  pouvoir du maître. Mais il ne libère pas de l’essentiel, qui est la soumission fascinatoire à l’Autre voulu faux et idolâtrique, bien au contraire il tend à la faire apparaître comme indépassable. Car d’une part, reconnaissant expressément la finitude, l’existant fait référence à un Autre absolu au-delà du maître ramené à sa finitude d’humain et qui ne peut plus incarner cet Autre. Autre divin ou grand auteur qui a, dans et par son œuvre, rendu perceptible, manifesté et montré la présence indubitable d’un tel Autre absolu."
JURANVILLE, 2024, PL

DISCOURS, Raison, Vérité, Maitrise, LEVINAS

Rappelons que le discours se caractérise, de la part d'un locuteur, comme une suite coordonnée de propositions destinée à influencer un auditeur, de façon à le convaincre (ou le persuader) que la raison d'un tel discours est vraie ; ce qui advient justement lorsque la raison du discours est partagée, à la suite éventuellement d'un dialogue. Mais l'effet d'ensemble, ou de totalité, véhiculée par la raison supposée du discours, suscite toujours dans un premier temps une fascination qui provoque une adhésion immédiate au discours du locuteur, toujours déjà, de ce point de, en position de maîtrise. C'est que le discours est avant tout un instrument de pouvoir, d'abord évidemment pour le pouvoir politique ; d'où la dénonciation constante par Platon de la rhétorique - et des Sophistes passés maîtres en cet art de persuader. Il y a donc une perversion en quelque sorte originelle du discours, du fait que le jugement de l'autre étant attendu, redouté, le locuteur va tout faire pour obtenir son approbation jusqu'à éventuellement tordre et dénaturer sa propre raison. « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours » écrit Levinas (le "transcendant" étant ici l'Autre en général). Mais cela n'empêche pas, selon Juranville, que la subjectivité naturelle du discours, en tant que celui-ci est raison et vérité (sinon il n'est rien), cherche à se dépasser dans la reconnaissance de l'Autre et avant tout de l'Autre absolu.

"Le discours est, aux yeux de Levinas et légitimement, toujours, pour celui qui le tient, un discours dapologie. Apologie de soi directement ou de la cause qu’on veut défendre. Elle est inévitable parce que la subjectivité qui, par sa parole, par son verbe, par sa voix, prononce le discours, veut être jugée le plus favorablement par l’Autre: « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours. » Mais Levinas a eu beau en venir finalement à parler, pour le sujet existant caractérisé par l’élection, d’« identité injustifiable de l’ipséité », le discours, outre la dimension de subjectivité de l’apologie, toujours menacée d’être une brute affirmation de soi, toujours en soi équivoque, prétend nécessairement avoir objectivité et rationalité. L’existant cherche en effet à fonder son discours, l’identité et consistance de son discours, dans un principe qui dépasse sa subjectivité ; à le justifier, aux yeux de l’Autre absolu (jugement de Dieu) et par cet Autre comme principe premier, mais aussi aux yeux de l’Autre fini, de l’autre homme, puisque c’est à celui-ci que le discours s’adresse directement."
JURANVILLE, 2024, PL

DISCOURS DU PEUPLE, Discours de l'hystérique, Maîtrise, Tradition, LACAN

Dans le discours dit "hystérique" par Lacan, l'élément dominant n'est plus la loi, comme dans le discours du maitre, mais le symptôme. C'est à partir de lui qui le sujet s'adresse au maître, en apparence pour le contester, mais en réalité pour le conforter puisqu'il se montre incapable de poser le moindre principe premier ou signifiant maître. C'est aussi bien le discours empiriste, ou scientifique, qui ne voit partout que des relations et des structures ouvertes, sans vérité ni fondement. Au-delà de cette limitation, Lacan gratifia Hegel d'être "le plus sublime des hystériques" puisqu'il a entrepris, finalement, de démontrer le bien-fondé de la maîtrise, au terme d'une démarche certes questionnante mais parfaitement circulaire. Au plan historique ce discours mérite d'être désigné comme "discours du peuple", tant il caractérise précisément les sociétés sans maîtres véritables, sociétés païennes et sacrificielle ne respectant que la loi immanente du totem-animal.

"Face au discours du maître, l’existant, tout fini qu’il est, en vient à tenir un autre discours. Discours dont la dominante n’est plus, selon Lacan, la loi, comme pour le discours du maître, mais le symptôme. Discours de protestation, qui dit que « rien ne va plus », que « les choses ne tournent plus rond ». Celui d’Hamlet déplorant que « le temps [soit] hors de ses gonds » et maudissant son sort d’être « né pour le mettre droit. » Par cet autre discours, il semble que l’existant s’arrache à sa soumission fascinatoire ; par ce discours, en fait il s’y enfonce... L’existant, par ce discours, reproche vainement au maître de ne pas avouer sa captation à lui aussi dans les intérêts et les plaisirs. Il reste soumis à son pouvoir. C’est la position fondamentale du peuple et ce à quoi il revient toujours, quelles que soient les poussées révolutionnaires qui le soulèvent provisoirement. Peuple qui rassemble tous les existants en tant qu’ils ne se sont pas encore engagés dans l’affrontement à la finitude et dans la voie de l’individualité véritable... Par rapport à l’histoire universelle, il est celui qui organise le monde traditionnel sacrificiel. Lacan avait dit que « les sociétés appelées primitives ne [sont] pas dominées par le discours du maître »".
JURANVILLE, 2024, PL

DISCOURS PSYCHANALYTIQUE, Individu, Sens, Grâce, LACAN

Seul le discours psychanalytique rompt avec l'effet de fascination qu'exerce structurellement l'agent sur celui auquel il s'adresse. En effet d'une part l'analyste pose explicitement sa propre finitude en se faisant objet-déchet, renonçant à incarner la vérité, le sens ou la raison, d'autre part il pose implicitement l'autre comme étant dépositaire d'une vérité, en lui donnant l'occasion de la déployer progressivement dans la parole. Or ce double mouvement, comme le mentionne Lacan, caractérise la grâce. A l'effet de fascination, se substitue du côté de l'analysant l'effet de sens (conquis dans la traversée du non-sens) comme finalité du discours. Car au bout du compte, c'est bien un savoir que reconstitue l'analysant, un savoir qui donne sens à ses symptômes. Enfin, dans une perspective historique, c'est bien un individu autonome au sein d'une société juste que ce discours psychanalytique, articulé rationnellement, et cette fois adossé à la philosophie, tend à promouvoir. (Même si l'on peut penser que ce "discours de l'individu" a toujours été présent, de façon latente, depuis que la société existe, comme la supportant secrètement, puisqu'il est en soi raison et raison reconnue par l'Autre - le discours psychanalytique n'en serait que la version la plus récente.)

"Comment le discours peut-il réellement mettre en question le rapport de fascination que l’existant établit avec un maître quel qu’il soit ? Et comment peut-il se conformer à son essence de discours qui est de s’ouvrir à l’Autre et de chercher son libre accord avec le savoir rationnel qu’il véhicule ? Il faut que celui qui est en position de fasciner pose sa propre finitude – de façon absolument libre, sans en jouir libidinalement comme le fait celui qui tient le discours hystérico-populaire parce qu’il reste fasciné par le maître auquel il adresse vainement son discours de protestation. Et il faut en même temps qu’il pose celui qui est en position d’être fasciné comme ayant déjà la vérité en lui et devant simplement la laisser venir dans sa parole – ce qui impliquera l’épreuve de la finitude, mais n’a pas à être mentionné d’emblée. Ce double mouvement d’effacement ou dé-position de soi, et d’affirmation de la vérité en l’autre devenant Autre vrai, caractérise la grâce."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Existence, Analogie, Métaphysique, HEIDEGGER

Une philosophie ignorant l'existence essentielle (et la finitude qui la caractérise) ne peut qu'ignorer également la métaphore (comme identification à l'Autre), la réduire à une figure simple comme l'analogie ou la comparaison, pour finalement ramener tout sujet au Même, dans une temporalité homogène qui est aussi négation du temps. C'est le cas des rhétoriciens (comme Fontanier) qui n'y voient que procédé formel, des métaphysiciens qui ne sortent guère de l'axe analogique sensible-intelligible (cf. la critique de Heidegger), des scientifiques qui la réduisent à une association non essentielle tout en la parant de vertus illustratives et pédagogiques.

"Mais, quel que soit l’effet d’éclairement surprenant, d’étrangeté, de surprise que la métaphore comme analogie puisse susciter, elle ne laisse de renvoyer, partant d’un élément concret donné dans l’expérience, à un au-delà qui n’est pas un Autre vrai, à une identité et signification anticipative, hors temps. Exemple par excellence, celui de l’Allégorie de la caverne au livre VII de La République de Platon, où l’au-delà est celui du Bien par rapport au soleil, le soleil étant l’analogue sur le plan physique, par son action éclairante et fécondante, du Bien sur le plan métaphysique. De là ce qu’il y a de tout à fait légitime dans la critique de Heidegger contre la métaphore: « Le métaphorique n’existe qu’à l’intérieur de la métaphysique » – celle-ci caractérisée par la « séparation du sensible et du suprasensible comme de deux domaines subsistant chacun pour soi. » À quoi Heidegger oppose la vérité originelle des noms: « Puisque notre entendre et notre voir ne sont jamais une simple réception par les sens, il ne convient pas non plus d’affirmer que l’interprétation de la pensée comme saisie par l’ouïe et le regard ne représente qu’une métaphore. » Nous entendons par tout notre être une sonate de Beethoven, et non pas par nos oreilles une suite de sons (« C’est nous qui entendons, et non l’oreille. »), nous voyons de même un tableau de Van Gogh, et non pas par nos yeux telles taches de couleur. Sauf que la métaphore ne se réduit pas forcément à l’analogie. Et que le propre de l’homme, c’est que la vérité originelle des noms, par et pour lui, est d’abord perdue et doit être reconstituée."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Identité, Signifiance, Nom, LEVINAS

La métaphore promeut la signifiance d'un terme substitué à un autre (renvoyé provisoirement à la non-signifiance), dont il est maintenant l'Autre vrai, porteur d'une nouvelle identité. Levinas évoque un tel effacement du sujet devant Autrui dont il est responsable : ce n'est rien d'autre qu'une substitution signifiante (métaphore) d'Autrui à moi et une identification de moi à Autrui, mais bien au niveau du dire (signifiance au sens plein - c'est pourquoi il y a obligation, éthique) et non à celui du dit (simple renvoi réciproque, égalitaire, non éthique). Or le premier terme (ou sujet) subissant la substitution ne disparait pas, il est amené à se reconstituer au contraire (après avoir subi jusqu'au bout l'épreuve du non-sens et de la contradiction) par la grâce de cet Autre qui, après l'avoir changé, lui dispense les conditions pour se signifier à nouveau lui-même, c'est-à-dire finalement retrouver la puissance créatrice du nom au moyen de nouvelles métaphores.

"Pourquoi donner une place absolument décisive à la métaphore dans un ouvrage intitulé: Philosophie et langage ? Parce que l’existant a été infidèle (c’est son péché originel, dit Benjamin) à la puissance créatrice du nom; parce que pèse dorénavant sur lui l’exigence de la restaurer effectivement, de reconstituer comme nouvelle l’identité et consistance originelle ; et parce que cette identité pourra alors être principe du savoir philosophique. Or la métaphore permet une telle restauration et reconstitution. Car elle est substitution d’un terme (nom) posé comme pleinement signifiant, lieu d’identité et consistance pleine, à un autre effacé au contraire, renvoyé dans la non-signifiance – le terme effacé ayant à faire jusqu’au bout l’épreuve de sa non-signifiance, jusqu’à se reconstituer comme pleinement signifiant lui aussi. Car l’identité supposée du terme qui subit la substitution est effacée, vidée, réduite à néant par rapport au terme qui lui est substitué et qui est en position d’Autre vrai, lieu par excellence de la vérité, de la signifiance, de l’identité et consistance : la générosité de Booz, trop humain, n’est rien par rapport à celle de la gerbe mythique qui se déploie et s’offre sans réserve... La métaphore peut donc être présentée comme conduisant à l’élaboration d’une identité nouvelle, par identification à l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Philosophie, Création, Nom

Eminemment, la métaphore est à l'oeuvre dans le déploiement du savoir philosophique en tant qu'il doit être vécu comme épreuve, affrontement à la finitude, et finalement reconstitution du principe créateur (que la finitude nous conduit précisément à fuir) contenu initialement dans le nom : d'abord métaphore de l'être (signant l'entrée dans le discours philosophique comme tel), puis métaphore du concept (structurant ce savoir en propositions), enfin métaphore de la raison (organisant le savoir en système).

"Toujours semblable structuralement à la métaphore première qui est celle du nom, la métaphore intervient, pour le savoir philosophique, d’abord comme métaphore de l’être, par quoi on entre dans le langage (discours) de la philosophie, de son savoir ; ensuite comme métaphore du concept, par quoi on énonce les propositions de ce savoir ; enfin comme métaphore de la raison, par quoi on établit le système de ce savoir. Encore faut-il que la métaphore ait conduit effectivement à l’épreuve de toute la finitude, que l’identification entre le terme qui a subi la substitution et celui qui lui a été substitué ne se fasse que par cette épreuve – et alors l’identité sur laquelle on débouche sera véritable."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Identification, Substitution, Autre

Toute métaphore, basée sur la substitution d'un signifiant à un autre signifiant, est dans son principe identification à l'Autre (ce n'est pas une analogie, ni une comparaison). Elle fait jaillir le sens de la traversée du non-sens (voire du "plus grand disparate" comme chez les surréalistes) ; elle correspond, sur le plan logique, à une contradiction résolue. Dans la vie subjective l'identification métaphorique est toujours un parcours, un processus d'écriture (ou plutôt de réécritures, d'imitations successives) faisant apparaître plusieurs Autres (ainsi les trois modes d'identification chez Freud, reprises par Lacan).

"Dès qu’on pousse l’affirmation de l’existence jusqu’au bout, dès qu’on affirme l’inconscient, l’identification devient identification à l’Autre et prend une portée tout à fait majeure. Elle n’est plus dégagement d’une identité intemporelle commune (celle de la fin pour le jour et la vie, avec le soir et la vieillesse), mais la constitution, par l’épreuve de la contradiction et finitude radicale, d’une identité nouvelle... C’est ce parcours d’écriture, d’épreuve à faire et faite de la contradiction que la métaphore fait suivre."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Sujet, Révolution

Puis, toujours le deuxième moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie bien l'étant au sujet, mais en le reconnaissant dans sa finitude : selon Kant c'est l'objet qui se règle sur la connaissance, c'est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, et il faut admettre qu'il ne se donne que dans l'expérience sensible. Il ne peut y avoir de sujet absolu que dans le domaine moral, et encore cela ne relève t-il que qu'un idéal. Hegel ouvre certes la voie, dialectique, vers un sujet absolu et même un savoir absolu, explicitement philosophique, mais qui ne peut obtenir aucune reconnaissance universelle. Ce savoir philosophique débouche pourtant, à la fin de l'époque moderne, sur l'événement de la Révolution et donc sur la reconnaissance au moins d'un progrès, essentiellement juridique ; progrès inséparable d'ailleurs d'une autre finitude dite "radicale", elle-même morale et comme redoublant la finitude naturelle, puisqu'elle consiste dans le refus même de la liberté et de tout progrès, volonté de répétition pure, pulsion de mort.

"Le sujet est ensuite découvert dans sa finitude irréductible. C’est ce qu’a apporté Kant. Non seulement l’objet doit selon lui (c’est la « révolution copernicienne ») se régler sur la connaissance, c’est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, mais il doit être donné dans l’expérience sensible. Pas d’autre savoir reconnu de tous que celui des sciences positives, qui n’envisage qu’un objet fini. L’homme doit se vouloir sujet absolu, mais cela ne vaut que pour le domaine moral et reste de toute façon hors d’atteinte (c’est l’idéal impossible de sainteté), et la faille de la finitude est toujours là. Certes Hegel va reprendre les analyses de Kant et soutenir que la finitude inéliminable alors découverte peut être dépassée dialectiquement, le sujet humain se faire sujet absolu déployant le savoir vrai, philosophique... Mais ledit savoir absolu, quelque perfection formelle qu’il ait atteinte, n’a pas bénéficié (c’est le moins qu’on puisse dire!) de la reconnaissance universelle... Il y a bien pourtant reconnaissance implicite, en ce temps, pour le savoir philosophique comme cosmologique. C’est le progrès général, notamment juridique, des sociétés historiques. Progrès qui débouche sur la Révolution française. Mais, dans cette Révolution, surgit, précisément par la Terreur et la Contre-Terreur, l’évidence d’une autre finitude, de ce que nous appelons la finitude radicale ou pulsion de mort."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Sujet, Science

Dans un second moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie l'étant au sujet, lequel part en quête d'une reconnaissance universelle du savoir : cela correspond, historiquement, à l"époque moderne de l'institution de la science. Il revient à Descartes, par l'entreprise du doute, d'avoir établi le sujet dans sa vérité, et d'en déduire la connaissance du monde (on parlera donc du "savoir cosmologique du solipsisme", lequel ne se déploie plus par le nom, mais par la proposition). Mais sans la véracité divine, n'existerait aucune garantie de quelque savoir que ce soit. Le sujet, certes séparé et fini, est désormais en mesure de recréer le monde, même si les philosophes rationalistes postérieurs à Descartes atténueront, voire nieront, cette liberté créatrice et cette finitude du sujet en ramenant celui-ci dans le giron de la substance divine (notamment Spinoza).

"La reconnaissance du savoir, un savoir universellement reconnu et donc irréfutable, c’est ce qui est visé par l’étant (l’étant humain – l’homme, dit Levinas, est « l’étant par excellence ») devenant, au deuxième moment du déploiement de la métaphore de l’être, sujet... Descartes est le premier à avoir ainsi, par l’entreprise du doute qu’il a extrémisée dans les Méditations, fait apparaître le sujet dans sa vérité. Aristote avait parlé du sujet, de l’ὐποκείμενον, mais en tant que support d’un mouvement où toute la vérité résidait dans ce qui était visé, dans l’objet (encore qu’il ne parle pas d’objet comme il parle de sujet). Descartes, dans la recherche d’un savoir absolument indubitable, décrit le mouvement du doute portant d’abord sur la connaissance sensible, puis, par l’hypothèse du Malin Génie, sur la connaissance mathématicorationnelle elle-même. Jusqu’à déboucher sur la certitude du Ego sum ego existo, Je suis j’existe. Mais celle-ci, instantanée, ne devient celle d’un sujet élevé à sa vérité que parce que le Dieu puissant et bon dont l’existence est alors démontrée assure la continuité de cette certitude, l’identité du sujet à travers le temps. De là la constitution d’un nouveau savoir philosophique définitif, au-delà du savoir mathématique qui reste un modèle de savoir indubitable, le savoir cosmologique du solipsisme – le sujet, dans sa solitude heureuse offerte par Dieu, est en position de recréer le monde."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Objet, Théologie

Puis, toujours dans le premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie bien l'étant à l'objet, mais en le reconnaissant dans sa finitude (un être non seulement sensible et temporel, mais pécheur, et fuyant sa finitude) par rapport à l'être absolu, divin, éternel (alors qu'il est créateur) : cette interprétation correspond historiquement à la période médiévale. Avec l'institution de l'Eglise, se déploie le savoir théologique trinitaire du réalisme, fondé sur le Verbe, donc ouvert à la temporalité. Cette fois le Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection) devait permettre l'universalisation de la Révélation et de son savoir.

"L’objet (l’étant) est ensuite reconnu dans sa finitude. Il est toujours le sensible par rapport à l’être comme l’intelligible. Mais il est de plus le fini par rapport à l’être comme l’absolu ; il est le radicalement fini dans le cas de l’homme, dès lors que, par le péché, celui-ci se détourne de Dieu, de l’absolu, de ce qui est par excellence l’être ou l’intelligible – toujours présenté comme l’intemporel, alors qu’il est maintenant créateur. À partir du Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection), l’avènement du christianisme devait permettre, par la grâce en lui glorifiée, d’obtenir la diffusion et l’universalisation les plus amples ; de passer outre aux limites qu’avaient rencontrées la philosophie et, plus originellement, le judaïsme, d’abord porteur seul de la Révélation. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque médiévale. Le savoir définitif qui y est élaboré est celui, théologique, du réalisme. Il se fonde sur le langage comme verbe (avec ses trois personnes, ses trois temps – passé, présent, futur – et ses trois modes fondamentaux – indicatif, impératif, subjonctif –, toujours à l’image de la Trinité divine)."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Objet, Ontologie

Dans un premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie l'étant à l'objet, soit à une version seulement formelle de l'être qui se divise de surcroit en un pôle sensible temporel (mais c'est un temps imaginaire) et un pôle intelligible intemporel : cette interprétation "métaphysique" de la différence être-étant, où le premier n'est jamais qu'une version absolutisée du second, correspond historiquement à la période antique. Dans la cadre de la démocratie et de l'institution de l'Etat, s'y déploie le savoir ontologique de l'idéalisme, fondé sur le Nom - mais un savoir qui ne peut pas atteindre la reconnaissance universelle.

"La métaphore de l'être pose d’abord l’étant comme objet. L’étant n’est alors identifié que formellement, et pas encore réellement, à l’être. L’objet (ici l’étant) est d’abord absolutisé – illusoirement parce qu’il devra être découvert dans sa finitude, véritablement aussi parce qu’un savoir en est définitivement établi. L’étant, en effet, est identifié formellement à l’être, l’étant comme sensible participe de l’être comme intelligible – ce que Heidegger souligne (à l’époque de la « métaphysique », du « platonisme », la « différence ontologique » entre l’étant et l’être serait perdue, interprétée comme celle du sensible et de l’intelligible). L’être lui-même (l’idée) n’est pas alors envisagé comme temps réel, créateur, mais, parce qu’intemporel, hors temps, comme se différenciant de l’étant apparemment pris dans le temps, en fait dans le temps ordinaire, imaginaire, en fait donc lui-même hors temps. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque antique. Le savoir définitif qui y est développé est celui, ontologique, de l’idéalisme. Il se fonde sur le langage comme nom."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Inconscient, Chose

La métaphore de l'être se déploie jusqu'à l'affirmation de l'inconscient comme essence de l'existence, justement parce qu'on y découvre le primordial rejet de l'existence, la finitude radicale ; mais aussi au terme de cet affrontement nécessaire que propose la psychanalyse, un sens nouveau surgit, une identité nouvelle et vraie : c'est le moment de la Chose parlante et créatrice, l'accomplissement de la métaphore de l'être pour l'existant.

"La métaphore de l’être atteint au terme de son déploiement, et est pleinement assumée par l’homme, par l’existant, quand, au-delà de l’affirmation de l’existence, est énoncée l’affirmation de l’inconscient. Car affirmer l’être comme existence, c’est appeler l’existant à s’affronter à son primordial rejet de l’existence, jusqu’à assumer pleinement celle-ci. Mais affirmer l’inconscient, l’être comme l’inconscient même, c’est dire ce qu’on découvre au terme de cet affrontement, dans cette assomption : l’inconscient comme essence de l’existence. Découverte de Freud, lequel engage le patient-analysant à dire librement, à propos d’un rêve, autour d’un symptôme, « ce qui lui passe par la tête », sans le juger, si incongru ou inconvenant ou vide de sens que ce soit, jusqu’à ce que cette succession de paroles libres – succession selon la structure quaternaire de l’existence – débouche sur un sens qui éclaire le tout, sur une identité et consistance nouvelle, qui était et est justement l’inconscient... C’est, dans le déploiement de la métaphore de l’être, le moment de la Chose, quand l’étant humain, l’existant, s’identifie réellement, avec toute sa finitude, à l’être, à la Chose créatrice originelle, à Dieu."
JURANVILLE, 2024, PL

CHOSE, Métaphore, Psychanalyse, Philosophie

Au-delà du corps maternel, objet mythique du désir, au-delà de l'objet fini de la pulsion, la Chose ("freudienne", comme l'appelle Lacan) est l'énonciation vraie, la vérité parlante ; elle surgit socialement dans le discours psychanalytique pour accomplir la métaphore de l'être, substituer l'être à l'étant au niveau du sujet individuel ; mais comme il est impossible pour la psychanalyse d'accomplir cette métaphore jusqu'au bout et en son nom dans le champ social, il revient à la philosophie, dispensant sa grâce au sujet social, se faisant Chose elle-même (c'est la "chose" philosophique, l'affaire propre de la philosophie), de déployer la métaphore de l'être cette fois à l'échelle de l'histoire - même si elle devra à son tour, à un moment, reconnaître son impuissance politique, et en appeler à la religion qui seule peut donner sa vérité et sa légitimité à chacun des discours fondamentaux du champ social.

"La Chose est en soi, dans le monde social où elle émerge et pour autant que ce monde a rompu avec la violence sacrificielle et qu’il laisse place au savoir vrai, ce que Lacan appelle « la Chose freudienne », à laquelle il fait dire : « Moi, la vérité, je parle. » Elle s’incarne décisivement dans le psychanalyste énonçant: Il y a l’inconscient, laisse venir librement les paroles qui sont en toi et il se révélera... Elle s’incarne socialement dans le discours qu’elle tient en parlant et qui est le discours psychanalytique... Ce discours dit l’inconscient, il le dit en tant que l’inconscient serait l’être passant à l’étant humain. Mais il ne peut le dire comme tel jusqu’au bout, de façon pleinement rationnelle, parce que ce serait perdre la grâce qu’il dispense à son autre et se contredire. De là ce que dit Lacan rejoignant à sa manière ce que nous appelons la métaphore de l’être : « L’inconscient est ce qui, de parler, détermine le sujet en tant qu’être, mais être à rayer de cette métonymie dont je supporte le désir en tant qu’impossible à dire comme tel. » Reste que la Chose freudienne, le discours psychanalytique, ne peut pas s’assurer sa présence dans le monde social... Et qu’il faut donc, pour garantir cette présence, un discours qui, reprenant tout ce qu’a apporté le discours psychanalytique, et le posant comme être, à la fois institue et justifie de façon absolument rationnelle un monde sans plus aucune violence sacrificielle institutionnalisée. C’est précisément la tâche de la philosophie, du discours philosophique. [Lesquel] dispense sa grâce propre à l’existant comme sujet social, comme tenant l’un des discours fondamentaux du monde social et y prenant ainsi une position... Telle est, au-delà de la Chose psychanalytique, la Chose philosophique dans laquelle s’accomplit, selon la métaphore de l’être, toute l’histoire universelle."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Autre, Dasein, HEIDEGGER

Dans la métaphore de l'être il est essentiel que l'être soit tout autre, et non de même nature que l'étant : il est verbe, ou temps réel, quand l'étant est nom, ou temps imaginaire ; de même lorsque Heidegger pose l'homme comme Dasein, métaphoriquement, le Dasein devient l'Autre de l'être, du Sein ; de même encore lorsqu'il remplace finalement le Sein (être) par l'Ereignis (Evénement originel) - exempt d'ontologie, donc de savoir, selon lui -, l'Ereignis donne son propre nom à l'homme, Eigen, qui devient l'Autre de cet Autre. Le déploiement de la métaphore de l'être serait ainsi parvenu à son troisième moment, celui de l'altérité, mais aucune reconnaissance universelle du savoir philosophique n'est envisageable selon Heidegger...

"La reconnaissance universelle du savoir philosophique est rendue philosophiquement concevable quand le déploiement de la métaphore de l’être parvient à son troisième moment. Que l’Autre, avant tout l’Autre absolu, est affirmé comme lieu premier de la vérité. Et que l’homme, l’étant humain, est en position de devenir l’Autre de cet Autre. Troisième moment où la métaphore rétrospective, comme dans le cas d’Abraham et de Jacob, est énoncée expressément (ici celle qui substitue l’être à l’étant). Heidegger aurait perçu, selon Levinas – c’est capital pour la métaphore –, que l’être est tout autre que l’étant, qu’il est verbe (pour nous, temps réel), quand l’étant est substantif (pour nous, temps imaginaire). C’est ainsi que Heidegger, à partir de l’être, Sein, comme Autre absolu, pose l’homme comme Dasein, non plus simplement un étant, mais l’être lui-même, l’être-là. C’est la métaphore. L’homme posé comme l’Autre de l’Autre, comme doué, malgré et avec sa finitude radicale, d’une vérité nouvelle et propre, créatrice de même que celle de l’Autre absolu."
JURANVILLE, 2024, PL