Le discours psychanalytique reconnait l'aliénation comme inévitable, comme conséquence de la pulsion de mort, et il la relie nécessairement à l'institution sociale dont c'est la nature même de promouvoir la jouissance (et le travail), à savoir le discours capitaliste. L'aliénation se constitue ordinairement dans le capitalisme par la production de la plus-value, qui est en fait la part de jouissance qui revient au maitre - et non au travailleur qui a consenti à ce travail faute d'avoir pu ou voulu entreprendre lui-même, travailleur qui est donc dispensé de ce risque d'avoir à énoncer un désir, une vérité première. Il n'y a donc pas eu extorsion comme l'affirme Marx, puisque ce supplément n'est nullement le produit de sa "pure" force de travail, de son désir propre, mais seulement d'un savoir formel et d'un dispositif technique mis à sa disposition, dont certes il a acquis l'expertise. Cela ne rend pas son travail plus authentique ou plus satisfaisant pour autant, c'est même le contraire ; ce n'est pas la pulsion de vie qui est mise en oeuvre ici mais bien la pulsion de mort. Cette aliénation réelle et inévitable peut cependant être supportée dans les limites du droit, sans lequel le capitalisme lui-même ne fonctionnerait pas. Ordinairement, elle est pourtant, inévitablement, contestée par deux autres types de discours. Le discours de l'hystérique, ou discours du peuple, conteste l'aliénation devenue symptôme en se tournant vers un Autre sachant - clerc, scientifique ou professeur - pour le délivrer de son aliénation au maître politique. Sauf que ce pivotement plaçant maintenant le savoir en position de maître ne modifie pas sa propre relation fascinée avec la maîtrise, puisque l'hystérique (le peuple) attend maintenant tout d'un supposé savoir qui, d'être sans sujet et sans destination, ne le satisfait pas davantage que l'énoncé primordial du maître - d'autant plus que ce savoir reste son produit, comme tout à l'heure la plus-value, simplement récupéré par l'Autre. Reste alors le discours universitaire, ou discours du clerc, dont nous voyons déjà comment il s'auto-justifie en se revendiquant comme seul véritable savoir, seule source (littéralement autor-isée) de vérité, alors qu'il trompe l'étudiant en lui faisant croire que s'il s'assujettissait à ce savoir il pourrait s'affranchir du maître et même de toute aliénation - alors que lui-même, ce faisant, ne fait que collaborer activement au pouvoir du maître.
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ALIENATION, Discours, Maitrise, Capitalisme
"Dans le discours de l’universitaire, celui (l’universitaire, le clerc) qui semble s’être éloigné de la jouissance ordinaire et avoir accédé au savoir vrai se tourne vers tous les hommes en leur faisant croire que, s’ils s’assujettissent eux aussi à ce savoir, ils seront délivrés du maître auprès duquel ils s’aliènent. Mais cette lutte ne fait que transformer celui qui la mène en maître d’un type nouveau, en maître qui n’est que le ministre d’un maître suprême (les grands auteurs, le Moi idéal , ultimement Dieu lui-même). Et elle ne fait qu’absolutiser l’aliénation dans laquelle tous sont pris. Diffusion générale de l’aliénation dont on prétendait se délivrer."
JURANVILLE, ICFH, 2010
DISCOURS, Raison, Vérité, Maitrise, LEVINAS
Rappelons que le discours se caractérise, de la part d'un locuteur, comme une suite coordonnée de propositions destinée à influencer un auditeur, de façon à le convaincre (ou le persuader) que la raison d'un tel discours est vraie ; ce qui advient justement lorsque la raison du discours est partagée, à la suite éventuellement d'un dialogue. Mais l'effet d'ensemble, ou de totalité, véhiculée par la raison supposée du discours, suscite toujours dans un premier temps une fascination qui provoque une adhésion immédiate au discours du locuteur, toujours déjà, de ce point de, en position de maîtrise. C'est que le discours est avant tout un instrument de pouvoir, d'abord évidemment pour le pouvoir politique ; d'où la dénonciation constante par Platon de la rhétorique - et des Sophistes passés maîtres en cet art de persuader. Il y a donc une perversion en quelque sorte originelle du discours, du fait que le jugement de l'autre étant attendu, redouté, le locuteur va tout faire pour obtenir son approbation jusqu'à éventuellement tordre et dénaturer sa propre raison. « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours » écrit Levinas (le "transcendant" étant ici l'Autre en général). Mais cela n'empêche pas, selon Juranville, que la subjectivité naturelle du discours, en tant que celui-ci est raison et vérité (sinon il n'est rien), cherche à se dépasser dans la reconnaissance de l'Autre et avant tout de l'Autre absolu.
"Le discours est, aux yeux de Levinas et légitimement, toujours, pour celui qui le tient, un discours dapologie. Apologie de soi directement ou de la cause qu’on veut défendre. Elle est inévitable parce que la subjectivité qui, par sa parole, par son verbe, par sa voix, prononce le discours, veut être jugée le plus favorablement par l’Autre: « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours. » Mais Levinas a eu beau en venir finalement à parler, pour le sujet existant caractérisé par l’élection, d’« identité injustifiable de l’ipséité », le discours, outre la dimension de subjectivité de l’apologie, toujours menacée d’être une brute affirmation de soi, toujours en soi équivoque, prétend nécessairement avoir objectivité et rationalité. L’existant cherche en effet à fonder son discours, l’identité et consistance de son discours, dans un principe qui dépasse sa subjectivité ; à le justifier, aux yeux de l’Autre absolu (jugement de Dieu) et par cet Autre comme principe premier, mais aussi aux yeux de l’Autre fini, de l’autre homme, puisque c’est à celui-ci que le discours s’adresse directement."
JURANVILLE, 2024, PL
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