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EPOQUE CONTEMPORAINE, Existence, Rupture, Idéalisme, KIERKEGAARD, MARX

Kierkegaard et Marx, dans le domaine de la philosophie, inaugurent une nouvelle ère de l’histoire universelle : l’époque contemporaine. Contre Hegel et toute la métaphysique issue de Platon, Kierkegaard affirme l’existence dans sa dimension essentielle, marquée par une rupture fondamentale — événement qui fait véritablement histoire bn. Cette rupture révèle à l’homme sa finitude radicale (le péché) et la tentation de fuir la liberté qu’elle suppose, le livrant ainsi à l’emprise du savoir illusoire, qu’il soit scientifique ou métaphysique, et au monde sacrificiel qu’il soutient. Mais cette rupture ne peut d’abord venir que de l’Autre absolu : Dieu. Par le Sacrifice du Christ, Kierkegaard dévoile le système sacrificiel comme refus de l’amour divin. Enfin, cette rupture appelle l’homme à la reproduire en lui-même, à se détacher de ce monde pour devenir, à l’image du Christ, l’individu véritable qui assume sa finitude dans un pur vouloir d’exister. - La pensée naît d’une même rupture chez Marx. En critiquant l’idéologie allemande ainsi que l’économie politique, Marx dévoile le capitalisme comme prolongement du système sacrificiel. Il oppose à l’illusion d’un Esprit universel un matérialisme radical qui exige le renversement de l’ordre social existant. Kierkegaard et Marx se rejoignent donc dans leur dénonciation de l’idéalisme, qu’il soit métaphysique ou scientifique, et dans leur mise en lumière de son fond nihiliste. Cependant, Kierkegaard refuse qu’une telle rupture fonde un nouveau savoir ou une identité vraie : cela reviendrait, selon lui, à nier la finitude humaine et à retomber dans l’illusion hégélienne et le faux savoir du monde. D’où son rejet de la philosophie elle-même, définie par la volonté de savoir. - Schelling avait lui aussi reconnu, dans ses dernières œuvres, l’existence essentielle, la finitude radicale du péché et la rupture historique que constitue la révélation, tout en affirmant, contre Hegel, l’importance d’un moment matérialiste irréductible. Mais cette époque de la pensée est globalement marquée par l’échec de la Révolution — non pas quant à ses acquis juridiques, mais parce qu’elle n’a pas engendré le monde juste qu’elle promettait — et par l’échec des restaurations. Elle remet en cause tout idéalisme, y compris celui, implicite, du capitalisme, et son fond nihiliste. Mais son incapacité à fonder un savoir vrai de l'existence précipite son retrait hors du politique, l'amène à un repli romantique sur la subjectivité, qui finalement engendre de nouveaux idéalismes.


"Kierkegaard et Marx se retrouvent donc bien pour dénoncer l’« idéalisme », public (celui de la métaphysique) ou secret (celui de la science positive, notamment l’économie politique), et pour en montrer le fond de haine, de désespoir, de « nihilisme ». Mais Kierkegaard exclut alors toute position du savoir nouveau qui résulterait de la rupture, et d’abord toute position de l’identité existante et vraie qui serait le principe d’un tel savoir. Il y aurait là, selon lui, rejet à nouveau de la finitude radicale, et rechute dans l’illusion hégélienne, et finalement dans le savoir (et le monde) ordinaire et faux, et engouffrement même – il n’en parle pas, mais le suppose – vers la catastrophe. D’où l’exclusion, par Kierkegaard, de la philosophie, en tant qu’elle est caractérisée par la volonté de savoir. Et l’exclusion bien plus, même en ce qui le concerne, de tout point de départ dans la philosophie : lui-même serait un simple écrivain, inspiré par le message chrétien, l’énonçant certes dans la philosophie, mais pour la déchirer par le paradoxe. Exclusion qui, quoique provisoirement, devait être, à nos yeux mêmes, voulue comme telle par la philosophie, et sans laquelle l’existence essentielle n’eût pas pu être posée effectivement. C’est cette exclusion de tout point de départ dans la philosophie qui fait de Kierkegaard, et non pas de Schelling, le premier penseur de l’existence."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

ELECTION, Démocratie, Judaïsme, Existence

Le monde contemporain repose sur l’idée que la vérité ne vient pas de l’homme lui-même, mais de l’Autre (Dieu, autrui, peuple) dont il est et se veut l'élu. C’est la logique que partagent à la fois la pensée chrétienne de l’existence et la pensée messianique issue du judaïsme. Cette même structure se manifeste dans la démocratie représentative et parlementaire, où les gouvernants cherchent, à travers le vote du peuple, la confirmation d’être les « élus » de l’Autre.


"Le monde contemporain, fondé comme il l'est sur l'affirmation de l'existence, se donne en effet par ceci que, pour lui, la vérité surgit d'abord en l'Autre (suprêmement l'Autre divin, de là l'Autre humain et, socialement, dans le peuple) et qu'elle ne peut venir à l'homme que dans la mesure où il est et se veut l'élu de cette Autre. C'est ce qu'avancent tant la première pensée de l'existence, liée au christianisme, que la deuxième pensée de l'existence ou pensée messianique, liée au judaïsme."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Politique, Existence, Norme, SCHMITT, HEGEL

Soit la distinction schmittienne de la norme, de la décision, et de l'ordre comme caractérisant toutes trois le droit, mais aussi trois types de pensée juridique. La norme est bien le contenu objectif du droit, mais elle doit être instituée par un acte politique en fonction des imprévus de l'histoire, c'est à dire aussi bien de l'existence. Finalement il s'agit de rendre les normes contraignantes, c'est pourquoi, pour parer à tout arbitraire, l'Etat et à travers lui le droit se manifestent comme ordre. Schmitt fait volontiers référence à Hegel : « L’État hégélien n’est ni la norme des normes ni une décision souveraine pure. Il est l’ordre des ordres, l’institution des institutions. » Le risque - singulièrement ignoré par Schmitt - est que l'Etat s'identifie lui-même à l'ordre (si ce n'est à l'Esprit hégélien), quand cet ordre devrait se limiter à garantir l'état de droit, s'effacer comme Tout politique pour préserver son Autre qu'est le citoyen, l'homme, ultimement l'individu.


"Mais, pour toute pensée qui affirme l’existence, cet Autre absolu qu’est l’esprit (l’esprit comme savoir de la liberté) ne peut pas simplement déterminer le droit (le droit comme savoir de la finitude) en donnant l’ordre et en se montrant lui-même au sommet de cet ordre : il risquerait de n’être alors que le Même ignorant son Autre. Il doit au contraire s’effacer en proclamant le droit de l’homme comme son Autre, de l’homme comme individu. Se faire cause matérielle. Laisser place au risque inévitable du matérialisme. Or cette société de droit ne s’établit pas toute seule, naturellement, par un pur déploiement de la raison, comme Hegel l’envisageait. Elle doit être instituée. Et cela précisément par l’acte politique de la philosophie. Car la politique vise constitutivement à établir par un acte le droit naturel juste contre un droit positif injuste, à introduire une nouvelle situation normale, celle qui porte la norme pure de l’État de droit. État de droit qui est la fin qu’envisage toute politique, il faut le dire contre Schmitt."
URANVILLE, 2010, ICFH

DROIT, Finitude, Savoir, Liberté

Le droit est le moyen que se donne l'Etat pour réaliser la justice et donc, autant que possible, réduire la violence parmi les hommes. Il est donc savoir de la finitude. Par son aspect savoir, le droit rationalise, pense et octroie les libertés (civiles et politiques) nécessaires à l'homme pour se réaliser comme individu ; sous l'angle de la finitude, il limite ces mêmes libertés, en se faisant droit pénal. Le savoir juridique porte sur les conditions qu'il faut donner à l'existant pour qu'il assume justement son existence, qu'il résiste à la tentation de la fuir (finitude radicale). Ces conditions sont, comme toujours, la grâce, l'élection et la foi. La grâce reconnaît en l'homme une volonté libre, "naturelle", et octroie des droits réels portant surtout sur les biens (comme la liberté de propriété). L'élection exige en outre que cette liberté soit justifiée, pensée collectivement : elle statue sur les personnes et octroie des droits politiques (comme la liberté d'enseignement...). La foi accorde finalement que ces droits doivent s'appliquer à tous, autrement dit elle les pose comme universels (c'est l'aspect cosmopolitique du droit). Mais constamment la finitude se rappelle au droit, le fait que les libertés sont régulièrement transgressées ou empêchées : le savoir porte alors sur les moyens répressifs et coercitifs pour rappeler à chacun son devoir de respecter les droits de tout autre, et les peines encourues s'il s'y refuse (ce qui revient toujours à refuser les conditions de sa propre autonomie, de sa propre existence d'homme libre.)


"L’État réalise la justice comme il le doit pour autant qu’il garantit le règne, dans le monde social, du droit comme limite à la violence, et comme réduction de celle-ci à sa forme minimale, celle du contrat de travail. Certes le droit a, pour la philosophie, précisément pour celle qui affirme l’inconscient et qui, ce faisant, se pose comme savoir, une fondamentale vérité. Face à la philosophie comme savoir de l’existence, le droit est savoir de la finitude  –   et donc de la manière dont l’existant tend à fuir son existence et de ce qu’il faut faire face à cette fuite. Qu’est-ce en effet que le droit  ? Contentons-nous ici d’une réponse très sommaire (en renversant l’ordre des aspects que nous venons de déterminer)."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DOUTE, Vérité, Négation, Existence

Le doute essentiel correspond à une négation dans l'optique de rechercher le vrai ; il est donc l’altérité absolue de la critique et son essence (en même temps que la résolution de la contradiction subjective de la critique). Doute hyperbolique chez Descartes, doute du désespoir chez Kierkegaard, qui dans les deux cas conduit à la certitude de soi, de son existence radicalement finie.


"Avant même le savoir ordinaire auquel s’arrête le sujet social, il y a une vérité reconnue par ce sujet, une vérité qu’il a à s’approprier pour parvenir au savoir. Ce qu’il faut, c’est nier toute vérité à laquelle l’existant devrait se soumettre, et la nier au profit d’une vérité qui surgit et qui s’efface aussitôt, confiant à l’existant la tâche de la reconstituer, de la recréer. Ce qu’il faut par conséquent, c’est le doute, puisque négation et vérité définissent le doute."
JURANVILLE, HUCM, 2017

DIEU, Existence, Trinité, Preuve, DESCARTES

Que découvre le philosophe, lorsque qu'il pose l'inconscient en plus de poser l'existence ? et que découvre le patient, après avoir accompli jusqu'au bout le travail de la cure ? Dans les deux cas, c'est l'existence de Dieu qui est révélée, mais précisément Dieu comme inconscient. C'est la condition pour que le savoir philosophique, le savoir rationnel pur, devienne universellement reconnu ; car il ne fait que confirmer, et vérifier alors le savoir religieux de la Révélation. Et c'est la condition pour que le savoir religieux lui-même apparaisse dans sa rationalité pure, en l'occurrence trinitaire. La vérité de l'existence n'est autre que celle de la Trinité comprise comme Relation, puissance de l'Un absolu de se rapporter à l'Autre comme un autre Soi également absolu (c'est l'engendrement du Fils par le Père), c'est-à-dire comme une autre Personne mais non une autre substance (le Fils est également Dieu). Le Fils quant à lui existe dans sa relation au Tiers qu'est l'Esprit saint (tout aussi divin, quoique tourné vers l'Homme). Aux trois Personnes correspondent les trois preuves de l'existence divine, telles que les a formulées Descartes, toutes trois reposant sur l'idée de perfection. D'abord la preuve par la causa sui (ou « deuxième » preuve par les effets selon Martial Guéroult) se rapporte au Père : elle stipule que si la créature possède pareille idée de perfection, il est manifeste qu'elle même n'est point parfaite ; or si elle était cause de sa propre existence, elle n'aurait pas manqué de s'octroyer toutes les perfections, ce qui implique qu'elle doit son existence à un être extérieur effectivement parfait, capable de se donner à lui-même sa propre existence, soit le Créateur ou Dieu le Père. Ensuite la preuve par l'idée d'infini (ou « première » preuve par les effets selon Guéroult) ne fait que reprendre cette implication au niveau de la logique interne de l'esprit humain, et se rapporte comme telle au Fils : en effet si l'homme possède l'idée d'un être infiniment parfait, il ne saurait être lui-même à l'origine de cette idée, pareille idée ne pouvant être conçue par un esprit fini et imparfait : elle lui a donc été communiquée par un esprit lui-même parfait, celui d'un Dieu Révélateur, soit le Verbe ou Fils de Dieu. Enfin la preuve dite "ontologique" reprend cette implication à un niveau seulement abstrait en apparence, qui se rapporte à l'Esprit saint : en effet l'idée de perfection implique nécessairement l'existence, puisque c'est une plus grande perfection d'exister plutôt que le contraire ; cette preuve exprime la vérité éthique selon laquelle il est meilleur, pour l'humain, de vouloir l'existence (entendre de s'ouvrir à son Autre) plutôt que l'inverse (entendre : se replier sur soi), car il participe alors à la vie divine, à quoi l'engage précisément l'Esprit rédempteur, tout aussi divin que le Père et le Fils. (L'humain cherchera sans doute à en tirer l'idée - fausse - de sa propre divinité, et se repliera fatalement sur son intérêt exclusif, au lieu de prendre en compte, dans l'éthique, l'ensemble de la création.)


"Vérité rationnelle et trinitaire qui, d'une part, découle de la détermination de l'être en Dieu comme existence absolue, et plus précisément absolument absolue, c'est-à-dire comme identité originelle s'effaçant comme telle en s'ouvrant à son Autre et devant se reconstituer à partir de ce qui, imprévisiblement, viendra de cet Autre. C'est ainsi que, dans le cadre de l'essence ex-sistante, l'Un primordial s'ouvre vers son Autre en le produisant nécessairement à partir de soi comme un autre soi, semblable à soi, en l'engendrant (c'est le Deux). Et que le Un et le Deux se retrouvent dans un mouvement encore d'existence absolue non pas l'un vers l'autre (c'est déjà fait pour le Un, ce serait fermeture pour le Deux), mais vers un autre Autre à venir (c'est le Trois). Père, Fils, Esprit. La Trinité du Dieu chrétien. Le Oui, le Non et le Et, dans le mouvement existentiel selon Rosenzweig. N'en disons pas plus ici et citons simplement saint Augustin quant à la relation du Père et du Fils, sans que soit évoqué par lui le terme d'existence : « Même si le Père et le Fils sont deux choses différentes, il ne s'agit pas là d'une substance différente, puisque ce n'est pas selon la substance qu'ils sont appelés ainsi, mais selon la relation, sans pourtant que la relation soit un accident puisqu'elle n'est pas muable »."
JURANVILLE, PHER, 2019

DIEU, Existence, Finitude, Conditions, KIERKEGAARD

Pour Kierkegaard l'existence est envisagée comme essentielle en tant que radicalement finie, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes. En outre la finitude est radicale parce qu'elle n'est pas une faiblesse, un simple défaut dans le bien, mais un désir du mal pour le mal, un péché. L'acceptation de ce paradoxe ne se fait qu'en entrant dans la "sphère religieuse" où l'on reconnait en l'Autre absolu le siège unique de la vérité, et corollairement en soi-même le siège du péché, de la non-vérité. Or l'homme ne pourrait se rapporter ainsi à l'existence et s'ouvrir à la vérité s'il n'en recevait pas de l'Autre toutes les conditions, à commencer par la grâce : l'Autre se soustrait lui-même de la relation de maîtrise, de soumission fascinatoire dans laquelle le fini voudrait l'enfermer et s'enfermer avec lui, et bien plus il transmet au fini cette disposition à s'ouvrir à l'Autre et à donner lui-même sa grâce. Là réside l'opposition radicale entre l'Autre absolu faux du paganisme et l'Autre absolu vrai de la révélation. Le Dieu vrai du christianisme n'accorde pas seulement sa grâce au fini, mais également le moyen de fixer pour lui la vérité, de se l'approprier, c'est-à-dire d'accomplir son oeuvre et de devenir individu sur le modèle de l'Unique : cette condition est la foi, tout autre chose par conséquent qu'un simple sentiment immédiat d'union avec Dieu. Modèle pour le fini, le Christ l'est enfin et encore s'agissant de se préparer à oeuvrer, non plus à s'abaisser mais cette fois à s'élever pour le bien de l'humanité : ce qui s'appelle l'élection, ou encore "rendre grâce" puisqu'à travers son oeuvre le fini offre à tout Autre, rend d'une certaine manière, la grâce qu'il avait reçue.

Ainsi s'explique la faute et le péché originel de l'homme - finitude radicale selon Juranville - qui consiste à avoir douté de l'Autre, ne pas avoir reconnu ces conditions toujours déjà données, et finalement perdues par lui ; c'est d'avoir fait le choix (sous la pression sociale, mais choix quand-même) d'une protection facile monnayée sacrificiellement avec de faux maîtres ou de faux dieux ; ce qui l'explique est donc l'angoisse face à l'incertitude de l'existence. L'oeuvre consiste en un savoir qui, cette fois, vaudra comme "apprentissage véritable de l'angoisse" comme le dit Kierkegaard. Or pour ce dernier, si le Christ avait ce savoir, que nul ne lui avait enseigné, c'est parce qu'il était lui-même la vérité. Ce qui ne sera jamais le cas du fini, par définition, et Kierkegaard exclut que celui-ci parvienne jamais, par ses propres moyens, à un savoir vrai absolu, un savoir absolu (philosophique) de l'existence. L'impossibilité d'un savoir de l'existence tient au point de vue subjectiviste de Kierkegaard pour qui l'existence est le problème de l'homme, nullement celui de Dieu : « Dieu ne pense pas, il crée ; Dieu n'existe pas, il est éternel ».


"Il y a certes un savoir qui réside dans l'appropriation de cette vérité, de cette vérité révélée selon laquelle l'homme est appelé à accepter et aimer son existence, malgré et avec sa finitude, en l'occurrence l'incertitude objective. Un savoir qui est « l'apprentissage véritable de l'angoisse » laquelle est « condition préalable du péché originel et moyen rétrograde d'en expliquer l'origine » . Un savoir qu'a par excellence le Christ parce qu'il est lui-même la vérité. Le Christ n 'aurait jamais su la vérité s'il ne l'avait été, et nul ne sait de la vérité plus qu'il n'en exprime dans sa vie », ECh, 182). Un savoir que l'homme tend à fuir dans le péché. Mais Kierkegaard exclut que ce savoir puisse se poser comme tel et devenir un savoir proprement philosophique. – Le Dieu de la révélation ne peut dès lors nullement être l'objet d'un savoir philosophique. Le Dieu de la révélation ne peut même pas être posé comme existant, au sens de l'existence absolue (où la contradiction est d'emblée voulue, comme dans la Création divine) « Dieu ne pense pas, il crée ; Dieu n'existe pas, il est éternel », dit Kierkegaard dans une célèbre formule provocante. « L'homme pense et existe, et l'existence sépare la pensée et l'être, les tient distants l'un de l'autre dans la succession » (PS, 222). Pour Kierkegaard, l'existence véritable est le fait de l'homme seul. La seule rupture alors introduite avec le paganisme reste tout intérieure, le problème étant pour chacun le devenir chrétien."
JURANVILLE, PHER, 2019

DESIR, Souffrance, Jouissance, Sujet, LACAN

Le sujet du désir, comme sub-jectum, est marqué par la souffrance qui est négativité du temps, face à la jouissance qui est positivité du temps. Au départ, le sujet se constitue comme trait unaire, puis comme cette page blanche - pure surface - sur laquelle viennent (ou ne viennent pas : d'où la souffrance) s'inscrire les signifiants. Le sujet souffre parce que, néanmoins, il résiste et consiste dans une forme de jouissance qui tient au signifiant phallique, qui le fait ek-sister comme sujet du désir. « Ce qui est de l’ex-sistence se métaphorise de la jouissance phallique » dit très bien Lacan.


"Le sujet est peau écartelée, tendue entre des pieux, et qui de temps en temps résonne (c’est cette résonance du corps que la poésie provoque, selon Lacan). Il souffre parce que le signifiant ne vient pas, mais aussi parce qu’il peut venir, parce qu’il est venu. Souffrir est épreuve du temps dans sa négativité, comme jouir épreuve du temps dans sa positivité. On souffre parce qu’on « consiste » malgré le mal... « Douleur d’exister », dit simplement Lacan. C’est le vide du monde pour autant qu’il ne se dépasse ici dans aucun visage, mais dans l’Autre sans visage qui ex-siste absolument. Le corps parlant et désirant est trait unaire, symbole tracé par l’Autre sur la page illimitée du monde. Mais en tant que lui-même est aussi cette page, il reçoit la marque signifiante, qui reste comme trace de la jouissance et lui en assure le retour, lorsqu’à l’offre de son désir un Autre apparaîtra qui réponde."
JURANVILLE, 1984, LPH

DEMOCRATIE, Existence, Autre, Peuple

La démocratie n'est pas autre chose que l'affirmations sociale de l'existence. Est démocrate celui qui voit en l'Autre - d'abord l'Autre absolu puis le peuple comme communauté des autres Autres - la source de la vérité et de l'universel.


"Qu'est-ce socialement que l'affirmation de l'existence ? C'est l'affirmation de l'universel comme surgissant d'abord en l'Autre, à partir duquel seulement il peut venir en chacun pour autant que ce dernier est et se veut l'élu de cet Autre... Peut être dit démocrate celui qui laisse place à l'objection venue de l'Autre, et qui ne cherche pas à imposer son point de vue, mais a l'idée que la vérité est en l'Autre. La démocratie est dès lors caractérisée par ceci que le peuple apparaît à chacun comme le lieu primordial de la vérité parmi les hommes, lui-même n'étant autre que la communauté des créatures de Dieu."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CRITIQUE, Discours, Philosophie, Existence, LEVINAS

La pensée de Levinas se rapproche de la doctrine critique de Kant par son refus de poser un savoir ontologique définitif, cette fois au nom de la finitude de l'existence. Il distingue d'abord le discours ontologique basé sur l'essence (attitude dogmatique chez Kant), puis le discours sceptique contestant l'unité et la vérité de l'essence au nom de la différence énonciative (attitude sceptique chez Kant), et enfin le discours philosophique conditionnant le savoir ontologique au légitime jeu des discours (attitude critique chez Kant). Sauf qu'il s'agit d'un jeu sans fin car, malgré la rationalité reconnue du discours philosophique, il est exclu que ce discours puisse déboucher sur un savoir universel, ce qui hypothèque la possibilité d'une justice réelle. La responsabilité de l'homme devant l'erreur demeure absolue.


"Le discours philosophique, proprement philosophique, apparaît alors comme un tiers discours qui, gardant le savoir ontologique, y ajoute la nécessité existentielle de cette succession de discours, de ce passage du Dire au Dédire (« Faut-il rappeler l'alternance et la diachronie comme temps de la philosophie ?») mais sans que cette nécessité puisse être posée comme telle et que ce nouveau discours (attitude critique chez Kant) puisse se présenter comme la synthèse et la justification définitive de cette succession. Or, conséquence de ce rejet d'un véritable savoir philosophique, Lévinas ne peut que récuser le christianisme qui, avec le judaïsme, eût fondé dans l'absolu cette limite et mesure mise, pour l'homme, à la responsabilité."
JURANVILLE, UJC, 2021

CREATION, Existence, Autre, Essence

Si l'existence est absolument essentielle (conforme absolument à son essence), c'est parce qu'elle est essentiellement création. Elle est d'abord le fait de l'Autre divin qui, tourné vers son Autre, lui supposant l'existence, lui donne toutes les conditions pour exister vraiment, c'est-à-dire pour créer.


"Comme absolument essentielle (et donc absolument conforme à son essence), l'existence n'est pas celle de l'homme (radicalement fini), mais celle de Dieu. Elle se déploie comme création. L'existant primordial, Dieu, donne à son Autre qu'il suppose exister de quoi exister essentiellement lui aussi. Il le fait « à son image », c'est sa créature, qui peut donc exister essentiellement, mais d'une existence au mieux relativement essentielle."
JURANVILLE, UJC, 2021

CONTRADICTION, Identité, Autre, Existence, KIERKEGAARD

La pensée de l’existence oppose à la conception hégélienne une contradiction radicale, rencontrée par le sujet dans son mouvement vers l’objet, qui détruit l’espace du savoir et toute identité anticipative. Car il s'agit d'une contradiction inhérente à l'existence même. Le sujet fini ne peut résoudre cette contradiction seul et doit se tourner vers l’Autre, lieu de l’identité vraie. Avec les conditions données par l’Autre, le sujet peut ensuite la résoudre, car l’Autre veut la contradiction pour sa relation au fini et son mouvement créatif. Selon Kierkegaard, l'affirmation d'une contradiction radicale (qu'il nomme "paradoxe") caractérise la sphère religieuse - pas de contradiction dans la sphère esthétique, seulement une contradiction interne au sujet dans l'éthique. Cependant, la pensée de l’existence exclut que cette contradiction et l’identité vraie puissent être posées dans un savoir. A partir de là on ne voit pas comment la contradiction, pour le sujet social, pourrait cesser d'être perçue seulement comme terreur et sacrifice.


"En refusant qu’à partir de la contradiction éprouvée par le fini, et grâce à l’Autre qui s’y manifeste, un savoir nouveau puisse advenir, la pensée de l’existence ne rejoint-elle pas ce qui fait le fond de la conception commune ou métaphysique ? Ne rejoint-elle pas l’image d’un Autre absolu tout-puissant qui ne voudrait pas pour lui, comme Autre vrai, la contradiction dans sa relation au fini comme son Autre, mais qui, lui-même hors contradiction, vouerait, comme Autre faux, le fini à une contradiction sans vérité, destructrice de toute identité, et de tout être, à la contradiction devenue terreur sacrificielle ? Nous verrons plus loin que la terreur est elle-même, face à la contradiction comme négation de l’essence, négation de l’être."
JURANVILLE, 2000, JEU

CONNAISSANCE, Métaphysique, Sujet, Existence

En matière de connaissance, la métaphysique évite la question de la finitude radicale, ainsi que la relation à l'Autre comme tel. A l'époque antique, en plaçant la vérité dans l'objet à connaître, indépendamment des limitations du sujet ; à l'époque moderne, en situant au contraire la vérité dans le sujet, à partir de quoi seulement l'objet peut être connu. Avec cette conséquence que la connaissance métaphysique s'accomplit sous la forme d'une auto-objectivation du sujet tendant à faire disparaître l'extériorité de l'objet... et donc, avec ce dernier, le principe même de toute connaissance objective au profit du seul savoir (intérieur). Il est facile de voir qu'une telle connaissance métaphysique, avec son sujet tout puissant, réalise un fantasme sexuel, pervers qui plus est, où l'objet est censé venir combler tout manque dans l'Autre. Inversement, c'est contre toute forme de connaissance absolue et vraie que se dresse la pensée de l'existence, au nom du choix existentiel (« Choisis-toi toi-même » énonce Kierkegaard) et de la confrontation avec la finitude, primant sur toute démarche de connaissance (y compris le « Connais-toi toi-même » de Socrate). Lacan en particulier, remet radicalement en question les préjugés liés au statut épistémique de l'objet aussi bien que celui du sujet, les ordonnant plutôt, du point de vue de la psychanalyse, à la cause de désir. Toutefois la question des conséquences sociales et politiques d'une telle position reste entière et non résolue.


"La pensée de l’existence récuse toute idée de connaissance absolue. Pour elle, la connaissance, comme détermination effective de l’objet dans son unité par le sujet dans son unité, est une illusion. Illusion caractéristique aussi bien de la conception traditionnelle que de la métaphysique. Illusion par quoi l’existant se dissimule son existence... Ils maintiennent le refus, propre à toute la pensée de l’existence, de toute connaissance vraie qui pourrait se poser comme raison pure, et donc ordonner un monde social nouveau. Et alors on peut douter qu’il y ait eu véritable rupture avec l’ordre traditionnel et avec la connaissance comme « fantasme de l’inscription du lien sexuel ». Que la mystique glorifiée par Lacan se distingue réellement de la mystique érotique traditionnelle qu’il a si constamment dénoncée."
JURANVILLE, ALTER, 2000

CONNAISSANCE, Existence, Sens, Inconscient

La connaissance porte sur le particulier externe, même si elle en tire de l'universel, et elle est toujours oeuvre particulière, certes tournée vers l'universel. Affirmer l'existence, c'est donc toujours viser une connaissance particulière, mais aussi essentielle. En effet en posant l'extériorité de l'Autre absolu, aussi bien que son identité, l'existant suppose sa propre extériorité séparée et la possibilité de l'exposer dans son oeuvre propre, ayant alors valeur de connaissance. Mais la pensée de l'existence juge d'abord inconciliables l'existence, vécue authentiquement, et l'extériorité objective de la connaissance, sans se rendre compte que l'existence soi-disant authentique n'est alors que le reflet idéaliste et donc la continuation complaisante du monde social, avec son faux savoir écrasant. C'est en affirmant l'inconscient, en plus de l'existence, que l'on peut éviter le piège de l'idéalisme et parvenir à une connaissance objective. Seule la science de l'inconscient laisse place au non-sens constitutif de l'existence, et lui donne un sens finalement à la (dé)mesure du sens que l'Autre absolu a donné à son Oeuvre. A la condition de s'identifier, dans son oeuvre, à cet Autre absolu, l'oeuvre peut délivrer un sens qui soit connaissance essentielle et universelle.


"Connaître est certes répéter en soi ce qu’il en est de ce qui est à connaître, mais de telle sorte qu’on ne le ramène pas à soi, et que bien plutôt on le recrée en le laissant à toute son extériorité. Le décisif dans la connaissance est le particulier, à partir duquel l’universel doit réadvenir imprévisiblement. C’est ce que note Adorno : « La connaissance vise le particulier, non l’universel. » D’où ceci que ce qu’on connaît est toujours l’unique. Unicité d’une part de celui ou de ce qui est à connaître, et qui est toujours à connaître comme œuvre, et d’autre part de celui qui connaît, et qui connaît toujours en faisant œuvre à son tour, trait par trait.
En quoi affirmer l’existence, est-ce supposer une connaissance essentielle ? Affirmer l’existence, c’est supposer d’abord l’extériorité de l’Autre absolu qui, surgissant en dehors de l’existant, lui fait éprouver sa finitude radicale. Mais c’est supposer ensuite l’extériorité de l’existant qui reçoit de cet Autre toutes les conditions pour accéder, à partir de la finitude, à son identité vraie de séparé– jusqu’à poser comme telle cette identité dans son œuvre, comme l’Autre absolu le fait toujours d’abord. C’est supposer donc l’extériorité et qu’elle soit reconstituée par l’existant, supposer l’extériorité et en même temps la vérité de cette extériorité, supposer la connaissance. La même connaissance, de l’œuvre par l’œuvre, pouvant, pour l’existant, advenir dans la relation, non seulement à l’Autre absolu, mais à l’autre existant qui, lui aussi, a reçu, comme tout existant, les mêmes conditions pour aller jusqu’à l’œuvre."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT 

TRINITE, Christ, Finitude, Existence

La philosophie est-elle capable, par elle-seule, de remettre en cause le système sacrificiel qui a débouché sur la condamnation de Socrate, puis à une échelle plus universelle, sur le sacrifice du Christ ? La philosophie ne peut espérer faire reconnaître son savoir par tous en raison de la finitude radicale qui subsiste, quelque soit l'émancipation qu'elle propose au nom de la raison - l'altérité et l'universalité de celle-ci n'étant que partielle. La dénonciation de l'injustice n'est jamais suffisante tant qu'elle n'émane pas de l'Autre absolu, ce qu'accomplit le "médiateur" divin en la personne du Fils. Il s'agit pour l'homme de parvenir à une autonomie réelle lui permettant d'assumer la finitude radicale, le péché même de n'en rien vouloir savoir. Maintenant pourquoi la trinité, pourquoi le Fils ? Ce n'est que dans l'imitation du Fils que l'homme peut se libérer de la faute qu'il a tendance, névrotiquement, à attribuer au Père, lui l'enfant exclu de la "scène primitive", victime du père réel. C'est ainsi que la Création du Père (cause matérielle) ne peut s'accomplir que par la Révélation du Fils (cause formelle) ; et la paternité du Père ne peut être reconnue, depuis la créature, que par la médiation du Fils, fils engendré (et certes non créé) comme Verbe à partir de la Chair du Père. Le Verbe se déploie (c'est la "cause finale", selon Schelling) par le Saint-Esprit qui procède identiquement des deux premières Personnes, qui est leur Amour parfait, et qui entraîne les hommes également dans l'Amour et la vie de l'esprit. Cette vérité trinitaire, que Schelling a rapporté aux trois causes citées, Saint-Paul l'avait résumée par la formule : « Toute chose est de lui, par lui et pour lui. » La philosophie y puise sa définition de l'existence comme identité dans la relation à l'Autre et à partir de cette relation.


"Les hommes ne peuvent donc aller jusqu’au bout de leur libération du système sacrificiel que dans la mesure où ils entrent dans l’imitation de l’Autre absolu comme Fils, s’affrontent par amour à leur finitude radicale et l’assument heureusement. Ce qui les fait participer à la vie de cet Autre comme Esprit : l’Esprit procède du Père et du Fils et est leur amour en tant que cet amour est, en celui qui engendre et en celui qui est engendré, tout à fait identique ; l’Esprit, dit aussi Schelling, est « ce qui entraîne tout le mouvement » – cause finale. L’Autre absolu apparaît alors dans sa vérité trinitaire. Cette vérité trinitaire, la révélation chrétienne l’a proclamée. Et saint Paul l’a scellée par la formule : « Toute chose est de lui, par lui et pour lui. »  Elle correspond exactement au Dieu supposé par l’affirmation de l’existence  : car l’existence est non pas identité close, mais identité dans la relation à l’Autre et à partir de cette relation. Cette vérité trinitaire, Rosenzweig l’a rejointe, avec son ternaire de la Création, de la Révélation et de la Rédemption. Ainsi peut-on dire : dans la Rédemption, le Verbe se déploie, parmi les hommes, en dialogue universel."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CHOSE, Réalité, Unité, Existence

Pour poser la finitude comme bonne et vraie pour chacun, et ainsi assumer l'abandon essentiel (sans retomber dans des formes faussées de l'abandon), il convient de poser la Chose dans son unité et dans sa réalité. D'abord présente dans l'Autre absolu, donc dans l'inconscient, la Chose advient par un acte de parole qui est création, donc en toute chose dès lors qu'elle est nommée. Une création qui se fait dans le temps réel, c'est pourquoi ni la métaphysique ni l'empirisme ne connaissent la Chose : soit l'on concevra métaphysiquement une sorte d'unité supratemporelle, mais sans réalité pour le sujet, soit l'on admettra l'existence d'une réalité empirique, mais dont l'unité ne sera que nominale ou formelle, là encore hors du temps. Quant à la Chose kantienne, quand bien même elle existe "derrière" le phénomène, elle reste "en soi" inconnaissable et muette - et même si elle "se fait" connaître au sujet, sur le plan pratique, comme un idéal impossible à atteindre. La Chose réapparait dans sa vérité avec la philosophie de l'existence, dès lors que celle-ci admet la réalité d'un temps pur où le sens n'est jamais anticipable et où l'on est, toujours par conséquent, confronté au non-sens (sens et non-sens que récusent respectivement l'empirisme et la métaphysique, rappelons-le). Ainsi la Chose apparaît au coeur de l'existence, pour Heidegger, comme ce qui contient l’Ereignis, et comme ce qui enfante ("rassemble") le monde vrai autour de son propre vide, selon la structure du Quadriparti (Geviert). Ainsi encore la Chose est introduite dans sa vérité, par Lacan, comme Chose parlante ("moi la Vérité je parle") et plus généralement comme la passion de la parole ("ce qui du réel pâtit du signifiant") - en tout cas elle est davantage que cet illusoire souverain Bien, objet du désir, que Lacan évoque le plus souvent. Mais cette chose bien réelle, existante ou inconsciente, n'est jamais présentée dans son unité consistante, faute d'avoir fait de l'inconscient l'essence même de l'existence (ce que seule une raison philosophique, déployant la structure quaternaire de l'inconscient jusqu'à la totalité de l'existence, peut assumer).


"Qu’est-ce en effet la chose dont nous avons déjà si souvent parlé ? L’unité de la réalité. La réalité (realitas, détermination propre de la res, de la chose), mais en tant que cette réalité est prise dans son unité. Chose qui est d’abord en l’Autre absolu, et qui, par la création, advient ensuite, comme chose créée, dans le fini, dans la créature. Une telle chose, qui est la forme la plus générale du principe du savoir vrai, se détermine finalement, pour le sujet fini, comme chose inconsciente, l’inconscient même... (...) Mais ni Heidegger (et ce que nous appelons la pensée de l’existence), ni Lacan (dont le discours psychanalytique prolonge cette pensée), n’acceptent que puisse être posée comme telle l’unité de la chose existante et inconsciente, et que puisse être justifiée à partir du principe la nécessité de la structure quaternaire. Montrons au contraire, quant à nous, que c’est ce que permet l’inconscient quand il est repris dans le discours philosophique et reconnu, par ce discours, comme l’essence de l’existence."
JURANVILLE, 2000, JEU

CHOSE, Existence, Quaternaire, Mère, HEIDEGGER

Heidegger critique trois interprétations dominantes de la « choséité » dans la pensée occidentale : 1) La chose comme substance avec qualités (thèse métaphysico-dogmatique), une unité réelle présupposée. 2) La chose comme faisceau de sensations (thèse empirico-sceptique, ex. Russell, Quine), une unité conventionnelle et fictive. 3) La chose comme matière informée (thèse philosophico-critique), une unité anticipée liée à la production. Contre ces conceptions, la pensée de l’existence et la psychanalyse proposent une « chose vraie », ex-sistante et ouverte à l’Autre absolu. En tant que finie cette chose s’inscrit dans un quaternaire, souvent décrit mais non posé comme tel, comme matrice d'une logique absolue.


"Contre la conception courante de la chose et ses variantes (métaphysique, empiriste, voire traditionnellement philosophique), la pensée de l’existence suppose ou affirme une chose vraie, vraiment – et non pas, comme chez Hegel, formellement – ex-sistante, une chose toujours d’abord rejetée par le monde social. Chose suprêmement en l’Autre absolu vrai ; mais aussi, par cet Autre, chose finie qu’est la créature, et tout ce que celle-ci peut viser sous le nom de « chose ». Chose qui est primordialement, dans l’histoire de chacun, nous l’avons dit, la mère, et maintenant la mère, la Chose maternelle en tant qu’elle reveut la finitude radicale, et qu’elle s’ouvre à son Autre, jusqu’à l’Autre absolu."
JURANVILLE, 2000, JEU

AUTRE, Finitude, Condition, Existence

Le refus que, toujours d'abord, l'homme oppose à l'Autre absolu ne l'empêche pas de recevoir de cet Autre toutes les conditions (grâce, élection, foi) pour accueillir à son tour l'existence, ni d'ailleurs de continuer à éprouver douloureusement sa finitude, au point de la fausser, sous les auspices d'un Autre faux idolâtré et faussement protecteur, dont il ne serait que le déchet.


"L’Autre absolu est présent par sa grâce - c'est notamment toute la beauté de la nature. Il est absent par son élection - c'est le sublime de l'homme appelé à répondre seul aux objections du monde ordinaire. Et, par sa foi, il l'attends ailleurs, dans son Royaume, ou une autre présence, « béatifique » lui sera donné."
JURANVILLE, 2010, ICFH

ATHEISME, Altérité, Existence, Dieu, LACAN

L'athéisme se présente comme un rejet fondamental de l'existence finie et de son corollaire, l'altérité essentielle, par l'humain devenu sujet social. Bien que l'athéisme nie abstraitement le divin, tout spécialement le Dieu judéo-chrétien réduit à une idole (mais n'est-ce pas le propre de l'athéisme de fabriquer des idoles ?), la pensée post-kierkegaardienne (Heidegger, Lacan, Adorno, Lévinas...) affirme tout à la fois la finitude humaine confrontée à l'existence, et l'Autre absolu ek-sistant au-delà de l'humain, Autre que rien n'empêche d'assimiler à Dieu. A partir du moment où la pensée affirme comme essentielle l'existence, l'ouverture à l'Autre, seul un Autre au-delà de l'humain peut délivrer ce dernier de son enfermement dans la finitude. Toute profession d'athéisme n'est donc que refus de cette altérité essentielle et implique à la fois allégeance à un Autre faux (l'idole) et repli sur une autonomie illusoire ; inversement toute affirmation d'un Autre absolu, s'adressant à l'homme à son insu, comme dans la théorie psychanalytique, revient à assimiler cet inconscient à Dieu.


"En fait, pour nous, si on le prend à la lettre sans chercher à voir ce qui s'y cache, l'athéisme n'est que manifestation suprême du rejet de l'Autre, de l'altérité, de l'existence et prétention à la toute-suffisance et toute-puissance prométhéenne de l'homme. C'est ce que suggère Lacan : « L'athéisme, dit-il ainsi, est la maladie de la croyance en Dieu, croyance que Dieu n'intervient pas dans le monde. Dieu intervient tout le temps, par exemple sous la forme d'une femme » ; ou encore, contre le déisme aristotélisant de Voltaire : "La religion est vraie. Elle est sûrement plus vraie que la névrose, en ceci qu'elle nie que Dieu soit purement et simplement - ce que Voltaire croyait dur comme fer -, elle dit qu'il ex-siste, qu'il est l'ex-sistence par excellence, c'est-à-dire qu'il est le refoulement en personne”. Dieu inconscient, refoulé. Reste, selon nous, que l'existence de Dieu, pour refoulée et latente qu'elle soit toujours au départ, devient patente par la Révélation. Or ce rejet de l’altérité, de l’ouverture à l’Autre, en l’occurrence à l’Autre primordial qu’est l’Autre divin, conduit inévitablement, comme dans le paganisme, à une fabrication d’idole."
JURANVILLE, UJC, 2021

IDENTITE, Altérité, Existence, Structure existentiale, KIERKEGAARD

Les fameuse "sphères de l'existence" selon Kierkegaard sont quasiment homologues aux "structures existentiales" (Juranville) déductibles de la théorie de l'inconscient, deux théories qui visent à établir la vérité de l'existence à l'aune d'une altérité radicale. Ces structures permettent de situer, et de formaliser, différents modes de l'identité avec l'existence, sachant qu'elles témoignent à chaque fois d'un évitement de la part du sujet pour poser cette identité avec toute l'objectivité requise du point de vue de l'Autre. D'abord le mode de la séparation avec la sphère esthétique, qui correspond à la structure perverse en psychanalyse. Ensuite celui du choix qui caractérise la sphère éthique, à laquelle correspond la névrose. Enfin la répétition, propose à la sphère religieuse selon Kierkegaard, à laquelle on peut faire correspondre la sublimation. Il existe une quatrième sphère pourtant écartée d'office par Kierkegaard, considérée comme impossible et hors existence puisqu'excluant par principe l'altérité : ce serait la métaphysique, stade de l'identité originelle avant toute relation, à laquelle il faudrait faire alors correspondre la psychose.


"Il y a bien, avec l’inconscient, une quatrième structure existentiale, la psychose. Structure décisive pour mener à son terme à chaque fois la position objective de l’identité supposée par l’altérité. Mais structure qui ne sera pas étudiée en propre ici, parce qu’elle est identification à l’identité originelle en deçà de la relation, et donc en deçà de l’altérité. Elle correspondrait, chez Kierkegaard, à ce dont il rejette la possibilité, à l’impossible « sphère métaphysique »."
JURANVILLE, ALTÉRITÉ, 2000