Kierkegaard et Marx, dans le domaine de la philosophie, inaugurent une nouvelle ère de l’histoire universelle : l’époque contemporaine. Contre Hegel et toute la métaphysique issue de Platon, Kierkegaard affirme l’existence dans sa dimension essentielle, marquée par une rupture fondamentale — événement qui fait véritablement histoire bn. Cette rupture révèle à l’homme sa finitude radicale (le péché) et la tentation de fuir la liberté qu’elle suppose, le livrant ainsi à l’emprise du savoir illusoire, qu’il soit scientifique ou métaphysique, et au monde sacrificiel qu’il soutient. Mais cette rupture ne peut d’abord venir que de l’Autre absolu : Dieu. Par le Sacrifice du Christ, Kierkegaard dévoile le système sacrificiel comme refus de l’amour divin. Enfin, cette rupture appelle l’homme à la reproduire en lui-même, à se détacher de ce monde pour devenir, à l’image du Christ, l’individu véritable qui assume sa finitude dans un pur vouloir d’exister. - La pensée naît d’une même rupture chez Marx. En critiquant l’idéologie allemande ainsi que l’économie politique, Marx dévoile le capitalisme comme prolongement du système sacrificiel. Il oppose à l’illusion d’un Esprit universel un matérialisme radical qui exige le renversement de l’ordre social existant. Kierkegaard et Marx se rejoignent donc dans leur dénonciation de l’idéalisme, qu’il soit métaphysique ou scientifique, et dans leur mise en lumière de son fond nihiliste. Cependant, Kierkegaard refuse qu’une telle rupture fonde un nouveau savoir ou une identité vraie : cela reviendrait, selon lui, à nier la finitude humaine et à retomber dans l’illusion hégélienne et le faux savoir du monde. D’où son rejet de la philosophie elle-même, définie par la volonté de savoir. - Schelling avait lui aussi reconnu, dans ses dernières œuvres, l’existence essentielle, la finitude radicale du péché et la rupture historique que constitue la révélation, tout en affirmant, contre Hegel, l’importance d’un moment matérialiste irréductible. Mais cette époque de la pensée est globalement marquée par l’échec de la Révolution — non pas quant à ses acquis juridiques, mais parce qu’elle n’a pas engendré le monde juste qu’elle promettait — et par l’échec des restaurations. Elle remet en cause tout idéalisme, y compris celui, implicite, du capitalisme, et son fond nihiliste. Mais son incapacité à fonder un savoir vrai de l'existence précipite son retrait hors du politique, l'amène à un repli romantique sur la subjectivité, qui finalement engendre de nouveaux idéalismes.
EPOQUE CONTEMPORAINE, Existence, Rupture, Idéalisme, KIERKEGAARD, MARX
ELECTION, Démocratie, Judaïsme, Existence
Le monde contemporain repose sur l’idée que la vérité ne vient pas de l’homme lui-même, mais de l’Autre (Dieu, autrui, peuple) dont il est et se veut l'élu. C’est la logique que partagent à la fois la pensée chrétienne de l’existence et la pensée messianique issue du judaïsme. Cette même structure se manifeste dans la démocratie représentative et parlementaire, où les gouvernants cherchent, à travers le vote du peuple, la confirmation d’être les « élus » de l’Autre.
DROIT, Politique, Existence, Norme, SCHMITT, HEGEL
Soit la distinction schmittienne de la norme, de la décision, et de l'ordre comme caractérisant toutes trois le droit, mais aussi trois types de pensée juridique. La norme est bien le contenu objectif du droit, mais elle doit être instituée par un acte politique en fonction des imprévus de l'histoire, c'est à dire aussi bien de l'existence. Finalement il s'agit de rendre les normes contraignantes, c'est pourquoi, pour parer à tout arbitraire, l'Etat et à travers lui le droit se manifestent comme ordre. Schmitt fait volontiers référence à Hegel : « L’État hégélien n’est ni la norme des normes ni une décision souveraine pure. Il est l’ordre des ordres, l’institution des institutions. » Le risque - singulièrement ignoré par Schmitt - est que l'Etat s'identifie lui-même à l'ordre (si ce n'est à l'Esprit hégélien), quand cet ordre devrait se limiter à garantir l'état de droit, s'effacer comme Tout politique pour préserver son Autre qu'est le citoyen, l'homme, ultimement l'individu.
DROIT, Finitude, Savoir, Liberté
Le droit est le moyen que se donne l'Etat pour réaliser la justice et donc, autant que possible, réduire la violence parmi les hommes. Il est donc savoir de la finitude. Par son aspect savoir, le droit rationalise, pense et octroie les libertés (civiles et politiques) nécessaires à l'homme pour se réaliser comme individu ; sous l'angle de la finitude, il limite ces mêmes libertés, en se faisant droit pénal. Le savoir juridique porte sur les conditions qu'il faut donner à l'existant pour qu'il assume justement son existence, qu'il résiste à la tentation de la fuir (finitude radicale). Ces conditions sont, comme toujours, la grâce, l'élection et la foi. La grâce reconnaît en l'homme une volonté libre, "naturelle", et octroie des droits réels portant surtout sur les biens (comme la liberté de propriété). L'élection exige en outre que cette liberté soit justifiée, pensée collectivement : elle statue sur les personnes et octroie des droits politiques (comme la liberté d'enseignement...). La foi accorde finalement que ces droits doivent s'appliquer à tous, autrement dit elle les pose comme universels (c'est l'aspect cosmopolitique du droit). Mais constamment la finitude se rappelle au droit, le fait que les libertés sont régulièrement transgressées ou empêchées : le savoir porte alors sur les moyens répressifs et coercitifs pour rappeler à chacun son devoir de respecter les droits de tout autre, et les peines encourues s'il s'y refuse (ce qui revient toujours à refuser les conditions de sa propre autonomie, de sa propre existence d'homme libre.)
DOUTE, Vérité, Négation, Existence
"Avant même le savoir ordinaire auquel s’arrête le sujet social, il y a une vérité reconnue par ce sujet, une vérité qu’il a à s’approprier pour parvenir au savoir. Ce qu’il faut, c’est nier toute vérité à laquelle l’existant devrait se soumettre, et la nier au profit d’une vérité qui surgit et qui s’efface aussitôt, confiant à l’existant la tâche de la reconstituer, de la recréer. Ce qu’il faut par conséquent, c’est le doute, puisque négation et vérité définissent le doute."
JURANVILLE, HUCM, 2017
DIEU, Existence, Trinité, Preuve, DESCARTES
Que découvre le philosophe, lorsque qu'il pose l'inconscient en plus de poser l'existence ? et que découvre le patient, après avoir accompli jusqu'au bout le travail de la cure ? Dans les deux cas, c'est l'existence de Dieu qui est révélée, mais précisément Dieu comme inconscient. C'est la condition pour que le savoir philosophique, le savoir rationnel pur, devienne universellement reconnu ; car il ne fait que confirmer, et vérifier alors le savoir religieux de la Révélation. Et c'est la condition pour que le savoir religieux lui-même apparaisse dans sa rationalité pure, en l'occurrence trinitaire. La vérité de l'existence n'est autre que celle de la Trinité comprise comme Relation, puissance de l'Un absolu de se rapporter à l'Autre comme un autre Soi également absolu (c'est l'engendrement du Fils par le Père), c'est-à-dire comme une autre Personne mais non une autre substance (le Fils est également Dieu). Le Fils quant à lui existe dans sa relation au Tiers qu'est l'Esprit saint (tout aussi divin, quoique tourné vers l'Homme). Aux trois Personnes correspondent les trois preuves de l'existence divine, telles que les a formulées Descartes, toutes trois reposant sur l'idée de perfection. D'abord la preuve par la causa sui (ou « deuxième » preuve par les effets selon Martial Guéroult) se rapporte au Père : elle stipule que si la créature possède pareille idée de perfection, il est manifeste qu'elle même n'est point parfaite ; or si elle était cause de sa propre existence, elle n'aurait pas manqué de s'octroyer toutes les perfections, ce qui implique qu'elle doit son existence à un être extérieur effectivement parfait, capable de se donner à lui-même sa propre existence, soit le Créateur ou Dieu le Père. Ensuite la preuve par l'idée d'infini (ou « première » preuve par les effets selon Guéroult) ne fait que reprendre cette implication au niveau de la logique interne de l'esprit humain, et se rapporte comme telle au Fils : en effet si l'homme possède l'idée d'un être infiniment parfait, il ne saurait être lui-même à l'origine de cette idée, pareille idée ne pouvant être conçue par un esprit fini et imparfait : elle lui a donc été communiquée par un esprit lui-même parfait, celui d'un Dieu Révélateur, soit le Verbe ou Fils de Dieu. Enfin la preuve dite "ontologique" reprend cette implication à un niveau seulement abstrait en apparence, qui se rapporte à l'Esprit saint : en effet l'idée de perfection implique nécessairement l'existence, puisque c'est une plus grande perfection d'exister plutôt que le contraire ; cette preuve exprime la vérité éthique selon laquelle il est meilleur, pour l'humain, de vouloir l'existence (entendre de s'ouvrir à son Autre) plutôt que l'inverse (entendre : se replier sur soi), car il participe alors à la vie divine, à quoi l'engage précisément l'Esprit rédempteur, tout aussi divin que le Père et le Fils. (L'humain cherchera sans doute à en tirer l'idée - fausse - de sa propre divinité, et se repliera fatalement sur son intérêt exclusif, au lieu de prendre en compte, dans l'éthique, l'ensemble de la création.)
DIEU, Existence, Finitude, Conditions, KIERKEGAARD
Pour Kierkegaard l'existence est envisagée comme essentielle en tant que radicalement finie, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes. En outre la finitude est radicale parce qu'elle n'est pas une faiblesse, un simple défaut dans le bien, mais un désir du mal pour le mal, un péché. L'acceptation de ce paradoxe ne se fait qu'en entrant dans la "sphère religieuse" où l'on reconnait en l'Autre absolu le siège unique de la vérité, et corollairement en soi-même le siège du péché, de la non-vérité. Or l'homme ne pourrait se rapporter ainsi à l'existence et s'ouvrir à la vérité s'il n'en recevait pas de l'Autre toutes les conditions, à commencer par la grâce : l'Autre se soustrait lui-même de la relation de maîtrise, de soumission fascinatoire dans laquelle le fini voudrait l'enfermer et s'enfermer avec lui, et bien plus il transmet au fini cette disposition à s'ouvrir à l'Autre et à donner lui-même sa grâce. Là réside l'opposition radicale entre l'Autre absolu faux du paganisme et l'Autre absolu vrai de la révélation. Le Dieu vrai du christianisme n'accorde pas seulement sa grâce au fini, mais également le moyen de fixer pour lui la vérité, de se l'approprier, c'est-à-dire d'accomplir son oeuvre et de devenir individu sur le modèle de l'Unique : cette condition est la foi, tout autre chose par conséquent qu'un simple sentiment immédiat d'union avec Dieu. Modèle pour le fini, le Christ l'est enfin et encore s'agissant de se préparer à oeuvrer, non plus à s'abaisser mais cette fois à s'élever pour le bien de l'humanité : ce qui s'appelle l'élection, ou encore "rendre grâce" puisqu'à travers son oeuvre le fini offre à tout Autre, rend d'une certaine manière, la grâce qu'il avait reçue.
DESIR, Souffrance, Jouissance, Sujet, LACAN
"Le sujet est peau écartelée, tendue entre des pieux, et qui de temps en temps résonne (c’est cette résonance du corps que la poésie provoque, selon Lacan). Il souffre parce que le signifiant ne vient pas, mais aussi parce qu’il peut venir, parce qu’il est venu. Souffrir est épreuve du temps dans sa négativité, comme jouir épreuve du temps dans sa positivité. On souffre parce qu’on « consiste » malgré le mal... « Douleur d’exister », dit simplement Lacan. C’est le vide du monde pour autant qu’il ne se dépasse ici dans aucun visage, mais dans l’Autre sans visage qui ex-siste absolument. Le corps parlant et désirant est trait unaire, symbole tracé par l’Autre sur la page illimitée du monde. Mais en tant que lui-même est aussi cette page, il reçoit la marque signifiante, qui reste comme trace de la jouissance et lui en assure le retour, lorsqu’à l’offre de son désir un Autre apparaîtra qui réponde."
JURANVILLE, 1984, LPH
DEMOCRATIE, Existence, Autre, Peuple
La démocratie n'est pas autre chose que l'affirmations sociale de l'existence. Est démocrate celui qui voit en l'Autre - d'abord l'Autre absolu puis le peuple comme communauté des autres Autres - la source de la vérité et de l'universel.
CRITIQUE, Discours, Philosophie, Existence, LEVINAS
La pensée de Levinas se rapproche de la doctrine critique de Kant par son refus de poser un savoir ontologique définitif, cette fois au nom de la finitude de l'existence. Il distingue d'abord le discours ontologique basé sur l'essence (attitude dogmatique chez Kant), puis le discours sceptique contestant l'unité et la vérité de l'essence au nom de la différence énonciative (attitude sceptique chez Kant), et enfin le discours philosophique conditionnant le savoir ontologique au légitime jeu des discours (attitude critique chez Kant). Sauf qu'il s'agit d'un jeu sans fin car, malgré la rationalité reconnue du discours philosophique, il est exclu que ce discours puisse déboucher sur un savoir universel, ce qui hypothèque la possibilité d'une justice réelle. La responsabilité de l'homme devant l'erreur demeure absolue.
CREATION, Existence, Autre, Essence
Si l'existence est absolument essentielle (conforme absolument à son essence), c'est parce qu'elle est essentiellement création. Elle est d'abord le fait de l'Autre divin qui, tourné vers son Autre, lui supposant l'existence, lui donne toutes les conditions pour exister vraiment, c'est-à-dire pour créer.
CONTRADICTION, Identité, Autre, Existence, KIERKEGAARD
"En refusant qu’à partir de la contradiction éprouvée par le fini, et grâce à l’Autre qui s’y manifeste, un savoir nouveau puisse advenir, la pensée de l’existence ne rejoint-elle pas ce qui fait le fond de la conception commune ou métaphysique ? Ne rejoint-elle pas l’image d’un Autre absolu tout-puissant qui ne voudrait pas pour lui, comme Autre vrai, la contradiction dans sa relation au fini comme son Autre, mais qui, lui-même hors contradiction, vouerait, comme Autre faux, le fini à une contradiction sans vérité, destructrice de toute identité, et de tout être, à la contradiction devenue terreur sacrificielle ? Nous verrons plus loin que la terreur est elle-même, face à la contradiction comme négation de l’essence, négation de l’être."
JURANVILLE, 2000, JEU
CONNAISSANCE, Métaphysique, Sujet, Existence
En matière de connaissance, la métaphysique évite la question de la finitude radicale, ainsi que la relation à l'Autre comme tel. A l'époque antique, en plaçant la vérité dans l'objet à connaître, indépendamment des limitations du sujet ; à l'époque moderne, en situant au contraire la vérité dans le sujet, à partir de quoi seulement l'objet peut être connu. Avec cette conséquence que la connaissance métaphysique s'accomplit sous la forme d'une auto-objectivation du sujet tendant à faire disparaître l'extériorité de l'objet... et donc, avec ce dernier, le principe même de toute connaissance objective au profit du seul savoir (intérieur). Il est facile de voir qu'une telle connaissance métaphysique, avec son sujet tout puissant, réalise un fantasme sexuel, pervers qui plus est, où l'objet est censé venir combler tout manque dans l'Autre. Inversement, c'est contre toute forme de connaissance absolue et vraie que se dresse la pensée de l'existence, au nom du choix existentiel (« Choisis-toi toi-même » énonce Kierkegaard) et de la confrontation avec la finitude, primant sur toute démarche de connaissance (y compris le « Connais-toi toi-même » de Socrate). Lacan en particulier, remet radicalement en question les préjugés liés au statut épistémique de l'objet aussi bien que celui du sujet, les ordonnant plutôt, du point de vue de la psychanalyse, à la cause de désir. Toutefois la question des conséquences sociales et politiques d'une telle position reste entière et non résolue.
CONNAISSANCE, Existence, Sens, Inconscient
La connaissance porte sur le particulier externe, même si elle en tire de l'universel, et elle est toujours oeuvre particulière, certes tournée vers l'universel. Affirmer l'existence, c'est donc toujours viser une connaissance particulière, mais aussi essentielle. En effet en posant l'extériorité de l'Autre absolu, aussi bien que son identité, l'existant suppose sa propre extériorité séparée et la possibilité de l'exposer dans son oeuvre propre, ayant alors valeur de connaissance. Mais la pensée de l'existence juge d'abord inconciliables l'existence, vécue authentiquement, et l'extériorité objective de la connaissance, sans se rendre compte que l'existence soi-disant authentique n'est alors que le reflet idéaliste et donc la continuation complaisante du monde social, avec son faux savoir écrasant. C'est en affirmant l'inconscient, en plus de l'existence, que l'on peut éviter le piège de l'idéalisme et parvenir à une connaissance objective. Seule la science de l'inconscient laisse place au non-sens constitutif de l'existence, et lui donne un sens finalement à la (dé)mesure du sens que l'Autre absolu a donné à son Oeuvre. A la condition de s'identifier, dans son oeuvre, à cet Autre absolu, l'oeuvre peut délivrer un sens qui soit connaissance essentielle et universelle.
TRINITE, Christ, Finitude, Existence
La philosophie est-elle capable, par elle-seule, de remettre en cause le système sacrificiel qui a débouché sur la condamnation de Socrate, puis à une échelle plus universelle, sur le sacrifice du Christ ? La philosophie ne peut espérer faire reconnaître son savoir par tous en raison de la finitude radicale qui subsiste, quelque soit l'émancipation qu'elle propose au nom de la raison - l'altérité et l'universalité de celle-ci n'étant que partielle. La dénonciation de l'injustice n'est jamais suffisante tant qu'elle n'émane pas de l'Autre absolu, ce qu'accomplit le "médiateur" divin en la personne du Fils. Il s'agit pour l'homme de parvenir à une autonomie réelle lui permettant d'assumer la finitude radicale, le péché même de n'en rien vouloir savoir. Maintenant pourquoi la trinité, pourquoi le Fils ? Ce n'est que dans l'imitation du Fils que l'homme peut se libérer de la faute qu'il a tendance, névrotiquement, à attribuer au Père, lui l'enfant exclu de la "scène primitive", victime du père réel. C'est ainsi que la Création du Père (cause matérielle) ne peut s'accomplir que par la Révélation du Fils (cause formelle) ; et la paternité du Père ne peut être reconnue, depuis la créature, que par la médiation du Fils, fils engendré (et certes non créé) comme Verbe à partir de la Chair du Père. Le Verbe se déploie (c'est la "cause finale", selon Schelling) par le Saint-Esprit qui procède identiquement des deux premières Personnes, qui est leur Amour parfait, et qui entraîne les hommes également dans l'Amour et la vie de l'esprit. Cette vérité trinitaire, que Schelling a rapporté aux trois causes citées, Saint-Paul l'avait résumée par la formule : « Toute chose est de lui, par lui et pour lui. » La philosophie y puise sa définition de l'existence comme identité dans la relation à l'Autre et à partir de cette relation.
CHOSE, Réalité, Unité, Existence
Pour poser la finitude comme bonne et vraie pour chacun, et ainsi assumer l'abandon essentiel (sans retomber dans des formes faussées de l'abandon), il convient de poser la Chose dans son unité et dans sa réalité. D'abord présente dans l'Autre absolu, donc dans l'inconscient, la Chose advient par un acte de parole qui est création, donc en toute chose dès lors qu'elle est nommée. Une création qui se fait dans le temps réel, c'est pourquoi ni la métaphysique ni l'empirisme ne connaissent la Chose : soit l'on concevra métaphysiquement une sorte d'unité supratemporelle, mais sans réalité pour le sujet, soit l'on admettra l'existence d'une réalité empirique, mais dont l'unité ne sera que nominale ou formelle, là encore hors du temps. Quant à la Chose kantienne, quand bien même elle existe "derrière" le phénomène, elle reste "en soi" inconnaissable et muette - et même si elle "se fait" connaître au sujet, sur le plan pratique, comme un idéal impossible à atteindre. La Chose réapparait dans sa vérité avec la philosophie de l'existence, dès lors que celle-ci admet la réalité d'un temps pur où le sens n'est jamais anticipable et où l'on est, toujours par conséquent, confronté au non-sens (sens et non-sens que récusent respectivement l'empirisme et la métaphysique, rappelons-le). Ainsi la Chose apparaît au coeur de l'existence, pour Heidegger, comme ce qui contient l’Ereignis, et comme ce qui enfante ("rassemble") le monde vrai autour de son propre vide, selon la structure du Quadriparti (Geviert). Ainsi encore la Chose est introduite dans sa vérité, par Lacan, comme Chose parlante ("moi la Vérité je parle") et plus généralement comme la passion de la parole ("ce qui du réel pâtit du signifiant") - en tout cas elle est davantage que cet illusoire souverain Bien, objet du désir, que Lacan évoque le plus souvent. Mais cette chose bien réelle, existante ou inconsciente, n'est jamais présentée dans son unité consistante, faute d'avoir fait de l'inconscient l'essence même de l'existence (ce que seule une raison philosophique, déployant la structure quaternaire de l'inconscient jusqu'à la totalité de l'existence, peut assumer).
CHOSE, Existence, Quaternaire, Mère, HEIDEGGER
Heidegger critique trois interprétations dominantes de la « choséité » dans la pensée occidentale : 1) La chose comme substance avec qualités (thèse métaphysico-dogmatique), une unité réelle présupposée. 2) La chose comme faisceau de sensations (thèse empirico-sceptique, ex. Russell, Quine), une unité conventionnelle et fictive. 3) La chose comme matière informée (thèse philosophico-critique), une unité anticipée liée à la production. Contre ces conceptions, la pensée de l’existence et la psychanalyse proposent une « chose vraie », ex-sistante et ouverte à l’Autre absolu. En tant que finie cette chose s’inscrit dans un quaternaire, souvent décrit mais non posé comme tel, comme matrice d'une logique absolue.
AUTRE, Finitude, Condition, Existence
Le refus que, toujours d'abord, l'homme oppose à l'Autre absolu ne l'empêche pas de recevoir de cet Autre toutes les conditions (grâce, élection, foi) pour accueillir à son tour l'existence, ni d'ailleurs de continuer à éprouver douloureusement sa finitude, au point de la fausser, sous les auspices d'un Autre faux idolâtré et faussement protecteur, dont il ne serait que le déchet.
ATHEISME, Altérité, Existence, Dieu, LACAN
"En fait, pour nous, si on le prend à la lettre sans chercher à voir ce qui s'y cache, l'athéisme n'est que manifestation suprême du rejet de l'Autre, de l'altérité, de l'existence et prétention à la toute-suffisance et toute-puissance prométhéenne de l'homme. C'est ce que suggère Lacan : « L'athéisme, dit-il ainsi, est la maladie de la croyance en Dieu, croyance que Dieu n'intervient pas dans le monde. Dieu intervient tout le temps, par exemple sous la forme d'une femme » ; ou encore, contre le déisme aristotélisant de Voltaire : "La religion est vraie. Elle est sûrement plus vraie que la névrose, en ceci qu'elle nie que Dieu soit purement et simplement - ce que Voltaire croyait dur comme fer -, elle dit qu'il ex-siste, qu'il est l'ex-sistence par excellence, c'est-à-dire qu'il est le refoulement en personne”. Dieu inconscient, refoulé. Reste, selon nous, que l'existence de Dieu, pour refoulée et latente qu'elle soit toujours au départ, devient patente par la Révélation. Or ce rejet de l’altérité, de l’ouverture à l’Autre, en l’occurrence à l’Autre primordial qu’est l’Autre divin, conduit inévitablement, comme dans le paganisme, à une fabrication d’idole."
JURANVILLE, UJC, 2021
IDENTITE, Altérité, Existence, Structure existentiale, KIERKEGAARD
Les fameuse "sphères de l'existence" selon Kierkegaard sont quasiment homologues aux "structures existentiales" (Juranville) déductibles de la théorie de l'inconscient, deux théories qui visent à établir la vérité de l'existence à l'aune d'une altérité radicale. Ces structures permettent de situer, et de formaliser, différents modes de l'identité avec l'existence, sachant qu'elles témoignent à chaque fois d'un évitement de la part du sujet pour poser cette identité avec toute l'objectivité requise du point de vue de l'Autre. D'abord le mode de la séparation avec la sphère esthétique, qui correspond à la structure perverse en psychanalyse. Ensuite celui du choix qui caractérise la sphère éthique, à laquelle correspond la névrose. Enfin la répétition, propose à la sphère religieuse selon Kierkegaard, à laquelle on peut faire correspondre la sublimation. Il existe une quatrième sphère pourtant écartée d'office par Kierkegaard, considérée comme impossible et hors existence puisqu'excluant par principe l'altérité : ce serait la métaphysique, stade de l'identité originelle avant toute relation, à laquelle il faudrait faire alors correspondre la psychose.