Max Weber décrit la communauté plutôt comme une totalité immédiate et affective, et la société plutôt comme une totalité civile et rationnelle. Pour autant il admet qu'il n'existe aucune loi de développement qui ferait passer historiquement de l'une à l'autre, car, dit-il « la grande majorité des relations sociales ont en partie le caractère d’une communalisation, en partie celui d’une socialisation. » Juranville articule avec davantage de précision le rapport entre ces deux types de totalité, en caractérisant la communauté par l'hétéronomie et la société par l'autonomie, à quoi s'ajoute le facteur totalité. Mais il précise que l'hétéronomie en question, ce qui est reçu de l'Autre en général, ne relève pas d'une simple transmission plus ou moins imposée mais, pour chaque individu, d'une décision à la fois instituante et inspirante, qui suppose - paradoxalement - une certaine autonomie. C'est d'abord le fait de vivre en société qui peut apparaître comme une caractéristique universelle, et c'est lorsqu'une telle totalité offre concrètement les conditions d'émergence de l'autonomie, que le sujet social peut s'en saisir et découvrir - non moins paradoxalement - que l'hétéronomie, l'hétéronomie vraie de l'Autre absolu, était la condition de possibilité de son autonomie.
COMMUNAUTE, Société, Hétéronomie, Autonomie, WEBER
COMMUNAUTE, Individu, Hétéronomie, Totalité, MARX, KIERKEGAARD
Totalité et hétérogénéité définissent la communauté et les deux sont exigibles afin d'y établir la justice. Mais les partisans radicaux de l'hétérogénéité, au nom de l'existence, comme ceux de la totalité, au nom de la justice sociale, refusent cet effort dialectique de conciliation. Pour Kierkegaard, "il n’y a jamais de lutte que celle des individus ; car le propre de l’esprit, c’est justement que chacun soit un individu devant Dieu", et l'idée même de communauté apparaît comme la négation même de l'existence et de l'hétéronomie vraie, avant tout religieuse et personnelle. Marx, inversement, dénonce la fausse hétéronomie de l'individualisme bourgeois, et en appelle la "communauté réelle" des "individus complets" (non aliénés).
COMMUNAUTE, Aliénation, Capitalisme, Communisme, MARX
"Mais cette visée d’une communauté nouvelle conduit inévitablement, parce qu’elle est anticapitaliste, à une répétition du système sacrificiel, avec sa communauté écrasante. Car la révolution anticapitaliste vise à faire disparaître, de la communauté juste qu’elle veut établir, toute trace d’aliénation . C’est ce qu’elle vise, puisque le capitalisme est la forme qu’a prise, dans l’histoire, l’aliénation. Et ce qui caractérise le projet de Marx comme gnostique. Marx veut alors une émancipation « totale », accomplie par l’« homme générique », une « émancipation humaine ». Mais gnosticisme présent aussi dans L’Idéologie allemande (1845-1846) où l’individu, ignorant toute finitude radicale, devient, par la révolution communiste, abstraitement autonome."
JURANVILLE, 2010, ICFH
COMMUNAUTE, Sacrifice, Peuple, Etranger
La communauté sacrificielle se caractérise par la violence qu'elle fait subir à certains individus, voire à l'individu comme tel, sur lesquels s'est déportée la haine de l'Autre, de l'altérité comme telle. Ce système sacrificiel se réalise sous trois formes de communautés successives. D'abord le couple des amants : fermée et exclusive par définition, cette communauté est tout entière consacrée à la jouissance sexuelle, plus ou moins élevée à la passion, mais surtout elle exclut l'Autre comme tel (l'Autre absolu d'une part, par crainte de l'interdit, l'autre fini d'autre part, l'enfant qui pourrait y être procréer, par crainte de la finitude qu'il faudrait alors assumer). Ensuite la famille : c'est une communauté où cette fois règne l'interdit et la mesure, l'éducation et la responsabilité, mais une communauté qui peine à s'ouvrir à la fraternité universelle, étant elle aussi tentée d'exclure tout étranger (en répétant d'une certaine façon le mythe inconscient de la "scène primitive", soit le "parfait" rapport sexuel dont l'enfant était le premier exclu), mais tentée aussi, corollairement, d'empêcher chacun de ses membres de devenir "étranger" et pleinement individu, dans la solitude et la séparation. Enfin le peuple : cette communauté devrait poser sa spiritualité propre en assumant son rôle dans l'histoire, elle est pourtant aussi le théâtre par excellence du sacrifice, par la communauté entière, de l'Etranger comme tel (c'est la condamnation du Fils de Dieu envoyé sur Terre pour laver les péchés des hommes, la perpétuation de la haine et le refus de toute rédemption).