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SACRIFICE, Dieu, Fils, Spiritualité

Qu'est-ce qui permettra à chaque individu de se considérer dans son essentielle autonomie, en reconstituant pour lui le sens rationnel de la création par Dieu le Père ? Autrement dit, comment passer de l'objectivité à la subjectivité du Dieu de la Révélation, ce Fils qui a dû subir le sacrifice ultime pour mieux le dénoncer et en délivrer les hommes ? C'est justement ce Sacrifice du Fils - vécu dans la Passion en tant qu'homme, mais jusque dans la Résurrection en tant que Dieu - qui révèle aux hommes leur nature spirituelle malgré la finitude - spiritualité assumant et pardonnant la finitude. Et cependant le Fils n'engage pas les hommes à l'imiter dans la perpétuation rituelle du Sacrifice - ce serait revenir à la barbarie et au paganisme - seulement à en recueillir le sens spirituel.


"Subjectivité du dieu, avons-nous dit, subjectivité hors laquelle les hommes ne pourraient, comme sujets, accéder à l'objectivité de ce dieu, à celle de Dieu le Père. C'est ce que disent ces paroles de Jésus : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ; nul ne va au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père » (Jean, 14, 6-7). Preuve de Dieu comme Fils en tout cas selon nous, celle que Kant dit preuve physico-théologique et qui est chez Descartes la première preuve par les effets, Dieu comme cause en moi de l’idée de Dieu laquelle - c'est la Pâque - vient m'arracher au paganisme (l'Egypte) dans lequel j'étais pris. Le sujet social toutefois reste fixé à ce qu'est pour lui traditionnellement le sacrifice, ou à une de ses variantes. Contradiction subjective du concept de dieu."
JURANVILLE, PHER, 2019

SACRE, Dieu, Raison, Spiritualité

Comment l'absolu du Dieu de la Révélation peut-il se faire raison, pour l'homme, et ainsi se donner dans une totalité et faire monde ? Pour que l'homme s'imprègne de cet absolu (ce qui existe par soi, ne dépendant d'aucune relation), pour qu'il puisse reconstituer pour lui cette raison jusque dans le tissu des relations du monde, il doit célébrer le Sacré - soit cette spiritualité se faisant réalité dans laquelle finalement réapparaît l'objectivité du Dieu. Réalisant la spiritualité dans sa face réelle, c'est vers Dieu le Père, principe de la Création, que reconduit fondamentalement le Sacré.


"Cet absolu réapparaitra, par rapport à l'ordinaire totalité de relations, comme liberté et, pour autant qu'il est en soi raison, comme liberté allant jusqu'au savoir d'elle-même, comme spiritualité. Et, puisqu'il réapparaîtra ainsi aux yeux de l'homme qu'il appelle à assumer sa finitude il réapparaitra comme assumant à l'avance cette finitude de l'homme, il réapparaitra dans la réalité, qui est être et finitude. Il réapparaitra donc comme le sacré, puisque spiritualité et réalité définissent le sacré qui est ainsi l'objectivité du dieu, ce qu'il est en lui-même dès l'origine et dans quoi, pour l'homme, il s'accomplit. Pour cet homme auquel il dispense toutes les conditions de l'autonomie, il sera Dieu le Père, le principe de la Création."
JURANVILLE, PHER, 2019

DIEU, Existence, Trinité, Preuve, DESCARTES

Que découvre le philosophe, lorsque qu'il pose l'inconscient en plus de poser l'existence ? et que découvre le patient, après avoir accompli jusqu'au bout le travail de la cure ? Dans les deux cas, c'est l'existence de Dieu qui est révélée, mais précisément Dieu comme inconscient. C'est la condition pour que le savoir philosophique, le savoir rationnel pur, devienne universellement reconnu ; car il ne fait que confirmer, et vérifier alors le savoir religieux de la Révélation. Et c'est la condition pour que le savoir religieux lui-même apparaisse dans sa rationalité pure, en l'occurrence trinitaire. La vérité de l'existence n'est autre que celle de la Trinité comprise comme Relation, puissance de l'Un absolu de se rapporter à l'Autre comme un autre Soi également absolu (c'est l'engendrement du Fils par le Père), c'est-à-dire comme une autre Personne mais non une autre substance (le Fils est également Dieu). Le Fils quant à lui existe dans sa relation au Tiers qu'est l'Esprit saint (tout aussi divin, quoique tourné vers l'Homme). Aux trois Personnes correspondent les trois preuves de l'existence divine, telles que les a formulées Descartes, toutes trois reposant sur l'idée de perfection. D'abord la preuve par la causa sui (ou « deuxième » preuve par les effets selon Martial Guéroult) se rapporte au Père : elle stipule que si la créature possède pareille idée de perfection, il est manifeste qu'elle même n'est point parfaite ; or si elle était cause de sa propre existence, elle n'aurait pas manqué de s'octroyer toutes les perfections, ce qui implique qu'elle doit son existence à un être extérieur effectivement parfait, capable de se donner à lui-même sa propre existence, soit le Créateur ou Dieu le Père. Ensuite la preuve par l'idée d'infini (ou « première » preuve par les effets selon Guéroult) ne fait que reprendre cette implication au niveau de la logique interne de l'esprit humain, et se rapporte comme telle au Fils : en effet si l'homme possède l'idée d'un être infiniment parfait, il ne saurait être lui-même à l'origine de cette idée, pareille idée ne pouvant être conçue par un esprit fini et imparfait : elle lui a donc été communiquée par un esprit lui-même parfait, celui d'un Dieu Révélateur, soit le Verbe ou Fils de Dieu. Enfin la preuve dite "ontologique" reprend cette implication à un niveau seulement abstrait en apparence, qui se rapporte à l'Esprit saint : en effet l'idée de perfection implique nécessairement l'existence, puisque c'est une plus grande perfection d'exister plutôt que le contraire ; cette preuve exprime la vérité éthique selon laquelle il est meilleur, pour l'humain, de vouloir l'existence (entendre de s'ouvrir à son Autre) plutôt que l'inverse (entendre : se replier sur soi), car il participe alors à la vie divine, à quoi l'engage précisément l'Esprit rédempteur, tout aussi divin que le Père et le Fils. (L'humain cherchera sans doute à en tirer l'idée - fausse - de sa propre divinité, et se repliera fatalement sur son intérêt exclusif, au lieu de prendre en compte, dans l'éthique, l'ensemble de la création.)


"Vérité rationnelle et trinitaire qui, d'une part, découle de la détermination de l'être en Dieu comme existence absolue, et plus précisément absolument absolue, c'est-à-dire comme identité originelle s'effaçant comme telle en s'ouvrant à son Autre et devant se reconstituer à partir de ce qui, imprévisiblement, viendra de cet Autre. C'est ainsi que, dans le cadre de l'essence ex-sistante, l'Un primordial s'ouvre vers son Autre en le produisant nécessairement à partir de soi comme un autre soi, semblable à soi, en l'engendrant (c'est le Deux). Et que le Un et le Deux se retrouvent dans un mouvement encore d'existence absolue non pas l'un vers l'autre (c'est déjà fait pour le Un, ce serait fermeture pour le Deux), mais vers un autre Autre à venir (c'est le Trois). Père, Fils, Esprit. La Trinité du Dieu chrétien. Le Oui, le Non et le Et, dans le mouvement existentiel selon Rosenzweig. N'en disons pas plus ici et citons simplement saint Augustin quant à la relation du Père et du Fils, sans que soit évoqué par lui le terme d'existence : « Même si le Père et le Fils sont deux choses différentes, il ne s'agit pas là d'une substance différente, puisque ce n'est pas selon la substance qu'ils sont appelés ainsi, mais selon la relation, sans pourtant que la relation soit un accident puisqu'elle n'est pas muable »."
JURANVILLE, PHER, 2019

DIEU, Existence, Finitude, Conditions, KIERKEGAARD

Pour Kierkegaard l'existence est envisagée comme essentielle en tant que radicalement finie, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes. En outre la finitude est radicale parce qu'elle n'est pas une faiblesse, un simple défaut dans le bien, mais un désir du mal pour le mal, un péché. L'acceptation de ce paradoxe ne se fait qu'en entrant dans la "sphère religieuse" où l'on reconnait en l'Autre absolu le siège unique de la vérité, et corollairement en soi-même le siège du péché, de la non-vérité. Or l'homme ne pourrait se rapporter ainsi à l'existence et s'ouvrir à la vérité s'il n'en recevait pas de l'Autre toutes les conditions, à commencer par la grâce : l'Autre se soustrait lui-même de la relation de maîtrise, de soumission fascinatoire dans laquelle le fini voudrait l'enfermer et s'enfermer avec lui, et bien plus il transmet au fini cette disposition à s'ouvrir à l'Autre et à donner lui-même sa grâce. Là réside l'opposition radicale entre l'Autre absolu faux du paganisme et l'Autre absolu vrai de la révélation. Le Dieu vrai du christianisme n'accorde pas seulement sa grâce au fini, mais également le moyen de fixer pour lui la vérité, de se l'approprier, c'est-à-dire d'accomplir son oeuvre et de devenir individu sur le modèle de l'Unique : cette condition est la foi, tout autre chose par conséquent qu'un simple sentiment immédiat d'union avec Dieu. Modèle pour le fini, le Christ l'est enfin et encore s'agissant de se préparer à oeuvrer, non plus à s'abaisser mais cette fois à s'élever pour le bien de l'humanité : ce qui s'appelle l'élection, ou encore "rendre grâce" puisqu'à travers son oeuvre le fini offre à tout Autre, rend d'une certaine manière, la grâce qu'il avait reçue.

Ainsi s'explique la faute et le péché originel de l'homme - finitude radicale selon Juranville - qui consiste à avoir douté de l'Autre, ne pas avoir reconnu ces conditions toujours déjà données, et finalement perdues par lui ; c'est d'avoir fait le choix (sous la pression sociale, mais choix quand-même) d'une protection facile monnayée sacrificiellement avec de faux maîtres ou de faux dieux ; ce qui l'explique est donc l'angoisse face à l'incertitude de l'existence. L'oeuvre consiste en un savoir qui, cette fois, vaudra comme "apprentissage véritable de l'angoisse" comme le dit Kierkegaard. Or pour ce dernier, si le Christ avait ce savoir, que nul ne lui avait enseigné, c'est parce qu'il était lui-même la vérité. Ce qui ne sera jamais le cas du fini, par définition, et Kierkegaard exclut que celui-ci parvienne jamais, par ses propres moyens, à un savoir vrai absolu, un savoir absolu (philosophique) de l'existence. L'impossibilité d'un savoir de l'existence tient au point de vue subjectiviste de Kierkegaard pour qui l'existence est le problème de l'homme, nullement celui de Dieu : « Dieu ne pense pas, il crée ; Dieu n'existe pas, il est éternel ».


"Il y a certes un savoir qui réside dans l'appropriation de cette vérité, de cette vérité révélée selon laquelle l'homme est appelé à accepter et aimer son existence, malgré et avec sa finitude, en l'occurrence l'incertitude objective. Un savoir qui est « l'apprentissage véritable de l'angoisse » laquelle est « condition préalable du péché originel et moyen rétrograde d'en expliquer l'origine » . Un savoir qu'a par excellence le Christ parce qu'il est lui-même la vérité. Le Christ n 'aurait jamais su la vérité s'il ne l'avait été, et nul ne sait de la vérité plus qu'il n'en exprime dans sa vie », ECh, 182). Un savoir que l'homme tend à fuir dans le péché. Mais Kierkegaard exclut que ce savoir puisse se poser comme tel et devenir un savoir proprement philosophique. – Le Dieu de la révélation ne peut dès lors nullement être l'objet d'un savoir philosophique. Le Dieu de la révélation ne peut même pas être posé comme existant, au sens de l'existence absolue (où la contradiction est d'emblée voulue, comme dans la Création divine) « Dieu ne pense pas, il crée ; Dieu n'existe pas, il est éternel », dit Kierkegaard dans une célèbre formule provocante. « L'homme pense et existe, et l'existence sépare la pensée et l'être, les tient distants l'un de l'autre dans la succession » (PS, 222). Pour Kierkegaard, l'existence véritable est le fait de l'homme seul. La seule rupture alors introduite avec le paganisme reste tout intérieure, le problème étant pour chacun le devenir chrétien."
JURANVILLE, PHER, 2019

DIEU, Autrui, Absolu, Raison, LEVINAS

D'un côté il y a le dieu abstrait de Heidegger, l'être en tant qu'Autre, qui engage l'homme à se découvrir comme « ex-stase en vue de la vérité de l'être » ; de l'autre côté il y a le dieu de la Révélation, l'absolument Autre qui ne se fait reconnaître, selon Levinas, que dans le visage de l'autre homme « dans la trace de l'Absent absolument révolu ». Même si Levinas peut écrire que « l'absolument Autre, c'est Autrui », il sait bien que le commandement de prioriser Autrui ne vient pas fondamentalement de l'autre homme, mais justement du grand Absent, de l'Absolu divin au-delà de (absous de) toute finitude. Autrui ne possède ce caractère d'unicité, qui lui vaut respect absolu de la part de chacun, que par référence au Dieu lui-même unique. Selon Levinas il faut voir dans le "Tu ne tueras point", « un appel à une responsabilité incessante à l'égard d'autrui, être unique », et cette responsabilité - après la grâce dispensée - est constitutive de l'élection. "Il n'existe pas de conscience morale qui ne soit conscience de l'élection" dit Levinas. La foi, enfin, donne un sens aux actions de chacun en faveur de son Prochain (« Nous ne pensons pas que le sens puisse se passer de Dieu »). En revanche, Levinas n'envisage pas que le sens puisse déboucher sur un savoir rationnel permettant d'instituer effectivement un monde juste ; d'où l'impossibilité qui est faire à ce monde de rendre raison de Dieu, ni de le poser - comme il conviendrait pourtant - comme absolu et raison.


"Mais ce n'est pas parce que le nom de Dieu vient dans le savoir et le discours qu'il peut être légitimement posé dans la raison et comme raison. De là le refus, par Lévinas, de toute preuve de l'existence de Dieu. Comme Rosenzweig, il montre ce Dieu appelant les hommes à instituer, contre le paganisme, un monde juste. Mais pas plus que Rosenzweig il ne considère qu’un tel monde puisse être posé réellement, c’est-à-dire rationnellement juste ; que ce monde puisse rendre raison de ce Dieu, lui rendre la raison que ce Dieu aurait donnée aux hommes ; que ces derniers puissent le poser comme absolu et en même temps raison."
JURANVILLE, PHER, 2019

DIEU, Raison, Absolu, Individu

Dieu n'est pas seulement l'altérité absolue de la révélation et son essence, il doit également être posé par la philosophie, si elle veut pouvoir le penser conceptuellement, comme l'absolu de la raison. Raison et absolu est donc ce qui définit Dieu. L'homme, destinataire de la révélation, destiné à devenir individu, doit d'abord poser la raison dans son absolu (en Dieu), s'il veut pouvoir reconstituer, peu à peu, toute vérité à partir de soi. Il semble vain de se prétendre un tel individu si l'on ne fait que supposer la raison en soi, car alors cette raison ne peut que se révéler impuissante à régler les affaires du monde.


"Raison et absolu, cela définit le dieu, le Dieu qui se révèle tel que la philosophie peut en former le concept de même que raison et finitude définissaient l'homme. Que le dieu relève de l'absolu, chacun l'accordera. Qu 'il relève aussi de la raison, c'est l'exigence de la philosophie dès lors qu'elle s'engage à en penser le concept. Le dieu est donc l'altérité absolue de la révélation et son essence, la solution de sa contradiction subjective. Il est celui qui se révèle, l'homme étant le destinataire de la révélation celle-ci se faisant par la métonymie prophétique. Or le dieu ainsi conçu et pensé n'est autre, avec sa raison, que le Dieu trinitaire du christianisme. Comme Hegel l'avait déjà parfaitement envisagé, de manière certes simplement formelle."
JURANVILLE, PHER, 2019

CHRISTIANISME, Rédemption, Grâce, Amour

Si avec l'amour - amour du Prochain - le christianisme tient son objectivité vraie, il rencontre aussi sa propre contradiction (objective) dans le refus que l'existant et principalement le sujet social oppose à cet amour. C'est la rédemption qui apporte les conditions pour que l'amour devienne objet d'un savoir véritable et conduise à l'autonomie réelle ; la rédemption qui est donc la subjectivité - comme solution à la contradiction objective - du christianisme. Seul le Christ, par son sacrifice, peut accorder la rédemption à l'humanité, la rendre acceptable par tous, comme Dieu le Père l'avait premièrement accordée au peuple juif. Mais si elle est bien sa subjectivité vraie, avec la rédemption le christianisme rencontre aussi sa propre contradiction (subjective) dans le fait que l'existant, s'imaginant libéré de sa finitude, pourrait prétendre passer outre à toute loi (position généralement gnostique, asociale). C'est alors la grâce qui résout cette contradiction subjective, grâce reçue d'abord de l'Autre absolu, grâce que chacun doit communiquer à son tour à son Autre, lui apportant ainsi les conditions de l'autonomie véritable et l'accès au savoir ; la grâce qui est donc bien l'essence du christianisme et son altérité absolue. Cette grâce, qui permet à la rédemption de s'accomplir, et à l'amour de se répandre, le peuple christianisé doit la reconnaître au peuple juif (historiquement par la reconnaissance de l'Etat d'Israël), après la lui avoir longtemps dénié au motif que ce peuple était porteur d'une élection elle aussi refusée.


"Comment le sujet individuel qui proclame une rédemption véritable peut-il, pour le savoir de l'autonomie duquel il se réclame, obtenir l'accord, au moins implicite, du sujet social qui d'abord rejette pareille rédemption ? Comment peut-il éviter de se faire complice de ce rejet ? Il a en propre une autonomie réelle, avec la finitude ; une autonomie à lui permise par l'Autre absolu qui l'a fait son Autre ; une autonomie qui est principe du savoir. Pour que le savoir puisse se poser comme universellement reconnu, il faut simplement que le sujet individuel lui aussi dispense une semblable autonomie donc au sujet social. Autonomie et altérité, cela définit la grâce. Laquelle est donc l'altérité absolue du christianisme et son essence, la solution de sa contradiction subjective. Grâce qui permet à la rédemption d'aller jusqu'à son terme, dans un monde dont l'amour est la valeur suprême (mais où certes la haine inéliminable n'est pas oubliée)."
JURANVILLE, 2019, FHER

RELIGION, Christianisme, Judaïsme, Islam

La vérité des trois religions révélées (notamment la vérité théologique du christianisme, avec la Trinité) ne sera effective qu'à la fin de l'historie, quand elles auront surmonté les dangers de falsification qui leur sont propres, et quand elles auront reconnu le savoir universel de la philosophie. En ce sens elles s'accorderont alors avec les religions orientales humainement instituées, elles-aussi vraies : ainsi le christianisme, fondé sur la grâce au même titre que le taoisme (l'efficience du non-agir), mais menacé de repaganisation jusqu'à ce qui'il reconnaissance la vérité du judaïsme ; ainsi le judaïsme, fondé sur l'élection au même titre que le confucianisme (le pouvoir des lettrés), mais menacé de neutralisation jusqu'à ce qu'il reconnaisse la vérité du christianisme ; ainsi l'islam, fondé sur la foi au même titre que l'hindouisme (soumission à une puissance divine principe de toute chose), mais menacé de non-dépaganisation jusqu'à ce qu'il reconnaissance la double vérité du christianisme et du judaïsme (et politiquement l'existence de l'Etat d'Israël).


"Notre propos est de montrer, en discussion avec Rosenzweig, que, si les trois religions révélées, le christianisme (qui détermine la vérité théologique partout implicitement présente), mais aussi le judaïsme et l'islam, ont toutes les trois leur vérité en soi, elles n'ont pas d'emblée, menacées qu'elles sont de falsification par leurs dangers propres, leur pleine vérité. Pleine vérité qu'elles n'ont qu'à la fin de l'histoire, quand elles permettent justement à la philosophie de poser son savoir comme universellement reconnu."
JURANVILLE, 2019, FHER

CHRISTIANISME, Altérité, Singularité, Judaïsme

L'on pouvait croire que le christianisme, religion de l'altérité découlant de la révélation, aurait su préserver historiquement cette altérité que les religions païennes avaient tant falsifiée. Il n'en a rien été car le christianisme s'est paganisé à son tour, en faisant de l'Autre divin une figure surmoïque et en désignant l'individu humain - nié dans sa singularité - comme sa victime sacrificielle. Afin de restituer l'individu dans sa singularité, en tant que porteuse d'altérité, le christianisme doit donc reconnaître la vérité du judaïsme, lequel se définit justement comme altérité et singularité.


"Le christianisme semblait devoir être l'unique religion vraie découlant de la révélation. Une religion qui, tenant compte de la falsification toujours d'abord, par le sujet social, de l'altérité, proclamait, contre toute religion naturelle, païenne, l'altérité essentielle. Une religion qui mettait l'altérité essentielle non seulement dans le rapport de l'Autre absolu avec les humains (pour lequel ceux-ci sont alors des Autres vrais), mais aussi au sein même de cet Autre (c'est le Dieu trinitaire). Une religion qui, par excellence, appelait les humains à se rapporter les uns aux autres selon cette altérité.
En fait, se repaganisant, le christianisme tend lui aussi à fausser l'altérité dont il se réclame. A faire de l'autre homme comme tel sa victime sacrificielle. A ne pas accepter que cet homme soit lui-même, dans l'identité qu'il a comme Autre, dans son individualité, dans sa singularité individuelle.
Le christianisme doit donc, pour être la religion vraie qu'il doit être, laisser place à la singularité. Et même à la singularité en tant qu'à partir de soi elle déploie une religion vraie — une religion non plus avec l'altérité, mais avec la singularité. Ce qui définit selon nous le judaïsme."
JURANVILLE, FHER, 2019

CHRISTIANISME, Altérité, Amour, Trinité

La religion, comme savoir de l'altérité, ne parvient à sa vérité que par la révélation qui introduit justement l'altérité vraie, celle du Dieu se rapportant à l'existant comme à son Autre - cet existant étant appelé à faire de même à l'égard de son Autre, d'abord le Dieu et ensuite le Prochain. Autrement dit la révélation appelle à s'identifier à cette hétéronomie divine, ce qui est l'autre nom de l'autonomie. Religion et altérité, cela définit nommément le christianisme en tant que religion de l'amour, puisque l'amour est non seulement ouverture à l'Autre mais transmission à l'Autre de cet amour. Par rapport au judaïsme, où les commandements d'aimer Dieu et le Prochain sont bien présents, le christianisme lui donne une portée universelle et surtout accomplit cet amour dans la Trinité illustrant l'amour parfait entre les trois Personnes.


"Religion et altérité, cela définit selon nous le christianisme. Religion de l'amour en effet, de l'amour qui pose que le mouvement vers l'Autre est bon en soi et qu'il doit s'éveiller en chacun et avant tout en ceux qui reçoivent cet amour. On connaît la réponse du Christ au légiste qui lui demande quel est le plus grand commandement dans la Loi : « "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton Cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit". C'est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". De ces deux commandements dépendent la Loi tout entière et les prophètes » (Matthieu, 22, 36-40). Certes ces formules viennent de la Bible juive, du Deutéronome (6, 5) et du Lévitique (19, 18). Mais elles ont reçu dans le christianisme une portée expressément universelle. Le christianisme montre l'amour en Dieu par la Trinité, amour du Père pour le Fils, du Fils pour le Père, des deux pour l'Esprit, de l'Esprit pour le Père et le Fils ; l'amour de Dieu pour les hommes (notamment dans le sacrifice du Christ)."
JURANVILLE, 2019, FHER

CHRIST, Passion, Amour, Grâce, KIERKEGAARD

Dans son affirmation fervente de la vérité du christianisme, Kierkegaard insiste tout particulièrement, voire exclusivement, sur la Passion du Christ (tout en négligeant l'Incarnation et la Résurrection), parce qu'elle se situe au choeur de l'épreuve existentielle du croyant : celui-ci en effet, dans la souffrance et la renonciation à soi, se confrontant avec la finitude, se dispose au mieux à recevoir la grâce et l'amour divins. La fonction sotériologique de la Passion s'avère centrale, la mission du Christ étant bien de sauver l'humanité, de la délivrer du péché. C'est en ceci que le Christ n'est pas un maître à la manière de Socrate, qui engage le disciple à découvrir - au moyen de la réminiscence - le savoir en lui ; la vérité que le croyant est appelé à découvrir, c'est la présence du péché en lui, afin de s'en délivrer, en laissant advenir non pas le savoir mais l'Amour. Si le disciple de Socrate imite son maître de même que ce dernier reconnait et confirme son propre savoir à travers celui du disciple, l'imitateur du Christ dans la Passion reçoit bien l'amour divin en partage, mais cette fois c'est une vérité et une identité nouvelles (une "nouvelle vie" littéralement) qui lui sont données, tout à fait imprévisiblement et unilatéralement, car le dieu n'en avait nullement besoin pour "se connaître" lui-même. La grâce divine établit bien une sorte d'égalité, dans la renonciation, entre le créateur et la créature, mais cette égalité s'arrête à l'individu dans son face à face avec Dieu, et Kierkegaard rejette toute perspective théologico-politique, toute possibilité de convertir la vérité en savoir et l'amour en justice sociale.


"« Le dieu n'a pas besoin de disciple pour se comprendre lui-même. Mais, s'il se meut lui-même et non par besoin, qu'est-ce qui le meut, sinon l'amour ? » (MPh, 72). Amour qui vise l'amour venant, en retour, du disciple, et donc l'égalité (« La préoccupation du dieu est de rétablir l'égalité. Faute d'y réussir, l'amour serait malheureux » MPh, 77). De sorte que le maître divin doit, pour libérer le disciple de l'enchantement et ravissement devant lui-même comme idole, s'abaisser lui-même, se faire simple serviteur. Grâce dispensée par ce maître au disciple qui aura à « recevoir dignement la grâce [ainsi] offerte à tout homme imparfait, c'est-à-dire à chacun de nous » (ECh, 67). Grâce qui lui ouvre la voie pour devenir « homme nouveau », pour re-naître » (MPh, 60 sq). Et cela en aimant à son tour, en ayant foi en ce Dieu qui ne peut pas se communiquer directement et qui doit d'abord susciter le scandale et le rejet : « Il lui faut exiger de devenir objet de foi. Sinon, il devient une idole » (ECh, 131). La Passion du Christ est, à partir de là, non pas à admirer, mais à imiter par l'existant comme sujet individuel. Et cela en s'affrontant à la finitude radicale ou péché, et dans les autres qui le menacent de violence sacrificielle, et en lui-même qui tend à être complice de cette violence. Epreuve de renonciation à soi, à l'identité qu'on s'était fabriquée : « Renonce à toi-même et souffre pour cette raison : tel était le christianisme ». Mais certes épreuve dans laquelle on advient à une nouvelle identité, celle de l'individu qu'est l'homme nouveau : « Au sens chrétien, il n'y a jamais de lutte que celle de l'individu ; car le propre de l'esprit, c'est justement que chacun soit un individu devant Dieu, de sorte que la communauté est une détermination inférieure à celle de l'individu que chacun peut et doit être » (ECh, 108, 174 sq, 188 et 197)."
JURANVILLE, 2019, FHER

BOUDDHISME, Christianisme, Pulsion de mort, Péché, NIETZSCHE

Le bouddhisme est la religion humainement constituée par excellence, par opposition au christianisme, principale religion révélée. Cela n'empêche pas Nietzsche de les rejeter tout uniment, au prétexte que le péché comme le principe de Nirvana seraient des négations de la vie (avec cette nuance que le bouddhisme, supposément athée, épargnerait au fidèle culpabilité et ressentiment, et par ailleurs respecterait le principe de hiérarchie). Or si la pulsion de mort est bien la traduction (freudienne) du péché, elle ne se confond nullement avec le principe de Nirvana synonyme de renoncement : ce dernier, comme sagesse et spiritualité, suppose la pulsion de mort (donc le péché) et la suppose dépassée. Enfin, pas de finitude radicale sans la relation à quelque Autre absolu, donc pas de religion constituée qui ne suppose une révélation et un Dieu.


"Le principe de Nirvana requiert l'acceptation et assomption de la pulsion de mort. De cette pulsion de mort qui est l'ordinaire vouloir-vivre. De cette pulsion de mort qui est au fond rejet de la vraie jouissance (et vie), spirituelle, avec l'Autre ; et qui est arrêt, à partir de là, à une jouissance matérielle, sensible. De cette pulsion de mort qui est péché. Lequel est donc présent dans le bouddhisme. De même qu’y est présent le Dieu sans lequel l'homme n'aurait pas pu s’arracher à son enfermement dans le péché, dans l'ordinaire désir (vouloir-vivre, pulsion de vie), dans la souffrance."
JURANVILLE, 2019, FHER

ACTE, Révélation, Histoire, Infini, LEVINAS

Si l'acte se définit bien comme autonomie et réalité, l'acte propre de la philosophie consiste à déployer l'histoire au moyen du savoir et à l'accomplir jusqu'au bout, jusqu'à la reconnaissance sociale et universelle du discours de l'individu. Elle répond ainsi à l'acte originel provenant de l'Autre absolu, soit la Révélation qui commande à l'homme de rompre avec le paganisme et d'accueillir Autrui. Levinas a déjà suggéré que l'idée même d'Infini, transmise par la Révélation, implique une activité qui est "surplus de l'être sur la pensée", voire une "descente dans le réel" qui constitue un point de départ pour l'éthique. Mais l'acte ne perdure qu'en se faisant oeuvre dans la voie de la sublimation.

"La philosophie affirme le savoir. Elle veut que son savoir soit socialement, universellement reconnu. Que cette autonomie s'étende au-delà de la seule réalité de l'existant philosophe, à celles de tous les hommes. Elle veut accomplir son acte, autonomie et réalité définissant l'acte. Accomplir cet acte qu'elle a engagé, en réponse selon nous à la révélation juive, par l'ouverture de l'espace de l'histoire... L'acte est pour nous ce qui rend acceptable à tous le récit qu’est histoire, et ce qui permet de répondre à l'événement premier que la révélation par l'événement humain par excellence qu’est histoire universelle déployée jusqu'au bout... S’oppose à l’acte en tant qu’il introduirait du nouveau ce que Freud appelle la pulsion de mort (pour nous la finitude radicale)."
JURANVILLE, PHER, 2019

ACTE, Résolution, Pensée, Etre, HEIDEGGER

Pour Heidegger, l'acte essentiel se confond avec la résolution par laquelle l'existant répond à l'appel de l'être. Au-delà de la simple résolution il y répond activement par la pensée, qui certes comme accomplissement ou déploiement d'une chose "dans la plénitude de son essence", ne relève pas, pour Heidegger, de l'objectivité d'un savoir. "La pensée accomplit la relation de l’être à l'essence de l'homme", sans être cette relation elle-même car comme le précise Heidegger, "la pensée la présente seulement à l’être comme ce qui lui est remis à elle-même par l’être." Cela signifie clairement qu'aucune fin n'est assignable à l'acte, que son achèvement reste voué à l'imprévisible, que son accomplissement n'est pas de l'ordre d'un "objectif" - à moins de confondre l'acte avec un faire, une technique de la pensée, comme s'y emploie la métaphysique depuis Platon, selon Heidegger.

"À l'appel de l'Etre, appel en lui d’un Autre absolu, l'existant répondrait favorablement par le vouloir-avoir-conscience ou résolution... La résolution est engagement dans l'acte véritable et ce qu'il a absolument nouveau. Mais si, pour Heidegger l'acte qui est déjà la résolution étendue vers son accomplissement et même se confond avec lui, cet accomplissement ne relève pas de l’objectivité universellement reconnu d'un savoir... Pour lui, assigner une fin à l’acte, à l’agir, c’est le confondre avec le faire, c’est la falsification traditionnelle, venu du platonisme (Platon d’abord, mais encore Aristote) pour lequel il n’y a pas de surgissement imprévisible de l’être, de l’être comme existence, rien qu’une essence intemporelle (et fausse par là même)."
JURANVILLE, PHER, 2019

DISCOURS, Raison, Vérité, Autre, LACAN

Le discours se définit comme raison et vérité. Raison de par la consistance de son argumentation, vérité quand il peut répondre aux objections de tout autre - c'est alors qu'il devient objectif. Pour Lacan seul le discours de l'analyste parvient à passer comme vérité à l'Autre, du fait que l'analyste demeure en retrait comme dépositaire de la vérité ; mais selon Juranville il faut admettre que le discours philosophique fait de même, tout aussi objectivement, cette fois pour le sujet social. Pour la psychanalyse comme pour la philosophie, on parle ici d'une vérité du discours (rapport aux sujets) et non d'une vérité scientifique (rapport au monde).

"Ce qui apparait à la philosophie contemporaine affirmant l'existence essentielle, c'est que le discours exerce toujours d'abord un effet de captation et fascination sur l'existant - et qu'en cela, quelque vérité qu'il y ait dans ce discours, cette vérité ne passe pas objectivement à l'existant. D'où l'importance majeure, pour la philosophie, de l'entreprise de Lacan qui montre, au-delà de Freud, que la Psychanalyse n'est pas science, mais discours, et discours qui passe comme vérité à son Autre. Et même le seul, pour Lacan, à le faire, parmi les discours fondamentaux qui se déduisent de la structure de l'existence (et de l'inconscient). Cela invalide-t-il définitivement tout discours philosophique ? Non, dans la mesure où la philosophie peut montrer que ce qui fait passer le discours psychanalytique à l'Autre de ce discours, c'est la grâce. Que l'Autre auquel s'adresse le discours psychanalytique est l'existant comme sujet individuel. Que celui auquel s'adresse le discours philosophique est l'existant non pas non pas comme sujet individuel, mais comme sujet social. Si bien qu'il n'y a plus pour la philosophie, qu'à montrer qu'elle dispense, à son Autre à elle qu'est le sujet social, une semblable grâce."
JURANVILLE, FHER, 2019

DISCOURS, Raison, Autrui, Transcendance, LEVINAS

Pour Emmanuel Levinas, toute relation éthique avec autrui est discours, car le discours est un acte rationnel qui préserve la transcendance et l'altérité de l'autre ; en effet la "raison, comme l'un pour l'autre" ainsi que le proclame Levinas, est bien ce qui nous réunit dans la transcendance. D'où cette affirmation que "l'essence du discours est éthique". Mais dans les faits, le discours cherche toujours à capter l'autre dans une totalité qui est falsification de la transcendance. Il faut donc distinguer trois discours. Un premier discours "ontologique" affirme qu'il y a une vérité pour toutes choses, contenue dans les essences ; mais ce Dit totalisant des choses n'est jamais confronté à son acte de Dire, autoritaire ou mystérieux, qui reste donc occulté, et ce discours est perçu tôt ou tard comme trompeur. Un second discours "sceptique" se fonde sur la falsification potentielle de tout Dit, et donc sur le droit de toujours Dire autre chose ; mais en affirmant au fond qu'il n'y a pas de vérité il n'interroge pas lui-même son propre Dire (son point de vue sceptique tenu pour vrai) contredisant à l'évidence ce qu'il Dit. Enfin un discours "philosophique" se veut la synthèse des deux premiers et la solution de leur conflit, en conditionnant la vérité à une certaine diachronie des discours, ce qui revient à prendre au sérieux le discours comme tel, comme raison. Mais Levinas n'envisage pas que ce discours puisse se poser comme vrai, au risque encore de trahir la transcendance qui le fonde. Il faudra le discours analytique pour clarifier ce rapport du discours à la vérité, et pour restituer à la philosophie la part qui lui revient.

""L'essence du discours est éthique" (Levinas). Certes pareille dimension éthique est toujours menacée de falsification parce que le discours est tentative de justification et d'apologie, et donc de captation de l'autre dans la totalité qu'on lui déploie. L'apologie, où le moi à la fois s'affirme et s'incline devant le transcendant, est dans l'essence du discours. Le moi s'incline, mais aussi s'affirme. De là, pour Lévinas, la nécessité de trois discours."
JURANVILLE, FHER, 2019

DISCOURS, Philosophie, Grâce, Religion, LACAN

Pour Lacan seul le discours de l'analyste évite l'effet de fascination propre à tout discours, et peut faire émerger une parole vraie, du côté de l'analysant, de sa propre position d'objet-déchet qui revient à s'effacer devant l'autre comme lieu de la vérité, à taire sa raison, et ainsi à dispenser sa grâce à cet autre. Or il faut remarquer que le discours de l'analyste ne s'adresse qu'au sujet individuel, à titre tout à fait privé. Ce n'est pas le cas du discours philosophique qui, en tant que mode du discours universitaire, s'adresse au sujet social. Or ce discours est amené lui aussi à dispenser sa grâce... aux autres discours du champ social et donc à tout sujet social. Non plus en taisant son savoir rationnel mais en renonçant au pouvoir qu'il a pu revendiquer dans l'histoire pour faire accepter la justice, et que justement il ne peut faire accepter seul en tant qu'enseignant. Il lui faut reconnaître aux autres discours, avec lesquels il veut entrer en dialogue, une vérité que chacun doit à l'Autre absolu, concrètement aux différentes grandes religions implantées dans la société.

"L'édifice des quatre discours fondamentaux doit alors être présenté un peu autrement. En fonction, non plus, comme chez Lacan, de l'émergence de la psychanalyse, mais du rapport au tout de la société. De là ceci, que le discours du maitre de Lacan reste pour nous discours du maitre - et, à partir de la philosophie, discours métaphysique, métaphysico-magistral, qui s'en tient d'abord à l'affirmation de l'essence (l'ordre des choses), sans faire, des problèmes rencontrés dans la détermination objective de l'essence, une réalité radicale et inéliminable. Ceci aussi, que le discours de l'hystérique de Lacan devient pour nous discours du peuple et, à partir de la philosophie, discours empiriste, empirico-populaire, qui récuse d'abord toute détermination objective de l'essence. Ceci encore que ce que Lacan appelle discours de I 'université devient pour nous discours du clerc — mais aussi discours philosophique, philosophico-clérical, le discours philosophique ayant en propre à la fois d'affirmer l'essence (nous verrons que c'est le nom philosophique de l'Autre absolu en tant qu'il pose les choses, en tant qu'il les crée) et en même temps de reconnaître que l'homme d'abord n'arrive pas à la déterminer objectivement. Ceci enfin, que le discours de l'analyste devient pour nous discours de l'individu — et, en lien avec la philosophie, discours psychanalytique, psychanalytico-individuel, décisif pour que la philosophie mène à terme son entreprise d'histoire."
JURANVILLE, FHER, 2019

DISCOURS, Pensée, Conflit, Dialogue

Pour affirmer la rationalité du discours et l'imposer dans son objectivité, il faut la prérogative de l'Autre absolu qui est d'énoncer l'essence ; or affirmer l'essence comme vraie est le propre de la pensée, qui est donc l'objectivité du discours. C'est d'abord la position des discours empiriste et métaphysique, qui s'opposent. Mais la rationalité du discours basée sur l'essence, supposément objective, rencontre la contradiction, car un Autre absolu (Dieu) qui ne s'ouvre pas à son Autre (l'homme) ne peut qu'être faux, ou idolâtré. La solution de la contradiction objective réside alors dans le conflit, qui se définit justement comme altérité et négation, et qui est donc la subjectivité du discours. C'est la position du discours philosophique, essentiellement critique, solutionnant le conflit entre scepticisme (empirisme) et dogmatisme (métaphysique). Mais le sujet social n'accepte pas davantage l'existence du conflit et toujours tend à le résoudre par anticipation. La solution de la contradiction subjective se trouve alors dans le dialogue, qui se définit comme raison et altérité (elle suppose la raison en l'Autre), et qui est donc l'altérité du discours et son essence. Elle est portée par le discours psychanalytique qui, en énonçant l'hypothèse de l'inconscient, dispense sa grâce à toute Autre et le rend effectivement autonome. Or ce discours, limité au sujet individuel et par-là devant taire sa raison universelle, doit être garanti et relayé par le discours philosophique qui élève maintenant le sujet social à sa vérité, et dispense sa grâce aux autres discours en supposant pour chacun d'entre eux un savoir rationnel implicite (en rapport avec chacune des grandes religions de l'humanité).

"La pleine raison du discours — ce qui fait sa consistance effective — est toujours d'abord rejetée de ce qui est reconnu socialement comme vérité. Elle ne peut réadvenir, et cela dans le cadre d'une nouvelle vérité socialement reconnue, que par l'Autre, par l'Autre absolu en tant qu'il pose les choses (les choses véritables, existantes, les humains) et qu'il leur donne à chacune la capacité de reconstituer à partir de soi toutes les autres, d'être raison. Par l'Autre absolu en tant qu 'il est I'essence des choses — car l'essence est position de la chose."
JURANVILLE, FHER, 2019

INDIVIDU, Christ, Sacrifice, Histoire, KIERKEGAARD

De même que l'oubli, sublimation finie, conduit à sombrer dans la névrose pathologique en cas de refus du savoir, de même l'abandon, sublimation totale, conduit à sombrer dans la psychose pathologique, exactement pour la même raison, au lieu de poser la bonne psychose, celle qui accueille l'inconscient.

"L’oubli, ce qu’on joue, ce à quoi on joue, nous était apparu comme en soi sublimation finie, dans le cadre de la névrose, de la bonne névrose. Mais nous avons vu ensuite – réalité de l’oubli – que, si cette sublimation finie ne débouche pas sur le savoir, on retombe alors, en fait, dans l’ordinaire névrose pathologique. L’abandon, ce qui joue, ce par quoi on joue le jeu, vient de nous apparaître, lui, comme en soi sublimation totale, où la finitude est absolument revoulue. Or – réalité de l’abandon – si cette sublimation totale ne débouche pas sur le savoir, on reste alors pris en fait dans l’ordinaire psychose pathologique. Et si la sublimation totale peut s’accomplir effectivement et atteindre au savoir, au savoir philosophique, c’est pour autant qu’elle aura laissé venir en elle, et posé comme telle, la bonne psychose, celle qu’implique l’inconscient."
JURANVILLE, 2000, JEU

INDIVIDU, Solitude, Universalité, Oeuvre, ROSENZWEIG

Fruit de la philosophie nouvelle autant que de la Révélation judéo-chrétienne, selon Rosenzweig, l'individu mêle deux caractéristiques en apparence opposées : la solitude existentielle, et l'universalité essentielle (précisément comme enjeu majeur de la Révélation) ; deux propriétés que seule l'unité consistante de l'oeuvre peut rassembler, et le fait qu'elle est tout entière destinée à l'Autre.

"Rosenzweig reprend les apports décisifs de Kierkegaard quant à l'individu, en leur donnant quelques prolongements. D'une part, il souligne que l'individu, l'individu véritable, est une conquête de la philosophie nouvelle, celle qui vient après l'idéalisme (de Parménide et Platon à Hegel)... D'autre part, il inscrit cette affirmation de l'individu dans le cadre de la révélation non seulement chrétienne, mais aussi et primordialement juive. L'individu aurait été dégagé d'abord dans le judaïsme ; sans contradiction alors avec la communauté parce que c’est une communauté juste acceptant l’individu ; il serait seul néanmoins, notamment lors des Jours redoutables... L'individu aurait été ensuite proclamé comme exigence valant universellement par le christianisme... Mais il souligne surtout l'unité de l'œuvre, sa consistance et le fait qu'elle est tout entière pour l'Autre. Reste que Rosenzweig exclut toujours toute détermination objective rationnellement confirmée, toute fixation sociale, de pareille consistance – de l’œuvre, et par là, de l’individu."
JURANVILLE, FHER, 2019