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DISCOURS DU MAITRE, Loi, Plus-de-jouir, Fascination, LACAN

Le discours du maitre est le premier dans l'ordre d'apparition des discours : le maître ici n'est pas celui qui enseigne mais celui qui édicte la loi de ce qui est. Cette loi (historiquement elle vient avec la Révélation juive, et rend possible la philosophie) n'est pas d'abord rapportée à l'Autre absolu vrai (divin), mais à un Autre absolu faux, l'idole païenne dont le maître se fait le représentant (il faudra l'Histoire et d'autres événements "cruciaux" pour qu'advienne le règne de l'Autre absolu vrai). L'ordre social qui en découle ne peut être qu'injuste mais la loi du maitre parvient à s'imposer à l'aune d'une rationalité dogmatique (creuse, mais ayant réponse à tout) suffisamment déployée pour faire illusion. Cela, face à l'esclave qui, de son côté, se laisse fasciner par le maître et ne peut s'affranchir de l'illusion du tout-social, ni donc revendiquer son individualité. Le maître est celui qui, initialement, s'est affranchi justement de ce fantasme, et qui, renonçant à la jouissance, a osé affronter la mort. Il reste à l'esclave de travailler pour le maître, avec pour seul privilège d'accéder à quelque savoir technique, tandis qu'il se fait lui-même objet-déchet - mais un objet de plus en plus nécessaire de sorte que se reconstitue le fantasme du maître, sujet devenant dépendant de son objet. De là à imaginer, comme le développe Hegel, que l'expertise acquise par l'esclave pourra suffire à renverser le maître, on sait que ce raccourci est vivement critiqué par Marx : aucun changement profond n'est matériellement possible dans le cadre de ce dispositif de domination tant que l'esclave est spolié de la plue-value de son travail. Il n'en aurait pas la force, une révolution serait nécessaire, donc un changement structurel de discours. Lacan répond à Hegel que le maître n'est pas seul à se vautrer dans la jouissance de l'objet, une part du plus-de-jouir revient bien à l'esclave (sinon il ne serait pas maintenu "esclave" aussi bien d'un "idéal" de la consommation), et il répond à Marx que justement l'esclave s'enchaîne de lui-même à la jouissance d'objet, refusant à nouveau le travail sur soi de renonciation nécessaire à une vraie émancipation, et que dans ces conditions - révolution ou pas - il serait abusif de parler d'un quelconque "progrès".

"Le discours apparaît dans le monde social – et c’est là qu’il a sa réalité matérielle – comme réponse à la question qui se pose aux hommes quant à ce qu’ils ont à être. Et cette réponse consiste d’abord à énoncer la loi qui organise ce monde. Une loi qui est initialement celle de l’Autre absolu faux, de l’idole, mais qui n’est pas définitivement celle-là, et pourra devenir celle de l’Autre absolu vrai, du vrai Dieu. Ambiant dans le monde social, ce primordial discours peut être déployé expressément comme tel, comme raison et donc savoir rationnel. Il justifie ce qui est. Mais ce qui est est d’abord inévitablement injuste, parce que l’effet de ce discours sur son autre, sur celui auquel il s’adresse, est alors non pas de l’aider à se conformer à la loi énoncée, mais de le vouer à la fascination devant cette raison et de le soumettre à l’arbitraire éventuel de celui qui tient le discours... Celui qui tient ce primordial discours suscite en son autre la toujours présente, toujours prête à surgir à nouveau soumission fascinatoire devant le tout social, devant l’idole selon la loi de laquelle le tout est ordonné et devant le maître qui incarne cette idole – non pas maître qui enseigne, mais maître qui domine. Soumission fascinatoire dont on peut dire qu’elle est libre, mais d’une liberté qui se perd – c’est là une des formes de la pulsion de mort – et qui ne peut plus se recouvrer par soi, il y faudra l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL