La création est l’acte par lequel l’être fini transforme sa finitude en autonomie et en vérité, recréant un absolu à partir de lui-même. Cette création est issue de la mélancolie, elle-même causée par le Bien. La mélancolie pousse l’être fini à désirer le savoir, à participer à l’Œuvre de la Création. Mais il existe deux formes de mélancolie : la vraie mélancolie, féconde, qui mène à la création et à un savoir absolu, et qui doit être supposée à tout créateur y compris au créateur suprême (car il attend que son oeuvre soit confirmée par sa créature) ; la mélancolie fausse, stérile, où le sujet se replie sur un faux absolu, une Chose close sur elle-même, refusant la relation et la finitude — ce que Kierkegaard appelle le "démoniaque". Kierkegaard reconnaît une mélancolie sublime, tournée vers une grande idée, mais refuse d’en faire la base d’un savoir absolu, craignant qu’on nie ainsi la finitude humaine. Or refuser d’objectiver la création et le savoir, c’est paradoxalement tomber dans la mélancolie fausse que Kierkegaard dénonce. Par ailleurs la création, troisième temps de l'analyse de la mélancolie, correspond à la troisième preuve de l'existence de Dieu chez Descartes, celle qui établit Dieu comme cause première absolue et l'être fini comme cause absolument libre, capable de devenir créateur.
CREATION, Mélancolie, Absolu, Autonomie, KIERKEGAARD
BIEN, Absolu, Mélancolie, Cause, LEVINAS
Le Bien est la vérité de l'absolu, l'absolu en tant qu'il doit être vérifié, donc d'une certaine manière atteint et recherché dans une transcendance, au-delà de ce qui est immédiatement présent au sujet. D'où la notion du devoir, qui impose de déterminer le Bien (dans le savoir) et le réaliser (dans l'oeuvre) ; mais aussi celle de la mélancolie qui accompagne le désir d'atteindre, si difficilement, le Bien. La tradition métaphysique détermine le Bien a priori, le présupposant à partir de l'essence (même si elle le situe au-delà, comme Platon) ; tandis que la pensée de l'existence le détermine justement comme ex-sistant, niant toute possibilité de le poser dans le savoir ou de l'identifier au savoir. Ainsi Levinas pointant le Bien dans l'Infiniment Autre (Dieu ou Prochain), mais critiquant la preuve cartésienne de Dieu par l'idée d'infini, refusant au fond l'idée même d'une "cause" divine du Bien - seul le mal, comme radical, à la suite de Kant, apparaît ainsi comme intelligible. Or refuser que la cause puisse être créatrice et imprévisible (ek-sistante), la rabattre sur une cause substantielle, n'est-ce pas la contradiction et l'impasse même faisant le lit ordinaire de la mélancolie, et acter l'impossibilité d'une détermination socialement effective du Bien ?