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ELECTION, Justice, Judaïsme, Philosophie, ROSENZWEIG

Il revient à la philosophie, en se référant aussi bien au christianisme qu'au judaïsme, de faire accepter respectivement la grâce et l'élection, et décisivement la grâce à travers l'élection. Celle-ci, rappelons-le, consiste à se vouloir responsable de la loi devant tous, comme en démocratie où le représentant tient du peuple lui-même (par l'élection au suffrage populaire) le droit de promulguer la loi pour le peuple (démocratie parlementaire et non démocratie directe). Or la vocation de la philosophie est bien d'instituer la justice dans l'histoire, au moyen du Droit ; sa responsabilité se situe dans l'affirmation du savoir, hors duquel aucune institution ne tiendrait. Cette tension entre christianisme et judaïsme a été remarquablement théorisée par Rosenzweig, mais il n'en tire pas la bonne conséquence, pour la philosophie, qui consiste à oeuvrer pour l'institution d'une société juste. Pour lui seul le peuple élu - le peuple juif - pourrait connaître cette société juste, à la fin de l'histoire, ou plutôt s'y serait depuis toujours installé, tandis que tous les autres peuples ne pourraient jamais que rester en chemin (même si la voie tracée par le christianisme est la bonne). Mais, à ce compte, comment ne pas accréditer une confusion fatale entre l'élection, qui consiste à reconstituer par soi-même - difficultueusement - la loi juste de l'Autre, et le simple privilège qu'aurait reçu injustement de le part de cet Autre tel peuple ou tel individu ? Comment parer dès lors - si aucun Etat juste n'est possible dans l'histoire - à la haine vengeresse et génocidaire visant le peuple élu, catastrophe que justement Rosenzweig n'aura pas su anticiper ?


"La philosophie doit donc faire accepter de tous, à travers la grâce (d’abord chrétienne), l’élection (d’abord juive). Elle doit accomplir son acte en relation fondamentale avec la dualité du judaïsme et du christianisme. C’est la perspective que Rosenzweig a sublimement tracée dans L’Étoile de la Rédemption. Sauf que, pour lui, aucune société juste ne pourra jamais être instituée. Alors que nous l’affirmons et que, pour nous, dans cette affirmation réside, au-delà de toute grâce et de toute élection, la foi, depuis toujours, de la philosophie. Que dit Rosenzweig ? Que, d’une part, le peuple juif qui, le premier, a rompu avec le paganisme et accueilli la révélation, se serait d’emblée établi à la fin – le judaïsme, en cela, serait la « vie éternelle ». Et que, d’autre part, les autres peuples, qui ont été appelés, par le Sacrifice du Christ, à entrer dans la voie qui mène à cette fin, n’y parviendraient pas comme tels, seuls les individus de ce monde y accédant – le christianisme, en cela, serait la « voie éternelle ». Nous affirmons au contraire que la grâce dispensée par le Sacrifice du Christ, pour fausse qu’elle soit devenue et qu’elle devienne toujours à nouveau, permettra à la philosophie de conduire tous les hommes jusqu’à la société juste."
JURANVILLE, 2010, ICFH

ELECTION, Judaïsme, Philosophie, Amour, ROSENZWEIG

Celui qui, en accueillant la Révélation, s'engage dans l'élection afin de porter hautement cette Parole, subira l'exclusion et le rejet, allant jusqu'à la haine mortelle des autres hommes. Rien que de très logique, puisque son message consiste à remettre en cause l'ordre social englobant, intolérant à l'égard de l'individualité, qui est celui du monde païen. On comprend qu'un individu seul n'aurait pu y survivre, c'est pourquoi l'élection fut portée par tout un peuple - exclu de ce fait -, le peuple juif. L'élection permet donc d'accueillir la Révélation, et d'en faire passer la vérité dans le savoir philosophique, dont la possibilité même dépend d'une telle Révélation. Pour Rosenzweig cette vérité est celle de l'amour divin se manifestant dans le ternaire Création-Révélation-Rédemption.


"Ce peuple qui s'engage dans l'élection est, entraîné par Moïse, le peuple juif. Le judaïsme, religion de ce peuple, a pour nous comme contenu, avec l'élection et la Révélation qu'elle permet d'accueillir, la loi issue des commandements de l'Autre divin qui se révèle. Avant tout, pour Rosenzweig, du commandement de l'amour (« Aime-moi! »). Commandement paradoxal – mais dont le paradoxe se résout si l'on considère, d'une part, que le commandement vient de celui qui aime, en l'occurrence, l'« amant divin » ; et, d'autre part, qu'il provoque, en celui auquel il est adressé, et qui est aimé, une mutation, ce dernier se mettant à aimer à son tour. Le peuple juif, accueillant ainsi la Révélation, s'installe de ce fait à l'avance dans la Rédemption. « Vie éternelle», dit Rosenzweig du judaïsme."
JURANVILLE, UJC, 2021

CHRISTIANISME, Rédemption, Grâce, Amour, ROSENZWEIG

La Révélation est amenée à se répéter pour pouvoir être accueillie et acceptée par tous les hommes, conformément à l'amour de Dieu qui est absolu. C'est ainsi que la révélation chrétienne répète la révélation juive, toujours par le Fils (Verbe) mais cette fois explicitement puisqu'il devient Christ Rédempteur du fait de l'Incarnation, de la Passion, et de la Résurrection.


"Le christianisme a comme contenu, pour nous, la grâce originelle supposée par l'élection (et qui doit s'accomplir en elle); la Rédemption dans laquelle le Christ comme le Rédempteur par excellence, permet à chacun de s'établir; et l'amour auquel il appelle chacun, en réponse à l'amour divin. «Voie éternelle», dit Rosenzweig du christianisme, puisque ce dernier met en question en son fondement le paganisme et qu'il dirige tous les hommes, pour autant qu'ils s'en arrachent, vers le monde juste de la Rédemption."
JURANVILLE, UJC, 2021

CHRISTIANISME, Institution, Eglise, Paganisation, ROSENZWEIG

L'institution de l'Eglise, dont la mission se veut indéniablement politique, n'aura pas pu empêcher une repaganisation du monde contredisant la valeur d'autonomie qu'elle voulait y introduire. Une première fois avec le catholicisme coupable, selon Rosenzweig, d'avoir "divinisé le monde ou mondanisé Dieu", oubliant la transcendance, dans un comble de conformisme. Une deuxième fois avec le protestantisme qui, lui, a oublié la vocation politique du christianisme, faisant de la foi et du bénéfice de l'autonomie une affaire personnelle, dans un combe d'idéalisme : « divinisation de l’homme ou humanisation de Dieu », quand « le Fils de l’Homme, et non pas Dieu, [est] la Vérité », dénonce Rosenzweig. Une troisième fois avec l'orthodoxie qui, fuyant « un monde anarchique et une âme chaotique pour se réfugier dans l’espérance et la vision » - vision volontiers apocalyptique d'un monde qui serait vraiment nouveau -, tombe dans une "spiritualisation de Dieu" et encore plus dangereusement dans une divinisation de l'esprit (notamment) national, ce qui représente un comble d'immanentisme mais aussi de nihilisme.


"La Révélation chrétienne, dont la portée est en soi foncièrement politique, introduit certes un monde nouveau, avec de l’autonomie. Mais un monde où cette autonomie, simplement supposée (c’est la grâce), est en fait faussée (elle devient autonomie abstraite, hors finitude), et où l’institution prétendument nouvelle (l’Église) prolonge en fait les institutions du monde traditionnel."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CHRISTIANISME, Institution, Eglise, Paganisation, ROSENZWEIG

On trouve une volonté chez Rosenzweig de situer la révélation juive en dehors de toute époque et de toute succession historique (le peuple juif aurait atteint d’emblée la fin vers laquelle doivent tendre tous les peuples). Par son sacrifice, le Christ seul ouvrirait l'histoire avec ses trois époques (Moyen-Age, Temps Modernes, époque contemporaine) et ses trois Eglises correspondantes chargées de convertir les païens : celle de Pierre (catholicisme, conversion formelle supposée), celle de Paul (protestantisme, conversion intérieure), l’Église de Jean (orthodoxie, conversion conservatrice). Néanmoins, deux époques supplémentaires, authentiquement historiques, restent logiquement requises : au commencement, celle qui conduit de la révélation juive au sacrifice du Christ, incluant la philosophie grecque, à la fin celle qui découle de l'Holocauste et de la création de l'Etat d'Israël (inscrivant de facto les juifs dans l'histoire).


"S’il s’en tient expressément à ces trois époques, d’une part Rosenzweig suppose, à nos yeux, une époque antérieure, celle qu’a introduite la révélation juive et qui se prolonge par l’avènement de la philosophie (laquelle est pour nous, dans le paganisme grec, quelque chose de non-païen) – époque dont l’évolution catastrophique conduit justement à l’exigence de la venue du Christ et de son sacrifice. Et, d’autre part, Rosenzweig dirige, selon nous, vers la nécessité d’une époque ultérieure, qui serait pour nous celle de l’accomplissement."
JURANVILLE, 2017, HUCM

AUTRE, Absolu, Finitude, Rédemption, ROSENZWEIG

La philosophie contemporaine depuis Kierkegaard a fait de l'altérité une donnée essentielle. Non seulement l'Autre surgit imprévisiblement, dans le temps réel, mais l'identité elle-même se reconstitue à partir de ce qui vient et viendra de l'Autre, au-delà de la fausse identité apportée par la seule relation sujet-objet. Or seul un Autre absolu (absolument Autre, jamais clos sur lui-même) peut choisir de s'ouvrir à son Autre et ainsi sauver le sujet de sa finitude radicale, soit justement le refus de l'altérité inscrit dans la nature de l'homme. C'est ce qui fait dire à Rosenzweig que la vraie puissance de Dieu se manifeste dans la Rédemption, pour lui-même comme pour la créature : « Dieu est le Rédempteur, en un sens bien plus fort qu’il n’est Créateur et Révélateur… Il n’est pas seulement le Rédempteur, il accueille la Rédemption en  dernière instance pour lui-même. » Cela n'empêche pas l'Autre d'être immédiatement faussé par la créature, par finitude, transformé en un Autre clôt sur soi et fétichisé.


"L’Autre est toujours d’abord Autre vrai, avant tout l’Autre  absolu qui suprêmement existe, veut l’existence, alors que  l’homme primordialement la rejette, ce primordial rejet constituant ce qui nous appelons sa finitude radicale. Cet Autre s’ouvre par essence à l’homme comme à son Autre, il le veut Autre vrai, fait que, tout radicalement fini qu’il soit, il ait toutes  les conditions pour devenir un tel Autre. Pour Booz, chez Hugo, c’est un songe descendant du ciel et le mettant en possession de sa puissance créatrice et procréatrice."
JURANVILLE, 2024, PL

INDIVIDU, Solitude, Universalité, Oeuvre, ROSENZWEIG

Fruit de la philosophie nouvelle autant que de la Révélation judéo-chrétienne, selon Rosenzweig, l'individu mêle deux caractéristiques en apparence opposées : la solitude existentielle, et l'universalité essentielle (précisément comme enjeu majeur de la Révélation) ; deux propriétés que seule l'unité consistante de l'oeuvre peut rassembler, et le fait qu'elle est tout entière destinée à l'Autre.

"Rosenzweig reprend les apports décisifs de Kierkegaard quant à l'individu, en leur donnant quelques prolongements. D'une part, il souligne que l'individu, l'individu véritable, est une conquête de la philosophie nouvelle, celle qui vient après l'idéalisme (de Parménide et Platon à Hegel)... D'autre part, il inscrit cette affirmation de l'individu dans le cadre de la révélation non seulement chrétienne, mais aussi et primordialement juive. L'individu aurait été dégagé d'abord dans le judaïsme ; sans contradiction alors avec la communauté parce que c’est une communauté juste acceptant l’individu ; il serait seul néanmoins, notamment lors des Jours redoutables... L'individu aurait été ensuite proclamé comme exigence valant universellement par le christianisme... Mais il souligne surtout l'unité de l'œuvre, sa consistance et le fait qu'elle est tout entière pour l'Autre. Reste que Rosenzweig exclut toujours toute détermination objective rationnellement confirmée, toute fixation sociale, de pareille consistance – de l’œuvre, et par là, de l’individu."
JURANVILLE, FHER, 2019