C'est légitimement que Marx voit d'abord dans le capitalisme le prolongement du système sacrificiel qu'il prétend abolir, un système injuste qui entrave depuis toujours l'accès à l'autonomie individuelle. Ce qu'il ne voit pas c'est que cette autonomie suppose la reconnaissance de la finitude radicale (sinon pourquoi l'autonomie devrait-elle être conquise ?), la pulsion de mort qui travaille l'homme tant au plan social qu'individuel. Or le projet marxiste de société communiste, unitaire, voire totalitaire, montre qu'il n'est pas prêt à assumer ladite finitude, en l'occurrence ce qu'il y a d'inéliminable dans l'aliénation capitaliste et d'imparfait dans le système démocratique parlementaire. La philosophie critique se meut donc en idéologie, concrètement en idéologies conquérantes et concurrentes, dont le but démentiel est l'instauration d'un pouvoir absolu et l'éradication de toute autonomie individuelle.
IDEOLOGIE, Autonomie, Finitude, Capitalisme, MARX
ALIENATION, Capitalisme, Illusion, Idéologie, MARX
Dénonçant une aliénation persistante, de nature religieuse, dans le système de Hegel, les jeunes hégéliens en appellent à la libération de la conscience individuelle, mais reconduisent une aliénation que leur reproche à juste titre Marx : cette individualité n'est nullement libre, si elle ne prend pas conscience de ses conditions matérielles de subsistance et demeure donc ce qu'elle est déjà chez Hegel : philosophiquement idéaliste et politiquement petite-bourgeoise. Marx, quant à lui, répète la même illusion consistant à prétendre éliminer toute aliénation dans le social, en croyant pouvoir mettre à bas le capitalisme - alors que ni l'une ni l'autre ne sont éliminables -, au nom d'une même identité métaphysique insuffisamment critiquée (certes matérialiste et non plus idéaliste) et d'une autonomie simplement supposée. Etant donné ses fins révolutionnaires, le marxisme conduit à une idéologie encore plus aliénante et dévastatrice que le capitalisme puisque toute finitude y apparaitra comme insupportable.
DISCOURS DU CLERC, Idéologie, Bureaucratie, Justice
"Cet ordinaire discours clérical, que ce soit sous les figures qu’il prend dans le monde historique et que nous avons présentées avec Weber et Lacan, ou que ce soit sous la figure la plus générale, ne se borne pas à être faux objectivement et théoriquement ; il l’est, comme la dernière référence à Lacan l’a laissé pressentir, subjectivement et pratiquement ; et il l’est en tant qu’idéologie. De l’idéologie, gardons quant à nous, sans entrer en discussion avec Marx, ceci d’abord qu’il s’agit d’un discours qui, comme tel, se fonde sur un principe, mais voulu comme valeur, et non pas comme essence (ainsi que le voudrait la philosophie), et d’un discours qui, à partir de ce principe, justifie tout, et notamment ce qui pourrait faire problème. Et ceci d’autre part que ceux qui mettraient en question ce principe, cette valeur suprême, et la justification qu’à partir de lui on propose, seraient, par le discours idéologique, voués à l’exclusion sacrificielle, rejetés dans les « ténèbres extérieures ». Qu’on pense à l’idéologie du nazisme, avec comme valeur supérieure, le peuple et la race ; à celle du fascisme, avec l’État ; à celle du stalinisme, avec le parti ; à celle du maoïsme, avec les masses. À la place de la rédemption qui eût été le principe subjectif d’un vrai discours du clerc, ce qui apparaît alors comme principe subjectif de l’ordinaire discours du clerc, c’est le salut. De même qu’on avait vu, pour le discours du peuple, venir à la place de la création l’évolution et, pour le discours du maître, venir à la place de la révélation le progrès. Le salut est ainsi le troisième maître mot des conceptions ordinaires et fausses de l’histoire."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT