Contrairement à la chose, consistante mais non produite, et contrairement à l'outil, produit mais inconsistant (par lui-même), l'oeuvre se veut consistante en même temps que produite. Par consistance il faut entendre à la fois la totalité et l'unité de l'oeuvre (elle tient en ses divers éléments) et son achèvement (elle apparait dans le temps, après l'épreuve de la finitude). Mais ces conditions mêmes renvoient à une consistance parfaite qui ne peut être que celle de la Création divine, hors finitude. La consistance de l'Oeuvre originelle tient à la substance même de son Créateur, essentiellement trinitaire, ce en quoi elle consiste - et ek-siste - elle-même avec ses trois Personnes en relation (Père, Fils, Esprit). Trois Personnes qui entrent en jeu par deux fois dans la création, dont la structure est le sénaire (les "6 jours" de la Création), deux fois le ternaire, le second aboutissant à l'achèvement de la créature créatrice, l'être humain.
CREATION, Oeuvre, Consistance, Dieu
CREATION, Nomination, Homme, Dieu
La création s'exerce par la nomination, divine d'abord (comme il est rapporté dans la Genèse), humaine ensuite pour donner consistance aux choses. "Dieu se reposa lorsque dans l’homme il eut déposé son pouvoir créateur" et lorsque "les choses reçoivent leur nom de l’homme" écrit Benjamin. Ensuite Dieu créa la femme afin que l'homme ne se sente pas seul, à partir d'une côte prélevée sur l'homme (on peut voir dans cette partie désormais manquante le Phallus dont parle la psychanalyse) : elle devient dès lors son semblable et son égale. Cependant la puissance créatrice ne tarde pas à se fausser chez l'homme, à se transformer en rivalité avec Dieu (adoration d'idoles fausses, sacrifices, prétention par la magie d'égaler Dieu... toute la panoplie du paganisme). C'est bien parce qu'un matriarcat s'installe, célébrant la Nature plutôt que le divin, ou le corps maternel plutôt que la parole paternelle, que la tentation - ourdie par le serpent-phallus (prétendant effacer la castration) - touche d'abord la femme, puis l'homme immédiatement, puisqu'il ne tarde pas à croquer à son tour dans la pomme (objet partiel du corps maternel). Même finitude donc, chez l'homme et la femme, qu'ils devront assumer (et non pas nier) dans le désir et la sexualité comme moyen de se tourner vers l'Autre, de le "connaître", et bien sûr moyen de procréer ...des semblables, d'autres créatures de Dieu.
CAPITALISME, Religion, Paganisme, Dieu, BENJAMIN
Pour Walter Benjamin le caractère religieux du capitalisme ne fait aucun doute. Il manifesterait même la forme extrême du "culte" en tant que dépouillé de toute spiritualité ou de toute assise mythologique, l'adoration fétichiste étendue à toute sorte d'objets rendus infiniment désirables, sans distinction aucune du sacré et du profane, et finalement le refus de toute relation vraie à l'Autre absolu (ceci, au sein du monde historique où l’altérité a pourtant été reconnue, justement du fait de la religion). L'Autre divin qui serait bien plutôt rendu responsable de la perte de sens, inévitable dans le monde capitaliste ; Dieu accusé d'autoritarisme, de paternalisme, ou bien alors d'infantilisme et d'amateurisme, pour avoir complètement raté sa création. Où l'on retrouve ce que dit Lacan à propos du Surmoi : « Le Surmoi est haine de Dieu, reproche à Dieu d’avoir si mal fait les choses ». Selon Benjamin il ne resterait plus au vrai Dieu que de rester un Dieu « caché », clos dans le « secret de sa maturité ».
ATHEISME, Dieu, Judéo-christianisme, Paganisme
Notons d'abord que le mot "athéisme" n'a de sens que rapporté au Dieu judéo-chrétien, pour en nier l'existence. Mais cela ne signifie pas que le rejet de ce Dieu, dans l'athéisme, ne débouche sur la promotion de quelque divinité nouvelle, nommée différemment. De même que le Dieu judéo-chrétien exige d'abandonner les idoles du passé, comme trop fantasques, l'athéisme philosophique demande surtout d'abandonner le dieu conçu par les philosophes, le dieu causa sui, justement comme trop (peu) rationnel : ce faisant il n'invalide aucunement (s'il ne l'affirme pas non plus) le mystère d'un Dieu absent, d'un Dieu caché ne dévoilant en aucun cas son visage, qui reste la vérité du Dieu judéo-chrétien. En un sens, l'athéisme vulgaire (celui qui réduit Dieu à une idole) serait moins conséquent qu'un certain Christianisme ouvrant la possibilité de l'athéisme.
ATHEISME, Altérité, Existence, Dieu, LACAN
"En fait, pour nous, si on le prend à la lettre sans chercher à voir ce qui s'y cache, l'athéisme n'est que manifestation suprême du rejet de l'Autre, de l'altérité, de l'existence et prétention à la toute-suffisance et toute-puissance prométhéenne de l'homme. C'est ce que suggère Lacan : « L'athéisme, dit-il ainsi, est la maladie de la croyance en Dieu, croyance que Dieu n'intervient pas dans le monde. Dieu intervient tout le temps, par exemple sous la forme d'une femme » ; ou encore, contre le déisme aristotélisant de Voltaire : "La religion est vraie. Elle est sûrement plus vraie que la névrose, en ceci qu'elle nie que Dieu soit purement et simplement - ce que Voltaire croyait dur comme fer -, elle dit qu'il ex-siste, qu'il est l'ex-sistence par excellence, c'est-à-dire qu'il est le refoulement en personne”. Dieu inconscient, refoulé. Reste, selon nous, que l'existence de Dieu, pour refoulée et latente qu'elle soit toujours au départ, devient patente par la Révélation. Or ce rejet de l’altérité, de l’ouverture à l’Autre, en l’occurrence à l’Autre primordial qu’est l’Autre divin, conduit inévitablement, comme dans le paganisme, à une fabrication d’idole."
JURANVILLE, UJC, 2021
ALTERITE, Dieu, Autrui, Grâce, LEVINAS
L'altérité essentielle se rencontre nécessairement, pour l'homme en tant qu'être fini, toujours d'abord chez l'Autre divin. C'est le sens du premier Commandement. Même si Levinas a pu affirmer que « l'absolument Autre, c'est Autrui », seul Dieu peut se soutenir constitutivement comme Autre absolu, Autre-qu'Autrui en l'occurrence, et sans même parler de sa différence interne, entre les trois Personnes divines. Lui seul peut vouloir absolument l'altérité, tandis que l'homme constitutivement tend à fuir l'altérité (finitude radicale), y fait même nécessairement défaut. Certes pareille altérité peut être entrevue chez Autrui, mais elle reste à confirmer tant que le semblable ordinaire menace de se confondre avec le Prochain. Parce qu'il est absolument Autre et ouvert à sa créature, le divin donne à celle-ci (encore faut-il qu'elle veuille les recevoir) toutes les conditions (à commencer par la grâce) pour qu'elle devienne Autre à son tour. De son côté, c'est en célébrant le divin, en rendant grâce d'abord à Dieu, que l'homme peut communiquer à son tour sa grâce à l'autre homme, et devenir pleinement son Autre.