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ANGOISSE, Sens, Liberté, Foi, KIERKEGAARD

Si l'angoisse peut être assimilée, selon Kierkegaard, à une "école", une école de l'existence en ce sens qu'elle permet la liberté, elle favorise à la fois la quête de sens (à partir du non-sens) et la tentation du non-sens (cette fuite face à la finitude qu'est le péché). Toutefois, elle ne serait pas formatrice et ne permettrait jamais de vaincre le désespoir si le sens n'était pas déjà établi en l'Autre, l'Autre absolu, c'est-à-dire si le sujet n'avait pas reçu la foi. Mais Kierkegaard s'en tient à la position du sens nouveau, que libère l'espérance, sans aller jusqu'à poser l'objectivité du savoir construit à partir de ce sens.


"Le sujet peut en venir, avec la pensée de l’existence, à reconnaître l’angoisse, la liberté réelle comme angoisse. À la reconnaître, contre la dissimulation qui en est faite d’abord dans la sexualité et, finalement, dans le commun monde sacrificiel, et le savoir anticipatif propre à ce monde. Du fait même de cette reconnaissance, le sujet, comme la pensée de l’existence, suppose alors que sens est donné, par le fini, et non seulement par l’Autre absolu, au non-sens qui se répète. Il peut même avoir l’idée que, par l’angoisse ainsi reconnue et assumée, on accède à l’objectivité et au savoir vrais. Mais il exclut en tout cas, et la pensée de l’existence exclut, que ce sens nouveau, cette objectivité, ce savoir, puissent se poser comme tels, ainsi que nous l’affirmons."
JURANVILLE, 2000, ALTER

ANGOISSE, Hétéronomie, Unicité, Sexualité

L'angoisse est définie comme hétéronomie et unicité. En effet c'est de l'Autre que vient l'appel, pour le sujet soumis à la répétition absurde, de donner sens au non-sens, et ceci jusqu'à l'objectivité. L'unicité est vécue comme non-sens tant que le sujet refuse l'hétéronomie elle-même. La manière commune de fuir l'hétéronomie, et donc l'angoisse, consiste à s'abandonner à la pulsion (pulsion de mort dans son essence), c'est-à-dire à la sexualité. L'Autre y est écrasé sur l'objet (unicité abstraite) érigé en fétiche et maître (autonomie fausse).


"De cette fuite primordiale de l’angoisse devant elle-même, et vers la sexualité, résulte que l’angoisse n’a de vérité, et de réalité, que parce que le fini y est appelé, et même astreint, par l’Autre absolu. Elle est donc bien hétéronomie et unicité. L’Autre, lieu premier du sens, appelle, voire astreint, le fini à reconstituer à son tour le sens – et c’est cela qui provoque l’angoisse. Il l’appelle à l’unicité, précieuse certes, triomphante finalement, mais primordialement douloureuse."
JURANVILLE, 2000, ALTER

ANGOISSE, Péché, Liberté, Sens, KIERKEGAARD

Même si elle est la condition du péché, pour Kierkegaard, l'angoisse n'est pas causée directement par le désir et la conscience du péché, mais par la pure possibilité de la liberté, et par l'unicité marquée d'une ignorance radicale. L'alternative du bien et du mal, nullement anticipable, se présente après coup dans le temps réel : le péché consiste à s'enfermer - par choix - dans le non-sens, lequel ne nourrit pas l'angoisse mais au contraire la bouche, de même qu'il compromet la liberté, par soumission au fini et à la sexualité. Le bon choix, à l'inverse, consiste à reconnaître l'angoisse comme liberté qui se fuit, et donc à donner du sens à ce qui n'en a pas : pareil don rapproche la créature du divin.


"Qu’est-ce donc que l’angoisse, pour Kierkegaard ? Elle est « condition préalable du péché » et ne se comprend que par lui. Elle est suscitée dans l’être fini par la liberté. Par la possibilité de la liberté. Par une simple possibilité, qui n’est pas celle, pour Kierkegaard, d’une alternative déterminée entre le bien et le mal. C’est légitimement que Kierkegaard refuse de partir ici d’une telle alternative, parce que ce serait certes maintenir la supposition du savoir et, disons, perdre l’unicité – sans laquelle il n’y a plus d’angoisse. D’où son affirmation que l’angoisse n’a pas d’objet, ou que son objet n’est rien, ou encore est le rien."
JURANVILLE, 2000, ALTER

ANGOISSE, Peur, Hétéronomie, Autonomie, HEIDEGGER

L’angoisse, distincte de la peur, précède cette dernière et plonge le sujet dans une expérience de finitude radicale et d’hétéronomie, où le sens émerge de l’Autre absolu. Heidegger la décrit comme une angoisse face à l’être-au-monde, révélant le néant et la transcendance, contrairement à la peur qui concerne l’étant intramondain. Pourtant, loin de s’opposer à la peur, l’angoisse y conduit, en tant que peur essentielle, en projetant le sujet dans un temps imaginaire où il découvre sa condition humaine. Elle angoisse précisément parce qu’elle annonce le passage au temps réel, celui de l’urgence et de l’action, de l'objectivité qu'il faudrait assumer. Ainsi, l’hétéronomie de l’angoisse fonde l’autonomie de la peur, qui suppose à son tour une reconnaissance de cette hétéronomie initiale. Heidegger, qui ne dit rien de la peur essentielle et encore moins de son horizon objectif, décrit seulement la peur mondaine comme déchéance et fuite devant l'angoisse. A ce titre il est vrai que la peur (ou l'angoisse évitée) ramène le sujet à la condition d'objet fini, sous l'effet de la pulsion sexuelle devenant pulsion de mort à mesure qu'elle s'articule autour de l'Autre réduit lui-même à un objet, à un fétiche en guise de maître. Cet Autre faux régissant le monde social n'appelle certes pas le sujet à éprouver la finitude ni à conquérir l'autonomie, plutôt l'encourage-t-il - comble du désespoir - au sacrifice.


"L'angoisse précède la peur. Elle est unicité, où le savoir s’effondre et où est éprouvée la finitude radicale. Et en même temps hétéronomie, le sens et la loi apparaissant alors en l’Autre absolu seul, au-delà de soi et de son monde à soi. Face à la peur qui serait peur devant l’étant intramondain, Heidegger la présente ainsi comme angoisse devant l’être-au-monde lui-même (devant l’être). Comme le sentiment décisif, parce qu’elle « révèle le néant » (l’être au-delà de l’étant), la « transcendance », le « méta-physique ». Mais, bien loin de s’opposer à la peur qui serait, comme le veut Heidegger, une « angoisse inauthentique », l’angoisse dirige au contraire, d’après nous, vers la peur essentielle – et c’est même pour cela qu’elle angoisse."
JURANVILLE, 2000, JEU

ANGOISSE, Liberté, Grâce, Autre, KIERKEGAARD

La liberté est bien présentée comme cause de l'angoisse, par Kierkegaard, en ceci qu'elle ne reposerait que sur un pur possible, un "rien" présageant quand-même la réalité de l'esprit à venir. Ceci ne se comprend que si l'on définit la liberté comme immédiateté de la loi, mais la loi d'abord de l'Autre passant dans le sujet, et donc la liberté de l'Autre passant également dans le sujet : ce don de liberté définit la grâce en tant que le sujet la fait sienne effectivement, sous la forme de ce pur possible devant lequel il ne peut qu'éprouver l'angoisse. Pourquoi ? Parce que la première manifestation de cette liberté sera de se fuir elle-même, et parce qu'il faudra assumer devant l'Autre ce "péché" comme trahison au regard de la liberté, et au regard du don de l'Autre.

"Ce qui cause l’angoisse, pour Kierkegaard, c’est le rien (la finitude) de l’esprit. C’est un simple possible, non réalisé. Mais là, Kierkegaard le dit lui-même, le simple possible est déjà un réel, il est la réalité de la liberté. Pourquoi ? Si le simple possible de la liberté est déjà son réel, c’est parce qu’un tel possible est la liberté en tant qu’elle vient de l’Autre, en tant qu’elle est encore d’une certaine manière celle de l’Autre, et en tant que, cependant, le fini l’a déjà faite sienne. Parce qu’un tel possible est la liberté comme grâce, donnée par l’Autre et reçue de l’Autre. La grâce est ouverture d’un possible. Ouverture qui est déjà acte, acte réel, imprévisible, à la fois de l’Autre et du fini. Ouverture qui est déjà liberté."
JURANVILLE, 2000, ALTER

ANGOISSE, Liberté, Création, Autre

Même si c'est la création (autonomie et vérité) qui donne sa vérité ultime à l'angoisse, puisque justement elle mène à poser objectivement l'autonomie dans l'oeuvre, c'est bien la liberté qui est la cause directe de l'angoisse. Car ce qui est en jeu, derrière la décision de s'engager dans l'oeuvre, c'est d'abord la liberté de l'Autre en tant qu'elle doit être reconnue puis établie objectivement, puisque créer revient finalement à se soumettre, librement, à cet Autre que l'on a créé. Dans ce processus la création n'est plus que le résultat ou la conséquence de l'angoisse, tandis que la liberté - ou ce transfert de liberté à l'Autre - en est la cause réelle.


"Même si la création est la cause éminente de l’angoisse, c’est la liberté qui en est la cause directe. La liberté est, dans le processus créateur, ce qui se communique d’abord à ce qu’il y a à créer – et ce qui revient ensuite au créateur comme angoisse, tant que l’œuvre, l’Autre qui est à créer, n’a pas atteint la consistance objective. Directement, la création est ainsi, non pas la cause, mais l’effet de l’angoisse, ce qui l’accueille, ce qui la reveut."
JURANVILLE, 2000, ALTER

INCONSCIENT, Angoisse, Création, Interprétation

L'inconscient fait passer de l’interprétation (vérité de l’hétéronomie) à la création (vérité de l’autonomie), ou de la métonymie à la métaphore, comme si la substance et la puissance créatrice de l'Autre passait enfin au fini. C'est toujours l'inconscient qui, par l'interprétation, donne sa vérité à la peur : peur de poser l'autonomie à laquelle l'Autre de l'hétéronomie nous appelle. Et c'est encore l'inconscient qui, par la création, donne sa vérité à l'angoisse : angoisse devant l'hétéronomie essentielle que le sujet devrait poser et assumer par lui-même. Mais le plus souvent, deux cas se présentent revenant à fuir la création : soit le fini se fait sujet social, livré à une peur mondaine ordinaire, tétanisante (devant les maîtres par exemple) et fuit l'angoisse dans la sexualité ; soit le fini se fait individu, connait la véritable angoisse de la séparation, mais il lui manque le courage d'oeuvrer pour instituer un monde juste, ce qui revient à nier autant l'hétéronomie que l'autonomie vraies.


"Or, dans le second cas comme dans le premier, lorsqu’on proclame l’angoisse en excluant tout savoir vrai comme lorsqu’on rejette toute angoisse par le savoir faux, ne demeure-t-il pas la même évidence d’un monde social dans lequel il n’y a pas de place pour l’autonomie du fini ? Cette évidence n’est-elle pas « inspirée » par la pulsion de mort, par le rejet de l’Autre vrai qui appelle à s’affronter jusqu’au bout à la finitude et à l’angoisse, et par la constitution de l’Autre faux ? Ne faut-il pas, pour l’angoisse elle-même, instituer le monde juste où l’épreuve de l’angoisse fondamentale, et donc sa propre capacité d’instituer des jeux, soit ouverte à chacun ?"
JURANVILLE, 2000, JEU

IGNORANCE, Autre, Grâce, Angoisse

Dans l'angoisse, définie comme hétéronomie et unicité, nous faisons certes l'épreuve - douloureuse - de la finitude, mais c'est la condition pour s'établir dans l'unicité véritablement créatrice. C'est en acceptant le non-savoir au regard de l'Autre absolu, c'est en élevant cette ignorance à sa vérité que l'on pourra accéder par soi-même au savoir. C'est ainsi par le biais de l'ignorance, de l'ignorance acceptée, que l'angoisse peut être vécue positivement. D'ailleurs, l'ignorance doit être acceptée pour l'Autre d'abord, car il n'y aurait aucune finitude radicale si l'on pouvait croire en un Autre absolument sachant, d'un savoir anticipatif ; s'il ne voulait pas lui-même l'ignorance, l'Autre absolu ne serait pas en mesure de créer son Autre libre. Disons que cette ignorance se manifeste dans le divin en chacune des trois personnes distinctement dans leur rapport aux deux autres ; précisément c'est à travers l'Esprit que le divin se sait absolument sachant et communiant avec sa créature. Il faut donc voir l'ignorance de l'Autre comme une grâce accordée, à la créature par l'Autre absolu, au sujet par cet Autre fini qu'est le psychanalyste notamment.


"C’est ainsi par l’ignorance que l’angoisse, l’angoisse essentielle, se donne au fini. Une telle ignorance, ainsi positivée, et conduisant au savoir, est certes celle du fini dans son rapport à l’Autre absolu – la docta ignorantia de Nicolas de Cues. Mais elle est aussi celle de l’Autre absolu dans son rapport au fini, et de l’Autre fini dans son rapport au même fini."
JURANVILLE, 2000, ALTER

ANGOISSE, Répétition, Sens, Objet, FREUD

L'épreuve de l'angoisse permet d'accomplir la répétition et de donner sens au non-sens, comme le veut l'Autre, malgré la tentation de s'enferrer dans le non-sens. Cette duplicité de l'angoisse, Freud la signalait déjà en distinguant l'angoisse survenant du fait de la perte de l'objet, la libido entravée se révélant alors comme pulsion de mort, et l'angoisse permettant au "moi" de parer à la disparition de l'objet en fonctionnant comme "signal", et donc de conserver l'objet (notamment sexuel) : dans ce cas la pulsion de vie (Eros) ne prend le relais que pour mieux servir, in fine, la pulsion de mort maquillée en plaisir sexuel. Mais l'angoisse vraie, celle qui n'enferme pas dans l'objectivité ordinaire, est toujours un signal adressé par l'Autre vrai (typiquement l'analyste) depuis l'inconscient du sujet, induisant pour celui-ci l'obligation d'assumer cette angoisse, tout comme l'Autre l'a assumée, et d'en assumer la répétition jusqu'à la lente reconstitution du sens, qui devra s'effectuer dans l'objectivité de l'oeuvre.


"Qu’est-ce qui montre qu’on veut vraiment passer, de la fuite devant le désespoir constitutif, au désespoir essentiel où il est assumé ? Que la pulsion de mort est réellement liée dans la pulsion de vie ? Et qu’on reconstitue effectivement, comme le veut l’Autre vrai, le sens à partir du non-sens ? Qu’est-ce qui permet donc d’accomplir la répétition ? L’angoisse. Dont nous avons déjà dit qu’elle est unicité et hétéronomie. Traverser l’épreuve de l’angoisse, c’est sans cesse éprouver, à la fois, la tentation de s’enfermer dans le non-sens, et l’exigence venue de l’Autre de constituer le sens à partir de ce non-sens. L’apaisement n’étant atteint, et donc la jouissance, que lorsque la répétition a été conduite jusqu’au sens objectif, à l’œuvre et au savoir."
JURANVILLE, 2000, L’INCONSCIENT

ANGOISSE, Foi, Jouissance, Répétition

L’angoisse, liée à l’hétéronomie, devrait mener à l’autonomie de l’œuvre et du savoir, exigée par l’Autre, mais le sujet rejette cette autonomie, et avec elle l'angoisse ramenée à sa nature première : fuite de soi et sexualité. Ne pas céder devant l'angoisse implique au contraire d'affirmer l'autonomie, même si elle dépend finalement toujours de l'Autre, et ceci par la foi. D'une part la foi est aussi la seule manière d'accomplir la répétition puisqu'elle permet de donner sens au non-sens. D'autre part, ainsi accomplie par la foi, la répétition devient l'acte même de la jouissance essentielle, par laquelle le sens nouveau peut-être posé socialement et objectivement. En l'absence de foi, nous sommes confrontés à l'alternative fatale : soit l'on prétend bien à un sens objectif et commun faisant fi du non-sens, dans le temps imaginaire, entièrement anticipable, avec sa jouissance (sexuelle) fermée à l'Autre ; soit l'on affirme une vraie répétition (comme le fait Freud avec la pulsion de mort) qui, avec le temps, fera surgir grâce à l'Autre un sens du non-sens (et éventuellement une autre jouissance), mais jamais assumable suffisamment par le sujet pour l'amener jusqu'à l'objectivité dès lors que la foi manque.


"Comment ne pas céder devant l’angoisse ? En affirmant, malgré la finitude, et la dépendance par rapport à l’Autre absolu, l’autonomie. Par la foi, qui pose que, si le sens d’abord ne peut venir que de l’Autre absolu, le fini lui aussi - par ce qu’il a reçu, reçoit et recevra de cet Autre comme vrai - pourra donner sens au non-sens radical qu’il rencontre et éprouve, et accomplir, à son tour, la répétition. C’est une telle foi, celle bien sûr des héros de la Bible, qui est au cœur de la pulsion de vie introduite par Freud.... Sans la foi telle que nous l’avons présentée et affirmée, ce sens nouveau, qu’il ne soit pas, avec Lévinas, ou qu’il soit, avec Lacan, reconnu comme lieu d’une jouissance vraie, ne peut de toute façon pas devenir objectif. A fortiori une telle jouissance. Rien comme une jouissance vraie, caractéristique de l’inconscient, ne peut être posé socialement. N’est-ce pas participer de la commune jouissance sexuelle, présente plus ou moins secrètement dans tout le monde social, que de ne pas poser dans ce monde, contre celle-ci, l’autre jouissance ?"
JURANVILLE, 2000, L’INCONSCIENT