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CHRIST, Passion, Amour, Grâce, KIERKEGAARD

Dans son affirmation fervente de la vérité du christianisme, Kierkegaard insiste tout particulièrement, voire exclusivement, sur la Passion du Christ (tout en négligeant l'Incarnation et la Résurrection), parce qu'elle se situe au choeur de l'épreuve existentielle du croyant : celui-ci en effet, dans la souffrance et la renonciation à soi, se confrontant avec la finitude, se dispose au mieux à recevoir la grâce et l'amour divins. La fonction sotériologique de la Passion s'avère centrale, la mission du Christ étant bien de sauver l'humanité, de la délivrer du péché. C'est en ceci que le Christ n'est pas un maître à la manière de Socrate, qui engage le disciple à découvrir - au moyen de la réminiscence - le savoir en lui ; la vérité que le croyant est appelé à découvrir, c'est la présence du péché en lui, afin de s'en délivrer, en laissant advenir non pas le savoir mais l'Amour. Si le disciple de Socrate imite son maître de même que ce dernier reconnait et confirme son propre savoir à travers celui du disciple, l'imitateur du Christ dans la Passion reçoit bien l'amour divin en partage, mais cette fois c'est une vérité et une identité nouvelles (une "nouvelle vie" littéralement) qui lui sont données, tout à fait imprévisiblement et unilatéralement, car le dieu n'en avait nullement besoin pour "se connaître" lui-même. La grâce divine établit bien une sorte d'égalité, dans la renonciation, entre le créateur et la créature, mais cette égalité s'arrête à l'individu dans son face à face avec Dieu, et Kierkegaard rejette toute perspective théologico-politique, toute possibilité de convertir la vérité en savoir et l'amour en justice sociale.


"« Le dieu n'a pas besoin de disciple pour se comprendre lui-même. Mais, s'il se meut lui-même et non par besoin, qu'est-ce qui le meut, sinon l'amour ? » (MPh, 72). Amour qui vise l'amour venant, en retour, du disciple, et donc l'égalité (« La préoccupation du dieu est de rétablir l'égalité. Faute d'y réussir, l'amour serait malheureux » MPh, 77). De sorte que le maître divin doit, pour libérer le disciple de l'enchantement et ravissement devant lui-même comme idole, s'abaisser lui-même, se faire simple serviteur. Grâce dispensée par ce maître au disciple qui aura à « recevoir dignement la grâce [ainsi] offerte à tout homme imparfait, c'est-à-dire à chacun de nous » (ECh, 67). Grâce qui lui ouvre la voie pour devenir « homme nouveau », pour re-naître » (MPh, 60 sq). Et cela en aimant à son tour, en ayant foi en ce Dieu qui ne peut pas se communiquer directement et qui doit d'abord susciter le scandale et le rejet : « Il lui faut exiger de devenir objet de foi. Sinon, il devient une idole » (ECh, 131). La Passion du Christ est, à partir de là, non pas à admirer, mais à imiter par l'existant comme sujet individuel. Et cela en s'affrontant à la finitude radicale ou péché, et dans les autres qui le menacent de violence sacrificielle, et en lui-même qui tend à être complice de cette violence. Epreuve de renonciation à soi, à l'identité qu'on s'était fabriquée : « Renonce à toi-même et souffre pour cette raison : tel était le christianisme ». Mais certes épreuve dans laquelle on advient à une nouvelle identité, celle de l'individu qu'est l'homme nouveau : « Au sens chrétien, il n'y a jamais de lutte que celle de l'individu ; car le propre de l'esprit, c'est justement que chacun soit un individu devant Dieu, de sorte que la communauté est une détermination inférieure à celle de l'individu que chacun peut et doit être » (ECh, 108, 174 sq, 188 et 197)."
JURANVILLE, 2019, FHER

CAPITALISME, Maître, Plus-value, Individu, LACAN

Le discours du maître est contemporain de la Révélation juive, qui rompt avec le discours du peuple (hystérique) dominant dans la société païenne traditionnelle. Quant au capitalisme, il est une variante apparue assez récemment du discours du maître, quand ce dernier fait produire à l'esclave sous contrat la fameuse plus-value, le "plus-de-jouir" selon Lacan. Or ce dernier fait valoir, contrairement aux affirmations de Marx, que la plus-value n'est nullement extorquée au travailleur puisqu'elle est réalisée grâce aux conditions de productivité offertes par le maître (investissement, moyens techniques, etc.) et pas seulement par la force de travail. De plus elle ne représente rien d'émancipateur ou de créatif pour le travailleur, précisément car elle n'est pas de son fait, et se trouve bien plutôt réduite à un pur objet de jouissance, l'objet de consommation fétichisé. Lorsque Lacan évoque la "sortie" hors du discours capitaliste, il précise bien que cela ne sera "pas pour tout le monde", soulignant que cela reste un privilège de la démarche analytique et donc du sujet individuel, nullement du sujet social. Pour ce dernier la libération de l'individu ne saurait passer par l'abolition du capitalisme, qui ramènerait à une forme de paganisme aggravé, ignorant toute finitude radicale et n'ayant de cesse de "conjurer" le mal par la voie du sacrifice (réduction au silence de toute parole dissidente, par exemple, dans les régimes communistes) ; elle ne passera pas davantage par une exaltation sans réserve du même capitalisme, comme une fuite en avant (véritablement désespérée) vers un monde idéal ayant aboli le mal et la souffrance, un monde sans finitude. Il n'y a pas d'autre voie que celle d'un capitalisme raisonné laissant la possibilité à chacun de se réaliser comme individu, la société ayant cessé d'être idéalisée comme fin pour apparaître (enfin) comme simple moyen.


"Plus-value qu'a théorisée Marx et dont il dénonce la spoliation, l'extorsion, sans voir, selon Lacan, qu'elle est due au capital et au maître (qui, à la différence du serviteur, a commencé à renoncer à la jouissance) et qu'elle n'a rien de créateur et d'existentiellement positif. Et Lacan conclut en dirigeant vers le discours psychanalytique (dont le discours du maître serait «l'envers») où l'analyste s'offre comme objet a lieu de finitude radicale, à charge pour l'analysant, par l'interprétation (dans laquelle l'analyste le précède et le guide), de donner sens à ses fragments de paroles qui ne sont d'abord que non-sens. Ainsi l'analysant pourrait-il sortir (en quelque manière) du discours capitaliste et devenir individu comme l'analyste. Possibilité ouverte à l'existant par l'histoire. Accomplissement personnel certes, mais non pas progrès au sens du progressisme parce que "c'est seulement pour certains", pour ceux qui « paient le prix», «font le travail [créateur]»."
JURANVILLE, 2021, UJC

ALTERITE, Aliénation, Maître, Finitude

L'altérité dans le monde ordinaire se présente sous une forme tronquée, qui pour être fausse n'en est pas moins réelle, objectivement et subjectivement : c'est la relation aliénante à un Autre absolu identifié au maître, qui réduit le sujet au rang de serviteur, qui empêche l'épreuve de toute finitude radicale. L'Autre ne peut pas, dans ces conditions, apparaître comme vraiment Autre, celui qui s'adresse au sujet comme à son Autre : il ne dispense qu'une altérité faussée, même si lui-même fait bien référence à un Autre absolu, sinon il ne serait pas le maître.


" Or cette altérité ordinaire ne se borne pas à être fausse objectivement et théoriquement, elle l’est aussi et surtout subjectivement et pratiquement. Et l’existant ne se contente pas d’y déployer une objectivité fausse, il va jusqu’à y supposer comme principe de l’objectivité la chose originelle, mais elle-même faussée, illusoire et même hallucinatoire. Ce qui constitue, après ses dimensions névrotique et perverse, la dimension psychotique de l’altérité ordinaire. Altérité ordinaire comme aliénation."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007