Toute parole s'adresse à un autre, présent ou absent (s'il s'agit de l'Autre absolu), dont il semble que le sujet escompte la reconnaissance ; car toute parole implique la castration, et le désir, par laquelle le sujet se fait phallus, et objet de désir, pour l'Autre. C'est à ce niveau de reconnaissance que la certitude se constitue dans l'acte de parole, illustré par le cogito de Descartes. Quelque soit l'énoncé produit, l'énonciation résiste au doute, puisqu'elle présuppose d'emblée l'être ("je pense", donc "je suis, j'existe"). Triple certitude cartésienne : de la pensée, du sujet qui pense, de l'être du sujet comme pensant, reprise par Lacan en ces termes : d'abord l'articulation signifiante (ou énonciation, au niveau inconscient), puis le passage au signifié (de fait, à l'être), enfin la certitude du sujet assumant sa parole (autrement dit sa castration). Mais il convient de préciser que la certitude, celle de l'être du sujet, si elle implique bien la reconnaissance, celle de l'Autre absolu, n'en est pas la conséquence directe : elle consiste plutôt à se découvrir, dans le monde, dans son être, toujours déjà reconnu en tant que phallus pour l'Autre, donc une nouvelle fois à assumer la castration.
"Pour Lacan, il y a l’acte de la parole, ou plus précisément ce qui le fait acte, soit la présence de l’articulation du signifiant. Il y a donc l’énonciation. C’est ce qui fait l’acte de la pensée (et la situe d’emblée dans l’inconscient). Il y a ensuite le passage au signifié, là où de fait on peut parler de l’être. Et c’est à ce moment que devient possible une certitude, qui se constituera proprement et s’affirmera enfin dans l’acte effectif de la parole du sujet. Parce que parler, c’est assumer le signifié, et donc le phénomène de la castration. Mais cette constitution de la certitude ne tient pas à l’émergence d’une reconnaissance : on est à l’avance reconnu, on a déjà sa place dans le monde – comme castré cependant, c’est-à-dire comme le phallus, comme l’indication de ce phallus « perdu », l’index du phallus. Assumer la castration, c’est accepter cette reconnaissance, se la garantir. La reconnaissance demeure donc bien d’abord celle par l’Autre absolu, mais elle se confirme et s’affirme dans et par l’acte de la parole adressé à l’Autre présent. La certitude est toujours celle d’un Je suis (qui comme pour Descartes, renvoie là aussi à un réel, au sens précis de ce terme pour Lacan)."
JURANVILLE, 1984, LPH