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CHRIST, Oeuvre, Sujet social, Condition

L'oeuvre du Christ consiste à communiquer à l'homme, précisément au sujet social, toutes les conditions - grâce, élection, foi - lui permettant de renoncer à la haine sous-tendant le système sacrificiel, d'affronter jusqu'au bout la finitude radicale et de s'engage enfin dans son oeuvre propre (ultimement, à l'échelle de l'humanité, l'Histoire). Grâce (et pardon) qui le libère de sa déchéance ; élection (et invivation) qui l'engage, dans l'imitation du Christ, à accomplir cette oeuvre ; foi (et espérance) pour lui permettre de supporter la finitude et d'attendre le retour du Christ-Messie, soit l'avènement du Jugement dernier (où chacun sera jugé selon ses oeuvres).


"L’œuvre du Christ est l’œuvre par laquelle sont, à l’homme comme sujet social, redonnées les conditions qu’il avait perdues en se laissant entraîner dans le monde sacrificiel, redonnées pour qu’il s’affronte maintenant jusqu’au bout, dans son œuvre propre, à la finitude radicale... L’œuvre du Christ ne s’accomplit certes que lors du Jugement dernier, quand il revient en gloire pour juger les hommes – et pour les juger à la mesure de leurs œuvres, qu’ils auront accomplies dans l’attente de la venue du Christ-Messie ou de son retour, et qui sont d’abord, pour chacun, l’œuvre qu’aura été sa vie. Mais l’œuvre du Christ commence par ouvrir aux hommes l’espace social de leurs œuvres propres – avec, à chaque fois, à la pointe de ces œuvres, l’œuvre des œuvres qu’est l’histoire et, en elle, l’institution de la communauté juste."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CHRIST, Incarnation, Passion, Résurrection

Incarnation, Passion et Résurrection sont trois noms pour désigner cet événement majeur, et même fondateur de l'histoire, qu'est le sacrifice du Christ. Ce sont les trois étapes nécessaires de l'intervention divine par laquelle se prépare, s'effectue, et s'accomplit la mise en question du système sacrificiel pervers des humains. L'Incarnation démontre que la chair n'est pas fondamentalement mauvaise, malgré la finitude et donc aussi malgré l'existence du péché charnel (concupiscence), qu'il existe une chair et une sensibilité bonnes, compatissantes et aimantes (la chair du Christ, idéalement). La Passion dénonce l'injustice de ce système sacrificiel, et la haine que le sujet social éprouve inévitablement contre Dieu, le Prochain, l'Autre en général. Cette injustice, le dieu fait homme la subit et l'assume librement (dans la souffrance et jusqu'à la mort, non dans la jouissance bien sûr - qui serait celle du fanatique), par son sacrifice. La Résurrection prouve que la vie triomphe finalement de la pulsion de mort, non seulement pour le Christ mais également pour tout homme qui aura - notamment par ses oeuvres - réussi à dépasser la haine sacrificielle et la finitude en général pour les réduire à leurs formes minimales, socialement acceptables dès lors que les sujets ne sont plus empêchés d'entrer dans leur individualité et d'y gagner leur autonomie.


"La mise en question par Dieu du système sacrificiel s’accomplit dans la Résurrection de l'homme Jésus dans lequel Dieu comme Fils s’est incarné. Résurrection qui est triomphe sur la pulsion de mort. Cette résurrection annonce celle de tous les hommes dans la mesure où, dépassant leur haine sacrificielle à eux, la réduisant à ses formes minimales dans le cadre de la relation à l’Autre, de l’amour pour l’Autre, ils entrent dans leur individualité et traversent pour elle leur passion propre - car l’entraînement sacrificiel est toujours là dans le monde social et il se manifeste toujours contre l’individu, fût-ce sous une forme limitée. À partir de quoi ils pourront un jour instituer un monde où l’individu ait sa place. C’est cela, Incarnation, Passion, Résurrection, qu’on appelle ici le sacrifice du Christ. Et dont on a essayé d’établir qu’il est bien, pour l’homme, l’événement par excellence de l’histoire."
JURANVILLE, 2017, HUCM

CHRIST, Péché, Grâce, Fils

Le péché, haine de Dieu (ou de l'infini), fait tellement souffrir l'existant que celui-ci déplace cette haine et cette souffrance sur la victime expiatoire : ainsi fonctionne le système sacrificiel, que vient justement remettre en cause le Christ, par son sacrifice, en endurant la souffrance mais surtout en ressuscitant d'entre les morts. Car l'affirmation socratique de l'idée, même si elle rompt formellement avec ce système, ne suffit pas à faire accepter pour tous une justice où chaque individu puisse être reconnu dans son identité à la fois citoyenne et personnelle. Et la dénonciation de l'injustice par l'existant ne peut se faire sans emporter quelque désir de vengeance, et donc reconduire l'injustice ; seul le Christ, totalement en dehors du péché de l'homme, le peut. En outre seul le Fils de Dieu, comme personne égale au Père, échappe à l'idolâtrie qui caractérise l'homme-enfant supposé victime de la "scène primitive" (Freud) : cette vision hallucinée de la sexualité (complémentarité) parentale (élargie au cosmos, et au social) qui est au fondement de toute religiosité païenne. Le philosophe tend à réduire le mal à la "faute", entendue comme faiblesse, ou ignorance ; il ne veut pas admettre (il ne le peut pas) que le péché est constitutif de son esprit, de sa (mauvaise) volonté, nullement de sa "nature" ; seul le dieu, exempt de péché, peut le lui révéler. C'est aussi la raison pour laquelle seul Dieu peut pardonner vraiment aux hommes, effaçant leurs péchés, en leur accordant positivement sa grâce : non pas la grâce que Socrate concède au disciple en le supposant raisonnable, mais la grâce divine qui rétablit le bien chez tous les hommes (le Christ s'adresse au sujet social, effectivement pêcheur). Le Christ communique non seulement la grâce, mais aussi l'élection, car il s'agit, pour les apôtres et les croyants d'enseigner et d'accomplir la Loi (l'Amour du prochain), de devenir comme il est dit dans la Bible "le sel de la terre".


""Il faut, dit fermement Kierkegaard, une révélation venant de Dieu pour éclairer l'homme sur la nature du péché et lui montrer qu'il ne réside pas dans le fait pour lui de ne pas avoir compris le juste, mais dans le fait qu'il ne veut pas le comprendre ni s'y conformer" dit Kierkegaard. Or cette affirmation par le Christ du péché fait rupture du fait de la grâce qu'elle implique. Grâce dispensée non plus, comme avec Socrate, au sujet individuel, mais au sujet social ,expressément pêcheur. Grâce qui n'est plus rencontre, mais pardon. Car, le Christ, dans son Sacrifice, se fait librement déchet, et même déchet social. Librement puisqu'en même temps il s'affirme Dieu, Dieu comme Fils, à la fois fils de Dieu et fils de l'homme. Le pardon rétablit dans sa vérité et consistance d'Autre celui qui s'était complu dans la finitude et avait refusé d'assumer cette finitude. Or être l'Autre qui pardonne, même si c'est en soi toujours possible à Dieu, est impossible à l'homme, devant certains crimes abominables, de l'ordre de la violence sacrificielle, qui se commettent contre lui ou contre les siens. Le Christ (…) introduit une rupture (…) qui va jusqu'au savoir. Et l'élection qui (…) est offerte au sujet social, au peuple, apparaît maintenant comme jugement. Le Christ en effet, dans son sacrifice (…) manifeste une élection, celle qu'il a reçue du Père et au nom de laquelle il dénonce la loi ordinaire, sacrificielle, du monde social ; il dirige expressément vers l'objectivité absolue, celle de la Loi vraie par excellence. Le Christ affirme - et c'est fondamental - qu'il n'est pas venu abroger la loi mais l'accomplir. Paul : "toute la loi tient, dans sa plénitude, en une seule parole : Tu aimeras ton Prochain comme toi-même". Cette élection est, comme la grâce, communiquée par le Christ à tout homme, même s'il sait qu'elle va être d'abord rejetée (ou faussée), par la plupart. C'est ce que montre son enseignement, formulé avec (…) une autorité propre (d'élu véritable), et non pas de délégué."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CHRIST, Passion, Amour, Grâce, KIERKEGAARD

Dans son affirmation fervente de la vérité du christianisme, Kierkegaard insiste tout particulièrement, voire exclusivement, sur la Passion du Christ (tout en négligeant l'Incarnation et la Résurrection), parce qu'elle se situe au choeur de l'épreuve existentielle du croyant : celui-ci en effet, dans la souffrance et la renonciation à soi, se confrontant avec la finitude, se dispose au mieux à recevoir la grâce et l'amour divins. La fonction sotériologique de la Passion s'avère centrale, la mission du Christ étant bien de sauver l'humanité, de la délivrer du péché. C'est en ceci que le Christ n'est pas un maître à la manière de Socrate, qui engage le disciple à découvrir - au moyen de la réminiscence - le savoir en lui ; la vérité que le croyant est appelé à découvrir, c'est la présence du péché en lui, afin de s'en délivrer, en laissant advenir non pas le savoir mais l'Amour. Si le disciple de Socrate imite son maître de même que ce dernier reconnait et confirme son propre savoir à travers celui du disciple, l'imitateur du Christ dans la Passion reçoit bien l'amour divin en partage, mais cette fois c'est une vérité et une identité nouvelles (une "nouvelle vie" littéralement) qui lui sont données, tout à fait imprévisiblement et unilatéralement, car le dieu n'en avait nullement besoin pour "se connaître" lui-même. La grâce divine établit bien une sorte d'égalité, dans la renonciation, entre le créateur et la créature, mais cette égalité s'arrête à l'individu dans son face à face avec Dieu, et Kierkegaard rejette toute perspective théologico-politique, toute possibilité de convertir la vérité en savoir et l'amour en justice sociale.


"« Le dieu n'a pas besoin de disciple pour se comprendre lui-même. Mais, s'il se meut lui-même et non par besoin, qu'est-ce qui le meut, sinon l'amour ? » (MPh, 72). Amour qui vise l'amour venant, en retour, du disciple, et donc l'égalité (« La préoccupation du dieu est de rétablir l'égalité. Faute d'y réussir, l'amour serait malheureux » MPh, 77). De sorte que le maître divin doit, pour libérer le disciple de l'enchantement et ravissement devant lui-même comme idole, s'abaisser lui-même, se faire simple serviteur. Grâce dispensée par ce maître au disciple qui aura à « recevoir dignement la grâce [ainsi] offerte à tout homme imparfait, c'est-à-dire à chacun de nous » (ECh, 67). Grâce qui lui ouvre la voie pour devenir « homme nouveau », pour re-naître » (MPh, 60 sq). Et cela en aimant à son tour, en ayant foi en ce Dieu qui ne peut pas se communiquer directement et qui doit d'abord susciter le scandale et le rejet : « Il lui faut exiger de devenir objet de foi. Sinon, il devient une idole » (ECh, 131). La Passion du Christ est, à partir de là, non pas à admirer, mais à imiter par l'existant comme sujet individuel. Et cela en s'affrontant à la finitude radicale ou péché, et dans les autres qui le menacent de violence sacrificielle, et en lui-même qui tend à être complice de cette violence. Epreuve de renonciation à soi, à l'identité qu'on s'était fabriquée : « Renonce à toi-même et souffre pour cette raison : tel était le christianisme ». Mais certes épreuve dans laquelle on advient à une nouvelle identité, celle de l'individu qu'est l'homme nouveau : « Au sens chrétien, il n'y a jamais de lutte que celle de l'individu ; car le propre de l'esprit, c'est justement que chacun soit un individu devant Dieu, de sorte que la communauté est une détermination inférieure à celle de l'individu que chacun peut et doit être » (ECh, 108, 174 sq, 188 et 197)."
JURANVILLE, 2019, FHER

CHRIST, Médiateur, Messie, Sacrifice, SAINT AUGUSTIN

Pour faire cesser toute complaisance dans l'injustice, et ainsi assumer la finitude, il est nécessaire comme l'énonce Saint Augustin d'en appeler à l'intervention d'un médiateur - entre le masculin et le féminin (et leur illusoire complémentarité), entre la vie et la mort, entre l'humain et le divin. Cette figure quasi-universelle que l'ethnologie a désigné sous le nom de trickster (le tricheur, celui qui ne joue pas le jeu), il convient de l'élever à sa fonction de Messie, soit un homme qui, au-delà de son rôle local de "fusible", de régulateur d'une forme sociale déterminée, remplisse la mission de mettre en cause pour tous les hommes le système social sacrificiel. Le seul médiateur vrai agissant pour la créature humaine au nom de l'Absolu créateur ne saurait être que le Christ, lui qui d'abord en tant Fils de Dieu s'est incarné en la personne de Jésus, prouvant ainsi que péché n'est pas constitutif de la chair (voulue par Dieu) mais de la (mauvaise) volonté humaine ; lui ensuite qui s'est sacrifié, qui a souffert la Passion jusqu'à son terme pour dénoncer justement le système du sacrifice, prouvant ainsi son amour pour les hommes ; lui enfin qui a ressuscité, prouvant ainsi la véracité de la parole divine et l'existence effective d'une justice, applicable à tous les hommes.


"Celui qui, pour le sujet social, pour le peuple, peut effectuer la mise en question du système sacrificiel est donc bien le médiateur. Mais pour autant seulement que, au lieu d’être considéré comme devant être aboli sacrificiellement au nom de l’Autre absolu faux ou idole, il apparaît comme l’envoyé de l’Autre absolu vrai, l’« oint » du Seigneur, le messie – envoyé pour dénoncer ledit système et témoigner que le vrai Dieu ne veut pas de tels sacrifices et se tourne de lui-même, par amour, vers les hommes. Celui qui, pour saint Augustin, est le Fils incarné – car « si, comme c’est beaucoup plus probable, tous les hommes sont nécessairement malheureux aussi longtemps qu’ils sont sujets à mourir, il faut chercher un médiateur qui non seulement soit homme, mais aussi soit Dieu » ".
JURANVILLE, 2010, ICFH

CHRIST, Grâce, Pardon, Philosophie

Pas plus que le judaïsme, qui a énoncé la loi juste, la philosophie, qui a pour tâche de faire accepter de tous la société juste, ne peut y parvenir sans faire référence à la vérité du christianisme. Non seulement parce que, par son sacrifice, le Christ a dénoncé le système social sacrificiel privant l'homme de toute perspective d'autonomie, mais surtout parce qu'il a pardonné aux hommes leur péché par le fait même de sa Résurrection. Décisivement, ce pardon accomplit la grâce qui libère l'homme, parce qu'en s'effaçant lui-même, en renonçant à tout pouvoir, celui qui accorde la grâce reconnaît en l'autre - et même lui confère effectivement - la capacité d'accéder au bien et à la vérité. Ainsi la grâce du psychanalyste en direction du sujet individuel, en lui supposant un savoir inconscient où il pourra déchiffrer sa propre vérité ; ainsi la grâce du philosophe en direction du sujet social (et des différents discours où il s'inscrit), en lui supposant la volonté et la faculté rationnelle d'accéder au vrai universel. Reste que seule la grâce christique, au nom de l'Autre absolu, propose le salut par lequel tout homme - et donc aussi la philosophie - peut assumer la finitude radicale - cette tendance inéliminable à refuser et la justice sociale et l'autonomie individuelle - et enfin oeuvrer selon la loi.


"Saint Paul avait souligné lui-même qu’il n’avait pas, par la foi, aboli la loi . Mais il avait dit aussi que la loi, venue pour découvrir à l’homme sa finitude radicale, son péché, s’était heurtée à cette finitude, à ce péché, par quoi l’homme est toujours détourné d’œuvrer selon la loi ; que la loi avait été impuissante face au péché. Et que la grâce prend son sens là, de libérer les hommes, de sorte qu’ils pourront œuvrer selon la loi. La grâce, disons, affirme la vérité comme en l’autre auquel elle est dispensée. Elle le libère – c’est son efficace. Et notamment elle le met en position de reconnaître le savoir. Ainsi pour la grâce dispensée au sujet individuel par la psychanalyse ou discours psychanalytique du seul fait de l’affirmation de l’inconscient. Et de même pour la grâce que dispense la philosophie ou discours philosophique au sujet social, aux autres discours. Encore fallait-il, pour la philosophie, que le sujet social (le peuple) eût d’abord reçu cette grâce, expressément, de l’Autre absolu lui-même – et c’est ce qu’a fait le Sacrifice du Christ. Nous affirmons que la grâce dispensée par le Sacrifice du Christ, pour fausse qu’elle soit devenue et qu’elle devienne toujours à nouveau, permettra à la philosophie de conduire tous les hommes jusqu’à la société juste."
JURANVILLE, 2010, ICFH

TRINITE, Christ, Finitude, Existence

La philosophie est-elle capable, par elle-seule, de remettre en cause le système sacrificiel qui a débouché sur la condamnation de Socrate, puis à une échelle plus universelle, sur le sacrifice du Christ ? La philosophie ne peut espérer faire reconnaître son savoir par tous en raison de la finitude radicale qui subsiste, quelque soit l'émancipation qu'elle propose au nom de la raison - l'altérité et l'universalité de celle-ci n'étant que partielle. La dénonciation de l'injustice n'est jamais suffisante tant qu'elle n'émane pas de l'Autre absolu, ce qu'accomplit le "médiateur" divin en la personne du Fils. Il s'agit pour l'homme de parvenir à une autonomie réelle lui permettant d'assumer la finitude radicale, le péché même de n'en rien vouloir savoir. Maintenant pourquoi la trinité, pourquoi le Fils ? Ce n'est que dans l'imitation du Fils que l'homme peut se libérer de la faute qu'il a tendance, névrotiquement, à attribuer au Père, lui l'enfant exclu de la "scène primitive", victime du père réel. C'est ainsi que la Création du Père (cause matérielle) ne peut s'accomplir que par la Révélation du Fils (cause formelle) ; et la paternité du Père ne peut être reconnue, depuis la créature, que par la médiation du Fils, fils engendré (et certes non créé) comme Verbe à partir de la Chair du Père. Le Verbe se déploie (c'est la "cause finale", selon Schelling) par le Saint-Esprit qui procède identiquement des deux premières Personnes, qui est leur Amour parfait, et qui entraîne les hommes également dans l'Amour et la vie de l'esprit. Cette vérité trinitaire, que Schelling a rapporté aux trois causes citées, Saint-Paul l'avait résumée par la formule : « Toute chose est de lui, par lui et pour lui. » La philosophie y puise sa définition de l'existence comme identité dans la relation à l'Autre et à partir de cette relation.


"Les hommes ne peuvent donc aller jusqu’au bout de leur libération du système sacrificiel que dans la mesure où ils entrent dans l’imitation de l’Autre absolu comme Fils, s’affrontent par amour à leur finitude radicale et l’assument heureusement. Ce qui les fait participer à la vie de cet Autre comme Esprit : l’Esprit procède du Père et du Fils et est leur amour en tant que cet amour est, en celui qui engendre et en celui qui est engendré, tout à fait identique ; l’Esprit, dit aussi Schelling, est « ce qui entraîne tout le mouvement » – cause finale. L’Autre absolu apparaît alors dans sa vérité trinitaire. Cette vérité trinitaire, la révélation chrétienne l’a proclamée. Et saint Paul l’a scellée par la formule : « Toute chose est de lui, par lui et pour lui. »  Elle correspond exactement au Dieu supposé par l’affirmation de l’existence  : car l’existence est non pas identité close, mais identité dans la relation à l’Autre et à partir de cette relation. Cette vérité trinitaire, Rosenzweig l’a rejointe, avec son ternaire de la Création, de la Révélation et de la Rédemption. Ainsi peut-on dire : dans la Rédemption, le Verbe se déploie, parmi les hommes, en dialogue universel."
JURANVILLE, 2010, ICFH

AMOUR, Sujet social, Christ, Psychanalyste, SOCRATE

Socrate, le Christ, le psychanalyste : ce sont les trois figures historiques dont on peut attendre qu'elles fassent advenir l'amour dans le monde social, parce que dans les trois cas ce n'est pas seulement un amour abstrait qui est donné, mais bien toutes les conditions pour qu'il devienne réalité. Socrate aime le disciple : il lui dispense d'abord sa grâce, en tant que maître, par sa déclaration de non-savoir. Il lui transmet ensuite l'élection, à charge pour lui d'entrer à son tour dans le dialogue et de surmonter la contradiction pour accéder au savoir et à cet objet précieux - objet d'amour autant que de désir - qu'est la sagesse. Certes, en raison de cette élection même et de la nature de cet objet, sagesse et amour ne seront pas accordés effectivement à tous, et la philosophie doit prendre acte de son incapacité à instituer, seule, un monde juste. Le Christ aime le disciple : il dispense sa grâce d'Autre absolu au disciple et à tout homme en tant que sujet social, prêche l'amour du Prochain et l'exigence de justice pour tous, mais bien sûr il ne peut faire que tous soient égaux devant l'élection que cette grâce implique, aussi le christianisme doit-il prendre acte de son échec à réaliser la justice sociale dans le monde. Le psychanalyste aime le patient ...même si c'est le patient qui éprouve l'amour de transfert (à quoi ne se résume pas l'amour) mais c'est l'analyste qui transfère premièrement, qui donne l'amour depuis le lieu qu'il occupe réellement, et inconsciemment, celui de la Chose. En tout cas il dispense au patient cette grâce de lui supposer un inconscient comme lieu de la vérité, mais aussi - là réside l'élection - il lui offre de devenir un sujet individuel (et pas seulement un sujet social) ayant à conquérir son autonomie. Et donc, une fois de plus, il n'appartient pas directement au discours analytique de réaliser la justice sociale, il reviendra toujours à la philosophie - maintenant inspirée par la psychanalyse - d'enseigner, pour qui veut l'entendre, l'amour, la justice, et cette fois explicitement la reconnaissance de l'individu véritable.

"Pour nous, et Socrate, et le Christ par excellence, et le psychanalyste aiment, et la succession historique de ces trois amours permet seule que l’amour soit reconnu de tous dans le monde social... La philosophie (le discours philosophique) reprenant la psychanalyse peut montrer en celle-ci le jeu du vrai amour, le psychanalyste transférant le premier sur le patient, et le patient ayant alors à entrer dans le même transfert et dans le même amour. Et c’est ainsi, à la fin de l’histoire ouverte par l’avènement de la philosophie en Grèce, que l’amour peut être reconnu socialement comme il le doit, et comme le voulait la philosophie, tout sujet social ayant la possibilité, dans une relation de l’ordre de celle qu’introduit le discours psychanalytique, d’advenir comme sujet individuel, et de répondre à l’amour (éminemment celui du Christ) par l’amour."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

DISCOURS, Vérité, Autre, Individu

Là où le problème donne lieu au savoir, le paradoxe donne lieu au discours qui a pour mission de le soutenir : pour cela il doit se faire raison et vérité, vérité donnée à la raison. Sa totale cohérence ne suffit pas (illusion métaphysique) s'il faut que l'Autre endosse et reconstitue à son tour le discours, le vérifie. La vérité ne peut surgit que de l'Autre et le modèle du discours de vérité est bien sûr celui de l'Autre absolu comme Fils, comme Verbe. En ce sens le discours est le pendant, du côté du paradoxe, de l'amour du côté du sacrifice. Ce discours vrai tenu par l'Autre absolu, par le Fils incarné dans le Christ, correspond dans le système des discours au discours de l'individu ; c'est logiquement le discours premier de l'existant, mais c'est aussi celui que le sujet individuel, par finitude, et a fortiori le sujet social, par intolérance, rejette systématiquement. Dans l'histoire il fut introduit par Socrate, comme par exception, puis universalisé par le Christ pour toucher cette fois le sujet social et remettre en question l'ensemble du monde sacrificiel. Il se présente comme le discours paradoxal par excellence. Redécouverte dans le discours analytique, la parole de vérité toujours menacée d'exclusion (qu'elle soit religieuse ou psychanalytique), nécessite toutefois d'être justifiée rationnellement - et fixée socialement - dans le cadre d'un discours philosophique (universitaire) qui ne rejetterait pas par avance la perspective d'un savoir vrai.

" Certes ce discours vrai de l’individu avait déjà surgi, dans l’histoire, avec Socrate. Mais il devait, pour toucher le sujet social lui-même, et introduire à une effective mise en question du monde sacrificiel, être tenu par l’Autre absolu lui-même. Et il est en l’occurrence le discours du Christ dans son enseignement. Discours constamment paradoxal. Éminemment dans le « Sermon sur la Montagne », et notamment dans les « Béatitudes » par lesquelles ce sermon commence : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. Heureux les affligés, car ils seront consolés. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux ceux qui sont persécutés… » Discours vrai qui dispense sa grâce, puisque la grâce est ce qui permet qu’il passe à son Autre Mais discours vrai qui dispense aussi son élection, puisqu’il faudra que l’existant à son tour tienne un tel discours et entre dans sa passion."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Christ, Solitude, Dieu, KIERKEGAARD

Selon Kierkegaard, le Sacrifice du Christ comme événement primordial de l’histoire appelle chacun à s’arracher à la tentation de la foule sacrificielle, et ainsi à se tenir, comme individu, seul "en face de Dieu".

Comme l’a dit Kierkegaard, l'individu est la « catégorie chrétienne décisive » – catégorie avec laquelle « la cause du christianisme subsiste et tombe », qui « reste le point fixe capable de tenir contre toute confusion panthéiste » et qui, auparavant, « n’a été utilisée qu’une fois, la première fois, avec une dialectique décisive, par Socrate, pour dissoudre le paganisme ». Pourquoi « catégorie chrétienne décisive » ? Parce que le Sacrifice du Christ comme événement primordial de l’histoire appelle chacun à s’arracher à la tentation de la foule sacrificielle, à s’identifier, comme le Christ l’a fait éminemment, à celui que cette foule ferait victime du sacrifice et, comme le Christ, à se rapporter, dans l’épreuve libre de la finitude, à l’Autre absolu comme Père. L’individu est alors, comme le dit Kierkegaard, « seul, absolument seul au monde entier, en face de Dieu ».
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Christ, Sacrifice, Histoire, KIERKEGAARD

De même que l'oubli, sublimation finie, conduit à sombrer dans la névrose pathologique en cas de refus du savoir, de même l'abandon, sublimation totale, conduit à sombrer dans la psychose pathologique, exactement pour la même raison, au lieu de poser la bonne psychose, celle qui accueille l'inconscient.

"L’oubli, ce qu’on joue, ce à quoi on joue, nous était apparu comme en soi sublimation finie, dans le cadre de la névrose, de la bonne névrose. Mais nous avons vu ensuite – réalité de l’oubli – que, si cette sublimation finie ne débouche pas sur le savoir, on retombe alors, en fait, dans l’ordinaire névrose pathologique. L’abandon, ce qui joue, ce par quoi on joue le jeu, vient de nous apparaître, lui, comme en soi sublimation totale, où la finitude est absolument revoulue. Or – réalité de l’abandon – si cette sublimation totale ne débouche pas sur le savoir, on reste alors pris en fait dans l’ordinaire psychose pathologique. Et si la sublimation totale peut s’accomplir effectivement et atteindre au savoir, au savoir philosophique, c’est pour autant qu’elle aura laissé venir en elle, et posé comme telle, la bonne psychose, celle qu’implique l’inconscient."
JURANVILLE, 2000, JEU