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ELECTION, Responsabilité, Autrui, Justice, Finitude, LEVINAS

Dans la tradition religieuse, juive puis chrétienne, l'élection peut apparaître comme le simple privilège d'avoir été choisi par Dieu - pour recevoir la révélation (dans le cas du peuple juif) ou pour être sauvé (contraire de réprouvé) - et finalement d'avoir reçu la grâce. Chez Levinas l'élection devient clairement responsabilité, non plus privilège mais obligation de répondre de la vraie loi, et finalement conscience morale - le sujet moral se constituant du fait même de recevoir l'élection. Responsabilité pour Autrui directement en rapport avec ses souffrances et ses fautes, avec les injustices qu'il subit et celles même qu'il commet ; jusqu'à cet extrême où « je suis responsable des persécutions que je subis » (Levinas). Par ailleurs cette relation élective, foncièrement inégalitaire car fondée sur une obligation asymétrique, n'est pas simplement duelle, elle met en jeu le Tiers dès lors qu'il s'agit d'instituer la Justice, et finalement d'introduire l'égalité entre les hommes. Et cependant Levinas rejette l'idée qu'un vrai savoir puisse fixer cette justice et cette reconnaissance de l'égalité ; sans cesse la pensée éthique - c'est sa dimension proprement critique -, se doit de revenir à la relation pré-originelle à l’Autre, de réaffirmer le Dire (réel et absolu) de l'Autre derrière le Dit (positif et relatif) constituant le savoir. C'est ainsi que l'élection, chez Levinas, fait perdurer "infiniment" la dépendance du sujet fini à l'Autre, tandis que pour Juranville l'élection invite résolument à la création, seul moyen pour le fini de se confronter réellement à la finitude (essentiellement sexuelle), hors de laquelle l'existence n'est qu'un vain mot. De leur côté, Nietzsche et Marx avaient bien réaffirmé respectivement l'élection (le surhomme) et la grâce (l'inhumanité sans classes), mais partiellement et de façon tronquée, en dehors de toute relation à l'Autre absolu, revenant derechef à nier la finitude. Ce n'est qu'avec l'affirmation de l'inconscient, selon Juranville, par la grâce à nouveau dispensée, que la pensée philosophique peut accorder une vérité objective à l’élection.


"Pour nous, l’Autre auquel le sujet est ouvert est d’abord, sans doute, le prochain, c’est là qu’il est rencontré. Mais il est, dans ce prochain, et au-delà, un Autre absolument Autre, qui n’est pas celui qu’on appelle le prochain. Que cet Autre, l’Autre absolu, celui-là seul qui est absolument l’Autre, appelle à faire du prochain l’Autre, nous l’accordons : telle est la loi vraie de cet Autre. Mais il est exclu qu’il y appelle infiniment le sujet fini. Si ce dernier doit, assumant l’élection, témoigner de cette loi, c’est par la création, où est revoulue toute la finitude et, notamment, ce qui, dans le fini, le clôt toujours, malgré tout, à l’Autre - la sexualité. Et ce serait nier cette finitude, cette sexualité, et donc l’existence, que de soutenir que le fini doit s’ouvrir infiniment au prochain comme Autre."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

ELECTION, Justice, Judaïsme, Philosophie, ROSENZWEIG

Il revient à la philosophie, en se référant aussi bien au christianisme qu'au judaïsme, de faire accepter respectivement la grâce et l'élection, et décisivement la grâce à travers l'élection. Celle-ci, rappelons-le, consiste à se vouloir responsable de la loi devant tous, comme en démocratie où le représentant tient du peuple lui-même (par l'élection au suffrage populaire) le droit de promulguer la loi pour le peuple (démocratie parlementaire et non démocratie directe). Or la vocation de la philosophie est bien d'instituer la justice dans l'histoire, au moyen du Droit ; sa responsabilité se situe dans l'affirmation du savoir, hors duquel aucune institution ne tiendrait. Cette tension entre christianisme et judaïsme a été remarquablement théorisée par Rosenzweig, mais il n'en tire pas la bonne conséquence, pour la philosophie, qui consiste à oeuvrer pour l'institution d'une société juste. Pour lui seul le peuple élu - le peuple juif - pourrait connaître cette société juste, à la fin de l'histoire, ou plutôt s'y serait depuis toujours installé, tandis que tous les autres peuples ne pourraient jamais que rester en chemin (même si la voie tracée par le christianisme est la bonne). Mais, à ce compte, comment ne pas accréditer une confusion fatale entre l'élection, qui consiste à reconstituer par soi-même - difficultueusement - la loi juste de l'Autre, et le simple privilège qu'aurait reçu injustement de le part de cet Autre tel peuple ou tel individu ? Comment parer dès lors - si aucun Etat juste n'est possible dans l'histoire - à la haine vengeresse et génocidaire visant le peuple élu, catastrophe que justement Rosenzweig n'aura pas su anticiper ?


"La philosophie doit donc faire accepter de tous, à travers la grâce (d’abord chrétienne), l’élection (d’abord juive). Elle doit accomplir son acte en relation fondamentale avec la dualité du judaïsme et du christianisme. C’est la perspective que Rosenzweig a sublimement tracée dans L’Étoile de la Rédemption. Sauf que, pour lui, aucune société juste ne pourra jamais être instituée. Alors que nous l’affirmons et que, pour nous, dans cette affirmation réside, au-delà de toute grâce et de toute élection, la foi, depuis toujours, de la philosophie. Que dit Rosenzweig ? Que, d’une part, le peuple juif qui, le premier, a rompu avec le paganisme et accueilli la révélation, se serait d’emblée établi à la fin – le judaïsme, en cela, serait la « vie éternelle ». Et que, d’autre part, les autres peuples, qui ont été appelés, par le Sacrifice du Christ, à entrer dans la voie qui mène à cette fin, n’y parviendraient pas comme tels, seuls les individus de ce monde y accédant – le christianisme, en cela, serait la « voie éternelle ». Nous affirmons au contraire que la grâce dispensée par le Sacrifice du Christ, pour fausse qu’elle soit devenue et qu’elle devienne toujours à nouveau, permettra à la philosophie de conduire tous les hommes jusqu’à la société juste."
JURANVILLE, 2010, ICFH

JUSTICE, Lutte, Droit, Peuple

Ni le droit positif ni le droit naturel, considérés en eux-mêmes, ne suffisent à soutenir l'idée de justice, quand bien même l'on admettrait avec Adorno que "l'idée de droit naturel contient en elle, de façon critique, la non-vérité du droit positif". Il faut y ajouter la nécessité des luttes, sociales et politiques, qui s'opposent à toute violence de fait du droit positif, et qui légitiment seulement après-coup la référence à un droit naturel. C'est plutôt la lutte comme telle qui est juste, mais seulement quand elle s'affranchit de la violence populaire faisant cercle avec la violence des maîtres (donc quand elle s'affranchit aussi bien du discours du peuple que du discours du maître), et seulement quand elle accouche de droits nouveaux pour tous, autrement dit quand elle réalise un progrès effectif dans l'histoire.


"Nous voulons souligner (...) la portée de la lutte. Elle est menée pour le peuple, à travers le peuple (et sa violence qui menace), non pas par le discours du peuple qui ne s’oppose pas directement aux maîtres ordinaires, mais par le discours philosophico-clérical qui s’oppose directement à eux et qui donne au peuple des maîtres d’un type nouveau (intellectuels, syndicalistes). Telle est la seule lutte effective qui puisse correspondre à ce que dit Marx quand il proclame que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes », et quand il décrit très attentivement les « luttes des classes en France ». D’où il résulte que le droit se caractérise par ses progrès dans l’histoire."
JURANVILLE, 2010, ICFH

PHILOSOPHIE, Justice, Discours, Critique, LEVINAS

Levinas conçoit la philosophie comme une quête de justice, en opposition à la pensée de Heidegger, qu’il associe à un enracinement ontologique païen et sacrificiel. Contre toute sacralisation de l’Être, la philosophie doit se tourner vers l’Autre et viser une justice fondée sur la reconnaissance éthique : reconnaître en Autrui un maître. Le savoir véritable ne se réduit ni au savoir scientifique ni à une vérité identitaire, anticipable : il suppose l’ouverture à l’Infini, une origine en-deçà de toute origine, révélant un sujet créé et investi par l’Autre. Le discours philosophique doit donc rester profondément diachronique, fondé sur un rapport au Dire toujours instable, toujours à redire, qui ne se referme jamais sur le dit. Ce Dire n’est pas contenu dans un système : il est une parole qui doit se dédire, car vouloir la rassembler reviendrait à la trahir, à ramener l’Autre à l’Être. Le Moi, chez Levinas, est toujours déjà substitué par l’Autre, dans une relation d’obsession, de persécution, qui le prive de toute possibilité de repli identitaire. Il est voué à une an-archie, à une absence de fondement qui empêche toute clôture du savoir ou de la conscience.
Cependant, cette altérité radicale ne se limite pas à la relation au prochain. Levinas introduit la notion de tiers, figure essentielle pour penser la société, la justice et la politique. Le tiers, c’est l’autre du prochain, mais aussi un autre prochain, par lequel surgit la nécessité de l’égalité, de la comparaison, et d’un ordre commun. Cette dimension n’est pas empirique : elle est d’emblée inscrite dans la relation à Autrui, et appelle une justice qui dépasse la simple proximité éthique. Elle introduit la pensée, l’histoire, l’écriture, et suppose un juge souverain entre les incomparables. Ainsi, la philosophie devient la mesure – non de la charité, mais de l’amour transformé en sagesse politique. Toutefois, Levinas contesterait toute tentative de clore cette justice dans un système. Un savoir universellement reconnu et anticipable par tous serait incompatible avec l’ouverture imprévisible à l’Autre. La justice, même politique, reste chez lui une exigence éthique, une orientation, non une institution achevée. Elle ne rompt pas avec le monde sacrificiel par une fondation nouvelle, mais persiste comme question : celle de savoir si la nécessité rationnelle peut être principe, ou si elle suppose un en-deçà, un au-delà de tout principe, fondé sur la transcendance de l’Autre.



"La critique devrait, chez Levinas, conduire à un savoir absolument rationnel fondé sur un principe. Car elle est, par lui, identifiée à la philosophie et dite l’essence du savoir. Elle viserait le savoir vrai, donnant place, en lui, à l’Autre comme tel; un savoir allant au-delà du savoir ordinaire qui reste, lui, dans les limites de l’identité anticipative et fausse, que ce soit celui du monde traditionnel païen ou celui de la science... La critique semble bien conduire à assumer, dans le cadre du discours comme Dire et comme Dit, ce moment de critique radicale exercée contre le discours lui-même. À l’assumer comme une conséquence nécessaire de l’existence essentielle et de sa finitude radicale en l’homme. À l’assumer comme vérité supposée en l’autre homme et en sa parole surgissant imprévisiblement. De là ce qu’on peut appeler le discours philosophique au sens propre, comme tiers discours. On serait passé par le discours ontologique avec sa réduction du Dire au Dit; puis par le discours sceptique s’en tenant au Dire contre le Dit; et enfin on en viendrait à un Dire dont le Dit assumerait ce passage – et qui exprimerait le savoir de l’existence... Mais la critique ne peut aucunement, aux yeux de Levinas, en venir à proposer un savoir qui se poserait comme tel, à partir d’un principe."
JURANVILLE, 2024, PL

DISCOURS DU CLERC, Idéologie, Bureaucratie, Justice

Le discours du clerc ordinaire ne s'en tient pas malheureusement à promouvoir l'autonomie par le savoir sous la condition d'une relation authentique à l'Autre absolu, qui tiendrait compte de la finitude. Son référentiel est la totalité déjà là d'un monde où rien de vraiment nouveau ni d'imprévu ne peut survenir. Il met donc son savoir au service des intérêts du Maître, en inventant la bureaucratie, machine à broyer les individus et à effacer tout ce qui pourrait faire "problème". Dévoyé au service de la valeur et non plus dévoué à l'essence, il se transforme en idéologie au lieu de s'assumer comme philosophie. Ce qui impliquerait de vouloir explicitement la justice et donc de laisser une place relative à chacun des discours sociaux, mais il confond la "rédemption" de l'humanité avec le "salut" d'une communauté (préférentielle), au mépris donc de la justice et des individus.

"Cet ordinaire discours clérical, que ce soit sous les figures qu’il prend dans le monde historique et que nous avons présentées avec Weber et Lacan, ou que ce soit sous la figure la plus générale, ne se borne pas à être faux objectivement et théoriquement ; il l’est, comme la dernière référence à Lacan l’a laissé pressentir, subjectivement et pratiquement ; et il l’est en tant qu’idéologie. De l’idéologie, gardons quant à nous, sans entrer en discussion avec Marx, ceci d’abord qu’il s’agit d’un discours qui, comme tel, se fonde sur un principe, mais voulu comme valeur, et non pas comme essence (ainsi que le voudrait la philosophie), et d’un discours qui, à partir de ce principe, justifie tout, et notamment ce qui pourrait faire problème. Et ceci d’autre part que ceux qui mettraient en question ce principe, cette valeur suprême, et la justification qu’à partir de lui on propose, seraient, par le discours idéologique, voués à l’exclusion sacrificielle, rejetés dans les « ténèbres extérieures ». Qu’on pense à l’idéologie du nazisme, avec comme valeur supérieure, le peuple et la race ; à celle du fascisme, avec l’État ; à celle du stalinisme, avec le parti ; à celle du maoïsme, avec les masses. À la place de la rédemption qui eût été le principe subjectif d’un vrai discours du clerc, ce qui apparaît alors comme principe subjectif de l’ordinaire discours du clerc, c’est le salut. De même qu’on avait vu, pour le discours du peuple, venir à la place de la création l’évolution et, pour le discours du maître, venir à la place de la révélation le progrès. Le salut est ainsi le troisième maître mot des conceptions ordinaires et fausses de l’histoire."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT