La Chose se caractérise comme l'unité réelle de la réalité, mais dans son désir d'approcher ce "prochain" au plus près, le sujet fausse à la fois son désir et la Chose elle-même; en la fantasmant comme une unité mythique (c'est le corps de la mère) dont il pourrait jouir : il se confondrait alors avec elle et abdiquerait face à l'épreuve de la finitude et du non-sens. La Chose doit au contraire rester Autre, séparée, pour être désirée comme le prochain. C'est ainsi que Levinas thématise la "proximité" du prochain, une proximité fondamentalement "encombrante", dont le sujet ne sait quoi faire - à part l'aimer, à part se constituer lui-même comme sujet dans l'amour. Mais s'il évoque bien une "sagesse de l'amour", Levinas n'envisage pas, au nom de l'altérité, la possibilité d'établir un savoir effectif de cette proximité.
CHOSE, Prochain, Proximité, Jouissance, LEVINAS
AUTRE, Prochain, Responsabilité, Absolu, LEVINAS
La relation à l'Autre comme Prochain, ou proximité, est présentée par Levinas comme identification signifiante et plus précisément métaphorique : il s'agit de se substituer à l'Autre dans la responsabilité de ses fautes et de son malheur. Dans cette relation Autrui est l'absolument Autre, sur le modèle de la relation entre la mère et l'enfant (comme don et demande d'amour, respectivement, illimités), où chacun est bien l'Absolu pour l'autre. Mais cette responsabilité devant l'Autre en général, au-delà de la mère, l'homme la refuse ordinairement préférant adorer quelque Absolu faux (fabriqué à dessein par la société) ; se détournant du visage signifiant du Prochain, il se détourne en même temps de la loi de Dieu. Ce rejet de l'altérité essentielle, et surtout le refus des responsabilités qu'elle implique, représente le péché de l'homme selon Levinas. L'homme recule devant la séparation, qu'il a pourtant reçue de l'Autre, et il préfère déconsidérer son Prochain plutôt que d'y reconnaître l'Autre absolu vrai et surtout d'être confronté à sa loi.
ALTERITE, Absolu, Autre, Sujet
L'altérité ne concerne pas seulement l'Autre en général, comme on pourrait le penser hâtivement, mais aussi le sujet. Car l'altérité de l'Autre réside bien dans sa capacité à être, effectivement, l'Autre du sujet, et à l'accueillir comme son Autre. De même, la relation du sujet à l'Autre ne serait que formelle s'il ne recevait pas de lui une identité nouvelle et donc sa propre altérité. Mais le sujet n'aurait d'abord aucune raison, aucune possibilité (étant donné sa finitude qui l'en détourne a priori) d'accepter cette grâce venant de l'Autre si cet Autre n'était pas, d'abord, l'Autre absolu ou divin. Un autre fini ne serait jamais suffisamment Autre. Ce qui ne doit pas empêcher le sujet de reconnaître un tel Autre absolu dans le visage du Prochain, soit finalement tout homme avec sa finitude, et de se tourner vers lui comme son Autre de même que l'Autre s'était d'abord tourné vers lui.