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CRITIQUE, Vérité, Pouvoir, Individu, FOUCAULT

Foucault, initialement proche de l’École de Francfort et de sa critique de l’idéologie dominante, a formulé trois objections : cette critique repose sur une théorie mal fondée de la représentation, suppose une opposition binaire entre vrai et faux, et ignore les mécanismes d’assujettissement, notamment dans les régimes totalitaires où le discours scientifique peut devenir oppressif. Il passe alors de la critique de l’idéologie à la notion de savoir-pouvoir, où le savoir exerce un pouvoir via des pratiques constitutives et des techniques de domination. Ensuite, Foucault introduit les « régimes de véridiction », actes par lesquels une nouvelle vérité émerge, instaurant un nouveau savoir et un nouveau pouvoir, soit un nouveau gouvernement des hommes. Plutôt que de critiquer la rationalité européenne, il propose une critique visant à analyser les conditions et effets de ces régimes véridictionnels, pour promouvoir le « désassujettissement » et une forme d'autonomie individuelle face aux pouvoirs oppressifs. Cette critique, enracinée dans la spiritualité chrétienne et la pastorale, s’inspire de Kant (« Qu’est-ce que les Lumières ? ») et du thème de la sortie de l’homme de sa minorité. Elle se manifeste comme un art de « ne pas être tellement gouverné », une attitude de questionnement des pouvoirs abusifs, visant un salut collectif par la parole vraie (parrhèsia) et la reconnaissance de l’individu véritable.


"« La philosophie comme ascèse, la philosophie comme critique, la philosophie comme extériorité rétive à la politique, c’est le mode d’être de la philosophie moderne. C’était, en tout cas, le mode d’être de la philosophie ancienne » (Foucault). La philosophie est bien une visée – et une affirmation – du savoir vrai, absolument rationnel, portant avant tout sur l’homme en tant qu’il peut devenir individu véritable, par les autres et avec les autres, par la parole pleine et vraie de l’un (parrhèsia) tournée vers la parole pleine et vraie de l’autre – et il n’y a pas de souci de soi sans cette fonction critique."
JURANVILLE, HUCM, 2017

CONNAISSANCE, Individu, Autre, Messie

L'individu est le principe subjectif de toute connaissance vraie. Car se vouloir individu, c'est affirmer son identité dans son unicité, et donc en faisant l'épreuve de la finitude, s'arracher aux lois ordinaires de ce monde. L’identité est l’acte de la connaissance, tandis que la chose est ce qui est à connaître, à travers l'oeuvre, et ce dans quoi s’accomplit la connaissance. L'oeuvre est connaissance dès lors qu'elle s'ouvre aux autres oeuvres, qui la précèdent, d'abord celle de l'Autre absolu, la création, ensuite toutes celles, humaines, avec lesquelles elle accepte d'entrer en dialogue. La reconnaissance pour son oeuvre, l'individu ne l'obtient pas immédiatement, c'est pourquoi dans ce chemin vers l'autonomie il est porté par la grâce qui lui permet d'anticiper cette reconnaissance - pour peu, une nouvelle fois, qu'il s'ouvre aux autres, qu'il accepte la grâce qu'ils peuvent lui communiquer. Mais l'existant préfère s'attacher, tout d'abord, à des formes de connaissance moins exigeantes. Il peut notamment choisir la connaissance empirique (scientifique et positive) en s'identifiant au sujet transcendantal en vigueur, avec ses maîtres et ses modèles socialement établis, dans le but de "produire" (non de créer) et surtout de "capitaliser" des connaissances utiles. Cette connaissance exclut toute relation à l'Autre comme tel, toute épreuve de la finitude radicale, et ne permet pas de créer l'oeuvre-chose dans son unité ; le travail de l'individu est toujours sacrifié à des fins collectives, monnayables, capitalisables. A contraire s'il accepte l'existence, et avec elle le principe d'une connaissance vraie, absolue, le sujet doit d'abord supposer cette connaissance à l'Autre absolu, et que cet Autre donne toutes les conditions à tout Autre pour y accéder à son tour. Mais, à cause de la finitude, il faut supposer également l'intervention en personne de cet Autre, par la médiation de son Fils incarné (c'est toujours d'un fils dont est attendue l'accès à la connaissance et au-delà la rédemption, ce fils initialement rejeté du microcosme sexuel parental - la fameuse "scène primitive") ; c'est pourquoi le Fils de l'Homme ne saurait être, d'abord et en même temps, que le Fils de Dieu. La connaissance vraie revêt donc, inévitablement, une portée messianique, puisqu'elle doit préparer, par l'instauration d'un monde juste, le retour du Messie.


"La connaissance est enfin, dans son principe subjectif, individu. Car l’existant peut bien en venir à affirmer ou à supposer une chose vraie et existante comme ce qui est à connaître, et cela en l’Autre absolu et en tout existant, une chose qui assumerait la finitude radicale, et une chose qu’il devrait devenir lui-même en tant que connaissant. Mais il se laisse d’abord prendre, c’est ce qu’on vient de voir, par le monde ordinaire et son fond sacrificiel. Ce qu’il lui faut, pour poser objectivement cette chose et, par là, donner toute sa vérité à la connaissance, c’est s’arracher à ce monde, c’est-à-dire s’arracher aux maîtres et modèles qu’il y trouve, auxquels il veut s’identifier, et qui le détournent de l’épreuve pure de la finitude. Ce qu’il lui faut, c’est ne vouloir d’identité que dans son unicité, et à partir de l’épreuve qui y est faite de cette finitude. C’est donc se vouloir individu. Individu qui est celui qui veut connaître et qui connaît, quand l’identité est l’acte et le fait de la connaissance, et que la chose est, elle, ce qui est à connaître, et ce dans quoi s’accomplit la connaissance."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT 

COMMUNISME, Totalitarisme, Capitalisme, Individu

La révolution anticapitaliste rêve d'une société où l'autonomie de ses membres serait également pleine et entière - négation d'une finitude pourtant bien réelle, qui limite pareille autonomie, et exacerbation d'une vision totalitaire de la société, puisque nul n'est censé échapper au mouvement de l'histoire. Mais si les fins sont purement formelles et illusoires, les moyens (techniques et informationnels, notamment) utilisés pour promouvoir cette vision sont redoutablement efficaces puisqu'ils sont empruntés au capitalisme lui-même, qui les a inventés. Les victimes potentielles de ce système sont les individus comme tels réduits à l'état de déchets, fondus dans la "masse", étant donné que les classes elles-mêmes sont disqualifiées, sinon dissoutes totalement, au profit de cette entité abstraite et inhumaine. Bien que sa politique extérieure soit expansionniste, totalité oblige, le véritable bras armé de ce régime est la police intérieure traquant tous ceux qui pourraient mettre en danger, ou tout simplement remettre en cause, par leur créativité (perçue comme marque d'égoïsme et preuve de trahison) la perfection supposée du système.


"Or cette totalité d’un monde voulu parfait est menacée décisivement par l’ individu. Individu toujours plus présent avec les progrès du droit, et avec le développement du capitalisme, inséparable de ces progrès. Car ce que permet le capitalisme, c’est certes, directement, l’individu bourgeois (voire prolétarien) dont la liberté n’est que formelle. Mais ce que permet le capitalisme, c’est aussi, indirectement, l’individu créateur dont la liberté est, elle, réelle. La révolution anticapitaliste débouche donc sur la répétition, mais en aggravé, du système sacrificiel. Répétition Puisque ladite révolution, même si elle fut voulue au nom de l’individu, s’élève, comme prétendu bien et, en fait, mal absolu, contre l’individu. Mais répétition en aggravé . Puisqu'un tel individu a été, dans l’histoire, par le droit, idéalement voulu et déjà réellement fixé comme le bien par excellence. Puisqu’il y a dans le monde social des existants qui veulent s’engager, comme individus, dans la « voie [difficile] du créateur »."
JURANVILLE, 2010, ICFH

COMMUNAUTE, Individu, Hétéronomie, Totalité, MARX, KIERKEGAARD

Totalité et hétérogénéité définissent la communauté et les deux sont exigibles afin d'y établir la justice. Mais les partisans radicaux de l'hétérogénéité, au nom de l'existence, comme ceux de la totalité, au nom de la justice sociale, refusent cet effort dialectique de conciliation. Pour Kierkegaard, "il n’y a jamais de lutte que celle des individus ; car le propre de l’esprit, c’est justement que chacun soit un individu devant Dieu", et l'idée même de communauté apparaît comme la négation même de l'existence et de l'hétéronomie vraie, avant tout religieuse et personnelle. Marx, inversement, dénonce la fausse hétéronomie de l'individualisme bourgeois, et en appelle la "communauté réelle" des "individus complets" (non aliénés).


"Ce qu’il faut donc, si l’on veut aller jusqu’au bout de l’affirmation de l’existence, c’est poser à la fois, d’une part, avec Kierkegaard, l’hétéronomie vraie, toujours religieuse et, d’autre part, avec Marx, la totalité juste, certes sociale et politique, qu’implique cette hétéronomie."
JURANVILLE, 2000, EXISTENCE

COMMUNAUTE, Aliénation, Capitalisme, Communisme, MARX

L'aliénation ne peut être surmontée que dans le cadre d'une communauté nouvelle soumise à une hétéronomie elle-même radicalement Autre (puisque la communauté est hétéronomie et en même temps totalité), rompant avec la communauté traditionnelle soumise à la loi de l'Idole. Mais contrairement à ce qu'affirme Marx une telle révolution ne saurait être le produit des contradictions immanentes au capitalisme, comme si l'oppression suscitant naturellement son envers, la résistance, le capitalisme ne pouvait que s'effondrer et avec lui toute trace d'aliénation. Ainsi serait atteinte la « communauté des individus complets », quand serait « rétablie non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur la possession commune de tous les moyens de production » écrit Marx dans L’Idéologie allemande. Mais cette communauté sans classe et sans aliénation n'est pas vraiment nouvelle puisqu'elle exclut, au même titre que la communauté traditionnelle, toute autonomie individuelle : en effet l'individu désaliéné de Marx n'est qu'une abstraction, hors finitude, sans "existence" réelle face à la "communauté de travail" à laquelle il est sommer de s'identifier (au-delà même d'une quelconque appartenance nationale ou ethnique). C'est ainsi que le communisme répète, mais en pire (dans sa volonté de faire monde et de "purifier" l'homme de toute aliénation), le système sacrificiel du paganisme, là où le capitalisme ne fait que le prolonger, tout en limitant ses aspects totalitaires et sacrificiels, puisqu'il reconnait au moins juridiquement l'individu dans son existence autonome.


"Mais cette visée d’une communauté nouvelle conduit inévitablement, parce qu’elle est anticapitaliste, à une répétition du système sacrificiel, avec sa communauté écrasante. Car la révolution anticapitaliste vise à faire disparaître, de la communauté juste qu’elle veut établir, toute trace d’aliénation . C’est ce qu’elle vise, puisque le capitalisme est la forme qu’a prise, dans l’histoire, l’aliénation. Et ce qui caractérise le projet de Marx comme gnostique. Marx veut alors une émancipation « totale », accomplie par l’« homme générique », une « émancipation humaine ». Mais gnosticisme présent aussi dans L’Idéologie allemande (1845-1846) où l’individu, ignorant toute finitude radicale, devient, par la révolution communiste, abstraitement autonome."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CHOSE, Individu, Abandon, Parole

Le sujet doit se poser comme l'Autre de la Chose, pour devenir enfin Chose lui-même. Comment ? En se faisant Individu, contre le monde social qui tend à s'identifier abusivement à la Chose, hors toute finitude, et qui sacrifie quiconque se proclame individu (le Christ suprêmement). Il s'agit pour le sujet de recueillir l'être de Chose que la Chose lui cède par sa parole créatrice, comme à son tour il abandonnera l'être aux Choses en les nommant.


"L’individu est ainsi celui dans lequel s’accomplit l’abandon. Celui auquel la chose parlante et créatrice s’abandonne, jusqu’à ce qu’il s’abandonne à son tour, par sa propre parole créatrice. Celui, on peut le dire aussi, auquel les choses ont été abandonnées par la parole originelle, et qui a dès lors, dans sa propre parole abandonnante et créatrice, « nominative », à les nommer et les re-nommer, les créer et les re-créer – comme dans la Genèse, où il est dit des bêtes sauvages et des oiseaux du ciel que Dieu « les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devrait porter le nom que l’homme lui aurait donné ». "
JURANVILLE, 2000, JEU

CAPITALISME, Révélation, Révolution, Individu

La révélation appelle nécessairement le capitalisme, non comme bien mais comme le moindre mal social, et comme le terme suprême de la révolution : soit un système social régi par le droit, ouvert à l'avènement de l'individu. Cet événement est proclamé par la philosophie dès lors qu'elle reconnait la vérité de toutes les grandes religions, elles-mêmes reconnaissant l'autonomie de l'individu.


"L’existant est appelé, par la révélation qui lui en donne toutes les conditions, à revouloir pour le bien le capitalisme comme forme minimale du mal social. Pour le bien qui est la possibilité qu’advienne l’individu, en réponse à la révélation. La révélation veut le capitalisme pour autant qu’il est le paganisme quand celui-ci est empêché, par le droit, de broyer la possibilité qu’advienne l’individu."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Individu, Droit, Contrat de travail

Le capitalisme permet à chacun de s'engager sur la voie de l'individualité, sans risquer la violence physique ou la mort, en tout cas il lui en donne toutes les garanties juridiques ; mais paradoxalement c'est au prix d'y aliéner sa force de travail, son temps et sa créativité - de par la nature même du contrat de travail - et finalement de renoncer (au moins provisoirement) à son individualité.


"Le monde où l’existant peut, comme individu, s’affronter à l’aliénation inéliminable et l’assumer, est justement le monde dans lequel le capitalisme est apparu. Sans doute le capitalisme est-il le prolongement du paganisme. L’existant y est déchet de l’idole (Autre absolu faux) – maintenant, celui de la monnaie ou argent. Il y subit (ou exerce) une violence sacrificielle – maintenant, celle du contrat de travail. Bref, il y fuit toujours son individualité, sa puissance créatrice. Et cependant le capitalisme (en cela il s’oppose au paganisme traditionnel ou paganisme brut) ne se développe que pour autant que se développe autour de lui le droit."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Démocratie, Finitude, Individu

La finitude radicale de l'humain est, par définition, destinée à demeurer. Cela signifie entre autres que le devenir-individu ne saurait être égalitaire, quand bien même à travers l'histoire et le progrès des institutions, le droit reconnait à chacun une égale liberté. Mais, dans la réalité, la liberté ne saurait être égale, car elle tend à se fuir elle-même. C'est ce compromis que représente le capitalisme, entre d'une part une inégalité et une injustice persistantes, à cause de ladite finitude (pulsion de mort, sexualité, domination...), et un cadre légal et démocratique garantissant la possibilité pour chacun de devenir individu autonome. Le capitalisme mondialisé - régulé par les traités - empêche les Etats d'incarner "eux-mêmes" l'individu, de se substituer aux citoyens en les "forçant" par exemple à être égaux, ou de revendiquer une autonomie qui ne pourrait être qu'illusoire ; en somme il force les Etats, les cultures et les religions à la coopération et au dialogue.


"Dans l’histoire, s’établit finalement la démocratie, la démocratie véritable ou démocratie représentative, celle qui tient compte de la finitude humaine et du fait que les hommes ne deviendront jamais également des individus. L’histoire débouche sur un univers qui devient monde, celui de la mondialisation. Mondialisation par laquelle, quels que soient les conflits qui demeurent, le déploiement universel du capitalisme offre leur chance à tous les peuples. Et dans laquelle toutes les cultures essentielles de l’humanité – celles qui sont œuvres définitives, celles qui laissent place, explicitement ou implicitement, à l’individu – peuvent, sur fond de capitalisme, entrer en dialogue. De même que toutes les grandes religions, supposées par ces cultures."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Finitude, Droit, Individu

Concernant la finitude radicale et les maux qu'elle engendre, la faute ultime consiste à la nier plutôt que de l'assumer sous sa forme minimale - car la finitude étant inéliminable, ses conséquences néfastes n'en seront alors qu'aggravées. Ainsi du capitalisme, qui n'est pas un bien mais effectivement un mal (une forme de système sacrificiel avec ses idoles), sauf qu'en même temps, il reste la seule institution reconnaissant par principe la place de l'individu comme tel et offrant les conditions de son autonomie effective (libertés de propriété, de travail, d'entreprise, etc. encadrées par le droit).


"Le capitalisme étant l'organisation économique par laquelle il faut passer comme hétéronomie pour accéder à la véritable autonomie... C'est l'institution décisive, ultime, pour la justice que veut la philosophie : assumer, pour et dans la justice, l'injustice inéliminable des hommes, leur soumission complaisante, toujours, à l'idole ; l'assumer sous sa forme minimale - sous une forme telle que, si on veut la combattre, l'injustice reviendra, et alors sous une forme extrême."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Maître, Plus-value, Individu, LACAN

Le discours du maître est contemporain de la Révélation juive, qui rompt avec le discours du peuple (hystérique) dominant dans la société païenne traditionnelle. Quant au capitalisme, il est une variante apparue assez récemment du discours du maître, quand ce dernier fait produire à l'esclave sous contrat la fameuse plus-value, le "plus-de-jouir" selon Lacan. Or ce dernier fait valoir, contrairement aux affirmations de Marx, que la plus-value n'est nullement extorquée au travailleur puisqu'elle est réalisée grâce aux conditions de productivité offertes par le maître (investissement, moyens techniques, etc.) et pas seulement par la force de travail. De plus elle ne représente rien d'émancipateur ou de créatif pour le travailleur, précisément car elle n'est pas de son fait, et se trouve bien plutôt réduite à un pur objet de jouissance, l'objet de consommation fétichisé. Lorsque Lacan évoque la "sortie" hors du discours capitaliste, il précise bien que cela ne sera "pas pour tout le monde", soulignant que cela reste un privilège de la démarche analytique et donc du sujet individuel, nullement du sujet social. Pour ce dernier la libération de l'individu ne saurait passer par l'abolition du capitalisme, qui ramènerait à une forme de paganisme aggravé, ignorant toute finitude radicale et n'ayant de cesse de "conjurer" le mal par la voie du sacrifice (réduction au silence de toute parole dissidente, par exemple, dans les régimes communistes) ; elle ne passera pas davantage par une exaltation sans réserve du même capitalisme, comme une fuite en avant (véritablement désespérée) vers un monde idéal ayant aboli le mal et la souffrance, un monde sans finitude. Il n'y a pas d'autre voie que celle d'un capitalisme raisonné laissant la possibilité à chacun de se réaliser comme individu, la société ayant cessé d'être idéalisée comme fin pour apparaître (enfin) comme simple moyen.


"Plus-value qu'a théorisée Marx et dont il dénonce la spoliation, l'extorsion, sans voir, selon Lacan, qu'elle est due au capital et au maître (qui, à la différence du serviteur, a commencé à renoncer à la jouissance) et qu'elle n'a rien de créateur et d'existentiellement positif. Et Lacan conclut en dirigeant vers le discours psychanalytique (dont le discours du maître serait «l'envers») où l'analyste s'offre comme objet a lieu de finitude radicale, à charge pour l'analysant, par l'interprétation (dans laquelle l'analyste le précède et le guide), de donner sens à ses fragments de paroles qui ne sont d'abord que non-sens. Ainsi l'analysant pourrait-il sortir (en quelque manière) du discours capitaliste et devenir individu comme l'analyste. Possibilité ouverte à l'existant par l'histoire. Accomplissement personnel certes, mais non pas progrès au sens du progressisme parce que "c'est seulement pour certains", pour ceux qui « paient le prix», «font le travail [créateur]»."
JURANVILLE, 2021, UJC

CULPABILITE, Hétéronomie, Pluralité, Individu

La culpabilité est définie comme hétéronomie et pluralité. En effet c'est bien la loi de l'Autre que l'on subit, négativement, dans la culpabilité, mais c'est bien face aux autres en général qu'elle se manifeste, soit parce que l'appel de l'Autre à devenir individu, au regard des "autres", est perçue comme illégitime par le sujet, soit parce que la violence sacrificielle exercée par les "autres" contre tel individu particulier est perçue au contraire comme légitime, ce qui annule la culpabilité.


"Dans la culpabilité essentielle, la même loi vraie de l’Autre absolu est reconnue par les divers sujets finis les uns devant les autres. L’hétéronomie, d’abord faussée, accède alors elle-même à sa vérité. Et de même la pluralité."
JURANVILLE, 2000, ALTER

ALIENATION, Contrat de travail, Individu, Autre, MARX

Au sujet du contrat de travail, pilier du système capitaliste, il faut reconnaître qu'il est incontestablement aliénant, puisque le travailleur y épuise ses forces et se détourne par là-même de cette "mise en œuvre de soi-même", comme le dit Marx, en quoi devrait consister un véritable travail créateur. Il s'agirait de travailler d'abord "sur soi" (et pas seulement "pour soi") afin de mettre à l'épreuve la fausse identité qu'on s'est toujours donnée, et que l'Autre, par sa grâce, nous invite à renouveler en épousant une nouvelle identité à partir de ce qu'il donne. Le rejet de l'Autre cesse avec l'acceptation du don. L'Autre se donne comme matière, matière comme maternité et « maternité dans son intégral “pour-l’autre”» dit Levinas. Depuis de cette matière, en son sein, le travail de la forme devenant sculpture de soi peut commencer. Dans le travail aliéné au contraire la forme s'impose de l'extérieur (ordres du patron, contraintes machiniques, etc.). Le travail n'est pas assimilé ou digéré, en soi et par soi, il n'est pas non plus assumé jusqu'au bout comme épreuve douloureuse, mais repassé immédiatement à l'autre travailleur, lequel est pris dans le même circuit et le même refus. N'oublions pas que, par définition, contracter reste un acte libre et c'est bien en ce choix que réside d'abord l'aliénation beaucoup plus que dans les conditions de travail plus ou moins éprouvantes mais aussi plus ou moins négociables.


"L’existant rejette toute identité nouvelle qui assumerait la finitude radicale, toute individualité vraie ; et il préfère penser qu’il est toujours déjà suffisamment individu et que, simplement, on l’a privé des conditions de son travail (c’est ce que Marx, illusoirement, dit des prolétaires : « Le travail a perdu chez eux toute apparence d’une mise en œuvre de soi-même, et ne maintient leur vie qu’en l’appauvrissant » ). Dans le contrat de travail, le travail est aliéné, mais d’une aliénation que veut l’existant, et ce contrat ne fait donc bien, rejetant l’individualité vraie, que prolonger la violence sacrificielle."
JURANVILLE, ICFH, 2010 

DISCOURS, Vérité, Autre, Individu

Là où le problème donne lieu au savoir, le paradoxe donne lieu au discours qui a pour mission de le soutenir : pour cela il doit se faire raison et vérité, vérité donnée à la raison. Sa totale cohérence ne suffit pas (illusion métaphysique) s'il faut que l'Autre endosse et reconstitue à son tour le discours, le vérifie. La vérité ne peut surgit que de l'Autre et le modèle du discours de vérité est bien sûr celui de l'Autre absolu comme Fils, comme Verbe. En ce sens le discours est le pendant, du côté du paradoxe, de l'amour du côté du sacrifice. Ce discours vrai tenu par l'Autre absolu, par le Fils incarné dans le Christ, correspond dans le système des discours au discours de l'individu ; c'est logiquement le discours premier de l'existant, mais c'est aussi celui que le sujet individuel, par finitude, et a fortiori le sujet social, par intolérance, rejette systématiquement. Dans l'histoire il fut introduit par Socrate, comme par exception, puis universalisé par le Christ pour toucher cette fois le sujet social et remettre en question l'ensemble du monde sacrificiel. Il se présente comme le discours paradoxal par excellence. Redécouverte dans le discours analytique, la parole de vérité toujours menacée d'exclusion (qu'elle soit religieuse ou psychanalytique), nécessite toutefois d'être justifiée rationnellement - et fixée socialement - dans le cadre d'un discours philosophique (universitaire) qui ne rejetterait pas par avance la perspective d'un savoir vrai.

" Certes ce discours vrai de l’individu avait déjà surgi, dans l’histoire, avec Socrate. Mais il devait, pour toucher le sujet social lui-même, et introduire à une effective mise en question du monde sacrificiel, être tenu par l’Autre absolu lui-même. Et il est en l’occurrence le discours du Christ dans son enseignement. Discours constamment paradoxal. Éminemment dans le « Sermon sur la Montagne », et notamment dans les « Béatitudes » par lesquelles ce sermon commence : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. Heureux les affligés, car ils seront consolés. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux ceux qui sont persécutés… » Discours vrai qui dispense sa grâce, puisque la grâce est ce qui permet qu’il passe à son Autre Mais discours vrai qui dispense aussi son élection, puisqu’il faudra que l’existant à son tour tienne un tel discours et entre dans sa passion."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

DISCOURS, Vérité, Philosophie, Individu

Le système des quatre discours peut soutenir l'existence d'un monde juste, lorsque celui-ci parvient à la démocratie (comme c'est le cas, tendanciellement, dans l'époque actuelle) , c'est-à-dire quand la vérité de chacun des discours est reconnue par tous, à commencer par le discours philosophique dont c'est la vocation (dès lors qu'il accède à sa propre vérité, celle de son savoir) d'instaurer cette démocratie d'abord dans l'ordre du discours. Vérité du discours magistral, comme étant celui du pouvoir, quand celui-ci - conseillé par la philosophie - admet l'existence légitime d'autres pouvoirs (syndicaux, économiques, etc.). Vérité du discours populaire, comme étant celui de la superstition, quand la "vox populi" - guidée encore par la philosophie - retrouve la "vox dei" contenue dans les grandes religions de la tradition. Vérité enfin du discours de l'individu, qui apparaît lorsque le sujet individuel se décolle du sujet social, pour le pire (l'individualisme contemporain fuyant toute individualité véritable et autonome) comme pour le meilleurs quand il répond à l'appel de l'Autre, l'Autre absolu ou l'Autre humain comme cela se produit dans la cure psychanalytique. - S'il revient à la philosophie en tant que discours d'instaurer et en quelque sorte d'orchestrer cette démocratisation générale, ce n'est pas au nom d'un pouvoir impérial que lui vaudrait son savoir "supérieur", c'est surtout dû au fait que le champ général du discours correspond à ce qu'on pourrait appeler le "monde philosophique", ou encore le "monde de la question de l'être", question à laquelle répondent justement - chacun à leur manière - les grands discours. Le discours philosophique s'"impose" d'autant moins qu'il en vient à s'effacer, voire à destituer son propre pouvoir, au nom de la Révélation (d'où vient toute vérité) mais en suivant le modèle du discours psychanalytique.

"Le discours philosophique reconnaît enfin la vérité du discours de l'individu (ou psychanalytico-individuel). Il reconnaît, se faisant lui-même idéologie vraie, l'idéologie de ce discours comme un fait ici encore indépassable et comme pouvant devenir une idéologie vraie. Car le discours de l'individu est d'abord celui du sujet individuel qui fuit toute individualité véritable et qui se fait sujet social, ce discours portant alors tout le système sacrificiel du paganisme. Mais quand il se met à être tenu par un individu qui a répondu à l'appel du Dieu et qui ouvre à l'autre homme l'espace pour devenir lui aussi individu, quand il devient discours vrai de l'individu - ce qui se produit avec Socrate au commencement de l'histoire, avec la psychanalyse aujourd'hui -, il devient modèle pour la philosophie, d'un discours faisant reconnaître le savoir qu'il véhicule."
JURANVILLE, UJC, 2021

DISCOURS, Pouvoir, Démocratie, Individu

L'ensemble des discours, en tant qu'ils sont reconnus dans leur vérité propre, forme le système de la démocratie parlementaire, et l'on y retrouve des correspondances avec les trois pouvoirs étatiques. Ainsi le discours magistral est celui que tient le pouvoir exécutif, chargé de faire appliquer la loi, au besoin par la force. C'est le premier discours en tant qu'il ordonne et le pouvoir primordial en tant qu'il s'impose. Le discours philosophico-clérical, de son côté, est tenu par le pouvoir législatif, qui élabore et vote les lois, dans le dialogue. Enfin le discours populaire correspond au pouvoir judiciaire, lequel vérifie que la loi a bien été appliquée et corrige en ce sens les situations d'injustice. Quant au discours psychanalytico-individuel, il ne détient évidemment aucun pouvoir, mais il ouvre à chacun la possibilité de prétendre exercer l'un des trois pouvoirs existant et de s'exprimer, en responsabilité, au nom de la volonté générale.

"Le discours psychanalytico-individuel quant à lui, assurément hors pouvoir, ouvre à chacun la possibilité d'entrer dans son oeuvre propre, de devenir individu véritable, porteur de la volonté générale, à même d'exercer la responsabilité des divers pouvoirs, d'être représentant du peuple. Car le peuple – dont les membres (tous les citoyens) sont toujours d'abord menacés d'en rester, loin de la volonté générale pour laquelle il faut payer le prix, à ce que Rousseau appelle la volonté de tous, spontanément sacrificielle et par laquelle « on adore ou on maudit » – a en propre le pouvoir de voter (voter = juger) pour des représentants qui n'ont certes aucun mandat impératif à avoir puisqu'ils sont censés porter la volonté générale."
JURANVILLE, UJC, 2021

DISCOURS PSYCHANALYTIQUE, Individu, Sens, Grâce, LACAN

Seul le discours psychanalytique rompt avec l'effet de fascination qu'exerce structurellement l'agent sur celui auquel il s'adresse. En effet d'une part l'analyste pose explicitement sa propre finitude en se faisant objet-déchet, renonçant à incarner la vérité, le sens ou la raison, d'autre part il pose implicitement l'autre comme étant dépositaire d'une vérité, en lui donnant l'occasion de la déployer progressivement dans la parole. Or ce double mouvement, comme le mentionne Lacan, caractérise la grâce. A l'effet de fascination, se substitue du côté de l'analysant l'effet de sens (conquis dans la traversée du non-sens) comme finalité du discours. Car au bout du compte, c'est bien un savoir que reconstitue l'analysant, un savoir qui donne sens à ses symptômes. Enfin, dans une perspective historique, c'est bien un individu autonome au sein d'une société juste que ce discours psychanalytique, articulé rationnellement, et cette fois adossé à la philosophie, tend à promouvoir. (Même si l'on peut penser que ce "discours de l'individu" a toujours été présent, de façon latente, depuis que la société existe, comme la supportant secrètement, puisqu'il est en soi raison et raison reconnue par l'Autre - le discours psychanalytique n'en serait que la version la plus récente.)

"Comment le discours peut-il réellement mettre en question le rapport de fascination que l’existant établit avec un maître quel qu’il soit ? Et comment peut-il se conformer à son essence de discours qui est de s’ouvrir à l’Autre et de chercher son libre accord avec le savoir rationnel qu’il véhicule ? Il faut que celui qui est en position de fasciner pose sa propre finitude – de façon absolument libre, sans en jouir libidinalement comme le fait celui qui tient le discours hystérico-populaire parce qu’il reste fasciné par le maître auquel il adresse vainement son discours de protestation. Et il faut en même temps qu’il pose celui qui est en position d’être fasciné comme ayant déjà la vérité en lui et devant simplement la laisser venir dans sa parole – ce qui impliquera l’épreuve de la finitude, mais n’a pas à être mentionné d’emblée. Ce double mouvement d’effacement ou dé-position de soi, et d’affirmation de la vérité en l’autre devenant Autre vrai, caractérise la grâce."
JURANVILLE, 2024, PL

INDIVIDU, Christianisme, Finitude, Autre

Il revient au christianisme d'avoir reconnu et proclamé l'individu, dans son essentielle vérité, en lui révélant et en lui faisant accepter sa finitude (le péché) face à l'Autre absolu, et dans une relation aimante à l'Autre dans laquelle il découvre sa véritable identité.

"C'est au christianisme qu'est revenu en premier de reconnaître et même de proclamer l'individu, dans sa vérité propre, en posant que l'Autre absolu lui a révélé, à lui l'existant, sa finitude radicale (péché, pulsion de mort), et parce qu'il ne peut accéder à cette identité nouvelle et vraie d'individu, qu'à partir du moment où il assume cette finitude. Et parce qu'un Autre humain (le directeur de conscience, plus tard le psychanalyste) lui rappelle cette révélation - l'Autre humain, comme a fortiori l'Autre divin, ne sont alors en rien des moyens provisoires, mais le principe d'une relation essentielle. Pour l'existant il s'agit de renoncer à l'identité immédiate qu'on lui avait, et qu'il s'était, donnée : ce qui se fait à travers l'aveu (non pas extorqué par un Autre méchant, mais offert à un Autre aimant) de toutes les marques de finitude découvertes dans la relation à l'Autre."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Christ, Solitude, Dieu, KIERKEGAARD

Selon Kierkegaard, le Sacrifice du Christ comme événement primordial de l’histoire appelle chacun à s’arracher à la tentation de la foule sacrificielle, et ainsi à se tenir, comme individu, seul "en face de Dieu".

Comme l’a dit Kierkegaard, l'individu est la « catégorie chrétienne décisive » – catégorie avec laquelle « la cause du christianisme subsiste et tombe », qui « reste le point fixe capable de tenir contre toute confusion panthéiste » et qui, auparavant, « n’a été utilisée qu’une fois, la première fois, avec une dialectique décisive, par Socrate, pour dissoudre le paganisme ». Pourquoi « catégorie chrétienne décisive » ? Parce que le Sacrifice du Christ comme événement primordial de l’histoire appelle chacun à s’arracher à la tentation de la foule sacrificielle, à s’identifier, comme le Christ l’a fait éminemment, à celui que cette foule ferait victime du sacrifice et, comme le Christ, à se rapporter, dans l’épreuve libre de la finitude, à l’Autre absolu comme Père. L’individu est alors, comme le dit Kierkegaard, « seul, absolument seul au monde entier, en face de Dieu ».
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Christ, Sacrifice, Histoire, KIERKEGAARD

De même que l'oubli, sublimation finie, conduit à sombrer dans la névrose pathologique en cas de refus du savoir, de même l'abandon, sublimation totale, conduit à sombrer dans la psychose pathologique, exactement pour la même raison, au lieu de poser la bonne psychose, celle qui accueille l'inconscient.

"L’oubli, ce qu’on joue, ce à quoi on joue, nous était apparu comme en soi sublimation finie, dans le cadre de la névrose, de la bonne névrose. Mais nous avons vu ensuite – réalité de l’oubli – que, si cette sublimation finie ne débouche pas sur le savoir, on retombe alors, en fait, dans l’ordinaire névrose pathologique. L’abandon, ce qui joue, ce par quoi on joue le jeu, vient de nous apparaître, lui, comme en soi sublimation totale, où la finitude est absolument revoulue. Or – réalité de l’abandon – si cette sublimation totale ne débouche pas sur le savoir, on reste alors pris en fait dans l’ordinaire psychose pathologique. Et si la sublimation totale peut s’accomplir effectivement et atteindre au savoir, au savoir philosophique, c’est pour autant qu’elle aura laissé venir en elle, et posé comme telle, la bonne psychose, celle qu’implique l’inconscient."
JURANVILLE, 2000, JEU