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PESSIMISME, Ennui, Finitude, Création

Le pessimisme apparaît avec l'avènement de l'histoire, parce que l'individualité et la finitude, enfin dégagées de leur captation par le social, demeurent difficilement assumables. Il est un pessimisme réactionnaire ou "passimiste", qui ne veut rien savoir de cet avènement et se retranche dans la nostalgie d'un passé où "tout était mieux" ; il en est un autre, progressiste par principe, mais qui, incapable de dépasser le constat d'une société où néanmoins "tout va mal", se soumettant à l''idole abstraite de l'Ennui" (Juranville), revient à une sorte de renoncement nihiliste et individualiste. En réalité, de la finitude et du non-sens, surgissent bien une finitude essentielle et un sens véritable, dans le champ dès lors ouvert à tous de la création.


"Non seulement la finitude, fût-elle la finitude radicale de l'humain, ne contredit en rien toute valeur et tout sens. Mais elle doit être, par l'existant devenant individu véritable, assumée dans une finitude essentielle où, comme l'Autre divin, on ouvre l'espace pour l'œuvre à venir de l'autre existant accédant lui aussi à l'individualité. L'existant avait déjà, par son œuvre à lui, produit le sens; il en espère de plus confirmation par l'œuvre de l'autre existant, et cela à l'infini, contre tout pessimisme."
JURANVILLE, 2021, UJC

ENNUI, Finitude, Haine, Divertissement, PASCAL

S'ennuyer, c'est éprouver la haine de soi par impuissance à agir, par peur d'affronter son propre néant, sa finitude radicale, ce qui nous placerait alors devant un choix essentiel. Pascal a souligné comment, par le divertissement, nous tentons de fuir cette épreuve nécessaire du néant intérieur ; et Baudelaire (poème "Au lecteur" par ex.) a dit comment nous la détournons, cette épreuve, en fascination morbide pour ce moi ennuyeux et donc haïssable, et aussi en agressivité ("sacrificielle" dit Juranville) contre le monde entier.


"Pourquoi être ainsi en haine à soi-même, dans l'ennui? Parce qu'on n'arrive pas à agir. Et cela parce qu'il faudrait s'affronter à soi-même, à son néant (dit Pascal), à sa finitude radicale (disons- nous) et qu'on refuse cet affrontement et l'assomption à laquelle il aboutirait (et qui serait finitude essentielle). Pascal a souligné la place majeure de cet ennui foncier en l'homme et que celui-ci tente d'oublier par le divertissement. «Ôtez, dit-il, leur divertissement [à ces «jeunes gens» qui ne voient pas la «vanité du monde»], vous les verrez se sécher d'ennui. Ils sentent alors leur néant». Mais en quoi, demandera-t-on, l'ennui peut-il être une idole ? Parce que l'ennui, l'incapacité d'agir, la clôture en soi s'offre à la fascination et qu'il y a toujours en l'existant quelqu'un qui se laisse ainsi fasciner. De là, la violence sacrificielle."
URANVILLE, 2021, UJC

ELECTION, Responsabilité, Autrui, Justice, Finitude, LEVINAS

Dans la tradition religieuse, juive puis chrétienne, l'élection peut apparaître comme le simple privilège d'avoir été choisi par Dieu - pour recevoir la révélation (dans le cas du peuple juif) ou pour être sauvé (contraire de réprouvé) - et finalement d'avoir reçu la grâce. Chez Levinas l'élection devient clairement responsabilité, non plus privilège mais obligation de répondre de la vraie loi, et finalement conscience morale - le sujet moral se constituant du fait même de recevoir l'élection. Responsabilité pour Autrui directement en rapport avec ses souffrances et ses fautes, avec les injustices qu'il subit et celles même qu'il commet ; jusqu'à cet extrême où « je suis responsable des persécutions que je subis » (Levinas). Par ailleurs cette relation élective, foncièrement inégalitaire car fondée sur une obligation asymétrique, n'est pas simplement duelle, elle met en jeu le Tiers dès lors qu'il s'agit d'instituer la Justice, et finalement d'introduire l'égalité entre les hommes. Et cependant Levinas rejette l'idée qu'un vrai savoir puisse fixer cette justice et cette reconnaissance de l'égalité ; sans cesse la pensée éthique - c'est sa dimension proprement critique -, se doit de revenir à la relation pré-originelle à l’Autre, de réaffirmer le Dire (réel et absolu) de l'Autre derrière le Dit (positif et relatif) constituant le savoir. C'est ainsi que l'élection, chez Levinas, fait perdurer "infiniment" la dépendance du sujet fini à l'Autre, tandis que pour Juranville l'élection invite résolument à la création, seul moyen pour le fini de se confronter réellement à la finitude (essentiellement sexuelle), hors de laquelle l'existence n'est qu'un vain mot. De leur côté, Nietzsche et Marx avaient bien réaffirmé respectivement l'élection (le surhomme) et la grâce (l'inhumanité sans classes), mais partiellement et de façon tronquée, en dehors de toute relation à l'Autre absolu, revenant derechef à nier la finitude. Ce n'est qu'avec l'affirmation de l'inconscient, selon Juranville, par la grâce à nouveau dispensée, que la pensée philosophique peut accorder une vérité objective à l’élection.


"Pour nous, l’Autre auquel le sujet est ouvert est d’abord, sans doute, le prochain, c’est là qu’il est rencontré. Mais il est, dans ce prochain, et au-delà, un Autre absolument Autre, qui n’est pas celui qu’on appelle le prochain. Que cet Autre, l’Autre absolu, celui-là seul qui est absolument l’Autre, appelle à faire du prochain l’Autre, nous l’accordons : telle est la loi vraie de cet Autre. Mais il est exclu qu’il y appelle infiniment le sujet fini. Si ce dernier doit, assumant l’élection, témoigner de cette loi, c’est par la création, où est revoulue toute la finitude et, notamment, ce qui, dans le fini, le clôt toujours, malgré tout, à l’Autre - la sexualité. Et ce serait nier cette finitude, cette sexualité, et donc l’existence, que de soutenir que le fini doit s’ouvrir infiniment au prochain comme Autre."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

ELECTION, Finitude, Autonomie, Singularité

L'autonomie offerte par la grâce de l'Autre nécessite d'être confirmée, posée comme telle face au rejet que principalement l'existant lui oppose, par finitude radicale : c'est l'élection qui seule permet d'accomplir cette finitude, cette fois comme essentielle, quand la grâce ne fait qu'en prendre acte (c'est elle aussi qui permet à l'existant de rendre grâce à l'Autre). Avec l'élection l'existant pose l'autonomie avec la singularité (où l'on s'engage, soi, à poser la loi juste) et pas seulement avec l'altérité (où l'on reconnait simplement l'Autre comme lieu de la loi). On comprend que si l'élection, tout comme la grâce, est communiquée à tous, elle n'est reçue que par quelques uns, toujours en raison de la finitude : « il y aura beaucoup d’appelés, et peu d’élus » est-il écrit. Tout comme la grâce, elle est communiquée par celui qui a accepté de la recevoir, car, ayant produit l'oeuvre (c'était son but) elle se fausserait de ne pas se tourner - par grâce - vers l'Autre.


"Le fini refusait implicitement la vraie grâce ; il refuse explicitement la vraie élection, et la rupture qu’elle exige. Si elle se communique, c’est finalement pour autant qu’elle reconnaît qu’elle a elle-même besoin de la grâce, pour autant que l’œuvre une fois accomplie se tourne par grâce vers son Autre et en espère la grâce en retour. Tel est le mouvement qu’effectue le discours philosophique, mais aussi, décisifs pour l’histoire que veut ce discours, le peuple juif et, éminemment, Dieu comme Fils."
JURANVILLE, 2000, JEU

DROIT, Finitude, Savoir, Liberté

Le droit est le moyen que se donne l'Etat pour réaliser la justice et donc, autant que possible, réduire la violence parmi les hommes. Il est donc savoir de la finitude. Par son aspect savoir, le droit rationalise, pense et octroie les libertés (civiles et politiques) nécessaires à l'homme pour se réaliser comme individu ; sous l'angle de la finitude, il limite ces mêmes libertés, en se faisant droit pénal. Le savoir juridique porte sur les conditions qu'il faut donner à l'existant pour qu'il assume justement son existence, qu'il résiste à la tentation de la fuir (finitude radicale). Ces conditions sont, comme toujours, la grâce, l'élection et la foi. La grâce reconnaît en l'homme une volonté libre, "naturelle", et octroie des droits réels portant surtout sur les biens (comme la liberté de propriété). L'élection exige en outre que cette liberté soit justifiée, pensée collectivement : elle statue sur les personnes et octroie des droits politiques (comme la liberté d'enseignement...). La foi accorde finalement que ces droits doivent s'appliquer à tous, autrement dit elle les pose comme universels (c'est l'aspect cosmopolitique du droit). Mais constamment la finitude se rappelle au droit, le fait que les libertés sont régulièrement transgressées ou empêchées : le savoir porte alors sur les moyens répressifs et coercitifs pour rappeler à chacun son devoir de respecter les droits de tout autre, et les peines encourues s'il s'y refuse (ce qui revient toujours à refuser les conditions de sa propre autonomie, de sa propre existence d'homme libre.)


"L’État réalise la justice comme il le doit pour autant qu’il garantit le règne, dans le monde social, du droit comme limite à la violence, et comme réduction de celle-ci à sa forme minimale, celle du contrat de travail. Certes le droit a, pour la philosophie, précisément pour celle qui affirme l’inconscient et qui, ce faisant, se pose comme savoir, une fondamentale vérité. Face à la philosophie comme savoir de l’existence, le droit est savoir de la finitude  –   et donc de la manière dont l’existant tend à fuir son existence et de ce qu’il faut faire face à cette fuite. Qu’est-ce en effet que le droit  ? Contentons-nous ici d’une réponse très sommaire (en renversant l’ordre des aspects que nous venons de déterminer)."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DON, Finitude, Liberté, Jouissance

La finitude de l'homme tient dans sa capacité limitée de donner, à tirer de soi du symbolique, jusqu'à faire oeuvre. Laquelle oeuvre vient à fixer - pour l'éternité - l'épreuve de souffrance qu'il aura fallu traverser pour ce faire. Mais l'interruption du don chez l'humain n'est pas une fatalité, pas plus que n'est sa propension inverse à la jouissance, elle résulte de la liberté finie qui conduit à choisir le don ou bien la jouissance. Quant à la possibilité toujours offerte à l'homme de choisir le don, elle résulte précisément de l'infinité du don divin, qui lui ne s'interrompt jamais.


"La négativité propre de l’homme est finitude de sa capacité de donner. Que signifie cette finitude ? Comme créé, l’homme ne peut pas donner toujours, son don s’interrompt. Mais cette interruption ne tient pas à quelque finitude du don de Dieu, qui ne cesse au contraire de réouvrir la possibilité que l’homme donne. Elle résulte de la liberté, finie, de l’esprit en l’homme. L’homme peut choisir librement de donner ou de ne pas donner."
JURANVILLE, 1984, LPH

DIEU, Existence, Finitude, Conditions, KIERKEGAARD

Pour Kierkegaard l'existence est envisagée comme essentielle en tant que radicalement finie, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes. En outre la finitude est radicale parce qu'elle n'est pas une faiblesse, un simple défaut dans le bien, mais un désir du mal pour le mal, un péché. L'acceptation de ce paradoxe ne se fait qu'en entrant dans la "sphère religieuse" où l'on reconnait en l'Autre absolu le siège unique de la vérité, et corollairement en soi-même le siège du péché, de la non-vérité. Or l'homme ne pourrait se rapporter ainsi à l'existence et s'ouvrir à la vérité s'il n'en recevait pas de l'Autre toutes les conditions, à commencer par la grâce : l'Autre se soustrait lui-même de la relation de maîtrise, de soumission fascinatoire dans laquelle le fini voudrait l'enfermer et s'enfermer avec lui, et bien plus il transmet au fini cette disposition à s'ouvrir à l'Autre et à donner lui-même sa grâce. Là réside l'opposition radicale entre l'Autre absolu faux du paganisme et l'Autre absolu vrai de la révélation. Le Dieu vrai du christianisme n'accorde pas seulement sa grâce au fini, mais également le moyen de fixer pour lui la vérité, de se l'approprier, c'est-à-dire d'accomplir son oeuvre et de devenir individu sur le modèle de l'Unique : cette condition est la foi, tout autre chose par conséquent qu'un simple sentiment immédiat d'union avec Dieu. Modèle pour le fini, le Christ l'est enfin et encore s'agissant de se préparer à oeuvrer, non plus à s'abaisser mais cette fois à s'élever pour le bien de l'humanité : ce qui s'appelle l'élection, ou encore "rendre grâce" puisqu'à travers son oeuvre le fini offre à tout Autre, rend d'une certaine manière, la grâce qu'il avait reçue.

Ainsi s'explique la faute et le péché originel de l'homme - finitude radicale selon Juranville - qui consiste à avoir douté de l'Autre, ne pas avoir reconnu ces conditions toujours déjà données, et finalement perdues par lui ; c'est d'avoir fait le choix (sous la pression sociale, mais choix quand-même) d'une protection facile monnayée sacrificiellement avec de faux maîtres ou de faux dieux ; ce qui l'explique est donc l'angoisse face à l'incertitude de l'existence. L'oeuvre consiste en un savoir qui, cette fois, vaudra comme "apprentissage véritable de l'angoisse" comme le dit Kierkegaard. Or pour ce dernier, si le Christ avait ce savoir, que nul ne lui avait enseigné, c'est parce qu'il était lui-même la vérité. Ce qui ne sera jamais le cas du fini, par définition, et Kierkegaard exclut que celui-ci parvienne jamais, par ses propres moyens, à un savoir vrai absolu, un savoir absolu (philosophique) de l'existence. L'impossibilité d'un savoir de l'existence tient au point de vue subjectiviste de Kierkegaard pour qui l'existence est le problème de l'homme, nullement celui de Dieu : « Dieu ne pense pas, il crée ; Dieu n'existe pas, il est éternel ».


"Il y a certes un savoir qui réside dans l'appropriation de cette vérité, de cette vérité révélée selon laquelle l'homme est appelé à accepter et aimer son existence, malgré et avec sa finitude, en l'occurrence l'incertitude objective. Un savoir qui est « l'apprentissage véritable de l'angoisse » laquelle est « condition préalable du péché originel et moyen rétrograde d'en expliquer l'origine » . Un savoir qu'a par excellence le Christ parce qu'il est lui-même la vérité. Le Christ n 'aurait jamais su la vérité s'il ne l'avait été, et nul ne sait de la vérité plus qu'il n'en exprime dans sa vie », ECh, 182). Un savoir que l'homme tend à fuir dans le péché. Mais Kierkegaard exclut que ce savoir puisse se poser comme tel et devenir un savoir proprement philosophique. – Le Dieu de la révélation ne peut dès lors nullement être l'objet d'un savoir philosophique. Le Dieu de la révélation ne peut même pas être posé comme existant, au sens de l'existence absolue (où la contradiction est d'emblée voulue, comme dans la Création divine) « Dieu ne pense pas, il crée ; Dieu n'existe pas, il est éternel », dit Kierkegaard dans une célèbre formule provocante. « L'homme pense et existe, et l'existence sépare la pensée et l'être, les tient distants l'un de l'autre dans la succession » (PS, 222). Pour Kierkegaard, l'existence véritable est le fait de l'homme seul. La seule rupture alors introduite avec le paganisme reste tout intérieure, le problème étant pour chacun le devenir chrétien."
JURANVILLE, PHER, 2019

DESESPOIR, Moi, Autonomie, Finitude, KIERKEGAARD

Pour Kierkegaard, le désespoir est une « maladie du moi », née de la tension entre autonomie et finitude. Le moi, rapport à soi et à l’Autre (son auteur), tend à rejeter sa dépendance et veut s’autosuffire, mais échoue : de là vient le désespoir. Celui-ci prend deux formes : ne pas vouloir être soi (désespoir-faiblesse, qui rejette l’autonomie ou désespère du temporel/éternel) et vouloir être soi sans accepter sa finitude (désespoir-défi, refus de Dieu). Si Kierkegaard reconnaît l’autonomie réelle du moi, il refuse qu’elle puisse, par elle seule, atteindre l’absolu. Le désespoir ne peut être surmonté que par la foi : en voulant être soi-même, le moi se tourne vers la puissance qui l’a posé, ce qui définit la foi.

"Mais si Kierkegaard reconnaît l’autonomie réelle du moi, il refuse néanmoins que l’épreuve du désespoir, traversée jusqu’au bout, puisse conduire à aucune position objective de l’absolu vrai, à une position où l’autonomie se poserait aussi. Ce serait revenir à l’autonomie abstraite. Pour lui, il s’agit que le désespoir soit « entièrement extirpé », qu’il soit remplacé par la foi. Ce qu’il dit à deux reprises, au début et à la fin du Traité du désespoir : « En s’orientant vers lui-même, en voulant être lui-même, le moi plonge, à travers sa propre transparence, dans la puissance qui l’a posé. Et cette formule… est la définition de la foi. »"
JURANVILLE, ALTER, 2000

DEMOCRATIE, Représentation, Finitude, Election, SCHMITT

Ceux qui se confrontent à la mort en combattant l'ennemi acquièrent un grand pouvoir fondé sur le prestige ; mais ceux qui affrontent la finitude radicale, la pulsion de mort en eux, acquièrent une grande autorité et surtout une double responsabilité : celle d'assumer pour eux-mêmes cette finitude (inéliminable) tout en la dépassant, celle aussi d'en témoigner auprès d'autrui à travers la constitution de l'oeuvre. Tel est le principe de l'élection - pour peu que l'oeuvre soit reconnue et validée par le peuple - sur lequel repose la démocratie représentative ou parlementaire. Dès lors, la position centrale de l'élu et l'influence qu'il exerce dans la cité ne doit pas masquer sa fondamentale solitude, ni surtout le fait qu'il devient immanquablement objet de haine et de jalousie de la part de ceux qui - à juste titre ou non - s'estiment déshérités ou en situation d'exclusion. Si la finitude est la même pour tous - c'est le sort de la Créature - il n'y a pas d'égalité naturelle et encore moins sociale devant la capacité de s'y confronter. Finitude ou pulsion de mort qui est, fondamentalement, aliénation à la répétition et refus du choix, refus de "changer les choses" (même si l'on voudrait que "les autres" le fassent). Mais certains utiliseront la misère du peuple, prétendant le représenter "directement", pour conquérir le pouvoir ; ils n'auront de cesse d'obtenir la chute, et si possible, l'exclusion d'élus compétents mais jugés trop "éloignés du peuple" ; ils s'en prendront finalement au régime démocratique qui avait permis leur élection. Tel est la loi sacrificielle d'un monde livré aux idoles populistes, ayant fait bon marché de la démocratie.


"La démocratie véritable est la démocratie représentative ou parlementaire... Car la démocratie véritable comme société juste doit laisser place non seulement à la finitude radicale en tant que l’homme doit s’y affronter (ce que tous ne feront pas également), mais à la finitude radicale en tant que certains s’y sont effectivement affrontés et qu’ils ont acquis par là un pouvoir. Les Juifs sont, selon nous, les représentants, par excellence, non pas des exclus au sens de « déshérités », mais des exclus au sens où ils se sont distingués, volontairement séparés, pour accueillir pleinement l’héritage qu’ils ont reçu. Ils sont par excellence ceux qu’on envie, ils ont payé pour cela à l’époque contemporaine parce que les exclus au sens de « déshérités » et leurs zélotes ont voulu exterminer le peuple éternel et, à travers lui, ceux qui se réclament de l’élection, de l’exigence pure d’étude et de responsabilité pour autrui...
Rousseau certes a cette idée de la démocratie parfaite comme démocratie directe. Il récuse la représentation. Au moins reconnaît-il la difficulté de cette démocratie directe. Et même son impossibilité : « Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes »  Schmitt préfère l’acclamation au vote individuel secret (« La méthode du vote individuel secret n’est pas démocratique ») – cette acclamation païenne que Rousseau, comme Platon et saint Augustin, a condamnée le plus nettement en tant que sacrificielle. Et, comme Schmitt, avec Schmitt, tous les tenants du totalitarisme considèrent les démocraties parlementaires comme n’étant que des démocraties formelles."
JURANVILLE, 2010, ICFH

IDEOLOGIE, Autonomie, Finitude, Capitalisme, MARX

C'est légitimement que Marx voit d'abord dans le capitalisme le prolongement du système sacrificiel qu'il prétend abolir, un système injuste qui entrave depuis toujours l'accès à l'autonomie individuelle. Ce qu'il ne voit pas c'est que cette autonomie suppose la reconnaissance de la finitude radicale (sinon pourquoi l'autonomie devrait-elle être conquise ?), la pulsion de mort qui travaille l'homme tant au plan social qu'individuel. Or le projet marxiste de société communiste, unitaire, voire totalitaire, montre qu'il n'est pas prêt à assumer ladite finitude, en l'occurrence ce qu'il y a d'inéliminable dans l'aliénation capitaliste et d'imparfait dans le système démocratique parlementaire. La philosophie critique se meut donc en idéologie, concrètement en idéologies conquérantes et concurrentes, dont le but démentiel est l'instauration d'un pouvoir absolu et l'éradication de toute autonomie individuelle.


"De là le retournement de la pensée philosophique en idéologie, qui rejette la philosophie. Et en idéologie qui devient diversité d’idéologies en conflit, lesquelles, conquérant le pouvoir, déploient toutes un semblable système totalitaire. Une idéologie devant fatalement apparaître qui voudra éliminer expressément, du Tout parfait qu’elle prétend construire, l’ennemi par excellence du système sacrificiel païen, le peuple qui, le premier, a accueilli la révélation, avec l’autonomie réelle qu’elle offre à l’homme, mais aussi la finitude radicale qu’elle l’appelle à y assumer, le peuple juif. La démocratie représentative ne peut donc être établie dans sa vérité que si, contre la tentative d’abolir tout système sacrificiel, et notamment, aujourd’hui, le capitalisme, on décide d’assumer l’inéliminable d’un tel système, et si l’on en reconnaît, dans le capitalisme, la forme minimale, à assumer justement. Si l’on ne se borne pas à constater et à tolérer la présence du capitalisme, mais qu’on en veuille l’institution."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DECONSTRUCTION, Messianisme, Finitude, Avènement, DERRIDA

La déconstruction derridienne prend pour cible toute identité déjà là ou supposée originaire, lui opposant le jeu de la différence et la finitude radicale, dans la perspective d'une identité nouvelle et ouverte - à et par l'Autre - assimilée au "messianique". Mais celui-ci, Derrida exclut qu'il soit posé dans quelque discours devenant un savoir de la Bonne Nouvelle, ou qu'il soit assigné à quelque Messie venant accomplir la Promesse.


"Déconstruction commandée par des spectres qui nous habitent (et nous déconstruisent) et qui sont des figures de l'Autre faux (Surmoi…). Mais déconstruction qui s'opère dans la perspective de "l'indéconstructible justice", d'une "affirmation", d'une "appropriation" (de la finitude radicale), et donc d'une identité nouvelle et vraie que Derrida présente comme le "messianique" : une vue nouvelle serait alors possible dans l'accueil de l'autre homme, dans l'hospitalité à lui offerte."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CULPABILITE, Choix, Finitude, Moi, KIERKEGAARD

Kierkegaard met en avant l'ineffaçable culpabilité du sujet : quand bien même celui-ci aurait fait le choix essentiel, appelé en ceci par l'Autre absolu, il lui serait impossible de proclamer un quelconque accomplissement objectif du choix, le libérant de la culpabilité - cela reviendrait simplement à nier la finitude. "Même au moment où la tâche est assignée, il y a déjà du temps perdu", écrit Kierkegaard : il faut partir d'un tel "devenir-coupable" pour réaliser que le seul choix authentique devant l'existence, le seul choix personnel, est précisément le choix de la culpabilité ("ce n’est qu’en me choisissant comme coupable que je me choisis moi-même"). Position que le métaphysicien ne saurait seulement entendre, lui qui ramène la finitude à une faiblesse temporaire, lui qui suppose une culpabilité (devant le savoir, ou devant l'idéal) seulement chez le disciple, nullement de la part du maître. Par ailleurs il ne suffit pas de critiquer la fausse culpabilité, celle du ressentiment, pour accéder à l'autonomie de l'existence, comme le voudrait Nietzsche - lequel se laisse entrainer à une nouvelle dissimulation de la culpabilité, et à une tentation sacrificielle. Freud, de son côté, a bien vu une culpabilité inéliminable liée à l'amour (universel) pour le père, mais seulement par ses effets indésirables : agressivité, névrose, etc., comme s'il était possible, pour un moi "théoriquement" sain, de les évacuer (rien d'autre que l'idéal scientiste). La clairvoyance de Nietzsche comme de Freud aura été de montrer que toute culpabilité fausse cherche à se dissimuler, à dériver vers des pratiques sacrificielles douteuses ; leur aveuglement aura été de nier à leur tour la culpabilité vraie, constitutive, celle que cherchent précisément à dissimuler les formes inessentielles et dérivées de culpabilité.


"Car qu’est-ce qui permet cette dissimulation ? Nietzsche l’a montré, et Freud l’a redit après lui : le monde social, le fait que plusieurs ont la même culpabilité (fausse) et qu’ils s’en défont sur la victime du sacrifice. Tant que n’est pas dénoncé, dans un monde social nouveau, le jeu de la culpabilité ordinaire (fausse), tant que la culpabilité constitutive n’est pas reconnue socialement, la dissimulation de la culpabilité se maintient.
JURANVILLE, 2000, ALTER"

CRITIQUE, Savoir, Histoire, Finitude

En proposant un savoir de la négation, et en l'intégrant dans l'histoire, la critique philosophique (moderne) tente bien d'obtenir pour ce savoir une reconnaissance universelle. Et cependant il lui manque toujours de poser l'existence, donc la finitude radicale, pour qu'un tel savoir à la fois critique et historique, mais tenant compte de ladite finitude, soit effectivement reconnu.


"Savoir et négation, cela définit la critique. Critique qui se mène donc au nom d’un savoir de l’essentiel. Or la philosophie, quand elle en vient à se concevoir comme critique – ce qui caractérise décisivement les Temps modernes –, se heurte inévitablement au rejet radical toujours là, par le sujet social, du savoir vrai et découvre qu’elle ne peut d’abord, par elle-même, comme critique, ni concevoir un tel rejet, ni agir contre lui."
JURANVILLE, HUCM, 2017

CONTRAT, Autonomie, Contrat social, Finitude, ROUSSEAU, MARX

Pour le fini la société est d'abord une totalité close qui n'admet pas spontanément l'autonomie. C'est le contrat qui institue la société juste laissant une place à l'autonomie, car le contrat se définit comme écriture et position - or la position suppose l'autonomie, et l'écriture est ce qui garantit l'objectivité du contrat. Le contrat réduit ("contraction") l'essentiel à un trait, et comme limitation inévitable il se veut une épreuve assumée de la finitude, et même mieux, un engagement devant l'Autre et avec l'Autre à s'y confronter. C'est le sens profond du mot "souscription", gros d'un avenir collectif, d'une création certes d'abord individuelle mais de toute façon partagée. Notons que le seul engagement, le seul contrat susceptible de recueillir la reconnaissance universelle est l'oeuvre du savoir, en l'occurrence savoir juridique (soutenu et justifié par la philosophie). D'où l'exceptionnelle importance du "contrat social" théorisé par Rousseau ; contrat qui dépasse le cadre de telle ou telle communauté, puisqu'il en appelle explicitement à l'Autre absolu (pour Rousseau, la Volonté générale) ; contrat par lequel chacun accepte de renoncer à la jouissance immédiate qui était la sienne dans l'état de nature, et qui s'était faussée. Ce contrat social se distingue par sa radicalité du contrat politique de Locke (que reprend Hegel), lequel ne fait que justifier le droit de jouir des biens acquis dans l'état de nature. Marx a bien montré que ce contrat, simple "association dictée par la nécessité" selon lui, couvre en fait une situation de domination : c'est le cas avec le "contrat de travail" dont les termes sont viciés du point de vue du travailleur, puisqu'il y engage seul sa force vitale, ce qui revient à nier son autonomie réelle et à rompre la relation d'égalité. On en revient donc au contrat ordinaire, sacrificiel dans son principe (en l'occurrence sacrifiant la puissance créatrice du travailleur), érigeant un Autre faux en position de maître absolu (le Leviathan de Hobbes) ou même d'idole (l'argent, le Capital). Marx oublie néanmoins de préciser que l'existant, initialement, accepte ce contrat de son plein gré, par finitude radicale, reculant devant l'autonomie que lui octroie l'Autre absolu vrai ...dont il ne veut pas.


"La société est d’abord contrat. Car l’existant commence par s’arrêter à une totalité – c’est ce qu’on appelle communément la « société », le « monde social » – qui rejette l’autonomie vraie, avec la finitude radicale, et n’en accepte qu’une fausse, hors une telle finitude, autonomie fausse qui est alors le principe de l’objectivité (savoir) caractérisant cette totalité. Laisser venir l’autonomie vraie, c’est laisser venir ce qui sera le principe de l’objectivité elle-même vraie, et ordonnera une totalité nouvelle. Or l’objectivité est, avec l’existence, langage ; en tant que reconnue, elle est parole ; et, comme objectivité vraie contre la fausse, elle est vérité donnée à la parole, écriture. Mais l’autonomie en tant que principe de l’objectivité est ce qui la pose. Et écriture et en même temps position définissent, selon nous, le contrat. C’est donc par le contrat que se donne la société, la société en soi, la société juste. Contrat qui est cette société dans l’acte qui l’institue...
Ce contrat est suprêmement, pour l’homme, celui du savoir, seule œuvre à pouvoir s’assurer de sa reconnaissance, à pouvoir s’affirmer contrat bilatéral, et même universel. Et il est alors ce qu’on a appelé contrat social. Contrat social que veut et sur quoi débouche la philosophie, et qui institue la société politique ou société par excellence (au-delà des sociétés particulières qu’on peut former, toujours certes par contrat). Contrat social par quoi s’établit le droit qui ordonne cette société – et ce qu’on dénomme ordinairement, dans le cadre du droit, contrat, suppose ce contrat fondamental."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CONSCIENCE, Intersubjectivité, Finitude, Autre, HUSSERL

Husserl attribue - légitimement -  au sujet une "conscience constituante" créatrice de sens et capable de reconstruire le savoir, à condition de dépasser l'attitude naturelle par la réduction phénoménologique. Or cette capacité suppose a minima une foi en la raison, héritée de la philosophie grecque. Mais il est illusoire, pour la conscience, de prétendre dépasser la finitude radicale sur la foi de l'intersubjectivité raisonnable - altérité fausse. S'impose, au coeur même de la conscience, la présence d'un Autre absolu capable d'instiller une "conscience de la rupture de la conscience" (Levinas), ce qui ouvre alors la voie vers l'inconscient - altérité vraie.


"Et cependant Husserl se leurre quant à la possibilité pour la conscience, à partir de cette foi, d'échapper à la finitude radicale. Plus généralement il se leurre quant à la science phénoménologique que pourrait constituer cette conscience en se faisant confirmer par l'intersubjectivité. Comme si l'intersubjectivité, le rapport à l'autre homme comme alter ego, n'était pas une altérité fausse. Il se leurre avec son idée d'une surconscience sans inconscient, puisque l'Autre vrai alors manqué par la conscience est l'inconscient même, et puisque l'inconscient est ce que la philosophie, comme, selon Lévinas, "conscience de la rupture de la conscience", eût dû proclamer."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

COMMENCEMENT, Folie, Finitude, Autre

Etant donnée la finitude, étant données les limitations du savoir objectif, toute décision prétendument inaugurale est évidemment contestable et sera contestée. Seule la folie permet de dépasser cette contradiction objective du commencement, parce qu'en tant que négation et finitude, elle passe outre l'impossibilité qui serait faite au sujet - à cause de cette finitude justement - d'accéder au savoir et à l'autonomie. Car dépendre de l'Autre n'est pas seulement synonyme d'aliénation mais aussi, du côté de l'Autre, don et transmission. On parle donc ici d'une folie essentielle, essentiellement inspirée par l'Autre, visant une objectivité absolue pouvant être reconnue universellement. Dans ces conditions la folie est bien la subjectivité absolue du commencement et ce par quoi il s’accomplit.


"Comment, si n’est reconnue d’abord qu’une objectivité réelle certes, mais finie et faussement absolutisée, s’engager à faire reconnaître une vraie objectivité absolue, celle de l’oeuvre qui rassemble la décision finale ? L’argument qui fait désespérer de cette possibilité, c’est celui de la finitude (argument de la pensée contemporaine ou de l’existence). Il faut nier pareille conception de la finitude - la finitude, en soi, n’empêche rien ; certes elle rend dépendant de l’Autre ; mais de l’Autre elle peut recevoir toutes les conditions qui permettent au fini de s’établir dans son autonomie. Or négation et finitude, cela définit la folie. Folie comme subjectivité absolue du commencement et ce par quoi il s’accomplit. Mais ce n’est que si cette folie est elle-même essentielle, si elle vise une objectivité absolue qui soit un jour universellement reconnue (l’essence en principe de savoir), que le commencement est bien alors ce qu’on vient d’en dire. Folie habitée par l’Autre, inspirée. C’est celle que Platon place au coeur des plus hautes biens ; celle que suppose Descartes quand il confectionne l’hypothèse du Malin Génie. C’est fondamentalement la folie de la Croix."
JURANVILLE, 2017, HUCM

TRINITE, Christ, Finitude, Existence

La philosophie est-elle capable, par elle-seule, de remettre en cause le système sacrificiel qui a débouché sur la condamnation de Socrate, puis à une échelle plus universelle, sur le sacrifice du Christ ? La philosophie ne peut espérer faire reconnaître son savoir par tous en raison de la finitude radicale qui subsiste, quelque soit l'émancipation qu'elle propose au nom de la raison - l'altérité et l'universalité de celle-ci n'étant que partielle. La dénonciation de l'injustice n'est jamais suffisante tant qu'elle n'émane pas de l'Autre absolu, ce qu'accomplit le "médiateur" divin en la personne du Fils. Il s'agit pour l'homme de parvenir à une autonomie réelle lui permettant d'assumer la finitude radicale, le péché même de n'en rien vouloir savoir. Maintenant pourquoi la trinité, pourquoi le Fils ? Ce n'est que dans l'imitation du Fils que l'homme peut se libérer de la faute qu'il a tendance, névrotiquement, à attribuer au Père, lui l'enfant exclu de la "scène primitive", victime du père réel. C'est ainsi que la Création du Père (cause matérielle) ne peut s'accomplir que par la Révélation du Fils (cause formelle) ; et la paternité du Père ne peut être reconnue, depuis la créature, que par la médiation du Fils, fils engendré (et certes non créé) comme Verbe à partir de la Chair du Père. Le Verbe se déploie (c'est la "cause finale", selon Schelling) par le Saint-Esprit qui procède identiquement des deux premières Personnes, qui est leur Amour parfait, et qui entraîne les hommes également dans l'Amour et la vie de l'esprit. Cette vérité trinitaire, que Schelling a rapporté aux trois causes citées, Saint-Paul l'avait résumée par la formule : « Toute chose est de lui, par lui et pour lui. » La philosophie y puise sa définition de l'existence comme identité dans la relation à l'Autre et à partir de cette relation.


"Les hommes ne peuvent donc aller jusqu’au bout de leur libération du système sacrificiel que dans la mesure où ils entrent dans l’imitation de l’Autre absolu comme Fils, s’affrontent par amour à leur finitude radicale et l’assument heureusement. Ce qui les fait participer à la vie de cet Autre comme Esprit : l’Esprit procède du Père et du Fils et est leur amour en tant que cet amour est, en celui qui engendre et en celui qui est engendré, tout à fait identique ; l’Esprit, dit aussi Schelling, est « ce qui entraîne tout le mouvement » – cause finale. L’Autre absolu apparaît alors dans sa vérité trinitaire. Cette vérité trinitaire, la révélation chrétienne l’a proclamée. Et saint Paul l’a scellée par la formule : « Toute chose est de lui, par lui et pour lui. »  Elle correspond exactement au Dieu supposé par l’affirmation de l’existence  : car l’existence est non pas identité close, mais identité dans la relation à l’Autre et à partir de cette relation. Cette vérité trinitaire, Rosenzweig l’a rejointe, avec son ternaire de la Création, de la Révélation et de la Rédemption. Ainsi peut-on dire : dans la Rédemption, le Verbe se déploie, parmi les hommes, en dialogue universel."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CHOIX, Liberté, Identité, Finitude

La liberté fondamentale consiste à se révolter contre l'aliénation à l'identité immédiate que l'on s'était donnée, pour embrasser la finitude de l'existence et pour s'y confronter. Elle se manifeste par le choix qui est position d'une telle liberté, devant l'Autre, dans l'objectivité du discours. Un choix que le sujet devra inlassablement répéter et confirmer, car il sait qu'il sera, par finitude justement, tenté d'y renoncer.


"Comment, pour le sujet, éviter de demeurer ainsi captif de l’identité immédiate ? Comment mener à bien l’entreprise de la séparation ? Par le choix. En s’engageant, là où il se heurtera à la finitude de l’objet, à s’y affronter au lieu de la fuir, et à s’y affronter jusqu’à atteindre une objectivité qu’il puisse faire reconnaître par tous. Car le choix est liberté, c’est-à-dire, pour le fini, arrachement à ce dans quoi la liberté toujours d’abord se fuit, à l’identité immédiate. Mais il est aussi position de cette liberté, position à l’Autre, laquelle ne peut s’effectuer pleinement que si la liberté (et donc l’identité vraie du sujet) est posée objectivement. Pas de choix qui ne doive se justifier comme vraiment libre : il est toujours possible en effet que le choix ne soit que prétendu, et que le sujet se soit laissé déterminer par autre chose. Tel est donc le choix essentiel. Non pas entre le boisseau d’avoine et le seau d’eau, comme l’âne de Buridan. Mais entre l’identité immédiate et fausse, où le sujet fuit ce qu’il a de plus propre, son existence, et l’identité vraie, où il s’y affronte."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CERTITUDE, Subjectivité, Critique, Finitude, DESCARTES

L’individu qui se revendique d’une vision absolue doit reconnaître que l’objectivité ordinaire, qu’il absolutise illusoirement, est produite par sa propre subjectivité. Il doit commencer par poser la subjectivité comme source de l’objectivité absolue. La certitude, position de la subjectivité, et l’évidence, position de l’objectivité, sont au cœur de la critique, ce par quoi et ce dans quoi elle s'accomplit. Dans la deuxième Méditation, après le doute radical provoqué par l'hypothèse du Malin Génie, Descartes affirme la certitude du « Je suis, j’existe », mais cette certitude reste ponctuelle et dépendante de la pensée. Elle nécessite la confirmation divine pour atteindre une identité durable, permettant de déployer le savoir vrai de la critique. Cependant - contradiction subjective de la critique -, d'une telle certitude essentielle l’individu ne veut pas, il est prêt à accepter une objectivité comme celle qu’induit la subjectivité transcendantale chez Kant, c'est-à-dire celle des sciences positives, tout en refusant la critique radicale de sa propre finitude.


"Comment l’existant qui s’est mis en marge du monde ordinaire et qui se réclame, comme individu, d’une évidence vraiment absolue (c’est sa « vision ») peut-il donner à cette évidence toute son objectivité ? Il est là devant l’objectivité ordinaire. Pour pouvoir réellement la dépasser, il doit découvrir non seulement que c’est par finitude radicale qu’il l’avait faussement absolutisée, mais surtout que c’est lui comme sujet qui la produit et la reproduit : il doit donc poser la subjectivité en lui et en tout existant comme ce qui peut produire et reproduire l’objectivité absolue. Or position et subjectivité définissent la certitude, comme position et objectivité définissent l’évidence. La certitude est ainsi la subjectivité absolue de la critique, ce par quoi elle s’accomplit, comme l’évidence en est l’objectivité absolue, ce dans quoi elle s’accomplit."
JURANVILLE, HUCM, 2017

CAPITALISME, Démocratie, Finitude, Individu

La finitude radicale de l'humain est, par définition, destinée à demeurer. Cela signifie entre autres que le devenir-individu ne saurait être égalitaire, quand bien même à travers l'histoire et le progrès des institutions, le droit reconnait à chacun une égale liberté. Mais, dans la réalité, la liberté ne saurait être égale, car elle tend à se fuir elle-même. C'est ce compromis que représente le capitalisme, entre d'une part une inégalité et une injustice persistantes, à cause de ladite finitude (pulsion de mort, sexualité, domination...), et un cadre légal et démocratique garantissant la possibilité pour chacun de devenir individu autonome. Le capitalisme mondialisé - régulé par les traités - empêche les Etats d'incarner "eux-mêmes" l'individu, de se substituer aux citoyens en les "forçant" par exemple à être égaux, ou de revendiquer une autonomie qui ne pourrait être qu'illusoire ; en somme il force les Etats, les cultures et les religions à la coopération et au dialogue.


"Dans l’histoire, s’établit finalement la démocratie, la démocratie véritable ou démocratie représentative, celle qui tient compte de la finitude humaine et du fait que les hommes ne deviendront jamais également des individus. L’histoire débouche sur un univers qui devient monde, celui de la mondialisation. Mondialisation par laquelle, quels que soient les conflits qui demeurent, le déploiement universel du capitalisme offre leur chance à tous les peuples. Et dans laquelle toutes les cultures essentielles de l’humanité – celles qui sont œuvres définitives, celles qui laissent place, explicitement ou implicitement, à l’individu – peuvent, sur fond de capitalisme, entrer en dialogue. De même que toutes les grandes religions, supposées par ces cultures."
JURANVILLE, 2010, ICFH