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CREATION, Sacré, Oeuvre, Trinité

Si la présence est d'acte du sacré, et la puissance ce par quoi et dans quoi il s'accomplit la création est à la fois l'effet et le principe subjectif du sacré. Il s'agit, par la création, d'échapper à la puissance fantasmatique, traditionnelle, du sacré, la création qui débouche sur l'oeuvre individuelle elle-même engageant tout autre à créer à son tour. Certes l'existant suppose toujours d'abord la création de l'Autre absolu, celle qui vient du Père (le sacré par excellence), s'accomplit par le Fils (via son Sacrifice), et vise à étendre l'Esprit sur la terre. S'ouvre alors l'espace du sacré, et donc de la création, pour la créature séparée imitant en cela l'oeuvre du Christ, c'est-à-dire réalisant son individualité. Lui aussi traverse la passion de l'oeuvre et lui aussi accomplit en cela un sacrifice essentiel. Comme le Fils, il communique d'abord sa présence et sa grâce et s'efface devant son oeuvre, s'en remettant à l'Autre ; puis il communique sa puissance et son élection, à l'oeuvre comme à tous ceux qui la poursuivront et devront à leur tour en subir la passion ; enfin il communique la création elle-même et la foi en celle-ci, dans le fait que l'oeuvre sera finalement accueillie par tous et accomplira la Révélation.


"Le sacré est enfin création. Car il n’y a plus, pour le fini qui suppose ou affirme une puissance vraie, et qui refuse d’être rabattu en fait à la puissance fantasmatique traditionnelle, pour le fini qui veut aller jusqu’au bout de ce à quoi l’invite la puissance du Sacré et accomplir cette puissance par la sienne propre, pour le fini qui veut donner toute sa vérité au sacré, qu’à poser la création. Comme création effective, et non pas abstraite ; et donc notamment comme création par le fini en général, à partir de la finitude, débouchant sur l’œuvre... Le savoir philosophique est alors l’œuvre par excellence du fini, où la puissance créatrice est à la fois, explicitement, ce par quoi tout est « produit », et de quoi tout est « déduit ». Où l’on rejoindrait existentiellement ce que Spinoza a dit formellement, que « l’ordre et la connexion des idées est le même que l’ordre et la connexion des choses »."
JURANVILLE, 2000, JEU

CREATION, Oeuvre, Consistance, Dieu

Contrairement à la chose, consistante mais non produite, et contrairement à l'outil, produit mais inconsistant (par lui-même), l'oeuvre se veut consistante en même temps que produite. Par consistance il faut entendre à la fois la totalité et l'unité de l'oeuvre (elle tient en ses divers éléments) et son achèvement (elle apparait dans le temps, après l'épreuve de la finitude). Mais ces conditions mêmes renvoient à une consistance parfaite qui ne peut être que celle de la Création divine, hors finitude. La consistance de l'Oeuvre originelle tient à la substance même de son Créateur, essentiellement trinitaire, ce en quoi elle consiste - et ek-siste - elle-même avec ses trois Personnes en relation (Père, Fils, Esprit). Trois Personnes qui entrent en jeu par deux fois dans la création, dont la structure est le sénaire (les "6 jours" de la Création), deux fois le ternaire, le second aboutissant à l'achèvement de la créature créatrice, l'être humain.


"L'œuvre est produite et doit avoir une consistance. Et cette consistance est atteinte seulement après que des éléments ont été posés ensemble sans que cela ne «tienne», ne «consiste» - à chaque fois on fait l'épreuve de la finitude, de la dépendance -, et quand un dernier élément est posé qui fait que le tout enfin «tient». Or une consistance véritable, absolue, ne dépendant plus de rien, ne peut être atteinte, aux yeux et en faveur de l'homme, de l'existant, que s'il y en a primordialement une telle en l'Autre absolu, en l'Autre divin. Mais la consistance explicite du Dieu chrétien (implicite du Dieu judéo-chrétien) est celle d'un Dieu unique en trois Personnes - une seule substance, mais avec en elle des relations, dit saint Augustin, disons quant à nous une substance qui est existence."
JURANVILLE, 2021, UJC

CREATION, Consistance, Oeuvre, Histoire

La consistance est ce qui caractérise l'oeuvre, d'abord divine avec le sénaire primordial de la Création (double ternaire comprenant le divin et l'humain), puis humaine (avec le quaternaire) dans la mesure où l'homme doit reprendre à son compte cette création qu'il a lui-même faussée, en se posant lui-même comme quart-élément. La consistance du quinaire s'impose aussi du fait que l'oeuvre humaine n'est réalisable que dans l'Histoire, ouverte avec le sacrifice du Christ. Enfin le sénaire se répète avec la consistance du savoir sur lequel débouche l'oeuvre humaine.


"La consistance primordialement présente, pour l'existant, en l'Autre divin et déployée en double ternaire, en sénaire, dans l'œuvre de la Création doit se retrouver dans l'œuvre de l'homme qui a à confirmer l'œuvre de Dieu - « Dieu se reposa lorsque dans l'homme il eut déposé son pouvoir créateur », dit Benjamin. Consistance du Quatre (quaternaire) pour l'œuvre en général et pour l'existence de chacun parce que l'homme d'abord fausse radicalement le ternaire primordial de la Trinité divine et doit assumer cette falsification, en étant posé, et en se posant, comme quart terme. Consistance du Cinq (quinaire) pour l'œuvre collective qu'est l'histoire - il faut en effet fixer explicitement que l’homme ne peut par lui seul, par son œuvre propre seulement, s’arracher au paganisme et qu'il ne le peut que pour autant que l'Autre absolu est intervenu comme Christ dans l'histoire dejà commencée et interrompue. Consistance du Six (sénaire) pour l'oeuvre du savoir - où, dans la méthode, on doit et s'identifier à Dieu et reconnaître que cette identification est d'abord falsification (finitude radicale de l'homme) et qu'elle doit être répétée pour devenir vérification (assomption de cette finitude)."
JURANVILLE, 2021, UJC

CONNAISSANCE, Oeuvre, Occasion, Objectivité

Celui qui affirme l'existence suppose certes une oeuvre primordialement vraie, celle de l'Autre absolu, mais il exclut d'abord de poser son oeuvre propre en toute objectivité. Or il n'y a pas d'autre moyen de poser et de confirmer l'oeuvre primordiale que d'y répondre (et d'en répondre) par son oeuvre propre - laquelle recrée de quelque manière la consistance de l'oeuvre antérieure. C'est ainsi seulement que l'oeuvre devient connaissance. Et c'est ainsi que s'accomplit l'occasion, seulement quand l'oeuvre est posé dans son objectivité.


"L’occasion, même si elle est, comme nous l’avons dit, occasion par l’œuvre, est bien, comme on le pense plus communément, occasion pour l’œuvre – mais pour une œuvre qui, se rapportant à une autre œuvre déjà là, est alors connaissance."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT 

OEUVRE, Commencement, Décision, Historicité

Commencer une oeuvre et s'y consacrer pleinement relève d'une décision toujours à renouveler, car la tentation d'abandonner ne laisse pas elle-même de se répéter. Deux insistances antagonistes à ne pas perdre de vue. Car nulle oeuvre ne sera suffisamment consistante qui n'ait été menée à terme, ou dans tous les cas dont on ne puisse rendre compte.


"Nul commencement pour le sujet existant, sinon celui qu’il doit effectuer, s’arrachant à son indécision, pour mener à bonne fin son œuvre propre. Et un tel commencement devra être répété, d’un tel commencement on devra répondre, jusqu’à ce que l’œuvre ait été produite avec toute sa consistance. Car sans cesse on sera tenté de croire qu’on en a fait assez, et donc de fuir son historicité essentielle - historicité de qui a à mener à bonne fin l’histoire d’une œuvre."
JURANVILLE, 2017, HUCM

CHRIST, Oeuvre, Sujet social, Condition

L'oeuvre du Christ consiste à communiquer à l'homme, précisément au sujet social, toutes les conditions - grâce, élection, foi - lui permettant de renoncer à la haine sous-tendant le système sacrificiel, d'affronter jusqu'au bout la finitude radicale et de s'engage enfin dans son oeuvre propre (ultimement, à l'échelle de l'humanité, l'Histoire). Grâce (et pardon) qui le libère de sa déchéance ; élection (et invivation) qui l'engage, dans l'imitation du Christ, à accomplir cette oeuvre ; foi (et espérance) pour lui permettre de supporter la finitude et d'attendre le retour du Christ-Messie, soit l'avènement du Jugement dernier (où chacun sera jugé selon ses oeuvres).


"L’œuvre du Christ est l’œuvre par laquelle sont, à l’homme comme sujet social, redonnées les conditions qu’il avait perdues en se laissant entraîner dans le monde sacrificiel, redonnées pour qu’il s’affronte maintenant jusqu’au bout, dans son œuvre propre, à la finitude radicale... L’œuvre du Christ ne s’accomplit certes que lors du Jugement dernier, quand il revient en gloire pour juger les hommes – et pour les juger à la mesure de leurs œuvres, qu’ils auront accomplies dans l’attente de la venue du Christ-Messie ou de son retour, et qui sont d’abord, pour chacun, l’œuvre qu’aura été sa vie. Mais l’œuvre du Christ commence par ouvrir aux hommes l’espace social de leurs œuvres propres – avec, à chaque fois, à la pointe de ces œuvres, l’œuvre des œuvres qu’est l’histoire et, en elle, l’institution de la communauté juste."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CHOSE, Oeuvre, Commerce, Connaissance

La Chose (réalité de l'unité), considérée dans sa vérité, entre dans la définition de l'oeuvre en laquelle la connaissance s'accomplit, au-delà de la seule expérience. Mais pour accomplir cette Chose qu'est l'oeuvre, encore faut-il en saisir l'occasion, au-delà du simple intérêt, et c'est le commerce qui offre une telle occasion : il s'agit pour l'existant, appelé à devenir Chose lui-même, de s'établir dans le commerce (puis le marché) des choses existantes. Le commerce en effet consiste à s'offrir à l'échange, suscitant ainsi la demande. Même si le commerce primordial reste le commerce charnel (par lequel un homme, est-il dit dans la Bible, "connait" une femme), certes appelé à être dépassé dans la distance et dans l'esprit, il permet d'accepter et de vouloir la proximité de l'Autre comme Prochain. Ainsi se noue le commerce d'amour, naissant dans la grâce, se poursuivant dans l'élection (où l'on communique à son tour sa grâce).


"Cette chose vraie ou œuvre, l’existant ne peut s’y rapporter, et la saisir comme occasion pour son œuvre propre, pour la connaissance, que s’il se veut lui-même une telle chose vraie. Et donc s’il s’arrache à son rencoignement initial de chose fausse, close sur soi, mélancolique, et s’il s’établit en relation avec cette chose vraie qui est occasion. Ce qui caractérise le commerce. De même que l’intérêt montre qu’on a saisi l’occasion, de même le commerce est ce qui fournit, qui offre des occasions à saisir. De même que la connaissance dans son acte, l’identité, ne peut aller jusqu’au bout d’elle-même que dirigée par l’intérêt – et si l’existant s’est intéressé à l’Autre qui toujours déjà s’intéresse à lui et duquel vient l’identité –, de même la connaissance dans ce par quoi elle s’accomplit, la chose, ne peut aller jusqu’au bout d’elle-même que déployée par le commerce – et si l’existant s’est établi dans le commerce des choses existantes et s’y est fait lui-même chose."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

AUTRE, Mère, Sexualité, Oeuvre, LEVINAS

La relation à l’Autre, à travers les perspectives de Levinas, commence par la figure de la femme-mère, qui, en établissant la demeure, introduit l’espace où la loi paternelle est transmise ; ce processus substitue métaphoriquement le père à la mère comme essentiel, passant du corps au verbe. Cependant, l’Autre reste souvent réduit à un objet de pulsion, ce que Levinas ne reconnaît pas vraiment dans sa vision de la sexualité, qu’il inscrit dans un mouvement vers l’enfant et l’amour, où l'ego renonce à soi. Pour Levinas, le féminin attire le masculin vers une "transsubstantiation" par le plaisir corporel. En contraste, la psychanalyse met en avant la pulsion de mort (c'est sa version du "péché originel"), réduisant l’Autre à un objet (l’objet 'a'), une tendance qui se déploierait en système social sacrificiel si elle n'était pas contenue dans des formes éthiquement et politiquement acceptables. D'objet l'Autre peut être recréé comme essentiel via l'oeuvre (notamment le savoir), puisqu'elle s'effectue toujours depuis l'Autre et requiert la reconnaissance de tout Autre.


"Travailler à cette œuvre, c'est en effet faire exister pour soi la place de l'Autre au jugement duquel l'œuvre en progrès est sans cesse offerte, et du point de vue duquel est elle, en cela, peu à peu produite... C'est ce que fait implicitement la psychanalyse avec ceci qu'elle ouvre et réouvre au patient l'espace d"une telle œuvre... Et c'est ce que fait explicitement la philosophie en préparant l'institution du monde juste dans lequel chacun aura l'espace où, par l'œuvre, il peut devenir individu - et Autre vrai."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DISCOURS DU PEUPLE, Discours du maître, Discours, Oeuvre, LACAN

Qu'est-ce que le discours du peuple ? Un discours où les sujets, fort de leur appartenance à une totalité sociale, et au nom de cette finitude, rejettent toute prétention à un savoir absolu. C'est bien le premier discours historique, celui qui déploie l'oeuvre du monde social traditionnel, bloqué sur un mode de pensée quaternaire analogique ("quand le divin est à l’humain ce que l’humain est au divin" résume bien Juranville) et donc une structure discursive elle-même faussée, incapable de se projeter sur une ouverture au Cinq de l'Histoire, et encore moins au Six du Savoir. Or Lacan, qui fait du discours du Maitre le discours primordial ne voit pas en quoi celui-ci, qui semble régner sur le monde traditionnel, est en réalité déterminé par le discours du peuple (discours de l'hystérique, pour lui). De là aussi que sa propre construction du discours en général, tirée de la structure du discours du maître (S 1-S 2-a-$), présente une clôture artificielle et fausse, qui doit être rectifiée à l'aune de la structure complète, sénaire (doublement ternaire, et incluant le quaternaire de l'oeuvre : Autre-Chose-objet-sujet), du mouvement existentiel.

"Dès lors la présentation structurale, par Lacan, du discours aura, dans l’analyse ternaire que nous proposons pour le discours en général (pensée-conflit-dialogue), mais aussi pour les discours fondamentaux ou structures historiales, les correspondants suivants. Le plan supérieur, celui de l’agent et de l’autre, renverra au discours dans son acte, ou son phénomène (la pensée, rappelons-le, est suscitée par l’essence venant en l’Autre et comme Autre, et implique que l’essence est reconstituable par chacun, par soi d’abord, mais aussi par tout autre à venir). Le plan inférieur chez Lacan, celui de la production et de la vérité, aura comme correspondant le discours dans ce par quoi il s’accomplit, dans l’identification qui le caractérise (le conflit résulte de ce qu’il y a plusieurs identifications possibles). Les flèches de l’impossibilité et de l’impuissance enfin, là où le discours se heurte, pour Lacan, à une contradiction indépassable, renverront chez nous (qui voulons montrer comment cette contradiction peut se résoudre) au discours dans son principe subjectif (le dialogue reçoit de l’Autre absolu, posable comme tel par la philosophie, sinon par la psychanalyse, toutes les conditions pour se déployer universellement, et donner au conflit toute sa vérité)."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

METAPHORE, Contradiction, Nomination, Oeuvre

Déployer la métaphore implique de résoudre la contradiction logique entre le terme substitué et celui qui subit la substitution : nulle facilité et nul arbitraire dans ce processus. D'autant moins que, s'agissant de l'homme, de son être, il devra en passer par tous les moments constituants de l'existence afin de recouvrer cette puissance créatrice que, depuis le commencement, sa finitude lui a fait perdre. Par la métaphore, l'homme retrouve la puissance de nommer, et donc d'oeuvrer, jusqu’à reconstituer une identité nouvelle et vraie.

"Comment faire apparaître la métaphore dans toute sa vérité ? Comment prouver qu’elle n’est pas cet « effet du jeu de l’arbitraire subjectif » que dénonçait Hegel ? Par la résolution patiente de la contradiction qu’elle implique entre ses deux termes, celui qui a été substitué et qui est mis en lumière et celui qui a subi la substitution et qui est effacé. Résolution qui fait passer – c’est le déploiement de la métaphore – par tous les moments nécessaires de l’existence en tant qu’elle détermine avant tout l’être de l’homme. Car le nom était à l’origine ce qui fait exister et, de fait, ce qui caractérisait éminemment l’Autre absolu comme principe de toute création. Mais le propre de la finitude de l’homme, c’est d’avoir fait perdre à ce dernier la puissance créatrice du nom. Or la métaphore est ce qui, selon nous, rétablit, pour lui, cette puissance. Dans la mesure néanmoins où il assume l’existence que toujours d’abord il rejette. De là le parcours de toute l’épreuve de la contradiction suscitée par l’initial rejet, jusqu’à la résolution de cette contradiction. Ce parcours est celui de toute oeuvre dans et par laquelle se reconstitue comme nouvelle l’identité et consistance originelle."
JURANVILLE, 2024, PL

INDIVIDU, Solitude, Universalité, Oeuvre, ROSENZWEIG

Fruit de la philosophie nouvelle autant que de la Révélation judéo-chrétienne, selon Rosenzweig, l'individu mêle deux caractéristiques en apparence opposées : la solitude existentielle, et l'universalité essentielle (précisément comme enjeu majeur de la Révélation) ; deux propriétés que seule l'unité consistante de l'oeuvre peut rassembler, et le fait qu'elle est tout entière destinée à l'Autre.

"Rosenzweig reprend les apports décisifs de Kierkegaard quant à l'individu, en leur donnant quelques prolongements. D'une part, il souligne que l'individu, l'individu véritable, est une conquête de la philosophie nouvelle, celle qui vient après l'idéalisme (de Parménide et Platon à Hegel)... D'autre part, il inscrit cette affirmation de l'individu dans le cadre de la révélation non seulement chrétienne, mais aussi et primordialement juive. L'individu aurait été dégagé d'abord dans le judaïsme ; sans contradiction alors avec la communauté parce que c’est une communauté juste acceptant l’individu ; il serait seul néanmoins, notamment lors des Jours redoutables... L'individu aurait été ensuite proclamé comme exigence valant universellement par le christianisme... Mais il souligne surtout l'unité de l'œuvre, sa consistance et le fait qu'elle est tout entière pour l'Autre. Reste que Rosenzweig exclut toujours toute détermination objective rationnellement confirmée, toute fixation sociale, de pareille consistance – de l’œuvre, et par là, de l’individu."
JURANVILLE, FHER, 2019

INDIVIDU, Prochain, Oeuvre, Populisme

Le Vè commandement appelle ne pas tuer, à laisser être le prochain avec l'œuvre qui est la sienne, et à ne pas considérer que celle-ci puisse nous nuire du seul fait qu'elle semble meilleure ou plus avancée que la nôtre : au contraire, se savoir redevable à autrui pour mener à bien sa propre oeuvre, à rebours de tout populisme revanchard, est le fait de l'individu véritable.

"On peut légitimement soutenir que le Vè commandement prend aujourd'hui toute sa portée d'indiquer à l'existant comment devenir individu véritable. En renonçant à en vouloir aux autres sous prétexte qu'ils empêcheraient, par leurs œuvres, la sienne propre d'être reconnue comme elle devrait l'être ; et à croire qu'il faudrait, pour son œuvre à soi, les éliminer, eux et leurs œuvres. En menant opiniâtrement à terme pareille œuvre. Et en pesant que cette œuvre, de toute façon, est offerte aux autres en général, à leur jugement... Or laisser être le prochain, avec ses œuvres déjà produites ou son ambition d'œuvres, voire lui permettre de devenir ce qu'il peut devenir - dans les deux cas individu -, c'est justement le propre de l'individu véritable... Le V° commandement prend donc toute sa portée dans le monde actuel, en montrant - contre tout populisme qui en veut à l'élite, à ceux qui sont supposés avoir déjà mené à bien leurs œuvres - qu'on ne devient soi-même individu qu'en accueillant ces œuvres comme elles doivent être, et en élaborant la sienne à partir de là."
JURANVILLE, UJC, 2021

INDIVIDU, Oeuvre, Rupture, Politique

L'individu est celui qui mène la rupture d'avec le monde sacrificiel, en accomplissant son oeuvre, car c'est par elle qu'une identité nouvelle prend corps dans un langage, et donc qu'est posée l'objectivité de l'existence - c'est toute la portée politique d'un tel accomplissement et d'une telle épreuve.

"Certes celui qui s’engage dans l’individualité doit traverser l’épreuve terrible de la finitude radicale comme solitude. Mais cette épreuve que l’individu a à traverser jusqu’au bout pour être un individu effectif, elle est fixée dans l’œuvre. Dans le parcours qui est celui de sa forme, elle témoigne auprès de tout Autre de l’épreuve traversée pour la relation à cet Autre. Et que, dans l’apaisement final qui correspond au moment où la forme se fait contenu, nouveau contenu, elle témoigne de ce que cette épreuve a été menée jusqu’au bout, jusqu’à la constitution d’une identité nouvelle dans le cadre de laquelle est revoulue toute la finitude. Dans l’œuvre est ainsi justifié le mouvement du sujet existant vers son individualité. L’individu est donc bien celui qui mène la rupture, d’abord introduite par la révélation, jusqu’à son accomplissement objectif – et il peut être ainsi posé dès lors qu’on pose comme telle l’objectivité de l’existence, ce que nous faisons en affirmant, au-delà de l’existence, l’inconscient. Individu dont toute la visée du système sacrificiel est d’empêcher la venue – où l’on voit que la catégorie de l’individu relève primordialement et ultimement, malgré qu’en eût eu Kierkegaard, de la politique."
JURANVILLE, 2010, ICFH

INDIVIDU, Oeuvre, Prochain, Individualisme, NIETZSCHE

L'individualisme pourrait se définir comme une revendication d'autonomie illusoire, de la part d'individus plus consommateurs que créateurs, fuyant l'exigence de l'oeuvre et l'épreuve de la création, dans laquelle seulement l'individu gagne son autonomie et surtout en offre le témoignage au Prochain, afin qu'il puisse devenir à son tour individu ; ce qui est le sens profond du II° commandement ("Tu aimeras ton prochain comme toi-même").

"Le II° commandement prend toute sa portée dans le monde actuel de montrer comment on devient, loin de tout individualisme, un individu véritable. En ne se prétendant pas toujours déjà autonome, mais en constituant son autonomie dans l'œuvre, de quelque espèce qu'elle soit, qu'on produit ou au moins dans laquelle on s'engage. L’individualisme apparaît dans toute sa négativité, aux yeux de la philosophie actuelle, quand on le proclame, comme le fait l'opinion commune, sans vouloir peser qu'il n'y a de vérité de l'individu que si celui-ci traverse l'épreuve de l'existence et en rend témoignage à l'Autre en général, dans une œuvre ; et quand, au contraire, on gomme cette exigence d'œuvre. Ainsi pour l'individualisme comme phénomène social, où l'individu exalté est celui du souci égoïste de soi, de ses aises et de ses plaisirs, qui veut croire qu'il y a d'emblée réelle autonomie. Individualisme qui n'est alors que la manifestation, indirecte, contournée, « moderne », du primordial rejet de l'existence finie et de l'individualité véritable qui assumerait cette existence. C'est ce que dénonce Nietzsche quand il dit que « les deux termes qui caractérisent les Européens modernes semblent contradictoires, l'individualisme et l'égalitarisme ». Contradictoires parce que l'individu véritable devrait «[vouloir] la solitude et l'estime du petit nombre» et qu'en fait « nos individualités sont faibles et craintives », au point que "le principe individualiste élimine les très grands hommes", c'est-à-dire les individus véritables, avec leurs œuvres. D'un autre côté, il n'y a pas à en rester à une déploration du « désert » nihiliste qui « croît », et à dire avec Nietzsche : « Ma pensée, c'est que les buts nous manquent, et que ces buts ne peuvent être que des individus. Nous voyons la marche générale des choses, l'individu y est sacrifié et sert d'instrument)”. L'individu est bien le but que s'était fixé le monde historique. Ce but est atteint aujourd'hui."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Oeuvre, Passion, Ecriture

En tant que difficile travail de la forme, écriture, recherche d'unité et de consistance, l'oeuvre est toujours vécue intérieurement, par l'individu, comme sa Passion propre (comprenant les quatre passions fondamentales que sont l’angoisse, la culpabilité, la honte et la peur.)

"L’œuvre est ensuite l’intérieur de l’œuvre. C’est l’œuvre en tant que travaillée, ou encore l’œuvre en tant que produite par un individu qui est lui-même travaillé. C’est l’œuvre en tant qu’écriture, et donc forme – mais une forme qui, à la différence de ce qui a lieu dans les objets ordinaires, se constitue imprévisiblement, à partir de la matière, dans l’épreuve de la finitude radicale. Épreuve de l’unicité conduite, dans l’œuvre, par l’individu, jusqu’à l’unité et identité objective. L’œuvre implique, pour l’existant comme matière et mère, une souffrance, une passion. Du fait de l’exigence d’absolue consistance qui y est éprouvée. Et du fait de la fuite, toujours d’abord, de l’existant devant cette exigence. Elle implique donc, pour l’existant, la traversée de ce que nous avons appelé sa passion propre, c’est-à-dire des quatre passions fondamentales que sont, dans l’ordre, l’angoisse, la culpabilité, la honte et la peur."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Histoire, Moi

Par essence toujours tournée vers l'Autre, la finalité ultime de l'oeuvre est de contribuer à cette oeuvre de toutes les oeuvres qu'est l'histoire (faute de quoi elle se fossilise en masque, fétiche), en tant qu'elle doit déboucher sur une société juste garantissant la liberté d'oeuvrer pour chacun. Cette contribution est l'oeuvre de chacun parvenu à ce stade accompli (et autonome) de l'individu qu'est le moi.

"L’œuvre est enfin l’essentiel de l’œuvre. Car l’œuvre est certes tout entière tournée vers l’Autre comme tel ; elle est certes, pour l’existant, ce qui le fait se désapproprier de ses identités et propriétés ordinaires. Mais, parce qu’elle lui fait traverser, douloureusement, sa passion propre, elle est aussi, pour lui comme individu, ce qu’il a de plus propre, sa propriété vraie par excellence. Or, parce que tous, par finitude, n’effectueront pas cette traversée de la passion, l’œuvre, à la fois, donne, à celui qui l’a produite, un droit et un pouvoir et, en même temps, elle se transforme, socialement, en œuvre fausse, fétiche, masque fascinant et terrifiant, lettre qui tue et ne vivifie plus. Il faut donc que l’existant, pour son œuvre propre, vise toujours aussi, à travers cette œuvre, l’œuvre des œuvres humaines qu’est l’histoire et, dans l’histoire, la société juste sur quoi celle-ci débouche. Société juste comme société de droit où chacun sera mis en position de créer son œuvre propre (là est le sens du droit), sa propriété essentielle – sans être voué à se soumettre aux propriétés et aux pouvoirs de certains. Société juste où toutes les œuvres auront leur reconnaissance. Pareille œuvre de l’histoire – avec, en elle, la société juste –, c’est alors non plus simplement comme individu, mais comme moi, que l’existant la produit."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Etre, Unicité

L'unicité de l'oeuvre est d'abord celle de l'être se détachant de l'étant anonyme, c'est donc bien celle également de l'individu ; elle se prouve et s'éprouve comme unité d'une matière et d'une forme.

"L’œuvre est d’abord l’extérieur de l’œuvre. C’est l’œuvre en tant que, surgissant dans le monde, elle se distingue des autres étants, des objets ordinaires. Elle se distingue des « objets » ordinaires parce qu’elle est reconstitution, parmi eux, de la « chose » originelle. Elle se distingue des autres « étants » parce que, parmi les étants en relation les uns avec les autres dans le tout du monde, elle est, non seulement étant, mais être ; parce qu’elle est, parmi eux, l’être même, comme puissance originelle. Unicité de l’œuvre, comme celle de l’individu. Unicité de l’œuvre qui se marque en ceci qu’elle n’est pas reproductible comme le sont les autres étants, les autres objets ; par ceci qu’en elle la forme ne peut pas être séparée de la matière, et qu’on ne peut pas « réaliser » cette forme dans une autre matière pour obtenir un objet équivalent, une même œuvre."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Chose, Unité

L'individu s'accomplit dans l'oeuvre, qui donne vérité à la chose, laquelle donne réalité à l'unité.

"L’individu est ensuite œuvre, par et dans quoi il s’accomplit. Ce qu’il faut, c’est que l’identité, et donc d’abord l’unité, reconnue (car ce qui est reconnu dans l’identité, c’est d’abord l’unité) ne soit pas celle du maître ordinaire, mais une identité, et d’abord une unité, constituée à partir du réel imprévisible de la finitude radicale. Or unité et en même temps réalité, cela définit selon nous la chose. Ce qu’il faut donc, c’est que cette chose soit reconnue de tous, c’est qu’à cette chose – que l’existant est censé être devenu dans la solitude, où l’épreuve de l’unicité est menée jusqu’à l’un – vérité soit donnée. Mais chose et en même temps vérité, cela définit selon nous l’œuvre."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Autre, Sens

L'on peut supposer que le sens du III° commandement, stipulant que Dieu se reposa au 7è jour de la Création, est de laisser à la créature - cet Autre de l'Autre - la possibilité d'oeuvrer à son tour ; et d'oeuvrer en tant qu'individu, lequel, ayant éprouvé sa finitude dans la solitude nécessaire, s'ouvre à son Autre afin de délivrer et confirmer le sens même de son oeuvre.

"On peut légitimement soutenir que le III° commandement prend aujourd'hui toute sa portée d'indiquer à l'existant comment être pleinement individu, En s'ouvrant, une fois faite son œuvre propre, à l'œuvre à venir de l'autre homme. Par le III° commandement l'homme est appelé, à l'image de l'Autre divin, une fois achevé son ouvrage en six jours (entendons, en ces six jours, une structure nécessaire), à se reposer le septième jour et, en cela, à sanctifier ce jour. Il n'est certes pas dit que, quand Dieu se repose, il ouvre l'espace pour l'œuvre de l'homme. Mais c'est, selon nous, supposé - ce serait la sanctification du septième jour - parce que le sens de la création de l'homme est de produire une créature capable de liberté et autonomie créatrice et de voir confirmée, par l'œuvre de la créature, l'œuvre divine. Et l'homme aura donc à faire de même et, se reposant une fois achevée son œuvre à lui, à ouvrir l'espace pour l'œuvre à venir de l'autre homme. Or laisser ouvert et même ouvrir, une fois son œuvre faite, l'espace pour que l'autre homme élabore son œuvre à lui, c'est le propre de l'individu véritable."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Grâce, Oeuvre, Masque

Si tout individu est confronté à sa finitude radicale dans la plus parfaite solitude, il n'est devenu un individu, avec son unicité, que par la grâce initiale qu'il a reçue de l'Autre absolu ; grâce qu'il doit bien communiquer à son tour à tout autre afin qu'il devienne lui-même individu, et c'est ainsi, par le travail de l'oeuvre, que les masques - protecteurs aussi bien que trompeurs - tombent finalement.

"Pourquoi, si l’individu est une « catégorie chrétienne décisive » (Kierkegaard), est-il aussi ce qu’on pourrait appeler un « thème marxien inévitable » ? Parce que l’individu, caractérisé par la finitude radicale à laquelle il s’affronte dans la solitude, sait bien qu’il aura besoin de l’autre homme et de l’engagement de cet autre dans le même affrontement libre, et qu’il doit donc laisser se communiquer à cet autre la grâce qu’il a reçue, sans laquelle il n’aurait pas pu devenir individu, et qui fera de l’autre à son tour un individu. Et parce qu’il sait bien également que l’unicité vraie dont il se réclame peut très vite se fausser, n’être plus qu’illusoire, qu’elle doit se prouver dans une œuvre, reconnue de tous, et que c’est par la grâce qu’elle communique que cette œuvre obtiendra la reconnaissance. Et l’on peut alors, au-delà de la « révolution communiste » exaltée par Marx, remarquer que, si l’existant doit s’être constitué un masque, masque qu’il aura ensuite à instruire en œuvre, il devra aussi, comme individu, par rapport à l’autre homme, déposer ce masque en ce qu’il pourrait avoir de fascinant. Que c’est ce que fait, de par son seul discours, le psychanalyste dans le monde social. Et que là est la révolution effective, quand chacun pourra être ainsi libéré de la fascination mortifère exercée par les masques – et de la soumission hors contrôle imposée par les spectres."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT