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EPOQUE CONTEMPORAINE, Philosophie, Psychanalyse, Ethique, LEVINAS

Après la catastrophe absolue du XXᵉ siècle – Auschwitz et Hiroshima –, la philosophie tente une dernière fois de penser l’existence. Levinas en est l’exemple majeur : il rejoint implicitement la psychanalyse, notamment Lacan, pour refonder un savoir rationnel de l’existence, intégrant la finitude et la responsabilité. Freud avait déjà traversé les grandes étapes de la modernité : idéalisme scientiste, reconnaissance de la pulsion de mort après 1918, et pressentiment de l’Holocauste. Lacan montre - lui aussi implicitement - l’unité entre inconscient et existence, entre psychanalyse et philosophie : la sexualité, marquée par la pulsion de mort, est l'autre nom de la finitude humaine. Levinas reprend cette leçon, dans le langage de la philosophie. Contre Heidegger et le paganisme du « dieu sans visage », il affirme que le vrai rapport à l’Autre absolu passe par le visage du prochain, lieu de la parole et de la vérité. En prônant la substitution et la responsabilité pour autrui, il rejoint la psychanalyse dans sa visée éthique, tout en proclamant ouvertement ce qu’elle tait : la primauté de la raison et du savoir. Pour autant cette philosophie ne parvient pas à fonder un savoir effectif de l'existence, n'ayant pas l'idée de faire référence explicitement, comme il le faudrait, à la psychanalyse. La philosophie, confinée dans une éthique toujours plus pure, y compris quand elle prétend penser l'essence "du" politique, se condamne en fait à l'impuissance politique (la psychanalyse pouvait montrer comment dépasser cette impasse, car pour elle, la relation à l’autre ne doit pas se transformer en dette infinie). Ainsi, l’après-guerre se caractérise à la fois par le retour de l’exigence d’un savoir rationnel et par l’impossibilité de le réaliser pleinement. Cette tension marque une époque de visée de justice : décolonisation, création de l’État d’Israël, chute du communisme. Mais elle révèle aussi le risque constant du nihilisme, caché sous les formes modernes de l’idéalisme – moralisme humanitaire ou capitalisme productiviste.


"Face à la catastrophe absolue, la philosophie s’affirme une dernière fois comme pensée de l’existence. C’est ce que fait Lévinas, qui retrouve la psychanalyse, et notamment Lacan. Car la philosophie, réveillée de sa paralysie, et ayant, à la fois, à dénoncer l’horreur absolument absolue de l’holocauste, et à donner sa mesure à l’horreur, absolue elle aussi, mais qu’on a pu légitimement justifier, de la bombe atomique, doit alors affirmer à nouveau son exigence d’un savoir rationnel pur, savoir de l’existence, de l’existence avec sa finitude radicale. Et elle doit, à ce propos, reconnaître l’apport décisif de la psychanalyse... Mais la philosophie ne peut éviter, d’abord, de rester prise dans l’argumentation de la pensée de l’existence, et d’exclure toujours, sinon cette fois-ci la visée proprement philosophique du savoir, du moins la présentation du savoir philosophique comme savoir effectif. Et cela au nom de la relation au prochain, à l’Autre fini. Avec la conséquence d’une impuissance politique à nouveau, chez Lévinas et chez Lacan, tout autant que chez Heidegger. Alors que la psychanalyse (Lacan) a besoin du discours (et du savoir) philosophique, et qu’elle eût montré, à qui se place du point de vue de ce discours (Lévinas), comment passer outre à l’argument de la relation à l’Autre fini et se poser comme savoir effectif (car il n’y a pas, selon la psychanalyse, à donner infiniment à l’autre homme)."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

EPOQUE CONTEMPORAINE, Philosophie, Idéalisme, Nihilisme, MARX, NIETZSCHE, HUSSERL

Avec l’époque contemporaine, la philosophie prend pour objet l’existence elle-même, qu’elle pose comme autonome et créatrice, fondement d’un savoir nouveau et d’un monde juste. Marx, Nietzsche et Husserl incarnent cette ambition : tous affirment l’autonomie de l’existant tout en reconnaissant, implicitement, sa dépendance à une altérité radicale. Chez Marx, la révolution vise à libérer l’homme de l’aliénation, mais suppose une grâce universelle que rien ne garantit. Chez Nietzsche, la rédemption créatrice cherche à surmonter l’esprit de vengeance, mais repose sur une élection individuelle qui isole. Chez Husserl, la réduction phénoménologique prétend fonder le savoir sur la conscience pure, mais requiert une foi dans la communauté du sens. Or la philosophie échoue : à la fois elle reconnait l’autonomie de l’existence, suppose la finitude, mais refuse de poser celle-ci dans le savoir. Ce déni la ramène à l’idéalisme : ainsi Marx reconduit la communauté révolutionnaire à une totalité oppressive – illusion de la société sans classes ; Nietzsche transforme l’individu créateur en figure violente et narcissique – illusion du surhomme ; Husserl réduit la conscience constituante à un formalisme abstrait – illusion d’une science rigoureuse de la conscience. De 1848 à 1914, cette exaltation philosophique de l’individu se retourne en son contraire : l’écrasement de l’individu dans les idéaux révolutionnaires, nationalistes ou scientistes. L’intervention de la philosophie dans l’histoire, parallèlement au développement du capitalisme, conduit finalement à la catastrophe de la Guerre mondiale, expression de leur fond nihiliste commun.


"Avec l’époque contemporaine la philosophie, légitimement, voit, dans l’existence ainsi affirmée, son objet propre et, légitimement, elle veut en poser l’identité – autonomie créatrice qui serait le principe d’un savoir nouveau, lequel accomplirait la rupture et instituerait le monde juste... Mais la philosophie ne peut alors empêcher que ce qu’elle pose – identité et autonomie de l’existant, rupture que celui-ci accomplirait – ne se fausse irréparablement. Car ce qu’elle suppose – finitude radicale, rupture d’abord par l’Autre absolu –, elle ne le pose pas et ne peut pas le poser : vaut toujours l’argument kierkegaardien selon lequel poser l’existence essentielle, ce serait devoir taire l’identité et autonomie de cette existence. D’où, parce que la philosophie veut quand même poser l’identité, la rechute dans l’idéalisme."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

EPOQUE CONTEMPORAINE, Existence, Rupture, Idéalisme, KIERKEGAARD, MARX

Kierkegaard et Marx, dans le domaine de la philosophie, inaugurent une nouvelle ère de l’histoire universelle : l’époque contemporaine. Contre Hegel et toute la métaphysique issue de Platon, Kierkegaard affirme l’existence dans sa dimension essentielle, marquée par une rupture fondamentale — événement qui fait véritablement histoire bn. Cette rupture révèle à l’homme sa finitude radicale (le péché) et la tentation de fuir la liberté qu’elle suppose, le livrant ainsi à l’emprise du savoir illusoire, qu’il soit scientifique ou métaphysique, et au monde sacrificiel qu’il soutient. Mais cette rupture ne peut d’abord venir que de l’Autre absolu : Dieu. Par le Sacrifice du Christ, Kierkegaard dévoile le système sacrificiel comme refus de l’amour divin. Enfin, cette rupture appelle l’homme à la reproduire en lui-même, à se détacher de ce monde pour devenir, à l’image du Christ, l’individu véritable qui assume sa finitude dans un pur vouloir d’exister. - La pensée naît d’une même rupture chez Marx. En critiquant l’idéologie allemande ainsi que l’économie politique, Marx dévoile le capitalisme comme prolongement du système sacrificiel. Il oppose à l’illusion d’un Esprit universel un matérialisme radical qui exige le renversement de l’ordre social existant. Kierkegaard et Marx se rejoignent donc dans leur dénonciation de l’idéalisme, qu’il soit métaphysique ou scientifique, et dans leur mise en lumière de son fond nihiliste. Cependant, Kierkegaard refuse qu’une telle rupture fonde un nouveau savoir ou une identité vraie : cela reviendrait, selon lui, à nier la finitude humaine et à retomber dans l’illusion hégélienne et le faux savoir du monde. D’où son rejet de la philosophie elle-même, définie par la volonté de savoir. - Schelling avait lui aussi reconnu, dans ses dernières œuvres, l’existence essentielle, la finitude radicale du péché et la rupture historique que constitue la révélation, tout en affirmant, contre Hegel, l’importance d’un moment matérialiste irréductible. Mais cette époque de la pensée est globalement marquée par l’échec de la Révolution — non pas quant à ses acquis juridiques, mais parce qu’elle n’a pas engendré le monde juste qu’elle promettait — et par l’échec des restaurations. Elle remet en cause tout idéalisme, y compris celui, implicite, du capitalisme, et son fond nihiliste. Mais son incapacité à fonder un savoir vrai de l'existence précipite son retrait hors du politique, l'amène à un repli romantique sur la subjectivité, qui finalement engendre de nouveaux idéalismes.


"Kierkegaard et Marx se retrouvent donc bien pour dénoncer l’« idéalisme », public (celui de la métaphysique) ou secret (celui de la science positive, notamment l’économie politique), et pour en montrer le fond de haine, de désespoir, de « nihilisme ». Mais Kierkegaard exclut alors toute position du savoir nouveau qui résulterait de la rupture, et d’abord toute position de l’identité existante et vraie qui serait le principe d’un tel savoir. Il y aurait là, selon lui, rejet à nouveau de la finitude radicale, et rechute dans l’illusion hégélienne, et finalement dans le savoir (et le monde) ordinaire et faux, et engouffrement même – il n’en parle pas, mais le suppose – vers la catastrophe. D’où l’exclusion, par Kierkegaard, de la philosophie, en tant qu’elle est caractérisée par la volonté de savoir. Et l’exclusion bien plus, même en ce qui le concerne, de tout point de départ dans la philosophie : lui-même serait un simple écrivain, inspiré par le message chrétien, l’énonçant certes dans la philosophie, mais pour la déchirer par le paradoxe. Exclusion qui, quoique provisoirement, devait être, à nos yeux mêmes, voulue comme telle par la philosophie, et sans laquelle l’existence essentielle n’eût pas pu être posée effectivement. C’est cette exclusion de tout point de départ dans la philosophie qui fait de Kierkegaard, et non pas de Schelling, le premier penseur de l’existence."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CRITIQUE, Méthode, Pratique, Autre

Pour qui affirme l'existence, une méthode d'écriture - que l'on qualifiera de "critique - doit laisser advenir en tout autre une subjectivité créatrice, productrice d'une objectivité nouvelle. En effet cette méthode est portée par une négation radicale du savoir ordinaire en vue d'établir le savoir vrai de l'existence : or négation et savoir définissent précisément la critique. C'est au moyen de la critique que la pratique s'accomplit, là où la méthode n'était que l'acte de la pratique. Disons que la critique élève la méthode au rang de pratique véritablement révolutionnaire, capable de changer l'état d'esprit du "critiqué", lequel doit pouvoir accéder à son tour à la critique.


"Autre qui critique le fait alors toujours, au fond, au nom de l’Autre absolu et toujours, plus explicitement, au nom du savoir vrai, mais aussi de la justice, qui mettra chacun en position de reconstituer un tel savoir. Et l’Autre qui critique le fait d’autre part en communiquant au critiqué la grâce que lui-même a reçue. D’où l’efficace de la critique. Critique qui est bien critique interne, immanente, mais interne et immanente à une identité nouvelle qui n’a pu venir que de l’Autre – en quoi elle est quand même critique externe, transcendante."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CONTRAT, Autonomie, Contrat social, Finitude, ROUSSEAU, MARX

Pour le fini la société est d'abord une totalité close qui n'admet pas spontanément l'autonomie. C'est le contrat qui institue la société juste laissant une place à l'autonomie, car le contrat se définit comme écriture et position - or la position suppose l'autonomie, et l'écriture est ce qui garantit l'objectivité du contrat. Le contrat réduit ("contraction") l'essentiel à un trait, et comme limitation inévitable il se veut une épreuve assumée de la finitude, et même mieux, un engagement devant l'Autre et avec l'Autre à s'y confronter. C'est le sens profond du mot "souscription", gros d'un avenir collectif, d'une création certes d'abord individuelle mais de toute façon partagée. Notons que le seul engagement, le seul contrat susceptible de recueillir la reconnaissance universelle est l'oeuvre du savoir, en l'occurrence savoir juridique (soutenu et justifié par la philosophie). D'où l'exceptionnelle importance du "contrat social" théorisé par Rousseau ; contrat qui dépasse le cadre de telle ou telle communauté, puisqu'il en appelle explicitement à l'Autre absolu (pour Rousseau, la Volonté générale) ; contrat par lequel chacun accepte de renoncer à la jouissance immédiate qui était la sienne dans l'état de nature, et qui s'était faussée. Ce contrat social se distingue par sa radicalité du contrat politique de Locke (que reprend Hegel), lequel ne fait que justifier le droit de jouir des biens acquis dans l'état de nature. Marx a bien montré que ce contrat, simple "association dictée par la nécessité" selon lui, couvre en fait une situation de domination : c'est le cas avec le "contrat de travail" dont les termes sont viciés du point de vue du travailleur, puisqu'il y engage seul sa force vitale, ce qui revient à nier son autonomie réelle et à rompre la relation d'égalité. On en revient donc au contrat ordinaire, sacrificiel dans son principe (en l'occurrence sacrifiant la puissance créatrice du travailleur), érigeant un Autre faux en position de maître absolu (le Leviathan de Hobbes) ou même d'idole (l'argent, le Capital). Marx oublie néanmoins de préciser que l'existant, initialement, accepte ce contrat de son plein gré, par finitude radicale, reculant devant l'autonomie que lui octroie l'Autre absolu vrai ...dont il ne veut pas.


"La société est d’abord contrat. Car l’existant commence par s’arrêter à une totalité – c’est ce qu’on appelle communément la « société », le « monde social » – qui rejette l’autonomie vraie, avec la finitude radicale, et n’en accepte qu’une fausse, hors une telle finitude, autonomie fausse qui est alors le principe de l’objectivité (savoir) caractérisant cette totalité. Laisser venir l’autonomie vraie, c’est laisser venir ce qui sera le principe de l’objectivité elle-même vraie, et ordonnera une totalité nouvelle. Or l’objectivité est, avec l’existence, langage ; en tant que reconnue, elle est parole ; et, comme objectivité vraie contre la fausse, elle est vérité donnée à la parole, écriture. Mais l’autonomie en tant que principe de l’objectivité est ce qui la pose. Et écriture et en même temps position définissent, selon nous, le contrat. C’est donc par le contrat que se donne la société, la société en soi, la société juste. Contrat qui est cette société dans l’acte qui l’institue...
Ce contrat est suprêmement, pour l’homme, celui du savoir, seule œuvre à pouvoir s’assurer de sa reconnaissance, à pouvoir s’affirmer contrat bilatéral, et même universel. Et il est alors ce qu’on a appelé contrat social. Contrat social que veut et sur quoi débouche la philosophie, et qui institue la société politique ou société par excellence (au-delà des sociétés particulières qu’on peut former, toujours certes par contrat). Contrat social par quoi s’établit le droit qui ordonne cette société – et ce qu’on dénomme ordinairement, dans le cadre du droit, contrat, suppose ce contrat fondamental."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CONTRADICTION, Parole, Autre, Inconscient

Le premier stade du paradoxe est la contradiction, puisqu'il s'agit de s'opposer à une soi-disant vérité, niant la finitude radicale, pour en proposer une autre qui, justement ne soit pas purement formelle ou convenue, mais existentielle : il s'agit d'un acte authentique, toujours d'abord refusé. Pour cette raison la source de la contradiction essentielle ne saurait être que l'Autre, l'Autre absolu, et puisqu'elle survient comme parole, parole pure (ou pure signifiance), elle ne saurait être que celle du Fils engendré. Ajoutons qu'il faut la grâce de cet Autre pour que la contradiction soit, non seulement formulée, mais solutionnée ; il faut que l'Autre absolu se retire d'une certaine façon, afin de laisser l'existant accueillir la contradiction, et réaliser son oeuvre, métaphorique, de substitution. Encore faut-il que la vérité nouvelle puisse se déployer jusqu'à l'objectivité, ce qui représente le but de la conscience, mais seulement lorsque l'inconscient, comme parole Autre et contradiction pure au niveau du sujet, a été entendu et analysé (ce qui ne serait pas possible si l'Autre inconscient ne dispensait pas sa grâce, en se faisant lui-même non-sens et non pensée, en se faisant objet).


"L’existant cependant refuse d’abord une telle contradiction essentielle qui, venant de l’Autre, et même, au fond, de l’Autre absolu, et étant la parole même, lui ferait dégager, comme nous venons de l’évoquer, toute l’objectivité vraie et existante. Face à quoi pareille contradiction ne peut revenir– et certes elle revient– que par l’Autre absolu comme Fils incarné dans le Christ. Incarnation absolument décisive pour l’histoire. Et l’Autre absolu surgissant comme contradiction essentielle de l’Homme-Dieu donne à l’existant toutes les conditions pour accueillir cette contradiction. Ce que celui-ci fait et a à faire en tant que conscience, puisque devant la contradiction il est et doit devenir toujours plus conscience, comme on l’a vu. Mais ce qu’il ne peut faire qu’en reconnaissant la conscience fausse qui était et demeure toujours d’abord la sienne. Et en accueillant, comme conscience devenue vraie, la contradiction pure qu’est alors l’inconscient même – lequel est, en soi, parole et, en fait, l’Homme-Dieu."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CONNAISSANCE, Oeuvre, Occasion, Objectivité

Celui qui affirme l'existence suppose certes une oeuvre primordialement vraie, celle de l'Autre absolu, mais il exclut d'abord de poser son oeuvre propre en toute objectivité. Or il n'y a pas d'autre moyen de poser et de confirmer l'oeuvre primordiale que d'y répondre (et d'en répondre) par son oeuvre propre - laquelle recrée de quelque manière la consistance de l'oeuvre antérieure. C'est ainsi seulement que l'oeuvre devient connaissance. Et c'est ainsi que s'accomplit l'occasion, seulement quand l'oeuvre est posé dans son objectivité.


"L’occasion, même si elle est, comme nous l’avons dit, occasion par l’œuvre, est bien, comme on le pense plus communément, occasion pour l’œuvre – mais pour une œuvre qui, se rapportant à une autre œuvre déjà là, est alors connaissance."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT 

CONNAISSANCE, Individu, Autre, Messie

L'individu est le principe subjectif de toute connaissance vraie. Car se vouloir individu, c'est affirmer son identité dans son unicité, et donc en faisant l'épreuve de la finitude, s'arracher aux lois ordinaires de ce monde. L’identité est l’acte de la connaissance, tandis que la chose est ce qui est à connaître, à travers l'oeuvre, et ce dans quoi s’accomplit la connaissance. L'oeuvre est connaissance dès lors qu'elle s'ouvre aux autres oeuvres, qui la précèdent, d'abord celle de l'Autre absolu, la création, ensuite toutes celles, humaines, avec lesquelles elle accepte d'entrer en dialogue. La reconnaissance pour son oeuvre, l'individu ne l'obtient pas immédiatement, c'est pourquoi dans ce chemin vers l'autonomie il est porté par la grâce qui lui permet d'anticiper cette reconnaissance - pour peu, une nouvelle fois, qu'il s'ouvre aux autres, qu'il accepte la grâce qu'ils peuvent lui communiquer. Mais l'existant préfère s'attacher, tout d'abord, à des formes de connaissance moins exigeantes. Il peut notamment choisir la connaissance empirique (scientifique et positive) en s'identifiant au sujet transcendantal en vigueur, avec ses maîtres et ses modèles socialement établis, dans le but de "produire" (non de créer) et surtout de "capitaliser" des connaissances utiles. Cette connaissance exclut toute relation à l'Autre comme tel, toute épreuve de la finitude radicale, et ne permet pas de créer l'oeuvre-chose dans son unité ; le travail de l'individu est toujours sacrifié à des fins collectives, monnayables, capitalisables. A contraire s'il accepte l'existence, et avec elle le principe d'une connaissance vraie, absolue, le sujet doit d'abord supposer cette connaissance à l'Autre absolu, et que cet Autre donne toutes les conditions à tout Autre pour y accéder à son tour. Mais, à cause de la finitude, il faut supposer également l'intervention en personne de cet Autre, par la médiation de son Fils incarné (c'est toujours d'un fils dont est attendue l'accès à la connaissance et au-delà la rédemption, ce fils initialement rejeté du microcosme sexuel parental - la fameuse "scène primitive") ; c'est pourquoi le Fils de l'Homme ne saurait être, d'abord et en même temps, que le Fils de Dieu. La connaissance vraie revêt donc, inévitablement, une portée messianique, puisqu'elle doit préparer, par l'instauration d'un monde juste, le retour du Messie.


"La connaissance est enfin, dans son principe subjectif, individu. Car l’existant peut bien en venir à affirmer ou à supposer une chose vraie et existante comme ce qui est à connaître, et cela en l’Autre absolu et en tout existant, une chose qui assumerait la finitude radicale, et une chose qu’il devrait devenir lui-même en tant que connaissant. Mais il se laisse d’abord prendre, c’est ce qu’on vient de voir, par le monde ordinaire et son fond sacrificiel. Ce qu’il lui faut, pour poser objectivement cette chose et, par là, donner toute sa vérité à la connaissance, c’est s’arracher à ce monde, c’est-à-dire s’arracher aux maîtres et modèles qu’il y trouve, auxquels il veut s’identifier, et qui le détournent de l’épreuve pure de la finitude. Ce qu’il lui faut, c’est ne vouloir d’identité que dans son unicité, et à partir de l’épreuve qui y est faite de cette finitude. C’est donc se vouloir individu. Individu qui est celui qui veut connaître et qui connaît, quand l’identité est l’acte et le fait de la connaissance, et que la chose est, elle, ce qui est à connaître, et ce dans quoi s’accomplit la connaissance."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT 

CONNAISSANCE, Existence, Sens, Inconscient

La connaissance porte sur le particulier externe, même si elle en tire de l'universel, et elle est toujours oeuvre particulière, certes tournée vers l'universel. Affirmer l'existence, c'est donc toujours viser une connaissance particulière, mais aussi essentielle. En effet en posant l'extériorité de l'Autre absolu, aussi bien que son identité, l'existant suppose sa propre extériorité séparée et la possibilité de l'exposer dans son oeuvre propre, ayant alors valeur de connaissance. Mais la pensée de l'existence juge d'abord inconciliables l'existence, vécue authentiquement, et l'extériorité objective de la connaissance, sans se rendre compte que l'existence soi-disant authentique n'est alors que le reflet idéaliste et donc la continuation complaisante du monde social, avec son faux savoir écrasant. C'est en affirmant l'inconscient, en plus de l'existence, que l'on peut éviter le piège de l'idéalisme et parvenir à une connaissance objective. Seule la science de l'inconscient laisse place au non-sens constitutif de l'existence, et lui donne un sens finalement à la (dé)mesure du sens que l'Autre absolu a donné à son Oeuvre. A la condition de s'identifier, dans son oeuvre, à cet Autre absolu, l'oeuvre peut délivrer un sens qui soit connaissance essentielle et universelle.


"Connaître est certes répéter en soi ce qu’il en est de ce qui est à connaître, mais de telle sorte qu’on ne le ramène pas à soi, et que bien plutôt on le recrée en le laissant à toute son extériorité. Le décisif dans la connaissance est le particulier, à partir duquel l’universel doit réadvenir imprévisiblement. C’est ce que note Adorno : « La connaissance vise le particulier, non l’universel. » D’où ceci que ce qu’on connaît est toujours l’unique. Unicité d’une part de celui ou de ce qui est à connaître, et qui est toujours à connaître comme œuvre, et d’autre part de celui qui connaît, et qui connaît toujours en faisant œuvre à son tour, trait par trait.
En quoi affirmer l’existence, est-ce supposer une connaissance essentielle ? Affirmer l’existence, c’est supposer d’abord l’extériorité de l’Autre absolu qui, surgissant en dehors de l’existant, lui fait éprouver sa finitude radicale. Mais c’est supposer ensuite l’extériorité de l’existant qui reçoit de cet Autre toutes les conditions pour accéder, à partir de la finitude, à son identité vraie de séparé– jusqu’à poser comme telle cette identité dans son œuvre, comme l’Autre absolu le fait toujours d’abord. C’est supposer donc l’extériorité et qu’elle soit reconstituée par l’existant, supposer l’extériorité et en même temps la vérité de cette extériorité, supposer la connaissance. La même connaissance, de l’œuvre par l’œuvre, pouvant, pour l’existant, advenir dans la relation, non seulement à l’Autre absolu, mais à l’autre existant qui, lui aussi, a reçu, comme tout existant, les mêmes conditions pour aller jusqu’à l’œuvre."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT 

CHRIST, Oeuvre, Sujet social, Condition

L'oeuvre du Christ consiste à communiquer à l'homme, précisément au sujet social, toutes les conditions - grâce, élection, foi - lui permettant de renoncer à la haine sous-tendant le système sacrificiel, d'affronter jusqu'au bout la finitude radicale et de s'engage enfin dans son oeuvre propre (ultimement, à l'échelle de l'humanité, l'Histoire). Grâce (et pardon) qui le libère de sa déchéance ; élection (et invivation) qui l'engage, dans l'imitation du Christ, à accomplir cette oeuvre ; foi (et espérance) pour lui permettre de supporter la finitude et d'attendre le retour du Christ-Messie, soit l'avènement du Jugement dernier (où chacun sera jugé selon ses oeuvres).


"L’œuvre du Christ est l’œuvre par laquelle sont, à l’homme comme sujet social, redonnées les conditions qu’il avait perdues en se laissant entraîner dans le monde sacrificiel, redonnées pour qu’il s’affronte maintenant jusqu’au bout, dans son œuvre propre, à la finitude radicale... L’œuvre du Christ ne s’accomplit certes que lors du Jugement dernier, quand il revient en gloire pour juger les hommes – et pour les juger à la mesure de leurs œuvres, qu’ils auront accomplies dans l’attente de la venue du Christ-Messie ou de son retour, et qui sont d’abord, pour chacun, l’œuvre qu’aura été sa vie. Mais l’œuvre du Christ commence par ouvrir aux hommes l’espace social de leurs œuvres propres – avec, à chaque fois, à la pointe de ces œuvres, l’œuvre des œuvres qu’est l’histoire et, en elle, l’institution de la communauté juste."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

CHOSE, Oeuvre, Commerce, Connaissance

La Chose (réalité de l'unité), considérée dans sa vérité, entre dans la définition de l'oeuvre en laquelle la connaissance s'accomplit, au-delà de la seule expérience. Mais pour accomplir cette Chose qu'est l'oeuvre, encore faut-il en saisir l'occasion, au-delà du simple intérêt, et c'est le commerce qui offre une telle occasion : il s'agit pour l'existant, appelé à devenir Chose lui-même, de s'établir dans le commerce (puis le marché) des choses existantes. Le commerce en effet consiste à s'offrir à l'échange, suscitant ainsi la demande. Même si le commerce primordial reste le commerce charnel (par lequel un homme, est-il dit dans la Bible, "connait" une femme), certes appelé à être dépassé dans la distance et dans l'esprit, il permet d'accepter et de vouloir la proximité de l'Autre comme Prochain. Ainsi se noue le commerce d'amour, naissant dans la grâce, se poursuivant dans l'élection (où l'on communique à son tour sa grâce).


"Cette chose vraie ou œuvre, l’existant ne peut s’y rapporter, et la saisir comme occasion pour son œuvre propre, pour la connaissance, que s’il se veut lui-même une telle chose vraie. Et donc s’il s’arrache à son rencoignement initial de chose fausse, close sur soi, mélancolique, et s’il s’établit en relation avec cette chose vraie qui est occasion. Ce qui caractérise le commerce. De même que l’intérêt montre qu’on a saisi l’occasion, de même le commerce est ce qui fournit, qui offre des occasions à saisir. De même que la connaissance dans son acte, l’identité, ne peut aller jusqu’au bout d’elle-même que dirigée par l’intérêt – et si l’existant s’est intéressé à l’Autre qui toujours déjà s’intéresse à lui et duquel vient l’identité –, de même la connaissance dans ce par quoi elle s’accomplit, la chose, ne peut aller jusqu’au bout d’elle-même que déployée par le commerce – et si l’existant s’est établi dans le commerce des choses existantes et s’y est fait lui-même chose."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

AMOUR, Sujet social, Christ, Psychanalyste, SOCRATE

Socrate, le Christ, le psychanalyste : ce sont les trois figures historiques dont on peut attendre qu'elles fassent advenir l'amour dans le monde social, parce que dans les trois cas ce n'est pas seulement un amour abstrait qui est donné, mais bien toutes les conditions pour qu'il devienne réalité. Socrate aime le disciple : il lui dispense d'abord sa grâce, en tant que maître, par sa déclaration de non-savoir. Il lui transmet ensuite l'élection, à charge pour lui d'entrer à son tour dans le dialogue et de surmonter la contradiction pour accéder au savoir et à cet objet précieux - objet d'amour autant que de désir - qu'est la sagesse. Certes, en raison de cette élection même et de la nature de cet objet, sagesse et amour ne seront pas accordés effectivement à tous, et la philosophie doit prendre acte de son incapacité à instituer, seule, un monde juste. Le Christ aime le disciple : il dispense sa grâce d'Autre absolu au disciple et à tout homme en tant que sujet social, prêche l'amour du Prochain et l'exigence de justice pour tous, mais bien sûr il ne peut faire que tous soient égaux devant l'élection que cette grâce implique, aussi le christianisme doit-il prendre acte de son échec à réaliser la justice sociale dans le monde. Le psychanalyste aime le patient ...même si c'est le patient qui éprouve l'amour de transfert (à quoi ne se résume pas l'amour) mais c'est l'analyste qui transfère premièrement, qui donne l'amour depuis le lieu qu'il occupe réellement, et inconsciemment, celui de la Chose. En tout cas il dispense au patient cette grâce de lui supposer un inconscient comme lieu de la vérité, mais aussi - là réside l'élection - il lui offre de devenir un sujet individuel (et pas seulement un sujet social) ayant à conquérir son autonomie. Et donc, une fois de plus, il n'appartient pas directement au discours analytique de réaliser la justice sociale, il reviendra toujours à la philosophie - maintenant inspirée par la psychanalyse - d'enseigner, pour qui veut l'entendre, l'amour, la justice, et cette fois explicitement la reconnaissance de l'individu véritable.

"Pour nous, et Socrate, et le Christ par excellence, et le psychanalyste aiment, et la succession historique de ces trois amours permet seule que l’amour soit reconnu de tous dans le monde social... La philosophie (le discours philosophique) reprenant la psychanalyse peut montrer en celle-ci le jeu du vrai amour, le psychanalyste transférant le premier sur le patient, et le patient ayant alors à entrer dans le même transfert et dans le même amour. Et c’est ainsi, à la fin de l’histoire ouverte par l’avènement de la philosophie en Grèce, que l’amour peut être reconnu socialement comme il le doit, et comme le voulait la philosophie, tout sujet social ayant la possibilité, dans une relation de l’ordre de celle qu’introduit le discours psychanalytique, d’advenir comme sujet individuel, et de répondre à l’amour (éminemment celui du Christ) par l’amour."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

AMOUR, Vérité, Altérité, Désir

Si, dans son acte, le sacrifice est renonciation, c’est par et dans l’amour qu’il s’accomplit. Il faut proclamer l'amour pour s'assurer que la relation à l'Autre impliquée dans la renonciation ou encore que l’altérité présente dans l’immédiateté, soit le désir, recevra bien vérité aux yeux de tous, puisque désir et en même temps vérité définissent l'amour. Car dans l'amour le désir est non seulement présent mais réellement accompli, dès lors que l'objet aimé désire à son tour, et réaffirme non simplement le désir tourné vers l'objet mais l'amour de l'Autre comme tel présent dans l'objet. Car le propre du vrai amour est de donner à son objet toutes les conditions pour advenir au même désir et au même amour. Paradigmatiquement, c'est l'amour de Dieu pour la créature par l'intermédiaire du Fils engendré, amour dont le Fils témoigne à son tour en donnant sens à la création, ce qu'il accomplit en donnant son propre amour à l'homme, lequel aime Dieu en retour, et décisivement son Prochain...

"Car dans l’amour il y a un désir, mais un désir d’emblée heureux (et qui ne peut pas être immédiatement déçu), d’emblée accompli et qui, simplement, attend quelque chose de l’objet comme Autre, que l’accomplissement qu’on lui suppose devienne effectif, qu’il s’établisse lui-même dans le même désir heureux présent chez celui qui aime, et dans le même amour. L’amour est donc bien désir et en même temps vérité. Surgissement du désir, du vrai désir, dans le réel, et réeffectuation, re-position de ce désir par tout existant – car un amour qui s’arrêterait à un objet ne peut être que faux, l’amour, comme le désir, allant vers l’Autre comme tel, et voulant simplement, à la différence du désir, faire advenir cet Autre dans son objet. De là la portée, pour la philosophie qui veut l’histoire, et donc la rupture, et donc le sacrifice, et donc la renonciation, de l’amour."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

ALTÉRITÉ, Révolution, Discours du clerc, Identification

Le discours du clerc a comme phénomène la révolution, de même que le discours du peuple a comme phénomène la tradition, et le discours du maître l’institution. Or poser la révolution implique d'une part d'affirmer son identité (comme énonciateur de cette idée, de ce projet) aux yeux des autres sujets, et d'autre part d'affirmer cette identité comme résultant de la relation avec ces autres sujets (comme interlocuteurs participant à ce projet) : cela revient donc à poser son identité dans la relation, ce qui définit proprement l'altérité. Mais porter la révolution implique non seulement une identité et une volonté, mais une identification sociale spécifique, la mise en place d'un discours. Nous dirons donc que l'identification sociale du discours du clerc est l'altérité, de même que l’identification sociale du discours du peuple est l’objectivité, et celle du discours du maître la subjectivité.


"Ce qu’il faut à l’existant, c’est certes poser la révolution voulue vraie, et donc s’affirmer identité aux yeux de l’autre homme, occuper à ses yeux la place du maître qui ordonne le monde. Mais c’est aussi, en même temps, poser comme essentielle la relation à l’autre homme, au point que l’identité provienne de cette relation. C’est poser en même temps identité et relation. C’est donc poser l’altérité, puisque telle est sa définition. Altérité qui est certes supposée par la révolution, mais qui doit être maintenant, non seulement posée comme telle, mais recréée comme telle, pour donner au discours du clerc qui se réclame de la révolution, sa vérité objective."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALTERITE, Discours du clerc, Philosophie, Identité

Structurellement le discours du clerc est le discours de l'altérité puisqu'il se tient à la place de l'Autre, censé ouvert à son Autre. Ainsi la philosophie, depuis Socrate et Platon, se déploie dans un dialogue ouvert aux objections, dont il s'agit de tenir compte car l'identité débattue en dépend désormais. Cette dialectique de l'altérité et de l'identité est constitutive de l'existence même, dont le savoir est en question pour la philosophie.


"La philosophie que Platon a introduite à partir du dialogue socratique, et en voulant poser comme tel le savoir que vise ce dialogue, a au cœur d’elle-même l’altérité. Elle est altérité, ouverture aux objections de l’Autre dans le dialogue, mais aussi identité qui vient, comme nouvelle, de cet Autre et de laquelle on devra repartir (pour le savoir) – altérité et identité qui font l’existence ; et elle est savoir vers quoi dirige cette existence."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALTERITE, Aliénation, Maître, Finitude

L'altérité dans le monde ordinaire se présente sous une forme tronquée, qui pour être fausse n'en est pas moins réelle, objectivement et subjectivement : c'est la relation aliénante à un Autre absolu identifié au maître, qui réduit le sujet au rang de serviteur, qui empêche l'épreuve de toute finitude radicale. L'Autre ne peut pas, dans ces conditions, apparaître comme vraiment Autre, celui qui s'adresse au sujet comme à son Autre : il ne dispense qu'une altérité faussée, même si lui-même fait bien référence à un Autre absolu, sinon il ne serait pas le maître.


" Or cette altérité ordinaire ne se borne pas à être fausse objectivement et théoriquement, elle l’est aussi et surtout subjectivement et pratiquement. Et l’existant ne se contente pas d’y déployer une objectivité fausse, il va jusqu’à y supposer comme principe de l’objectivité la chose originelle, mais elle-même faussée, illusoire et même hallucinatoire. Ce qui constitue, après ses dimensions névrotique et perverse, la dimension psychotique de l’altérité ordinaire. Altérité ordinaire comme aliénation."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Religion, Scène primitive, Séparation, LACAN

On peut qualifier de "religieuse" l'aliénation fondamentale qui constitue l'une des deux opérations par lesquelles le sujet se réalise dans sa relation à l'Autre, la seconde étant la séparation. Si la "réalité psychique" même au sens de Freud est "religieuse", selon Lacan, c'est dans la mesure où elle est suspendue à une première articulation signifiante perçue (faussement) comme totale et complémentaire, celle du couple parental, avec pour signifié un rapport sexuel supposé parfait dont l'enfant ne peut que se sentir exclu (c'est la fameuse "scène primitive"), rejeté au titre de déchet sacrifié. De là le sens en quelque sorte inné, la fascination universelle et pérenne de l'être humain pour le sacrifice en général, en tant que noyau dur de l'aliénation religieuse.

"Lacan , comme les « jeunes hégéliens » en leur temps, dénonce comme religieuse, et précisément sacrificielle, cette aliénation constitutive. L’aliénation serait l’une des deux « opérations de la réalisation du sujet » dans sa « dépendance signifiante du lieu de l’Autre », dans son « rapport à l’Autre ». Elle serait abstraitement aliénation au langage – mais comme langage alors faussé, le « couple primitif de l’articulation signifiante » n’étant pas reconnu dans la finitude radicale qu’il signifie, mais cru illusoirement sans manque... Et en même temps Lacan dirige vers l’autre « opération de la réalisation du sujet », laquelle serait, non plus aliénation, mais séparation, se-parare mais aussi, pour Lacan, se parere, engendrement de soi-même, autonomie. Mais le discours psychanalytique ne peut poser expressément cette autonomie réelle, ni la religion vraie qu’elle suppose, ni le monde juste dans lequel elle se déploie."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Révolution, Altérité, Objectivité

 Avec les révolutions socialistes et le totalitarisme, le XXè siècle aura été le témoin d'une "aliénation de la désaliénation elle-même" comme le dit Levinas, prouvant par là-même ce qu'elles niaient farouchement, à savoir le caractère inéliminable de l'aliénation. Cela parce que l'aliénation a été ramenée à sa seule dimension sociale, elle n'a pas été vue dans son caractère essentiel, comme constitutive de la finitude humaine. On a voulu lui substituer une identité mythique à "retrouver", à "libérer", celle d'un "moi" déjà là (quelque soit le nom qu'on lui donne), exactement comme chez Hegel. A l'inverse la pensée de l'existence, celle de Levinas notamment, sous-estime trop l'enjeu politique de l'aliénation, comme elle efface trop vite la perspective d'une identité en général : « Unicité sans intériorité, moi sans repos en soi, otage de tous – homme sans identité » écrit Levinas. Même chose chez Lacan avec sa conception d'un Autre sans Autre, qui en ne reconnaissant pas, pour le sujet, la possibilité de se faire l'Autre de l'Autre, d'en retirer identité et objectivité, rend impossible toute désaliénation sociale.

"Et c’est toujours cette altérité pure au-delà de toute identité qui s’exprime chez Lacan dans sa formule bien connue qu’« il n’y a pas d’Autre de l’Autre ». Or n’est-ce pas en excluant de pouvoir jamais poser comme telle l’altérité vraie qu’on conforte le plus définitivement la prise dans l’aliénation ordinaire, et donc le monde sacrificiel ? Ne faut-il pas au contraire poser malgré tout l’altérité dans toute sa vérité, en tant qu’elle met chacun en situation, comme identité et autonomie, de reconstituer l’objectivité vraie et qu’elle ouvre à la révolution et à l’institution, à partir de là, du monde juste ?"
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Révélation, Discours psychanalytico-individuel, Discours philosophico-clérical

Pour surmonter l'aliénation ordinaire - tout en la reconnaissant dans sa forme minimale qu'est la sexualité, au niveau du sujet individuel - l'existant doit s'installer dans le discours de l'individu (ou psychanalytico-individuel). Mais affirmer l'altérité vraie n'est possible qu'en passant par la Révélation, qui au demeurant fait la vérité de chacun des grands discours. Or c'est plus particulièrement la fonction du discours du clerc (ou philosophico-clérical), qui se tient à la place de l'Autre, d'instaurer la justice ou la concorde entre les différents discours, de proclamer la révolution vraie dans l'esprit même de la Révélation, tout en reconnaissant l'aliénation dans sa forme minimale, soit le capitalisme, au niveau du sujet social.

"L’existant peut, contre l’altérité ordinaire et son fond d’aliénation psychotique et sacrificielle, affirmer ou supposer ensuite, avec l’existence, une altérité vraie. Altérité vraie qui doit venir de l’Autre absolu vrai dans sa Révélation... Et c’est sur fond de ces Révélations que l’existant peut effectivement échapper au système sacrificiel et advenir à son être d’Autre, à son unicité et autonomie d’individu. Et donc s’établir dans le vrai discours de l’individu... Et c’est sur fond de ces Révélations que l’existant va pouvoir, à partir de ce discours, s’établir dans tous les discours fondamentaux. Et suprêmement, puisque c’est celui qui est tenu de la place de l’Autre, dans le vrai discours du clerc, ou discours philosophico-clérical."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007

ALIENATION, Révolution, Existence, Société, MARX

L'aliénation pour Hegel est le processus nécessaire par lequel l'esprit absolu s'incarne et se perd, dans un premier temps, dans la conscience humaine, pour mieux se ressaisir et se comprendre lui-même. Aliénation purement formelle et de type religieuse dénoncent les jeunes hégéliens et Marx en particulier, lequel souligne le caractère avant tout social et économique de l'aliénation et en appelle à la révolution pour permettre une autonomie réelle. Mais l'inconséquence de Marx, au regard de l'existence, qu'il suppose et reconnait pourtant - au moins formellement, au titre de l'individu concret disposant de sa force de travail - est d'ignorer les conséquences encore plus aliénantes et totalitaires d'une révolution prétendant nier l'aliénation dans son principe. Comme si pour penser l'existence il ne fallait pas en même temps reconnaitre le caractère radical et inévitable de l'aliénation, comme sujétion à l'Autre en général (et d'abord à l'Autre absolu), justement pour la vaincre - autant que possible, mais jamais totalement - comme prétendue justification du pouvoir (laquelle doit revenir au droit).


"Marx, parce qu’il ne fait que supposer l’existence, entretient, avec sa révolution, l’illusion dangereuse, « aliénante », d’un triomphe total sur l’aliénation. De cette aliénation la philosophie doit, avec l’existence et l’inconscient, soutenir que, certes ultimement sociale, elle est radicale et définitive, mais soutenir aussi qu’elle peut, par une révolution vraie, être vaincue comme principe organisateur du monde social et limitée dans ses conséquences."
JURANVILLE, EVENEMENT, 2007