Devenir Chose est l'horizon du sujet, ce qui est possible par la création dans laquelle le sujet s'identifie à l'Autre absolu. Car en tant qu'unité et en même temps réalité, la Chose est d'abord la substance de cet Autre absolu créateur, puis elle devient celle de tout existant en devenir, par le biais de sa création. Cependant, elle tend à se réduire à une Chose mythique (corps maternel, monde sacrificiel) et, même accomplie, l'œuvre devient statique et inerte, fascinée par elle-même.
CHOSE, Création, Autre, Sujet
CHOSE, Objet, Sujet, Unité
La Chose n'est pas l'objet, mais c'est pourtant ainsi qu'elle se donne d'abord au sujet, l'objet présentant la seule forme d'unité compatible avec la fausse unité que le sujet se donne toujours d'abord, parce que la confrontation avec la Chose réelle ferait voler en éclats celle-ci. Il n'en demeure pas moins que la tâche d'"élever l'objet à la dignité de la Chose", dans la création, incombe au sujet - à la fois pour que la Chose soit reconnue comme différente de l'objet, et pour qu'elle se présente effectivement au sujet dans l'objet.
CHOSE, Nom, Sujet, Objet, HEIDEGGER
"Comment s’effectue alors ce rassemblement du monde ? La chose convoque et renvoie l’homme en le posant comme sujet. L’homme est impliqué par la chose en tant que phallus, puisque le phallus, c’est « le sujet dans sa réalité ». Réalité de l’homme qui regarde la chose. Mais en même temps la chose appelle un nom. Dans un premier sens, cela signifie que la chose demande à être nommée. Dans un second sens, qu’elle requiert l’avènement du Nom en général. La chose implique donc, non seulement la réalité de l’homme qui se trouve en sa présence et la rencontre, mais le Nom primordial, soit le Nom-du-Père, et sa propre nomination à elle. Ce qui l’installe elle-même comme sujet par la détermination de ce qu’on a évoqué comme « trait unaire ». La chose implique enfin sa propre réalité, non pas sa réalité de sujet (qui serait aussi le phallus), mais sa réalité de chose. Cette réalité que perd le sujet comme sujet, soit celle de l’objet."
JURANVILLE, LPH, 1984
CHOSE, Jouissance, Objectivité, Réalité, LACAN
La Chose est la "substance jouissante" selon Lacan, à la fois ce que le sujet veut s'approprier, son objet de désir, et ce qu'il doit devenir. Pour cela il doit poser absolument la Chose, puisque que celle-ci - en tant qu'unité de la réalité (c'est sa définition) - constitue pour lui la forme ultime de l'objectivité : substance jouissante mais également signifiante - puisqu'il n'y a d'objectivité que de langage -, la Chose jouit de son unité toujours reconstituée. C'est cette jouissance de la Chose, et le savoir de cette jouissance, que le sujet vise dans son désir.
CHOSE, Individu, Abandon, Parole
"L’individu est ainsi celui dans lequel s’accomplit l’abandon. Celui auquel la chose parlante et créatrice s’abandonne, jusqu’à ce qu’il s’abandonne à son tour, par sa propre parole créatrice. Celui, on peut le dire aussi, auquel les choses ont été abandonnées par la parole originelle, et qui a dès lors, dans sa propre parole abandonnante et créatrice, « nominative », à les nommer et les re-nommer, les créer et les re-créer – comme dans la Genèse, où il est dit des bêtes sauvages et des oiseaux du ciel que Dieu « les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devrait porter le nom que l’homme lui aurait donné ». "
JURANVILLE, 2000, JEU
CHOSE, Désir, Sujet, Castration, LACAN
La Chose est l'Autre originaire du désir, l'Autre réel. Elle incarne à la fois la plénitude absolue (celle que suppose le désir) et l'impossibilité d'une telle plénitude, du fait même qu'elle se signifie comme désirante - s'infligeant par-là même la castration et l'infligeant au sujet.
CHOSE, Désir, Manque, Phallus
La Chose est distincte de l'objet "a' cause du désir, comme elle est distincte du signifiant Phallus qui maintient le désir. Le Phallus se substitue précisément à la plénitude manquante de la Chose. Si dans le réel la Chose est signifiante pour le sujet, si elle lui "parle", en somme si elle désire, c'est en effet qu'elle manque tout en causant le manque dans le sujet.
CHOSE, Désir, Interdit, Mère, LACAN
La Chose, bien qu’elle apparaisse comme l’objet premier et absolu du désir, demeure mythique. Les lois de la parole, dont les Dix Commandements sont une émanation, instaurent une distance rendant sa jouissance impossible, au-delà d’une simple interdiction. En effet, en déduire que le désir lui-même puisse être interdit n'est qu'une interprétation névrotique de la loi, laquelle dicte, au contraire, de désirer. La mère réelle, dans l'histoire et dans la structure psychique du sujet, occupe généralement la place de la Chose, mais elle n'est pas la Chose, dont l'absence se solde par l'émergence du signifiant Phallus, grand ordonnateur du désir. Certes la mère semble bien interdite d'après la loi de la prohibition de l'inceste. Seulement il est vain de fonder le désir sur cette loi interdictrice ; car c'est plutôt le désir qui fait loi, et il ne se fonde que sur le manque fondamental de la Chose, qui divise également le sujet : ceci est la castration, propre au sujet parlant, que l'interdit (et donc le complexe d'Oedipe) cherche précisément à faire oublier. A contrario Oedipe est "celui qui n'a pas de complexe d'Oedipe", celui dont le désir est "de savoir le fin mot sur le désir", dixit Lacan, quitte à en payer le prix.
CHOSE, Bien, Jouissance, Sujet, Vérité, LACAN
Dans la conception de Lacan la Chose apparaît comme un Souverain Bien paradoxal : à la fois visée essentielle du désir, mais aussi objet fondamentalement mythique et absent. Autrement dit le Souverain Bien n'existe pas, et la jouissance de la Chose n'est pas tant interdite que réellement impossible. Pourtant le sujet ne laisse pas d'avoir affaire à la Chose (on ne parle pas ici de la relation à l'objet dans le fantasme), puisqu'elle est constitutive de son désir : en tant que substance jouissante autant que substance signifiante, elle n'est pas moins que "la vérité qui parle" dit Lacan. Inversement l'on ne peut pas dire la vérité sur la Chose, et son être, tout comme celui du sujet, demeure indicible : « C’est bien ce qui fait que l’ontologie, autrement dit la considération du sujet comme être, l’ontologie est une honte, si vous me le permettez ! » (Lacan). Dans le cadre de la psychanalyse, tout savoir sur la jouissance de la Chose reste par principe inaccessible - disjonction de la vérité et du savoir -, et le devenir-Chose du sujet, l'accès à son autonomie de chose, demeure tout autant inconcevable.
CHOSE, Position, Ternaire, Quaternaire
La Chose semble se constituer dans un mouvement trinitaire qui la fait passer du stade d'objet (où elle est posée, voire déposée), au stade de sujet (par lequel elle pose maintenant l'objet), au stade enfin de l'Autre (qui est l'acte même de sa position). Dès lors que tout existant doit s'ouvrir à son Autre pour y trouver son identité vraie, c'est bien en tant que Chose qu'il effectue ce mouvement, au terme duquel il doit se poser lui-même comme Chose - nécessairement donc dans un quatrième temps et comme quatrième élément (objet-sujet-Autre-Chose). Finalement, tandis que le ternaire s'achève bien avec l'Autre comme tel et le définit (d'abord comme Autre absolu ou divin), la structure de la Chose ek-sistante et finie s'avère être le quaternaire.
CHOSE, Altérité, Sujet, Autre
L'altérité est l'essence de la Chose, puisque la Chose est essentiellement ouverture à l'Autre. Mais se poser comme chose, autre chose, par rapport à l'Autre, permet d'en reconnaître la vérité, ou l'identité vraie. D'abord la Chose se fait objet de l'Autre, puis, éprouvant la finitude, elle se fait aussi son sujet, jusqu'à poser cet Autre lui-même comme chose. Le point est, pour le sujet, qu'il puisse advenir lui-même chose - et donc se poser comme l'Autre de l'Autre, dans la relation - et ainsi accéder à une identité nouvelle et vraie (par opposition à l'identité immédiate, fermée à l'Autre).
CHOSE, Existence, Quaternaire, Mère, HEIDEGGER
Heidegger critique trois interprétations dominantes de la « choséité » dans la pensée occidentale : 1) La chose comme substance avec qualités (thèse métaphysico-dogmatique), une unité réelle présupposée. 2) La chose comme faisceau de sensations (thèse empirico-sceptique, ex. Russell, Quine), une unité conventionnelle et fictive. 3) La chose comme matière informée (thèse philosophico-critique), une unité anticipée liée à la production. Contre ces conceptions, la pensée de l’existence et la psychanalyse proposent une « chose vraie », ex-sistante et ouverte à l’Autre absolu. En tant que finie cette chose s’inscrit dans un quaternaire, souvent décrit mais non posé comme tel, comme matrice d'une logique absolue.
CHOIX, Ethique, Temps, Aliénation, KIERKEGAARD
La philosophie de l'existence pose, non seulement le choix comme essentiel, mais l'identité du choix et de l'éthique. Ainsi pour Kierkegaard, « le fait de choisir est une expression vraie et rigoureuse de l’éthique ». La détermination du bien et du mal vient en second, sachant que l'existant choisit d'abord le mal, dans l'espoir justement d'échapper au choix, de renoncer à la contradiction du bien et du mal. Ainsi dans le phénomène de l'aliénation, dégagé par la psychanalyse, un choix est bien présupposé (puisque le sujet s'y constitue comme tel, outre le phénomène de la séparation), liant le sujet à l'Autre, mais de telle sorte qu'il soit empêché d'agir. Du côté de Kierkegaard, c'est la sphère esthétique qui illustre le non-choix, ou plutôt l'indifférence au choix. A contrario, dans le temps réel où s'effectue le choix, en ce point d'éternité, surgit une vérité que le sujet aura la responsabilité de pérenniser, en répétant, en confirmant le choix.
CHOIX, Liberté, Identité, Finitude
La liberté fondamentale consiste à se révolter contre l'aliénation à l'identité immédiate que l'on s'était donnée, pour embrasser la finitude de l'existence et pour s'y confronter. Elle se manifeste par le choix qui est position d'une telle liberté, devant l'Autre, dans l'objectivité du discours. Un choix que le sujet devra inlassablement répéter et confirmer, car il sait qu'il sera, par finitude justement, tenté d'y renoncer.
CERTITUDE, Sujet, Enonciation, Folie, LACAN, DESCARTES
Pour Lacan, la certitude du sujet est fondée sur l'acte de l'énonciation, bien qu'elle porte indéniablement sur l'être - au dernier terme un étant marqué par la castration, un sujet du désir, assumé dans sa relation à l'Autre. Pour Descartes également la certitude est fondée sur l'acte de la pensée, qui est bien une parole, d'où s'en conclut l'existence, le "je suis", au dernier terme une "res cotigans" - un sujet, certes, au sens de ce qui demeure identique sous les changements (soit le contenu divers des pensées) - car sans cela la certitude des pensées ne serait que ponctuelle. C'est en assurant le sujet dans son être que le dieu non trompeur, finalement, le conforte dans ses pensées, et dans le fait qu'il n'est pas fou (la distinction raison/folie n'intervient pas au niveau purement signifiant du cogito). Telle est le sens en tout cas de l'interprétation de Lacan avec sa logique du signifiant : il y a d'abord l'articulation signifiante, au niveau de l'énonciation, mais la certitude apparaît avec le surgissement du signifié, produit de cette articulation, donc effectivement avec l'être. Le "je suis" surgit non comme la conséquence mais comme le signifié du "je pense". Mais pour Lacan, contrairement à Descartes, on ne peut en déduire aucune permanence du sujet, lequel ne pense pas tout le temps ou ne saurait le dire - encore Descartes évoque-t-il son propre être de désir et de doute, par opposition avec la puissance de ce dieu, témoignant par là qu'il n'est pas fou. Le fou lui, pense et parle tout le temps, au sens où il semble parlé par l'Autre, sans pouvoir effectuer le passage du signifiant au signifié, le signifiant passant directement dans le réel avec le phénomène de l'hallucination.
CERTITUDE, Parole, Reconnaissance, Castration, DESCARTES
"Pour Lacan, il y a l’acte de la parole, ou plus précisément ce qui le fait acte, soit la présence de l’articulation du signifiant. Il y a donc l’énonciation. C’est ce qui fait l’acte de la pensée (et la situe d’emblée dans l’inconscient). Il y a ensuite le passage au signifié, là où de fait on peut parler de l’être. Et c’est à ce moment que devient possible une certitude, qui se constituera proprement et s’affirmera enfin dans l’acte effectif de la parole du sujet. Parce que parler, c’est assumer le signifié, et donc le phénomène de la castration. Mais cette constitution de la certitude ne tient pas à l’émergence d’une reconnaissance : on est à l’avance reconnu, on a déjà sa place dans le monde – comme castré cependant, c’est-à-dire comme le phallus, comme l’indication de ce phallus « perdu », l’index du phallus. Assumer la castration, c’est accepter cette reconnaissance, se la garantir. La reconnaissance demeure donc bien d’abord celle par l’Autre absolu, mais elle se confirme et s’affirme dans et par l’acte de la parole adressé à l’Autre présent. La certitude est toujours celle d’un Je suis (qui comme pour Descartes, renvoie là aussi à un réel, au sens précis de ce terme pour Lacan)."
JURANVILLE, 1984, LPH
CERTITUDE, Subjectivité, Critique, Finitude, DESCARTES
"Comment l’existant qui s’est mis en marge du monde ordinaire et qui se réclame, comme individu, d’une évidence vraiment absolue (c’est sa « vision ») peut-il donner à cette évidence toute son objectivité ? Il est là devant l’objectivité ordinaire. Pour pouvoir réellement la dépasser, il doit découvrir non seulement que c’est par finitude radicale qu’il l’avait faussement absolutisée, mais surtout que c’est lui comme sujet qui la produit et la reproduit : il doit donc poser la subjectivité en lui et en tout existant comme ce qui peut produire et reproduire l’objectivité absolue. Or position et subjectivité définissent la certitude, comme position et objectivité définissent l’évidence. La certitude est ainsi la subjectivité absolue de la critique, ce par quoi elle s’accomplit, comme l’évidence en est l’objectivité absolue, ce dans quoi elle s’accomplit."
JURANVILLE, HUCM, 2017