L'inconscient signifie que l'on sait quelque chose à notre insu et que l'on en jouit. Il n'y a aucun savoir de ce savoir mais seulement un discours pour l'énoncer, et encore dans les conditions propices à susciter l'épreuve de ce savoir et de cette jouissance, c'est-à-dire dans la situation de la cure analytique. Cela reste un discours, sauf que ce discours analytique est le seul à dénoncer l'illusion spéculative d'un discours déployant un savoir sur le savoir inconscient ; il énonce juste qu'il y a de la jouissance au savoir et en récupère une partie. Il faut comprendre que le discours en général prend naissance d'une question, et même d'une question sur l'être, et donc d'un manque ; non pas directement d'un manque à être mais d'un manque à penser l'être-comme-un, comme plénitude, manque à jouir. Et le discours en général, spécialement sous sa forme initiale qu'est le discours du maître, propose une réponse à la question, et donc une thèse sur la jouissance. Il n'y a pas moyen de sortir de cette effet spéculatif, en quelque sorte pervers du discours, sauf avec le discours analytique parce que seul il assume le savoir comme jouissance (ou pensée) inconsciente, et il en propose l'épreuve au sujet au moyen du discours.
DISCOURS, Savoir, Jouissance, Analyse
"Comment alors concevoir ce discours sur l’inconscient ? Comment, plus radicalement, concevoir le discours en général, qui porte l’illusion spéculative, à partir de l’inconscient, qui la dénonce ? Rappelons que tout discours suppose une question, qui renvoie finalement à la question philosophique sur l’être. Ce que recherche la question, c’est le savoir sur l’être. Mais ce savoir est fondamentalement problématique, il est suspendu à la possibilité effective de la pensée, et la question n’aurait plus de sens si la pensée, d’une certaine manière, ne manquait pas. Ce manque de la pensée, comme lieu premier de l’être-un, c’est le manque de la plénitude, ou encore de la jouissance. Le discours trouve son origine dans le défaut de la jouissance, et quelle que soit la thèse qu’il soutient, voire la thèse qu’il n’y a pas de plénitude, il apparaît, en tant que discours, comme disant Voici ce qu’il faut faire pour connaître la jouissance."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS, Religion, Autonomie, Hétéronomie
En assumant sa propre finitude, et en reconnaissant la vérité de toutes les grandes religions, le discours philosophique dispense sa grâce aux quatre discours fondamentaux, et ce faisant les élève à leur propre vérité. Ainsi, à travers la vérité du judaïsme (soit une autonomie humaine rendue possible par l'hétéronomie divine), le discours du clerc - devenant philosophico-clérical - transforme l'hétéronomie qui le caractérise premièrement (comme Surmoi) en autonomie nouvelle et vraie (puisqu'il se réfère, librement, aux grandes religions). A travers la vérité du christianisme (soit l'autonomie que confère pour chacun la traversée de la passion), le discours individuel - devenant psychanalytico-individuel - permet un passage d'autonomie d'un individu à un autre (principe de l'analyse). A travers la vérité de l'islam (soit encore l'autonomie dans l'hétéronomie), le discours du peuple - devenant scientifico-populaire - rend possible une certaine forme d'autonomie pour chacun. Enfin à travers la vérité du bouddhisme (soit l'autonomie de quelques initiés incarnant l'hétéronomie pour les autres), le discours du maître - devant métaphysico-magistral -, permet effectivement au peuple la reconnaître une forme d'hétéronomie dans l'autonomie de certains.
"Le discours philosophique dispense donc sa grâce aux divers discours fondamentaux, à la fois en assumant sa propre finitude radicale et en reconnaissant la vérité de toutes les grandes religions. Il transforme par là même chacun des discours."
JURANVILLE, 2010, ICFH
"Le discours philosophique dispense donc sa grâce aux divers discours fondamentaux, à la fois en assumant sa propre finitude radicale et en reconnaissant la vérité de toutes les grandes religions. Il transforme par là même chacun des discours."
JURANVILLE, 2010, ICFH
DISCOURS, Raison, Vérité, Maitrise, LEVINAS
Rappelons que le discours se caractérise, de la part d'un locuteur, comme une suite coordonnée de propositions destinée à influencer un auditeur, de façon à le convaincre (ou le persuader) que la raison d'un tel discours est vraie ; ce qui advient justement lorsque la raison du discours est partagée, à la suite éventuellement d'un dialogue. Mais l'effet d'ensemble, ou de totalité, véhiculée par la raison supposée du discours, suscite toujours dans un premier temps une fascination qui provoque une adhésion immédiate au discours du locuteur, toujours déjà, de ce point de, en position de maîtrise. C'est que le discours est avant tout un instrument de pouvoir, d'abord évidemment pour le pouvoir politique ; d'où la dénonciation constante par Platon de la rhétorique - et des Sophistes passés maîtres en cet art de persuader. Il y a donc une perversion en quelque sorte originelle du discours, du fait que le jugement de l'autre étant attendu, redouté, le locuteur va tout faire pour obtenir son approbation jusqu'à éventuellement tordre et dénaturer sa propre raison. « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours » écrit Levinas (le "transcendant" étant ici l'Autre en général). Mais cela n'empêche pas, selon Juranville, que la subjectivité naturelle du discours, en tant que celui-ci est raison et vérité (sinon il n'est rien), cherche à se dépasser dans la reconnaissance de l'Autre et avant tout de l'Autre absolu.
"Le discours est, aux yeux de Levinas et légitimement, toujours, pour celui qui le tient, un discours dapologie. Apologie de soi directement ou de la cause qu’on veut défendre. Elle est inévitable parce que la subjectivité qui, par sa parole, par son verbe, par sa voix, prononce le discours, veut être jugée le plus favorablement par l’Autre: « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours. » Mais Levinas a eu beau en venir finalement à parler, pour le sujet existant caractérisé par l’élection, d’« identité injustifiable de l’ipséité », le discours, outre la dimension de subjectivité de l’apologie, toujours menacée d’être une brute affirmation de soi, toujours en soi équivoque, prétend nécessairement avoir objectivité et rationalité. L’existant cherche en effet à fonder son discours, l’identité et consistance de son discours, dans un principe qui dépasse sa subjectivité ; à le justifier, aux yeux de l’Autre absolu (jugement de Dieu) et par cet Autre comme principe premier, mais aussi aux yeux de l’Autre fini, de l’autre homme, puisque c’est à celui-ci que le discours s’adresse directement."
JURANVILLE, 2024, PL
DISCOURS, Raison, Vérité, Autre, LACAN
Le discours se définit comme raison et vérité. Raison de par la consistance de son argumentation, vérité quand il peut répondre aux objections de tout autre - c'est alors qu'il devient objectif. Pour Lacan seul le discours de l'analyste parvient à passer comme vérité à l'Autre, du fait que l'analyste demeure en retrait comme dépositaire de la vérité ; mais selon Juranville il faut admettre que le discours philosophique fait de même, tout aussi objectivement, cette fois pour le sujet social. Pour la psychanalyse comme pour la philosophie, on parle ici d'une vérité du discours (rapport aux sujets) et non d'une vérité scientifique (rapport au monde).
"Ce qui apparait à la philosophie contemporaine affirmant l'existence essentielle, c'est que le discours exerce toujours d'abord un effet de captation et fascination sur l'existant - et qu'en cela, quelque vérité qu'il y ait dans ce discours, cette vérité ne passe pas objectivement à l'existant. D'où l'importance majeure, pour la philosophie, de l'entreprise de Lacan qui montre, au-delà de Freud, que la Psychanalyse n'est pas science, mais discours, et discours qui passe comme vérité à son Autre. Et même le seul, pour Lacan, à le faire, parmi les discours fondamentaux qui se déduisent de la structure de l'existence (et de l'inconscient). Cela invalide-t-il définitivement tout discours philosophique ? Non, dans la mesure où la philosophie peut montrer que ce qui fait passer le discours psychanalytique à l'Autre de ce discours, c'est la grâce. Que l'Autre auquel s'adresse le discours psychanalytique est l'existant comme sujet individuel. Que celui auquel s'adresse le discours philosophique est l'existant non pas non pas comme sujet individuel, mais comme sujet social. Si bien qu'il n'y a plus pour la philosophie, qu'à montrer qu'elle dispense, à son Autre à elle qu'est le sujet social, une semblable grâce."
JURANVILLE, FHER, 2019
"Ce qui apparait à la philosophie contemporaine affirmant l'existence essentielle, c'est que le discours exerce toujours d'abord un effet de captation et fascination sur l'existant - et qu'en cela, quelque vérité qu'il y ait dans ce discours, cette vérité ne passe pas objectivement à l'existant. D'où l'importance majeure, pour la philosophie, de l'entreprise de Lacan qui montre, au-delà de Freud, que la Psychanalyse n'est pas science, mais discours, et discours qui passe comme vérité à son Autre. Et même le seul, pour Lacan, à le faire, parmi les discours fondamentaux qui se déduisent de la structure de l'existence (et de l'inconscient). Cela invalide-t-il définitivement tout discours philosophique ? Non, dans la mesure où la philosophie peut montrer que ce qui fait passer le discours psychanalytique à l'Autre de ce discours, c'est la grâce. Que l'Autre auquel s'adresse le discours psychanalytique est l'existant comme sujet individuel. Que celui auquel s'adresse le discours philosophique est l'existant non pas non pas comme sujet individuel, mais comme sujet social. Si bien qu'il n'y a plus pour la philosophie, qu'à montrer qu'elle dispense, à son Autre à elle qu'est le sujet social, une semblable grâce."
JURANVILLE, FHER, 2019
DISCOURS, Raison, Autrui, Transcendance, LEVINAS
Pour Emmanuel Levinas, toute relation éthique avec autrui est discours, car le discours est un acte rationnel qui préserve la transcendance et l'altérité de l'autre ; en effet la "raison, comme l'un pour l'autre" ainsi que le proclame Levinas, est bien ce qui nous réunit dans la transcendance. D'où cette affirmation que "l'essence du discours est éthique". Mais dans les faits, le discours cherche toujours à capter l'autre dans une totalité qui est falsification de la transcendance. Il faut donc distinguer trois discours. Un premier discours "ontologique" affirme qu'il y a une vérité pour toutes choses, contenue dans les essences ; mais ce Dit totalisant des choses n'est jamais confronté à son acte de Dire, autoritaire ou mystérieux, qui reste donc occulté, et ce discours est perçu tôt ou tard comme trompeur. Un second discours "sceptique" se fonde sur la falsification potentielle de tout Dit, et donc sur le droit de toujours Dire autre chose ; mais en affirmant au fond qu'il n'y a pas de vérité il n'interroge pas lui-même son propre Dire (son point de vue sceptique tenu pour vrai) contredisant à l'évidence ce qu'il Dit. Enfin un discours "philosophique" se veut la synthèse des deux premiers et la solution de leur conflit, en conditionnant la vérité à une certaine diachronie des discours, ce qui revient à prendre au sérieux le discours comme tel, comme raison. Mais Levinas n'envisage pas que ce discours puisse se poser comme vrai, au risque encore de trahir la transcendance qui le fonde. Il faudra le discours analytique pour clarifier ce rapport du discours à la vérité, et pour restituer à la philosophie la part qui lui revient.
""L'essence du discours est éthique" (Levinas). Certes pareille dimension éthique est toujours menacée de falsification parce que le discours est tentative de justification et d'apologie, et donc de captation de l'autre dans la totalité qu'on lui déploie. L'apologie, où le moi à la fois s'affirme et s'incline devant le transcendant, est dans l'essence du discours. Le moi s'incline, mais aussi s'affirme. De là, pour Lévinas, la nécessité de trois discours."
JURANVILLE, FHER, 2019
""L'essence du discours est éthique" (Levinas). Certes pareille dimension éthique est toujours menacée de falsification parce que le discours est tentative de justification et d'apologie, et donc de captation de l'autre dans la totalité qu'on lui déploie. L'apologie, où le moi à la fois s'affirme et s'incline devant le transcendant, est dans l'essence du discours. Le moi s'incline, mais aussi s'affirme. De là, pour Lévinas, la nécessité de trois discours."
JURANVILLE, FHER, 2019
DISCOURS, Question, Etre, Signifiant, LACAN
Tout discours a pour vocation de répondre à la question de l'être- même si seul le discours philosophique le reconnait explicitement -, en ce sens tout discours peut être considéré comme spéculatif. A ce titre, Lacan se contente de viser le discours philosophique qu'il rabat sur le discours du maître, comme supposant un signifié qui serait total. Mais il sait aussi que tout discours se nourrit d'une illusion constitutive, précisément de promouvoir une réponse unitaire à cette question de l'être ; et le discours de l'analyste pas moins qu'un autre, dès lors qu'il fait du signifiant l'instance à même d'y répondre ("vérité partielle" selon Juranville). Que fait banalement le sujet en analyse sinon soulever la question de son existence, de son être-là, de son être "soi", puisque déjà l'inconscient (en tant que pure articulation signifiante) vaut comme remise en question du soi, du sexe, du rapport à l'autre ? Mais pour Lacan, spéculer sur la question, soit le propre de la philosophie, est "une honte" ; l'ontologie est une "hontologie" car il n'y a pas de métalangage, pas de dire possible sur le dire, donc pas de langage de l'être ; la vérité de tel être ne peut surgir imprévisiblement que de l'inconscient, de la bouche parlante de la Chose elle-même.
"Mais en énonçant comme thèse sur l’« être » le signifiant comme vérité partielle, et en le présentant selon sa structure quadripartite fondamentale, le discours analytique laisse le savoir inconscient s’écrire. Ainsi pour le concept de l’inconscient. Le discours analytique demeure donc un discours spéculatif, et ne saurait comme tel échapper à l’illusion propre au discours. Croire qu’il le pourrait, ce serait en fait le discours philosophique."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Mais en énonçant comme thèse sur l’« être » le signifiant comme vérité partielle, et en le présentant selon sa structure quadripartite fondamentale, le discours analytique laisse le savoir inconscient s’écrire. Ainsi pour le concept de l’inconscient. Le discours analytique demeure donc un discours spéculatif, et ne saurait comme tel échapper à l’illusion propre au discours. Croire qu’il le pourrait, ce serait en fait le discours philosophique."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS, Pouvoir, Démocratie, Individu
L'ensemble des discours, en tant qu'ils sont reconnus dans leur vérité propre, forme le système de la démocratie parlementaire, et l'on y retrouve des correspondances avec les trois pouvoirs étatiques. Ainsi le discours magistral est celui que tient le pouvoir exécutif, chargé de faire appliquer la loi, au besoin par la force. C'est le premier discours en tant qu'il ordonne et le pouvoir primordial en tant qu'il s'impose. Le discours philosophico-clérical, de son côté, est tenu par le pouvoir législatif, qui élabore et vote les lois, dans le dialogue. Enfin le discours populaire correspond au pouvoir judiciaire, lequel vérifie que la loi a bien été appliquée et corrige en ce sens les situations d'injustice. Quant au discours psychanalytico-individuel, il ne détient évidemment aucun pouvoir, mais il ouvre à chacun la possibilité de prétendre exercer l'un des trois pouvoirs existant et de s'exprimer, en responsabilité, au nom de la volonté générale.
"Le discours psychanalytico-individuel quant à lui, assurément hors pouvoir, ouvre à chacun la possibilité d'entrer dans son oeuvre propre, de devenir individu véritable, porteur de la volonté générale, à même d'exercer la responsabilité des divers pouvoirs, d'être représentant du peuple. Car le peuple – dont les membres (tous les citoyens) sont toujours d'abord menacés d'en rester, loin de la volonté générale pour laquelle il faut payer le prix, à ce que Rousseau appelle la volonté de tous, spontanément sacrificielle et par laquelle « on adore ou on maudit » – a en propre le pouvoir de voter (voter = juger) pour des représentants qui n'ont certes aucun mandat impératif à avoir puisqu'ils sont censés porter la volonté générale."
JURANVILLE, UJC, 2021
"Le discours psychanalytico-individuel quant à lui, assurément hors pouvoir, ouvre à chacun la possibilité d'entrer dans son oeuvre propre, de devenir individu véritable, porteur de la volonté générale, à même d'exercer la responsabilité des divers pouvoirs, d'être représentant du peuple. Car le peuple – dont les membres (tous les citoyens) sont toujours d'abord menacés d'en rester, loin de la volonté générale pour laquelle il faut payer le prix, à ce que Rousseau appelle la volonté de tous, spontanément sacrificielle et par laquelle « on adore ou on maudit » – a en propre le pouvoir de voter (voter = juger) pour des représentants qui n'ont certes aucun mandat impératif à avoir puisqu'ils sont censés porter la volonté générale."
JURANVILLE, UJC, 2021
PHILOSOPHIE, Histoire, Discours, Savoir
La philosophie n'est pas seulement histoire subjectivement (pour la personne tenant le discours), elle l'est aussi objectivement, pour le sujet social confronté à la lutte entre les discours. La philosophie doit d'abord s'affranchir du "discours du peuple" qui ne demande rien tant que de continuer à subir - la tyrannie et la fascination exercée par les maîtres ; sa justification par le discours consiste à en appeler inlassablement à la Tradition, qui est bien une forme de raison. Elle côtoie mais doit dépasser ensuite le discours métaphysique, qui certes prend une tournure plus philosophiques en cherchant à déterminer l'être, soit objectivement soit subjectivement, mais jamais comme cette altérité qui caractérise l'existence ; de fait la métaphysique continue d'affirmer un savoir déjà là, éternel, simplement réservé à quelques uns. Enfin la philosophie reconnait le discours individuel (psychanalytique) qui seul, en posant l'inconscient, permet d'accéder à un savoir réellement objectif. - Mais c'est bien la philosophie, et non la psychanalyse (Lacan en est l'illustration), qui peut affirmer ce savoir comme savoir de l'existence, mais aussi comme savoir historique ; mais sans affirmer un tel inconscient, comme relevant d'abord du discours psychanalytique, l'altérité de l'existence ne déboucherait sur aucun savoir (Levinas en est l'illustration).
"Il n’y a donc plus qu’à aller jusqu’au bout de l’affirmation de la philosophie comme savoir effectif. C’est ce que permet l’inconscient. Si, du moins, on a reconnu qu’il doit être énoncé d’abord dans le discours psychanalytique, et si on le reprend, à partir de là, dans le discours philosophique. Car si l’inconscient est reconnu comme advenant dans le discours psychanalytique, et qu’on en reste à ce discours – c’est la position de Lacan –, alors certes ne peut apparaître en quoi l’inconscient permet d’affirmer la philosophie comme savoir effectif. Et si l’inconscient est reconnu comme le terme ultime de l’altérité (existence) telle qu’elle est proclamée par la pensée philosophique depuis Kierkegaard, et qu’on ne pose pas qu’il doive advenir d’abord dans le discours psychanalytique – c’est la position de Lévinas –, alors ne peut apparaître non plus qu’il a pour conséquence le savoir philosophique."
JURANVILLE, 2000, JEU
"Il n’y a donc plus qu’à aller jusqu’au bout de l’affirmation de la philosophie comme savoir effectif. C’est ce que permet l’inconscient. Si, du moins, on a reconnu qu’il doit être énoncé d’abord dans le discours psychanalytique, et si on le reprend, à partir de là, dans le discours philosophique. Car si l’inconscient est reconnu comme advenant dans le discours psychanalytique, et qu’on en reste à ce discours – c’est la position de Lacan –, alors certes ne peut apparaître en quoi l’inconscient permet d’affirmer la philosophie comme savoir effectif. Et si l’inconscient est reconnu comme le terme ultime de l’altérité (existence) telle qu’elle est proclamée par la pensée philosophique depuis Kierkegaard, et qu’on ne pose pas qu’il doive advenir d’abord dans le discours psychanalytique – c’est la position de Lévinas –, alors ne peut apparaître non plus qu’il a pour conséquence le savoir philosophique."
JURANVILLE, 2000, JEU
PHILOSOPHIE, Histoire, Personne, Trinité
Même si elle est déterminée comme discours, la philosophie rejoint une geste plus large qu'on peut dire poétique, et plus précisément historique. On le voit bien, subjectivement d'abord, en ceci selon la philosophie l'Individu (porté par la grâce) doit non seulement devenir Moi (porté par l'élection) mais encore Personne (porté par la foi). Personne qui est le vrai sujet du discours et qui doit y engager, justement, son histoire, comme elle doit y engager tout Autre. Cela se produit pour autant qu'elle est tournée vers l'Autre absolu, le Dieu personnel du christianisme, modèle de relation de personne à personne dans sa trinité, ouvrant ainsi à chacun l'espace de sa propre histoire.
"Mais le sujet ne peut accéder à la raison vraie du discours que si, à partir de la grâce qui lui vient de l’Autre, et toujours d’abord, certes, de l’Autre absolu (vrai), à partir de la liberté alors à lui offerte, il s’engage à aller jusqu’au savoir, jusqu’au savoir de la liberté, jusqu’à l’esprit ; s’il se fait, non seulement individu (dont l’essence est la grâce), ni même moi (dont l’essence est l’élection), mais personne (dont l’essence est la foi). C’est ainsi par la personne que le discours est tenu."
JURANVILLE, 2000, JEU
"Mais le sujet ne peut accéder à la raison vraie du discours que si, à partir de la grâce qui lui vient de l’Autre, et toujours d’abord, certes, de l’Autre absolu (vrai), à partir de la liberté alors à lui offerte, il s’engage à aller jusqu’au savoir, jusqu’au savoir de la liberté, jusqu’à l’esprit ; s’il se fait, non seulement individu (dont l’essence est la grâce), ni même moi (dont l’essence est l’élection), mais personne (dont l’essence est la foi). C’est ainsi par la personne que le discours est tenu."
JURANVILLE, 2000, JEU
PHILOSOPHIE, Discours, raison, Vérité
Après son aspect éthique (comme question), et son aspect politique (comme critique), la philosophie se présente sous son aspect historique (comme discours). Le discours est raison et en même temps vérité ; raison en tant que totalité systématique et consistante, vérité en tant que cette raison doit pouvoir être reconnue et reconstituée par tout Autre. Le discours est ainsi le principe subjectif de la philosophie, ce qui lui permet de rendre compte de la question, mais aussi de la critique, jusqu'à ce qu'en chacun parvienne le savoir vrai, autonome, en dehors de tout savoir déjà établi.
"Enfin le discours. Il n’y a plus, pour le sujet qui suppose ou affirme une critique vraie, menée de la place de l’Autre comme tel, et qui ne veut pas être rabattu à une critique complice et subjectiviste, pour le sujet qui veut aller jusqu’au bout de la critique et donner toute sa vérité à la philosophie comme savoir de l’existence, qu’à affirmer le discours. Car le discours est raison et en même temps vérité."
JURANVILLE, 2000, JEU
"Enfin le discours. Il n’y a plus, pour le sujet qui suppose ou affirme une critique vraie, menée de la place de l’Autre comme tel, et qui ne veut pas être rabattu à une critique complice et subjectiviste, pour le sujet qui veut aller jusqu’au bout de la critique et donner toute sa vérité à la philosophie comme savoir de l’existence, qu’à affirmer le discours. Car le discours est raison et en même temps vérité."
JURANVILLE, 2000, JEU
DISCOURS, Philosophie, Question, Maîtrise
Le champ du discours est structurellement lié à la philosophie en tant qu'un discours prétend toujours - de la position du maître initialement - énoncer un savoir répondant à une question. Or une question nécessitant le discours comme moyen de la réponse est toujours, quelque soit la forme de ce discours (métaphysique, tragique, historique...), une question philosophique : elle exige une réponse vraie qui énonce l'être-un de ce qui est, une conformité de l'être et du langage, mais en même temps une réponse jamais évidente, qui doit rester problématique et discutable - c'est bien pourquoi la philosophie rend possible la pluralité des discours. En particulier le discours du maitre, dogmatique, ne saurait satisfaire la philosophie, sans compter qu'il manifeste une trop évidente volonté de pouvoir. Cette dimension morale ("tu dois faire cela, car c'est justifié") et même politique ("vous devez faire cela...") qui caractérise le discours du maître mais au fond tout discours, explique son impuissance fondamentale : en effet s'il parvient à changer le comportement un discours demeure sans effet sur le désir de l'autre (il faudrait pour cela que l'autre prenne la parole, or le discours est anonyme, il n'y a pas de sujet du discours). Encore plus fondamentalement, l'illusion du discours est de faire croire à l'être-un de l'étant au moyen du langage.
"Le domaine du discours est, dans son principe même, inséparable de la philosophie. Un discours s’adresse en effet à certains qui sont censés se poser une question. Le discours apporte une réponse. Mais par définition il s’oppose à d’autres discours qui proposent d’autres réponses. L’objet de la question ne peut donc pas être n’importe quel objet. Il faut que la réponse ne soit pas évidente et fasse problème. Un discours suppose à la fois en ceux à qui il s’adresse le désir de savoir la réponse et d’atteindre à la vérité, mais aussi une attitude fondamentale de mise en doute de la vérité de ce qui peut être dit, par les autres discours mais plus profondément par tout discours. Cette présupposition n’est autre que celle du questionnement propre à la philosophie. C’est le questionnement philosophique qui ouvre le domaine du discours. Ce domaine peut donc être appelé le champ philosophique."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Le domaine du discours est, dans son principe même, inséparable de la philosophie. Un discours s’adresse en effet à certains qui sont censés se poser une question. Le discours apporte une réponse. Mais par définition il s’oppose à d’autres discours qui proposent d’autres réponses. L’objet de la question ne peut donc pas être n’importe quel objet. Il faut que la réponse ne soit pas évidente et fasse problème. Un discours suppose à la fois en ceux à qui il s’adresse le désir de savoir la réponse et d’atteindre à la vérité, mais aussi une attitude fondamentale de mise en doute de la vérité de ce qui peut être dit, par les autres discours mais plus profondément par tout discours. Cette présupposition n’est autre que celle du questionnement propre à la philosophie. C’est le questionnement philosophique qui ouvre le domaine du discours. Ce domaine peut donc être appelé le champ philosophique."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS, Philosophie, Grâce, Religion, LACAN
Pour Lacan seul le discours de l'analyste évite l'effet de fascination propre à tout discours, et peut faire émerger une parole vraie, du côté de l'analysant, de sa propre position d'objet-déchet qui revient à s'effacer devant l'autre comme lieu de la vérité, à taire sa raison, et ainsi à dispenser sa grâce à cet autre. Or il faut remarquer que le discours de l'analyste ne s'adresse qu'au sujet individuel, à titre tout à fait privé. Ce n'est pas le cas du discours philosophique qui, en tant que mode du discours universitaire, s'adresse au sujet social. Or ce discours est amené lui aussi à dispenser sa grâce... aux autres discours du champ social et donc à tout sujet social. Non plus en taisant son savoir rationnel mais en renonçant au pouvoir qu'il a pu revendiquer dans l'histoire pour faire accepter la justice, et que justement il ne peut faire accepter seul en tant qu'enseignant. Il lui faut reconnaître aux autres discours, avec lesquels il veut entrer en dialogue, une vérité que chacun doit à l'Autre absolu, concrètement aux différentes grandes religions implantées dans la société.
"L'édifice des quatre discours fondamentaux doit alors être présenté un peu autrement. En fonction, non plus, comme chez Lacan, de l'émergence de la psychanalyse, mais du rapport au tout de la société. De là ceci, que le discours du maitre de Lacan reste pour nous discours du maitre - et, à partir de la philosophie, discours métaphysique, métaphysico-magistral, qui s'en tient d'abord à l'affirmation de l'essence (l'ordre des choses), sans faire, des problèmes rencontrés dans la détermination objective de l'essence, une réalité radicale et inéliminable. Ceci aussi, que le discours de l'hystérique de Lacan devient pour nous discours du peuple et, à partir de la philosophie, discours empiriste, empirico-populaire, qui récuse d'abord toute détermination objective de l'essence. Ceci encore que ce que Lacan appelle discours de I 'université devient pour nous discours du clerc — mais aussi discours philosophique, philosophico-clérical, le discours philosophique ayant en propre à la fois d'affirmer l'essence (nous verrons que c'est le nom philosophique de l'Autre absolu en tant qu'il pose les choses, en tant qu'il les crée) et en même temps de reconnaître que l'homme d'abord n'arrive pas à la déterminer objectivement. Ceci enfin, que le discours de l'analyste devient pour nous discours de l'individu — et, en lien avec la philosophie, discours psychanalytique, psychanalytico-individuel, décisif pour que la philosophie mène à terme son entreprise d'histoire."
JURANVILLE, FHER, 2019
"L'édifice des quatre discours fondamentaux doit alors être présenté un peu autrement. En fonction, non plus, comme chez Lacan, de l'émergence de la psychanalyse, mais du rapport au tout de la société. De là ceci, que le discours du maitre de Lacan reste pour nous discours du maitre - et, à partir de la philosophie, discours métaphysique, métaphysico-magistral, qui s'en tient d'abord à l'affirmation de l'essence (l'ordre des choses), sans faire, des problèmes rencontrés dans la détermination objective de l'essence, une réalité radicale et inéliminable. Ceci aussi, que le discours de l'hystérique de Lacan devient pour nous discours du peuple et, à partir de la philosophie, discours empiriste, empirico-populaire, qui récuse d'abord toute détermination objective de l'essence. Ceci encore que ce que Lacan appelle discours de I 'université devient pour nous discours du clerc — mais aussi discours philosophique, philosophico-clérical, le discours philosophique ayant en propre à la fois d'affirmer l'essence (nous verrons que c'est le nom philosophique de l'Autre absolu en tant qu'il pose les choses, en tant qu'il les crée) et en même temps de reconnaître que l'homme d'abord n'arrive pas à la déterminer objectivement. Ceci enfin, que le discours de l'analyste devient pour nous discours de l'individu — et, en lien avec la philosophie, discours psychanalytique, psychanalytico-individuel, décisif pour que la philosophie mène à terme son entreprise d'histoire."
JURANVILLE, FHER, 2019
PHILOSOPHIE, Désir, vérité, Discours
En tant qu'il pose explicitement la question de l'être, le discours philosophique s'affronte inévitablement à la question du désir et de la vérité du désir, puisqu'il n'incarne pas la vérité absolue comme le discours métaphysique mais se présente (c'est le cas chez Platon) comme désir de vérité. D'un côté il ne peut que supposer une vérité totale comme objet absolu du questionnement et du désir, un savoir absolu et accompli ; mais d'un autre côté, se pensant précisément comme pur désir et pur questionnement, il ne peut que mettre en doute perpétuellement toute vérité et tout savoir prétendument absolus, de là il lui faut conclure aussi bien à la vérité partielle du désir. Le discours philosophique incarne donc ce paradoxe du désir, affirmant en même temps la vérité totale (objet du désir) et la vérité partielle du désir (fondé en tant que tel sur un manque radical).
"Ce n’est qu’un discours pour lequel il faut accorder une place au non-sens radical qui pourra être appelé le « discours philosophique »... La pensée de Platon nous semble ainsi illustrer parfaitement le discours philosophique - il y a sans doute une vérité comme le veut le discours métaphysique (comme accomplissement du désir inclus dans le questionnement philosophique), mais il faut aussi penser le questionnement comme mise en doute, comme situation où le désir ne s’éprouve nullement comme comblé, mais au contraire s’affronte à lui-même. Penser donc le pur désir. D’une part la vérité qu’on peut appeler totale de la pensée accomplie, d’autre part la vérité partielle du désir."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Ce n’est qu’un discours pour lequel il faut accorder une place au non-sens radical qui pourra être appelé le « discours philosophique »... La pensée de Platon nous semble ainsi illustrer parfaitement le discours philosophique - il y a sans doute une vérité comme le veut le discours métaphysique (comme accomplissement du désir inclus dans le questionnement philosophique), mais il faut aussi penser le questionnement comme mise en doute, comme situation où le désir ne s’éprouve nullement comme comblé, mais au contraire s’affronte à lui-même. Penser donc le pur désir. D’une part la vérité qu’on peut appeler totale de la pensée accomplie, d’autre part la vérité partielle du désir."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS, Pensée, Philosophie, Question
Les quatre discours n'apparaissent qu'avec l'entrée dans l'histoire, à partir du moment où la question de l'être se pose, et pour y apporter une possibilité de réponse. Mais seul le discours philosophique prend en compte la question comme telle et, en tant que pensée, déploie les concepts nécessaires établissant la vérité de l'être à la fois comme totale et partielle. La pensée travaille à une consistance propre qui n'est pas celle du symbolique, comme avec la parole, mais celle de l'imaginaire, c'est-à-dire du sens. Bien que s'effectuant dans le cadre du discours, donc de l'existence sociale, elle ne s'y réduit pas, car elle relève de la sublimation et son oeuvre est la théorie.
"Le caractère essentiel du monde historique est que la question de l’être s’y pose. Sa structure fondamentale est par là même constituée du champ des discours qui sont les réponses possibles à la question... La philosophie se définit alors comme cette activité de la pensée qui se situe d’emblée dans le cadre du discours, et qui donne valeur absolue au questionnement... Si le discours n’est pas la pensée, il est alors néanmoins un cadre où la pensée absolue peut s’énoncer, parce qu’elle déploie un ordre propre séparé du symbolique et de la parole, celui de l’imaginaire. La question n’a donc pas à se régler sur la parole primordiale, et appelle à constituer l’ordre conceptuel dans sa consistance."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Le caractère essentiel du monde historique est que la question de l’être s’y pose. Sa structure fondamentale est par là même constituée du champ des discours qui sont les réponses possibles à la question... La philosophie se définit alors comme cette activité de la pensée qui se situe d’emblée dans le cadre du discours, et qui donne valeur absolue au questionnement... Si le discours n’est pas la pensée, il est alors néanmoins un cadre où la pensée absolue peut s’énoncer, parce qu’elle déploie un ordre propre séparé du symbolique et de la parole, celui de l’imaginaire. La question n’a donc pas à se régler sur la parole primordiale, et appelle à constituer l’ordre conceptuel dans sa consistance."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS, Pensée, Conflit, Dialogue
Pour affirmer la rationalité du discours et l'imposer dans son objectivité, il faut la prérogative de l'Autre absolu qui est d'énoncer l'essence ; or affirmer l'essence comme vraie est le propre de la pensée, qui est donc l'objectivité du discours. C'est d'abord la position des discours empiriste et métaphysique, qui s'opposent. Mais la rationalité du discours basée sur l'essence, supposément objective, rencontre la contradiction, car un Autre absolu (Dieu) qui ne s'ouvre pas à son Autre (l'homme) ne peut qu'être faux, ou idolâtré. La solution de la contradiction objective réside alors dans le conflit, qui se définit justement comme altérité et négation, et qui est donc la subjectivité du discours. C'est la position du discours philosophique, essentiellement critique, solutionnant le conflit entre scepticisme (empirisme) et dogmatisme (métaphysique). Mais le sujet social n'accepte pas davantage l'existence du conflit et toujours tend à le résoudre par anticipation. La solution de la contradiction subjective se trouve alors dans le dialogue, qui se définit comme raison et altérité (elle suppose la raison en l'Autre), et qui est donc l'altérité du discours et son essence. Elle est portée par le discours psychanalytique qui, en énonçant l'hypothèse de l'inconscient, dispense sa grâce à toute Autre et le rend effectivement autonome. Or ce discours, limité au sujet individuel et par-là devant taire sa raison universelle, doit être garanti et relayé par le discours philosophique qui élève maintenant le sujet social à sa vérité, et dispense sa grâce aux autres discours en supposant pour chacun d'entre eux un savoir rationnel implicite (en rapport avec chacune des grandes religions de l'humanité).
"La pleine raison du discours — ce qui fait sa consistance effective — est toujours d'abord rejetée de ce qui est reconnu socialement comme vérité. Elle ne peut réadvenir, et cela dans le cadre d'une nouvelle vérité socialement reconnue, que par l'Autre, par l'Autre absolu en tant qu'il pose les choses (les choses véritables, existantes, les humains) et qu'il leur donne à chacune la capacité de reconstituer à partir de soi toutes les autres, d'être raison. Par l'Autre absolu en tant qu 'il est I'essence des choses — car l'essence est position de la chose."
JURANVILLE, FHER, 2019
"La pleine raison du discours — ce qui fait sa consistance effective — est toujours d'abord rejetée de ce qui est reconnu socialement comme vérité. Elle ne peut réadvenir, et cela dans le cadre d'une nouvelle vérité socialement reconnue, que par l'Autre, par l'Autre absolu en tant qu'il pose les choses (les choses véritables, existantes, les humains) et qu'il leur donne à chacune la capacité de reconstituer à partir de soi toutes les autres, d'être raison. Par l'Autre absolu en tant qu 'il est I'essence des choses — car l'essence est position de la chose."
JURANVILLE, FHER, 2019
DISCOURS METAPHYSIQUE, Pouvoir, Totalité, Unité, PARMENIDE
Le discours métaphysique récuse la Question philosophique puisqu'il part du postulat que le sens est déjà là, présent dans la totalité du monde, et qu'il suffit de le reconnaître (par la voie de l'initiation, réservée à quelques un). Il y a une vérité pour chaque chose de ce monde et chaque chose n'existe qu'en hommage, pourrait-on dire, à la totalité. C'est le discours fondateur, celui qui institue le discours comme pouvoir ou instrument de pouvoir ; c'est donc, par excellence, le discours politique. Celui-là même que Lacan appelle Discours du maître, en le confondant d'ailleurs avec le discours philosophique, lequel n'est identifiable véritablement qu'avec Socrate et Platon. En Grèce, le discours métaphysique se présente exemplairement chez Parménide, dont l'enseignement se résume à deux principes : 1) « L’être est, le non-être n’est pas », donc la négativité (doute, erreur, différence même) ne sont qu'illusions (ce que contestera Platon dans le Sophiste), 2) « C’est la même chose que penser et être », c'est-à-dire que la pensée est le moyen par lequel l'être se présente comme Un : la pensée tisse les relations nécessaires pour ramener tout étant à l'être, toute partie au Tout, et finalement l'être à l'Un. Le principe de la pensée spéculative, méthode du discours métaphysique, tient à ceci : Etre-un, c'est penser, et réciproquement. La même pensée du Tout se retrouve chez Héraclite, même s'il met l'accent sur le devenir plutôt que sur l'Etre éternel : pour lui également l'être individuel n'a aucune réalité face au grand principe ordonnateur du monde qu'est le Logos.
"Si l’on considère l’objet du questionnement philosophique, et que l’on souligne que le caractère fictif de l’objet rendrait vain le questionnement même, on est conduit à ce discours que nous avons appelé métaphysique. Pour lui, ce que poursuit le questionnement philosophique existe, il y a une vérité pour tout ce qui est ; on pourrait dire que les choses sont faites pour que l’homme les pense... Le discours métaphysique est le discours totalisant sur lequel se fonde tout discours politique, en tant qu’essentiellement justificateur, et a fortiori toute idéologie... Et c’est de ce discours métaphysique, trop souvent confondu avec la philosophie elle-même et le discours que nous appellerons philosophique, que Lacan, croyant parler de la philosophie, dira qu’il est le « discours du maître ».
JURANVILLE, LPH, 1984
"Si l’on considère l’objet du questionnement philosophique, et que l’on souligne que le caractère fictif de l’objet rendrait vain le questionnement même, on est conduit à ce discours que nous avons appelé métaphysique. Pour lui, ce que poursuit le questionnement philosophique existe, il y a une vérité pour tout ce qui est ; on pourrait dire que les choses sont faites pour que l’homme les pense... Le discours métaphysique est le discours totalisant sur lequel se fonde tout discours politique, en tant qu’essentiellement justificateur, et a fortiori toute idéologie... Et c’est de ce discours métaphysique, trop souvent confondu avec la philosophie elle-même et le discours que nous appellerons philosophique, que Lacan, croyant parler de la philosophie, dira qu’il est le « discours du maître ».
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS DU MAITRE, Loi, Fantasme, Politique, LACAN
La forme essentielle du discours du maître est le discours politique, selon lequel le savoir (et le monde) peut faire une totalité sous le règne de la loi. Pourtant, en soumettant l'esclave et le forçant à travailler, loin de convertir l'autre à la loi, il provoque l'apparition d'un supplément, un "plus-de-jouir" justement en dehors de toute loi puisque la référence au grand Autre a dès lors disparu (S1 est inaccessible). En réalité le seul "ordre" dont ce monde peut se prévaloir, à l'aune du discours du maître, est simplement un fantasme de totalité, que constitue la relation sous-jacente du $ (côté maître) avec le "a" (côté esclave) dont il se compète, $ <> a étant bien la formule du fantasme. D'où l'illusion d'un rapport sexuel totalisant, substitution de l'objet à la Chose, et donc impossibilité de toute sublimation (où il faudrait qu'inversement l'objet devienne Chose). Le discours du maître ne fait pas acte, il laisse le peuple être ce qu'il est, protégé certes, mais dominé et exploité, voire sacrifié s'il le faut.
"Cette fixation au fantasme est ce qui bloque la sublimation. Certes le maître est le castré, celui qui s’est assujetti à la loi de la castration, en s’exposant à la mort. Il a sublimé. Mais le discours du maître ferme l’accès à la sublimation. De la Chose n’est retenu que l’objet a . Et la jouissance de l’Autre ne peut plus se dégager de la jouissance sexuelle. Le discours du maître conforte en l’autre l’illusion qu’il y a un rapport sexuel, que le masculin et le féminin se complètent et constituent l’harmonie du monde. L’autre sait pourtant, et le savoir établit, qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Mais le maître permet à l’autre de supporter ce savoir qu’il a en horreur, en en dissimulant les conséquences dernières. Il est le castré, celui qui s’est sacrifié, qui a payé pour les autres, et c’est pour cela qu’il reçoit tous les honneurs. Le discours du maître n’implique aucune haine parce que personne ne veut s’y identifier au maître."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Cette fixation au fantasme est ce qui bloque la sublimation. Certes le maître est le castré, celui qui s’est assujetti à la loi de la castration, en s’exposant à la mort. Il a sublimé. Mais le discours du maître ferme l’accès à la sublimation. De la Chose n’est retenu que l’objet a . Et la jouissance de l’Autre ne peut plus se dégager de la jouissance sexuelle. Le discours du maître conforte en l’autre l’illusion qu’il y a un rapport sexuel, que le masculin et le féminin se complètent et constituent l’harmonie du monde. L’autre sait pourtant, et le savoir établit, qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Mais le maître permet à l’autre de supporter ce savoir qu’il a en horreur, en en dissimulant les conséquences dernières. Il est le castré, celui qui s’est sacrifié, qui a payé pour les autres, et c’est pour cela qu’il reçoit tous les honneurs. Le discours du maître n’implique aucune haine parce que personne ne veut s’y identifier au maître."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS DU MAITRE, Loi, Plus-de-jouir, Fascination, LACAN
Le discours du maitre est le premier dans l'ordre d'apparition des discours : le maître ici n'est pas celui qui enseigne mais celui qui édicte la loi de ce qui est. Cette loi (historiquement elle vient avec la Révélation juive, et rend possible la philosophie) n'est pas d'abord rapportée à l'Autre absolu vrai (divin), mais à un Autre absolu faux, l'idole païenne dont le maître se fait le représentant (il faudra l'Histoire et d'autres événements "cruciaux" pour qu'advienne le règne de l'Autre absolu vrai). L'ordre social qui en découle ne peut être qu'injuste mais la loi du maitre parvient à s'imposer à l'aune d'une rationalité dogmatique (creuse, mais ayant réponse à tout) suffisamment déployée pour faire illusion. Cela, face à l'esclave qui, de son côté, se laisse fasciner par le maître et ne peut s'affranchir de l'illusion du tout-social, ni donc revendiquer son individualité. Le maître est celui qui, initialement, s'est affranchi justement de ce fantasme, et qui, renonçant à la jouissance, a osé affronter la mort. Il reste à l'esclave de travailler pour le maître, avec pour seul privilège d'accéder à quelque savoir technique, tandis qu'il se fait lui-même objet-déchet - mais un objet de plus en plus nécessaire de sorte que se reconstitue le fantasme du maître, sujet devenant dépendant de son objet. De là à imaginer, comme le développe Hegel, que l'expertise acquise par l'esclave pourra suffire à renverser le maître, on sait que ce raccourci est vivement critiqué par Marx : aucun changement profond n'est matériellement possible dans le cadre de ce dispositif de domination tant que l'esclave est spolié de la plue-value de son travail. Il n'en aurait pas la force, une révolution serait nécessaire, donc un changement structurel de discours. Lacan répond à Hegel que le maître n'est pas seul à se vautrer dans la jouissance de l'objet, une part du plus-de-jouir revient bien à l'esclave (sinon il ne serait pas maintenu "esclave" aussi bien d'un "idéal" de la consommation), et il répond à Marx que justement l'esclave s'enchaîne de lui-même à la jouissance d'objet, refusant à nouveau le travail sur soi de renonciation nécessaire à une vraie émancipation, et que dans ces conditions - révolution ou pas - il serait abusif de parler d'un quelconque "progrès".
"Le discours apparaît dans le monde social – et c’est là qu’il a sa réalité matérielle – comme réponse à la question qui se pose aux hommes quant à ce qu’ils ont à être. Et cette réponse consiste d’abord à énoncer la loi qui organise ce monde. Une loi qui est initialement celle de l’Autre absolu faux, de l’idole, mais qui n’est pas définitivement celle-là, et pourra devenir celle de l’Autre absolu vrai, du vrai Dieu. Ambiant dans le monde social, ce primordial discours peut être déployé expressément comme tel, comme raison et donc savoir rationnel. Il justifie ce qui est. Mais ce qui est est d’abord inévitablement injuste, parce que l’effet de ce discours sur son autre, sur celui auquel il s’adresse, est alors non pas de l’aider à se conformer à la loi énoncée, mais de le vouer à la fascination devant cette raison et de le soumettre à l’arbitraire éventuel de celui qui tient le discours... Celui qui tient ce primordial discours suscite en son autre la toujours présente, toujours prête à surgir à nouveau soumission fascinatoire devant le tout social, devant l’idole selon la loi de laquelle le tout est ordonné et devant le maître qui incarne cette idole – non pas maître qui enseigne, mais maître qui domine. Soumission fascinatoire dont on peut dire qu’elle est libre, mais d’une liberté qui se perd – c’est là une des formes de la pulsion de mort – et qui ne peut plus se recouvrer par soi, il y faudra l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL
"Le discours apparaît dans le monde social – et c’est là qu’il a sa réalité matérielle – comme réponse à la question qui se pose aux hommes quant à ce qu’ils ont à être. Et cette réponse consiste d’abord à énoncer la loi qui organise ce monde. Une loi qui est initialement celle de l’Autre absolu faux, de l’idole, mais qui n’est pas définitivement celle-là, et pourra devenir celle de l’Autre absolu vrai, du vrai Dieu. Ambiant dans le monde social, ce primordial discours peut être déployé expressément comme tel, comme raison et donc savoir rationnel. Il justifie ce qui est. Mais ce qui est est d’abord inévitablement injuste, parce que l’effet de ce discours sur son autre, sur celui auquel il s’adresse, est alors non pas de l’aider à se conformer à la loi énoncée, mais de le vouer à la fascination devant cette raison et de le soumettre à l’arbitraire éventuel de celui qui tient le discours... Celui qui tient ce primordial discours suscite en son autre la toujours présente, toujours prête à surgir à nouveau soumission fascinatoire devant le tout social, devant l’idole selon la loi de laquelle le tout est ordonné et devant le maître qui incarne cette idole – non pas maître qui enseigne, mais maître qui domine. Soumission fascinatoire dont on peut dire qu’elle est libre, mais d’une liberté qui se perd – c’est là une des formes de la pulsion de mort – et qui ne peut plus se recouvrer par soi, il y faudra l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL
SAVOIR, Inconscient, Jouissance, Signifiant, LACAN
Il existe un savoir de l'inconscient - un savoir qui ne se sait pas - et un discours pour l'énoncer, soit le discours analytique. Ce savoir est inconscient car aucune vérité ne lui est immédiatement synchrone, pas plus qu'aucun signifié n'est donné par avance dans le signifiant. La vérité du signifiant s'éprouve (en dehors du monde et du rapport aux objets) du fait d'être posé comme signifiant (le signifié surgit alors comme étant le désir), en relation avec un autre signifiant (c'est ainsi que le savoir se constitue). Or poser le signifiant comme tel, c'est jouir - car rappelons-le le signifiant vient toujours de l'Autre - et c'est pourquoi le savoir définit proprement la jouissance de l'Autre.
"Lacan distingue la « jouissance de l’Autre » de la jouissance phallique. Cette jouissance est dégagée de la jouissance sexuelle, et éprouvée en tant que telle, dans le cadre de la relation analytique. Le seul discours qui puisse réellement énoncer l’inconscient est le discours qui met en place la situation de la cure et implique la jouissance du signifiant verbal. C’est le discours analytique. Elle est la jouissance du savoir, ou encore jouissance au savoir. Lacan dit ainsi que le savoir, c’est la jouissance de l’Autre. Jouir, c’est poser le signifiant comme signifiant."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Lacan distingue la « jouissance de l’Autre » de la jouissance phallique. Cette jouissance est dégagée de la jouissance sexuelle, et éprouvée en tant que telle, dans le cadre de la relation analytique. Le seul discours qui puisse réellement énoncer l’inconscient est le discours qui met en place la situation de la cure et implique la jouissance du signifiant verbal. C’est le discours analytique. Elle est la jouissance du savoir, ou encore jouissance au savoir. Lacan dit ainsi que le savoir, c’est la jouissance de l’Autre. Jouir, c’est poser le signifiant comme signifiant."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS, Aliénation, Fascination, Sens, LACAN
A l'exception du discours analytique, qui lui substitue un effet de sens, tout discours exerce un effet de fascination qui se traduit socialement par une aliénation. C'est d'abord vrai pour le discours du maître qui se déploie depuis une signification (S1) renvoyant à une vérité supposément représentée par le sujet lui-même ($), face à laquelle l'autre ne pourra se situer que comme déchet, seulement apte à produire des objets-déchets ou objets pulsionnels. Inversant ce discours du maître le discours analytique se tient depuis l'objet (a) et vise, chez l'autre d'abord identifié à son symptôme ($), à produire peu à peu la signification (S1) qui le concerne vraiment (après avoir, dans un premier temps, rejeté le savoir S2 sur l'analyste "supposé-savoir"). Les deux autres discours confortent plus ou moins le discours du maître en demeurant dans la fascination : le discours de l'hystérique, partant de la souffrance du symptôme ($), s'adresse au maître (S1) pour qu'il le libère de son aliénation en produisant un savoir, mais un savoir dont il ne peut jouir lui-même, coincé qu'il reste dans sa jouissance pulsionnelle. Enfin le discours universitaire se veut volontiers en lutte contre le maître tout en visant la libération de l'autre, l'étudiant, mais c'est l'inverse qui se produit : il arrime sa parole depuis un savoir déjà constitué (S2), lui-même supposé vrai depuis une signification (S1) originaire et surtout imaginaire, et en réduisant son interlocuteur à l'objet-déchet (a) il produit littéralement l'aliénation du sujet ($).
"Ce discours du maître est, pour le discours psychanalytique, son « envers », son retournement terme à terme. Car le psychanalyste tient son discours de la place de l’objet-déchet (le « a »). Et ce à quoi il vise, c’est à la production de la parole vraie (et alors réellement vraie – le « S1 ») par le patient- analysant. Par le patient-analysant qui est arrivé avec sa souffrance, avec son assujettissement vain au symptôme (c’est le « $ »). Et qui va laisser se déposer sur le psychanalyste toutes ses paroles sans vérité (c’est le « S2 »), jusqu’à ce qu’elles puissent se nouer imprévisiblement dans sa propre parole vraie que l’interprétation du psychanalyste aura annoncée, préparée, entamée. Tel est l’« effet de sens » que, selon Lacan, le discours psychanalytique substituerait à l’« effet de fascination » du discours du maître."
JURANVILLE, 2010, ICFH
"Ce discours du maître est, pour le discours psychanalytique, son « envers », son retournement terme à terme. Car le psychanalyste tient son discours de la place de l’objet-déchet (le « a »). Et ce à quoi il vise, c’est à la production de la parole vraie (et alors réellement vraie – le « S1 ») par le patient- analysant. Par le patient-analysant qui est arrivé avec sa souffrance, avec son assujettissement vain au symptôme (c’est le « $ »). Et qui va laisser se déposer sur le psychanalyste toutes ses paroles sans vérité (c’est le « S2 »), jusqu’à ce qu’elles puissent se nouer imprévisiblement dans sa propre parole vraie que l’interprétation du psychanalyste aura annoncée, préparée, entamée. Tel est l’« effet de sens » que, selon Lacan, le discours psychanalytique substituerait à l’« effet de fascination » du discours du maître."
JURANVILLE, 2010, ICFH
DISCOURS, Psychanalyse, Parole, Ecriture, LACAN
La psychanalyse n'est pas une science, car comment vérifier une hypothèse et une méthode qui sont mises en oeuvre et ne s'éprouvent que par le seul amour de transfert ? Elle est bien plutôt un discours spécifique, celui qui pose l'existence de l'inconscient en tant qu'Autre, au-delà de la seule parole de l'analysant qui est pourtant invitée à éclore au sein de ce dispositif. Pour Lacan, le discours est « une structure nécessaire qui dépasse de beaucoup la parole, toujours plus ou moins occasionnelle ». C'est pourquoi, en tant qu'il est tenu initialement par l'analyste, occupant la place silencieuse de l'objet-déchet, ce discours est qualifié paradoxalement de "discours sans parole" par Lacan, « ce qui ne désigne rien d’autre que le discours que supporte l’écriture » précise-t-il.
"Le psychanalyste fait donc passer son affirmation de l’inconscient, pour autant qu’il tient son discours de la place silencieuse de l’objet sexuel comme déchet. Ce qui peut sembler paradoxal, puisqu’il s’agit d’un discours. Mais, pour Lacan, le discours est « une structure nécessaire qui dépasse de beaucoup la parole, toujours plus ou moins occasionnelle ». Et il dit, de manière provocante : « L’essence du discours psychanalytique est un discours sans parole. » Le discours psychanalytique se caractérise, c’est bien connu, par le silence du psychanalyste. Un tel silence (de l’espèce de celui que nomme Yves Bonnefoy quand il dit : « Insinue dans ce cœur, pour qu’il ne cesse pas, Ton silence comme une cause fabuleuse ») ne se contente pas de faire taire le bavardage pour laisser venir une parole vraie. En tant qu’il soutient un discours, il suppose une écriture (le « discours sans parole » est, pour Lacan, « ce qui ne désigne rien d’autre que le discours que supporte l’écriture ». Dire silencieux certes, mais le discours psychanalytique énonce quand même l’affirmation de l’inconscient et il reçoit tout un développement de la place du patient-analysant, Lacan soulignant que, par rapport à son auditoire, lui-même est à cette place (« À votre égard, je ne puis être ici qu’en position d’analysant »."
JURANVILLE, 2010, ICFH
"Le psychanalyste fait donc passer son affirmation de l’inconscient, pour autant qu’il tient son discours de la place silencieuse de l’objet sexuel comme déchet. Ce qui peut sembler paradoxal, puisqu’il s’agit d’un discours. Mais, pour Lacan, le discours est « une structure nécessaire qui dépasse de beaucoup la parole, toujours plus ou moins occasionnelle ». Et il dit, de manière provocante : « L’essence du discours psychanalytique est un discours sans parole. » Le discours psychanalytique se caractérise, c’est bien connu, par le silence du psychanalyste. Un tel silence (de l’espèce de celui que nomme Yves Bonnefoy quand il dit : « Insinue dans ce cœur, pour qu’il ne cesse pas, Ton silence comme une cause fabuleuse ») ne se contente pas de faire taire le bavardage pour laisser venir une parole vraie. En tant qu’il soutient un discours, il suppose une écriture (le « discours sans parole » est, pour Lacan, « ce qui ne désigne rien d’autre que le discours que supporte l’écriture ». Dire silencieux certes, mais le discours psychanalytique énonce quand même l’affirmation de l’inconscient et il reçoit tout un développement de la place du patient-analysant, Lacan soulignant que, par rapport à son auditoire, lui-même est à cette place (« À votre égard, je ne puis être ici qu’en position d’analysant »."
JURANVILLE, 2010, ICFH
PSYCHANALYSE, Foi, Existence, Philosophie
Si la psychanalyse n'est pas une science mais un discours affirmant l'inconscient comme Autre, et même nommément comme "discours de l'Autre", ce discours analytique ne peut se soutenir en dernière instance - dans la perspective de l'existence - que de la foi. L'analyse comporte alors les trois conditions d'une relation authentique à l'existence, consistant à dépasser justement le refus de l’existence (finitude radicale) et d’accéder à l’autonomie réelle : la grâce (par laquelle l'analyste s'efface comme maître de vérité), l'élection (par laquelle l'analysant est désigné comme détenteur d'une vérité), enfin la foi (par laquelle il est possible de tirer parti, pour soi-même et pour les autres, de cette vérité). Enfin si la psychanalyse n'est pas non plus philosophie, elle permet de dépasser l'impuissance caractéristique des philosophies de l'existence, arrêtées au stade la grâce avec Kierkegaard notamment (refusant, au nom de la finitude, d'envisager l'accès au savoir de l'autonomie), ou arrêtées au stade de l'élection avec Levinas et la pensée messianique (refusant, au nom d'un absolutisme de l'altérité, de mettre en oeuvre le savoir pratique de l'autonomie).
"Or ce discours ne passe comme vrai à son Autre que parce qu’il ne pose pas comme tel son savoir et parce qu’il est tenu de la place silencieuse de l’objet sexuel comme déchet. Car le psychanalyste doit, pour faire passer à l’Autre l’affirmation de l’inconscient, reconnaître en acte sa finitude radicale à soi. Ce qui est, à la fois, tenir compte de l’argument kierkegaardien et y passer outre. Et ce que le psychanalyste fait par cela seul qu’il affirme l’inconscient, puisqu’affirmer l’inconscient, c’est pour lui, là où il allait être pris pour un maître qui sait (conscience souveraine), poser que la vérité est en l’Autre qui se rapporte ainsi à lui, et même en un Autre absolu au-delà de tout l’ordre humain. Reconnaissance en acte de la finitude radicale qui a, bien sûr, cette conséquence qu’aux yeux de la psychanalyse l’existant n’a pas à donner infiniment à l’autre existant. Il ne le peut pas. Et l’exiger de soi serait, pour lui, se fabriquer une image idéale (le « donateur infini ») qui deviendrait une idole dont il serait lui-même le déchet – de même qu’il serait alors le déchet de l’autre existant. C’est là une critique décisive de l’argument lévinassien."
JURANVILLE, 2010, ICFH
"Or ce discours ne passe comme vrai à son Autre que parce qu’il ne pose pas comme tel son savoir et parce qu’il est tenu de la place silencieuse de l’objet sexuel comme déchet. Car le psychanalyste doit, pour faire passer à l’Autre l’affirmation de l’inconscient, reconnaître en acte sa finitude radicale à soi. Ce qui est, à la fois, tenir compte de l’argument kierkegaardien et y passer outre. Et ce que le psychanalyste fait par cela seul qu’il affirme l’inconscient, puisqu’affirmer l’inconscient, c’est pour lui, là où il allait être pris pour un maître qui sait (conscience souveraine), poser que la vérité est en l’Autre qui se rapporte ainsi à lui, et même en un Autre absolu au-delà de tout l’ordre humain. Reconnaissance en acte de la finitude radicale qui a, bien sûr, cette conséquence qu’aux yeux de la psychanalyse l’existant n’a pas à donner infiniment à l’autre existant. Il ne le peut pas. Et l’exiger de soi serait, pour lui, se fabriquer une image idéale (le « donateur infini ») qui deviendrait une idole dont il serait lui-même le déchet – de même qu’il serait alors le déchet de l’autre existant. C’est là une critique décisive de l’argument lévinassien."
JURANVILLE, 2010, ICFH
DISCOURS DU PEUPLE, Discours de l'hystérique, Maîtrise, Tradition, LACAN
Dans le discours dit "hystérique" par Lacan, l'élément dominant n'est plus la loi, comme dans le discours du maitre, mais le symptôme. C'est à partir de lui qui le sujet s'adresse au maître, en apparence pour le contester, mais en réalité pour le conforter puisqu'il se montre incapable de poser le moindre principe premier ou signifiant maître. C'est aussi bien le discours empiriste, ou scientifique, qui ne voit partout que des relations et des structures ouvertes, sans vérité ni fondement. Au-delà de cette limitation, Lacan gratifia Hegel d'être "le plus sublime des hystériques" puisqu'il a entrepris, finalement, de démontrer le bien-fondé de la maîtrise, au terme d'une démarche certes questionnante mais parfaitement circulaire. Au plan historique ce discours mérite d'être désigné comme "discours du peuple", tant il caractérise précisément les sociétés sans maîtres véritables, sociétés païennes et sacrificielle ne respectant que la loi immanente du totem-animal.
"Face au discours du maître, l’existant, tout fini qu’il est, en vient à tenir un autre discours. Discours dont la dominante n’est plus, selon Lacan, la loi, comme pour le discours du maître, mais le symptôme. Discours de protestation, qui dit que « rien ne va plus », que « les choses ne tournent plus rond ». Celui d’Hamlet déplorant que « le temps [soit] hors de ses gonds » et maudissant son sort d’être « né pour le mettre droit. » Par cet autre discours, il semble que l’existant s’arrache à sa soumission fascinatoire ; par ce discours, en fait il s’y enfonce... L’existant, par ce discours, reproche vainement au maître de ne pas avouer sa captation à lui aussi dans les intérêts et les plaisirs. Il reste soumis à son pouvoir. C’est la position fondamentale du peuple et ce à quoi il revient toujours, quelles que soient les poussées révolutionnaires qui le soulèvent provisoirement. Peuple qui rassemble tous les existants en tant qu’ils ne se sont pas encore engagés dans l’affrontement à la finitude et dans la voie de l’individualité véritable... Par rapport à l’histoire universelle, il est celui qui organise le monde traditionnel sacrificiel. Lacan avait dit que « les sociétés appelées primitives ne [sont] pas dominées par le discours du maître »".
JURANVILLE, 2024, PL
"Face au discours du maître, l’existant, tout fini qu’il est, en vient à tenir un autre discours. Discours dont la dominante n’est plus, selon Lacan, la loi, comme pour le discours du maître, mais le symptôme. Discours de protestation, qui dit que « rien ne va plus », que « les choses ne tournent plus rond ». Celui d’Hamlet déplorant que « le temps [soit] hors de ses gonds » et maudissant son sort d’être « né pour le mettre droit. » Par cet autre discours, il semble que l’existant s’arrache à sa soumission fascinatoire ; par ce discours, en fait il s’y enfonce... L’existant, par ce discours, reproche vainement au maître de ne pas avouer sa captation à lui aussi dans les intérêts et les plaisirs. Il reste soumis à son pouvoir. C’est la position fondamentale du peuple et ce à quoi il revient toujours, quelles que soient les poussées révolutionnaires qui le soulèvent provisoirement. Peuple qui rassemble tous les existants en tant qu’ils ne se sont pas encore engagés dans l’affrontement à la finitude et dans la voie de l’individualité véritable... Par rapport à l’histoire universelle, il est celui qui organise le monde traditionnel sacrificiel. Lacan avait dit que « les sociétés appelées primitives ne [sont] pas dominées par le discours du maître »".
JURANVILLE, 2024, PL
DISCOURS, Histoire, Vérité, Sublimation
Bien qu'il soit partie prenante du monde historique, le discours du maître (ou discours métaphysique) fait la jonction avec le monde traditionnel hiérarchisé et ne reconnaît pas l'histoire ; assignant à chacun sa jouissance, il ne lui permet pas de connaître la sublimation. Le discours hystérique (ou discours empirique, scientifique) s'en tient au scepticisme quant au réel et à la vérité ; il refuse donc de sublimer davantage et développe juste ce qu'il faut de savoir pour assurer la domination du maître. Pour le discours universitaire (discours philosophique, à dominante herméneutique) la sublimation est le fait des maîtres du passé, et l'histoire est synonyme de décadence. Sa seule issue est de s'ouvrir au discours analytique et de reconnaître le réel de l'inconscient. Car, enfin, pleinement historique, le discours analytique est le seul qui fasse acte et engage l'autre dans la sublimation. Sublimation qui ne consiste pas à réaliser un idéal, mais à pointer la faille du réel dans l'unité imaginaire du monde que promeuvent justement tous les autres discours.
"Le monde historique a comme structure essentielle d’être le champ où s’opposent les quatre discours fondamentaux. Mais par là même il est un monde où est posée la faille du réel, un monde qui ne se clôt pas comme une « pure totalité ». Si en effet les autres discours confortent l’idée d’un monde et l’idéal de maîtrise, le discours analytique dénonce en acte cet idéal, affirme et est le réel. L’existence du discours analytique est donc le symptôme social par excellence, « ce qui ne va pas » dans le monde historique (et la présence de cette faille). En tant que symptôme social, il est dans ce monde ce qui fait problème, et ce à partir de quoi s’interrogent tous les discours."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Le monde historique a comme structure essentielle d’être le champ où s’opposent les quatre discours fondamentaux. Mais par là même il est un monde où est posée la faille du réel, un monde qui ne se clôt pas comme une « pure totalité ». Si en effet les autres discours confortent l’idée d’un monde et l’idéal de maîtrise, le discours analytique dénonce en acte cet idéal, affirme et est le réel. L’existence du discours analytique est donc le symptôme social par excellence, « ce qui ne va pas » dans le monde historique (et la présence de cette faille). En tant que symptôme social, il est dans ce monde ce qui fait problème, et ce à partir de quoi s’interrogent tous les discours."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS, Histoire, Tradition, Perversion
L'émergence des quatre discours, avec la question essentielle de la vérité, qui les sous-tend, caractérise le monde historique par opposition au monde traditionnel. Dans ce dernier les discours demeurent indiscernables des groupes sociaux qui les incarnent, et conformément à sa structure perverse (sacrificielle, pré-politique), le signifiant-maître présent en tout discours apparait sous la forme du fétiche. Leur "détraditionalisation" est le résultat de la lutte politique entre le discours du maître et du discours universitaire, tandis qu'elle s'achève avec l'apparition du discours analytique (discours de l'individu).
"Le monde historique a comme structure essentielle d’être un champ de discours. Parmi ces discours, le discours analytique apparaît comme le symptôme social et constitue en cela ce qui distingue le monde historique du monde traditionnel. Ce diffèrement de l’émergence du discours analytique caractérise l’histoire comme suite d’époques. Le conflit entre les discours n’est pas un conflit simplement dialectique. Les institutions politiques du monde historique s’opposent à la perversion du monde social traditionnel."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Le monde historique a comme structure essentielle d’être un champ de discours. Parmi ces discours, le discours analytique apparaît comme le symptôme social et constitue en cela ce qui distingue le monde historique du monde traditionnel. Ce diffèrement de l’émergence du discours analytique caractérise l’histoire comme suite d’époques. Le conflit entre les discours n’est pas un conflit simplement dialectique. Les institutions politiques du monde historique s’opposent à la perversion du monde social traditionnel."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS EMPIRISTE, Vérité, Question, Désir
Pour le discours empiriste il n'y a pas de vérité, sinon nominale, et tout est relatif à l'expérience. Bien qu'il n'émerge, comme possibilité de réponse, que de la question philosophique, il la disqualifie aussitôt comme illusoire car, pour lui, le Désir qui sous-tend cette question est lui-même une illusion. Par ailleurs, bien qu'il en condamne les limites, il se retranche derrière la rigueur démonstrative pour mieux éviter la question essentielle.
"Si l’on s’attache à la mise en doute, au caractère critique du questionnement philosophique, on rencontre la réponse qu’on peut qualifier en général d’empirisme... Pour lui, il n’y a rien à désirer, pas même le savoir. Non que le désir nous fasse concevoir des perfections illusoires, mais le désir lui-même est une illusion. Le désir valorise ce qu’il désire. Dans ces conditions, poser la question philosophique, c’est finalement se leurrer. Et la philosophie ne peut être « sauvée » que pour autant qu’elle s’attache à défaire l’homme des illusions qu’elle a elle-même produites."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Si l’on s’attache à la mise en doute, au caractère critique du questionnement philosophique, on rencontre la réponse qu’on peut qualifier en général d’empirisme... Pour lui, il n’y a rien à désirer, pas même le savoir. Non que le désir nous fasse concevoir des perfections illusoires, mais le désir lui-même est une illusion. Le désir valorise ce qu’il désire. Dans ces conditions, poser la question philosophique, c’est finalement se leurrer. Et la philosophie ne peut être « sauvée » que pour autant qu’elle s’attache à défaire l’homme des illusions qu’elle a elle-même produites."
JURANVILLE, LPH, 1984
Inscription à :
Articles (Atom)