CHOSE, Quadriparti, Quaternaire, Signifiant, HEIDEGGER, LACAN

Il existe une homologie évidente - et des différences - entre le quadriparti de l'existence chez Heidegger et la structure quaternaire du signifiant chez Lacan, et tous deux supportent la Chose. D'un côté la Chose "rassemble le monde", de l'autre elle se donne comme objet du désir de l'homme ; dans les deux cas elle se constitue d'un vide central (Heidegger évoque façonnage de la main dans l'exemple de la cruche, quand Lacan attribue ce vide à l'action du signifiant : "ce qui du réel pâtit du signifiant"). Les quatre pôles sont, d'un côté, les humains (cause efficiente), la terre (cause matérielle), le ciel (cause formelle), les divins (cause finale) ; de l'autre le sujet S, l'objet maternel, l'idéal du moi (et le père réel), le Père symbolique (qui nomme et fait surgir le signifié du désir, tout comme les divins donnent la loi de la cruche, dans le versement).


"Le désir de l’homme est pris dans le quaternaire parce qu’il est d’abord non pas désir œdipien, interdit, mais désir pour la Chose. La Passion que subit la Chose, d’être écartelée aux quatre coins du quaternaire n’est autre que celle que l’homme a à souffrir du fait de son désir... Pour Heidegger, « la chose retient le quadriparti… La chose rassemble le monde »... Mais cette « chose » de Heidegger, quoiqu’elle n’ait d’unité que partielle, que sa présence soit inséparable de ce que Heidegger appelle une ex-propriation de l’être, provient de l’être en quoi se trouve l’unité. Pour Lacan, rien de cela, mais le fait pur de la pulsion de mort, et la vérité rien que partielle."
JURANVILLE, 1984, LPH

CHOSE, Psychose, Sublimation, Jouissance

La sublimation totale implique un devenir-chose, une identification à la chose de la part du sujet, qui correspond structurellement à la psychose - soit un rapport à l'existence comme autonomie et jouissance. Mais il s'agit ici de la "bonne" psychose, faisant advenir la jouissance vraie, jouissance au savoir en lien avec la sublimation.


"C’est en posant la chose et, de ce fait, en advenant soi-même comme chose, qu’on s’établit dans la jouissance vraie, spirituelle, par quoi, d’après ce que nous avons dit, l’inconscient se donne. Or poser la chose et advenir, par là comme chose, c’est s’identifier à la chose. Ce qui caractérise la psychose."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

CHOSE, Prochain, Proximité, Jouissance, LEVINAS

La Chose se caractérise comme l'unité réelle de la réalité, mais dans son désir d'approcher ce "prochain" au plus près, le sujet fausse à la fois son désir et la Chose elle-même; en la fantasmant comme une unité mythique (c'est le corps de la mère) dont il pourrait jouir : il se confondrait alors avec elle et abdiquerait face à l'épreuve de la finitude et du non-sens. La Chose doit au contraire rester Autre, séparée, pour être désirée comme le prochain. C'est ainsi que Levinas thématise la "proximité" du prochain, une proximité fondamentalement "encombrante", dont le sujet ne sait quoi faire - à part l'aimer, à part se constituer lui-même comme sujet dans l'amour. Mais s'il évoque bien une "sagesse de l'amour", Levinas n'envisage pas, au nom de l'altérité, la possibilité d'établir un savoir effectif de cette proximité.


"Le sujet, dans son désir, veut rendre la chose toujours plus proche, s’approcher toujours plus du cœur de la chose, du cœur qui unifie tout le réel. Mais le sujet, en fait, désire d’abord posséder la chose et, par elle, combler le manque, effacer la finitude. Ainsi avant tout avec ce qui est pour lui, d’après la psychanalyse, la chose primordiale : le Nebenmensch (ou « prochain ») originel dont parle Freud, la mère, le « corps mythique de la mère ». Il découvre alors - ou plutôt doit découvrir, est appelé, par la chose comme Autre, à découvrir - qu’il lui faut renoncer à la jouissance immédiate qu’il peut en prendre."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

CHOSE, Création, Autre, Sujet

Devenir Chose est l'horizon du sujet, ce qui est possible par la création dans laquelle le sujet s'identifie à l'Autre absolu. Car en tant qu'unité et en même temps réalité, la Chose est d'abord la substance de cet Autre absolu créateur, puis elle devient celle de tout existant en devenir, par le biais de sa création. Cependant, elle tend à se réduire à une Chose mythique (corps maternel, monde sacrificiel) et, même accomplie, l'œuvre devient statique et inerte, fascinée par elle-même.


"Elle est pour nous la réalité dans son unité, unité et en même temps réalité – d’abord la substance de l’Autre absolu et, à partir de là, celle, en formation, de  chaque existant. La Chose est, fondamentalement et d’abord, la Chose vraie, que l’existant a à devenir à l’image de l’Autre absolu comme Chose créatrice par excellence."
JURANVILLE, 2024, PL

CHOSE, Objet, Sujet, Unité

La Chose n'est pas l'objet, mais c'est pourtant ainsi qu'elle se donne d'abord au sujet, l'objet présentant la seule forme d'unité compatible avec la fausse unité que le sujet se donne toujours d'abord, parce que la confrontation avec la Chose réelle ferait voler en éclats celle-ci. Il n'en demeure pas moins que la tâche d'"élever l'objet à la dignité de la Chose", dans la création, incombe au sujet - à la fois pour que la Chose soit reconnue comme différente de l'objet, et pour qu'elle se présente effectivement au sujet dans l'objet.


"Laisser venir la chose, c’est donc, pour le sujet fini, d’une part et d’abord, reconnaître la chose au-delà de l’objet, la chose en tant qu’unité en soi, au-delà de l’objet en tant qu’unité pour lui – car l’objet est toujours d’abord faussement déterminé. Et, d’autre part et ensuite, faire que peu à peu l’objet se conforme à la chose, « élever l’objet », et non pas formellement mais réellement, « à la dignité de la chose » – car une chose qui ne deviendrait pas, comme telle, objet, ne serait rien pour le sujet. C’est ainsi par l’objet, par l’objet devenant peu à peu objet vrai, absolu, que se donne, qu’ex-siste la chose pour le sujet fini. L’objet qui est la chose en tant que posée."
JURANVILLE, 2000, JEU

CHOSE, Nom, Sujet, Objet, HEIDEGGER

La Chose n'est pas l'objet, elle ne se définit pas selon des caractéristiques in abstracto ou anticipables, mais par sa présence concrète face au sujet ; mais elle n'est pas davantage constituée par la subjectivité. Avec son unité seulement sensible, c'est elle qui se présente d'abord devant le sujet, comme signifiante, et le sujet répond alors également comme signifiant - sujet de l'énonciation - en nommant la Chose. « Lors de leur nomination, les choses sont appelées et convoquées dans leur être de choses », comme le dit Heidegger, mais d'un autre côté, par leur être nominal, elles sont avant tout des structures signifiantes incarnées. Si alors la Chose "rassemble le monde" (sans lui appartenir vraiment), comme le dit Heidegger, c'est vis-à-vis du sujet posé devant elle et convoqué dans sa réalité - en tant que Phallus. Or si la Chose demande à être nommée, elle doit pour cela en appeler au Nom en général, au "Nom-du-père" provenant du grand Autre du langage, qui maintenant la fait elle-même sujet. Enfin la Chose implique également sa propre réalité de chose, cette fois en tant qu'objet (soit cette réalité que le sujet perd en tant que sujet).


"Comment s’effectue alors ce rassemblement du monde ? La chose convoque et renvoie l’homme en le posant comme sujet. L’homme est impliqué par la chose en tant que phallus, puisque le phallus, c’est « le sujet dans sa réalité ». Réalité de l’homme qui regarde la chose. Mais en même temps la chose appelle un nom. Dans un premier sens, cela signifie que la chose demande à être nommée. Dans un second sens, qu’elle requiert l’avènement du Nom en général. La chose implique donc, non seulement la réalité de l’homme qui se trouve en sa présence et la rencontre, mais le Nom primordial, soit le Nom-du-Père, et sa propre nomination à elle. Ce qui l’installe elle-même comme sujet par la détermination de ce qu’on a évoqué comme « trait unaire ». La chose implique enfin sa propre réalité, non pas sa réalité de sujet (qui serait aussi le phallus), mais sa réalité de chose. Cette réalité que perd le sujet comme sujet, soit celle de l’objet."
JURANVILLE, LPH, 1984

CHOSE, Jouissance, Objectivité, Réalité, LACAN

La Chose est la "substance jouissante" selon Lacan, à la fois ce que le sujet veut s'approprier, son objet de désir, et ce qu'il doit devenir. Pour cela il doit poser absolument la Chose, puisque que celle-ci - en tant qu'unité de la réalité (c'est sa définition) - constitue pour lui la forme ultime de l'objectivité : substance jouissante mais également signifiante - puisqu'il n'y a d'objectivité que de langage -, la Chose jouit de son unité toujours reconstituée. C'est cette jouissance de la Chose, et le savoir de cette jouissance, que le sujet vise dans son désir.


"Le langage nous est apparu, avec l’existence, comme le lieu de toute objectivité et, précisément, comme ce dans quoi le sens vrai (l’inconscient), en tant que sens dans le temps (jouissance), se constitue objectivement. Comment, dès lors, le sujet s’engage-t-il, pour son propre compte, vers l’objectivité absolue que permet le langage, et donc vers la jouissance vraie, et même vers la position de cette objectivité absolue, et donc vers le savoir de cette jouissance ? En posant la chose. En la posant jusqu’au bout et, de ce fait, en advenant comme lui-même chose."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

CHOSE, Individu, Abandon, Parole

Le sujet doit se poser comme l'Autre de la Chose, pour devenir enfin Chose lui-même. Comment ? En se faisant Individu, contre le monde social qui tend à s'identifier abusivement à la Chose, hors toute finitude, et qui sacrifie quiconque se proclame individu (le Christ suprêmement). Il s'agit pour le sujet de recueillir l'être de Chose que la Chose lui cède par sa parole créatrice, comme à son tour il abandonnera l'être aux Choses en les nommant.


"L’individu est ainsi celui dans lequel s’accomplit l’abandon. Celui auquel la chose parlante et créatrice s’abandonne, jusqu’à ce qu’il s’abandonne à son tour, par sa propre parole créatrice. Celui, on peut le dire aussi, auquel les choses ont été abandonnées par la parole originelle, et qui a dès lors, dans sa propre parole abandonnante et créatrice, « nominative », à les nommer et les re-nommer, les créer et les re-créer – comme dans la Genèse, où il est dit des bêtes sauvages et des oiseaux du ciel que Dieu « les amena à l’homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devrait porter le nom que l’homme lui aurait donné ». "
JURANVILLE, 2000, JEU

CHOSE, Désir, Sujet, Castration, LACAN

La Chose est l'Autre originaire du désir, l'Autre réel. Elle incarne à la fois la plénitude absolue (celle que suppose le désir) et l'impossibilité d'une telle plénitude, du fait même qu'elle se signifie comme désirante - s'infligeant par-là même la castration et l'infligeant au sujet.


"Chaque fois qu’une chose est rencontrée comme telle, le temps du monde s’abolit, avant d’être réinstitué. Et chaque chose est la Chose. C’est-à-dire l’Autre originaire du désir, l’Autre réel... Elle n’est autre que le réel de l’autre sujet, rencontré quand le désir de l’un se heurte au désir de l’autre. Lacan dit de la Chose qu’elle est « le vrai, sinon le bon sujet, le sujet du désir ». Soit encore le corps traversé par la castration."
JURANVILLE, 1984, LPH

CHOSE, Désir, Manque, Phallus

La Chose est distincte de l'objet "a' cause du désir, comme elle est distincte du signifiant Phallus qui maintient le désir. Le Phallus se substitue précisément à la plénitude manquante de la Chose. Si dans le réel la Chose est signifiante pour le sujet, si elle lui "parle", en somme si elle désire, c'est en effet qu'elle manque tout en causant le manque dans le sujet.


"L’épreuve du réel comme dimension radicale du signifiant, c’est la rencontre originaire avec le manque de la plénitude. En celui-ci se situe la Chose. Si l’on doit partir du signifiant verbal, elle est le signifiant incarné, réel. Le désir n’est suscité originairement par rien d’autre. Ce n’est qu’ensuite, après le heurt avec le manque de la plénitude, que le signifiant phallique peut s’établir."
JURANVILLE, 1984, LPH

CHOSE, Désir, Interdit, Mère, LACAN

La Chose, bien qu’elle apparaisse comme l’objet premier et absolu du désir, demeure mythique. Les lois de la parole, dont les Dix Commandements sont une émanation, instaurent une distance rendant sa jouissance impossible, au-delà d’une simple interdiction. En effet, en déduire que le désir lui-même puisse être interdit n'est qu'une interprétation névrotique de la loi, laquelle dicte, au contraire, de désirer. La mère réelle, dans l'histoire et dans la structure psychique du sujet, occupe généralement la place de la Chose, mais elle n'est pas la Chose, dont l'absence se solde par l'émergence du signifiant Phallus, grand ordonnateur du désir. Certes la mère semble bien interdite d'après la loi de la prohibition de l'inceste. Seulement il est vain de fonder le désir sur cette loi interdictrice ; car c'est plutôt le désir qui fait loi, et il ne se fonde que sur le manque fondamental de la Chose, qui divise également le sujet : ceci est la castration, propre au sujet parlant, que l'interdit (et donc le complexe d'Oedipe) cherche précisément à faire oublier. A contrario Oedipe est "celui qui n'a pas de complexe d'Oedipe", celui dont le désir est "de savoir le fin mot sur le désir", dixit Lacan, quitte à en payer le prix.


"Il faut donc distinguer : d’un côté la loi de la castration telle qu’elle est inscrite dans la parole, et l’attitude éthique qui veut qu’on s’y confronte ; de l’autre l’interdit, qui est la forme sous laquelle la loi se présente dans le complexe d’Œdipe, et l’attitude névrotique qui consiste à fuir le désir et à se préserver imaginairement de la castration qu’il implique. Si Œdipe, le vrai, celui de la tragédie, celui qui « n’a pas de complexe d’Œdipe », proclame au terme de sa vie le μὴ φύναι, « plutôt ne pas être », c’est pour Lacan la marque d’une existence humaine parfaitement accomplie, où l’on ne meurt pas de la mort de tous, d’une mort accidentelle, mais de la vraie mort où l’on raille soi-même son être. Parce que le désir d’Œdipe, c’est « de savoir le fin mot sur le désir », il est prêt à franchir la limite. En face du « héros » qui n’est autre que l’être moral, Lacan place celui qui fuit ce lien de son désir et de la mort, et trouve refuge dans l’Œdipe, dans le complexe d’Œdipe."
JURANVILLE, LPH, 1984

CHOSE, Bien, Jouissance, Sujet, Vérité, LACAN

Dans la conception de Lacan la Chose apparaît comme un Souverain Bien paradoxal : à la fois visée essentielle du désir, mais aussi objet fondamentalement mythique et absent. Autrement dit le Souverain Bien n'existe pas, et la jouissance de la Chose n'est pas tant interdite que réellement impossible. Pourtant le sujet ne laisse pas d'avoir affaire à la Chose (on ne parle pas ici de la relation à l'objet dans le fantasme), puisqu'elle est constitutive de son désir : en tant que substance jouissante autant que substance signifiante, elle n'est pas moins que "la vérité qui parle" dit Lacan. Inversement l'on ne peut pas dire la vérité sur la Chose, et son être, tout comme celui du sujet, demeure indicible : « C’est bien ce qui fait que l’ontologie, autrement dit la considération du sujet comme être, l’ontologie est une honte, si vous me le permettez ! » (Lacan). Dans le cadre de la psychanalyse, tout savoir sur la jouissance de la Chose reste par principe inaccessible - disjonction de la vérité et du savoir -, et le devenir-Chose du sujet, l'accès à son autonomie de chose, demeure tout autant inconcevable.


"À la différence de Lévinas, Lacan affirme expressément que la chose est, pour le sujet, le Souverain Bien, et que tout le cheminement du sujet est dirigé vers et par elle... Pour lui, « le pas fait, au niveau du principe du plaisir, par Freud, est de nous montrer qu’il n’y a pas de Souverain Bien - que le Souverain Bien, qui est das Ding, qui est la mère, l’objet de l’inceste, est un bien interdit, et qu’il n’y a pas d’autre bien. Tel est le fondement, renversé chez Freud, de la loi morale »... Lacan reconnaît-il au moins, lui, que le sujet accède, par l’éthique, à l’autonomie de la chose ? Le sujet advient bien comme chose. Il la découvre comme « la vérité qui parle », comme substance « signifiante » autant que « jouissante ». Il advient bien à ce qui est affirmé comme une autre jouissance. Lacan, en cela, à la différence de Lévinas, pose, et non pas simplement suppose, l’autonomie. Mais le sujet n’advient pas au savoir de cette jouissance. L’autonomie de la chose comme substance jouissante et parlante se pose sans doute elle-même dans le savoir de la psychanalyse, mais elle ne peut être posée comme telle par le sujet."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

CHOSE, Position, Ternaire, Quaternaire

La Chose semble se constituer dans un mouvement trinitaire qui la fait passer du stade d'objet (où elle est posée, voire déposée), au stade de sujet (par lequel elle pose maintenant l'objet), au stade enfin de l'Autre (qui est l'acte même de sa position). Dès lors que tout existant doit s'ouvrir à son Autre pour y trouver son identité vraie, c'est bien en tant que Chose qu'il effectue ce mouvement, au terme duquel il doit se poser lui-même comme Chose - nécessairement donc dans un quatrième temps et comme quatrième élément (objet-sujet-Autre-Chose). Finalement, tandis que le ternaire s'achève bien avec l'Autre comme tel et le définit (d'abord comme Autre absolu ou divin), la structure de la Chose ek-sistante et finie s'avère être le quaternaire.


"Certes la chose est alors objet-sujet-Autre (...) ; et un tel mouvement caractérise bien la pensée absolue et, en général, tout ce à quoi, d’absolu, le fini peut participer ; il caractérise, avant tout et éminemment, l’Autre absolu divin dans sa vie trinitaire. De sorte que la chose ne peut avoir pour lui toute sa vérité que si, au-delà du ternaire que d’abord il fausse, le fini se pose comme lui-même chose. D’où le quaternaire de l’existence et de la finitude. Quaternaire que le fini doit poser pour atteindre à sa vérité, et qui est donc sa vérité : objet-sujet-Autre-Chose."
JURANVILLE, 2000, JEU

CHOSE, Altérité, Sujet, Autre

L'altérité est l'essence de la Chose, puisque la Chose est essentiellement ouverture à l'Autre. Mais se poser comme chose, autre chose, par rapport à l'Autre, permet d'en reconnaître la vérité, ou l'identité vraie. D'abord la Chose se fait objet de l'Autre, puis, éprouvant la finitude, elle se fait aussi son sujet, jusqu'à poser cet Autre lui-même comme chose. Le point est, pour le sujet, qu'il puisse advenir lui-même chose - et donc se poser comme l'Autre de l'Autre, dans la relation - et ainsi accéder à une identité nouvelle et vraie (par opposition à l'identité immédiate, fermée à l'Autre).


"Ce sera donc au nom de l’altérité à nouveau, mais maintenant reconnue dans son essentielle vérité, que le sujet pourra enfin advenir comme chose (et comme chose qui se pose dans le savoir), et se rapporter à l’objet comme chose, comme « autre chose » (prochain ou Autre absolu). Car l’altérité caractérise certes l’Autre, mais comme identité vraie, en face de l’identité immédiate et fausse dans laquelle s’enfermait le sujet. Identité vraie, avec la relation. Et qui se tourne donc vers son Autre et, par la substitution métaphorique, le fait accéder à une identité nouvelle, elle-même vraie, et au savoir par lequel seul il peut se poser dans sa séparation. La chose, en l’Autre, fait ainsi advenir la chose dans le sujet, pour autant que celui-ci est, pour cet Autre, son Autre."
JURANVILLE, 2000, INCONSCIENT

CHOSE, Existence, Quaternaire, Mère, HEIDEGGER

Heidegger critique trois interprétations dominantes de la « choséité » dans la pensée occidentale : 1) La chose comme substance avec qualités (thèse métaphysico-dogmatique), une unité réelle présupposée. 2) La chose comme faisceau de sensations (thèse empirico-sceptique, ex. Russell, Quine), une unité conventionnelle et fictive. 3) La chose comme matière informée (thèse philosophico-critique), une unité anticipée liée à la production. Contre ces conceptions, la pensée de l’existence et la psychanalyse proposent une « chose vraie », ex-sistante et ouverte à l’Autre absolu. En tant que finie cette chose s’inscrit dans un quaternaire, souvent décrit mais non posé comme tel, comme matrice d'une logique absolue.


"Contre la conception courante de la chose et ses variantes (métaphysique, empiriste, voire traditionnellement philosophique), la pensée de l’existence suppose ou affirme une chose vraie, vraiment – et non pas, comme chez Hegel, formellement – ex-sistante, une chose toujours d’abord rejetée par le monde social. Chose suprêmement en l’Autre absolu vrai ; mais aussi, par cet Autre, chose finie qu’est la créature, et tout ce que celle-ci peut viser sous le nom de « chose ». Chose qui est primordialement, dans l’histoire de chacun, nous l’avons dit, la mère, et maintenant la mère, la Chose maternelle en tant qu’elle reveut la finitude radicale, et qu’elle s’ouvre à son Autre, jusqu’à l’Autre absolu."
JURANVILLE, 2000, JEU

CHOIX, Ethique, Temps, Aliénation, KIERKEGAARD

La philosophie de l'existence pose, non seulement le choix comme essentiel, mais l'identité du choix et de l'éthique. Ainsi pour Kierkegaard, « le fait de choisir est une expression vraie et rigoureuse de l’éthique ». La détermination du bien et du mal vient en second, sachant que l'existant choisit d'abord le mal, dans l'espoir justement d'échapper au choix, de renoncer à la contradiction du bien et du mal. Ainsi dans le phénomène de l'aliénation, dégagé par la psychanalyse, un choix est bien présupposé (puisque le sujet s'y constitue comme tel, outre le phénomène de la séparation), liant le sujet à l'Autre, mais de telle sorte qu'il soit empêché d'agir. Du côté de Kierkegaard, c'est la sphère esthétique qui illustre le non-choix, ou plutôt l'indifférence au choix. A contrario, dans le temps réel où s'effectue le choix, en ce point d'éternité, surgit une vérité que le sujet aura la responsabilité de pérenniser, en répétant, en confirmant le choix.


"Un tel choix essentiel est certes inconcevable pour la métaphysique. Comment pourrait-il y avoir place pour un choix essentiel, là où tout ce qui est va naturellement, nécessairement vers son bien, et où le choix ne peut donc porter que sur les moyens ? C’est ce que dit clairement Aristote : « Le souhait porte plutôt sur la fin, et le choix, sur les moyens pour parvenir à la fin. » Le choix est, au contraire, dégagé comme choix essentiel par la pensée de l’existence. Choix de la fin, et non plus des moyens. Car le sujet existant ne va pas naturellement vers le bien, fût-ce d’abord en se trompant dans la détermination de ce bien ; il commence par le rejeter. C’est Kierkegaard qui, le premier, a ainsi présenté le choix – il parle lui-même de « choix absolu ». Un tel choix se caractérise d’abord, pour lui, par la gravité de l’instant où il est effectué. Gravité qui tient à l’épreuve de ce que nous appelons le « temps réel », à l’imprévisible du choix qui sera fait, et aux conséquences du non-choix."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CHOIX, Liberté, Identité, Finitude

La liberté fondamentale consiste à se révolter contre l'aliénation à l'identité immédiate que l'on s'était donnée, pour embrasser la finitude de l'existence et pour s'y confronter. Elle se manifeste par le choix qui est position d'une telle liberté, devant l'Autre, dans l'objectivité du discours. Un choix que le sujet devra inlassablement répéter et confirmer, car il sait qu'il sera, par finitude justement, tenté d'y renoncer.


"Comment, pour le sujet, éviter de demeurer ainsi captif de l’identité immédiate ? Comment mener à bien l’entreprise de la séparation ? Par le choix. En s’engageant, là où il se heurtera à la finitude de l’objet, à s’y affronter au lieu de la fuir, et à s’y affronter jusqu’à atteindre une objectivité qu’il puisse faire reconnaître par tous. Car le choix est liberté, c’est-à-dire, pour le fini, arrachement à ce dans quoi la liberté toujours d’abord se fuit, à l’identité immédiate. Mais il est aussi position de cette liberté, position à l’Autre, laquelle ne peut s’effectuer pleinement que si la liberté (et donc l’identité vraie du sujet) est posée objectivement. Pas de choix qui ne doive se justifier comme vraiment libre : il est toujours possible en effet que le choix ne soit que prétendu, et que le sujet se soit laissé déterminer par autre chose. Tel est donc le choix essentiel. Non pas entre le boisseau d’avoine et le seau d’eau, comme l’âne de Buridan. Mais entre l’identité immédiate et fausse, où le sujet fuit ce qu’il a de plus propre, son existence, et l’identité vraie, où il s’y affronte."
JURANVILLE, 2000, ALTER