CERTITUDE, Evidence, Subjectivité, Objectivité

L'évidence, comme la certitude, sont des actes du sujet. L'évidence n'est pas l'objectivité en soi, mais la position subjective de l'objectivité, et en tant que telle l'instrument de la (bonne) mélancolie ; tandis que la certitude n'est pas la subjectivité en soi, mais la position de la subjectivité, et comme telle l'instrument de la culpabilité essentielle. La certitude est l'acte du sujet se posant comme principe de toute objectivité, quant il vise au savoir vrai, et quand l'objectivité commune, avec son évidence trompeuse, s'effondre sous l'effet du doute radical.


"De même que la mélancolie a comme instrument l’évidence, et que c’est ainsi qu’elle apparaît au fini, de même la culpabilité a comme instrument la certitude, par quoi elle se donne au fini... L’évidence, l’évidence vraie, est ce qui attire vers sa propre réeffectuation. La certitude est ce qui pousse à accomplir cette réeffectuation, dans l’œuvre et le savoir."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CERTITUDE, Culpabilité, Objectivité, Altérité, DESCARTES

La certitude qui advient au sujet, par l'expérience du cogito et par la grâce du Dieu non trompeur, n'est pas tant un rapport à soi qu'une soumission à l'hétéronomie ; elle se fait instrument de la culpabilité essentielle et fait prendre conscience au sujet qu'il a à s'objectiver, à ne pas en rester à la certitude immédiate de soi. Pourtant, c'est bien comme conscience abstraite ignorant toute finitude, que la subjectivité se pose d'abord intérieurement et qu'elle engage, face au monde, son entreprise d'objectivation. Alors ces deux mouvements inverses, érigeant une subjectivité et une objectivité également absolues, également désincarnées, lui font oublier la certitude première basée sur l'altérité essentielle. Le sujet peut encore reconnaître cette altérité, affirmant sa propre finitude (et culpabilité) mais en occultant cette fois la nécessité de l'objectivation et allant jusqu'à nier toute possibilité d'un savoir vrai. Ce à quoi s'en tient la pensée de l’existence tant qu'elle ignore la vérité structurale de l'inconscient.


"Que la certitude soit l’instrument de la culpabilité, cela se comprend déjà en ce qu’elle rappelle au sujet qu’il a à s’objectiver, à accomplir son œuvre de sujet. C’est cette certitude qui meut Descartes dans sa recherche du principe. C’est elle qu’il dégage comme telle pour y atteindre, puisque c’est à partir d’elle qu’il reconstituera, avec la grâce du Dieu bon, tout le système du savoir vrai."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CAUSE, Identité, Oubli, Loi

L'identité avec l'existence définit la cause, laquelle fait acte de la loi pour le sujet. Cette loi, le sujet s'en saisit pour reconstituer peu à peu une nécessité à travers l'oeuvre - mais toujours d'abord le fini refuse pareille cause remettant "en cause" son identité immédiate et l'appelant à devenir cause lui-même. D'abord, par la grâce, la cause se donne comme objet fini (agissant comme cause matérielle), lequel est censé se faire oublier comme tel - mais l'existant refuse d'oublier l'objet, le fausse et l'absolutise, refoulant de ce fait la cause elle-même (comme dans la science). Ensuite, par l'élection reçue de l'Autre, la cause se donne comme sujet (agissant comme cause formelle), lequel peine à s'oublier comme substance, en tout cas comme conscience faussement souveraine (comme souvent en philosophie). Puis, par la foi, la cause se donne comme Autre (agissant comme cause finale), pour permettre à l'existant d'affronter la finitude et d'accepter l'oubli essentiel, afin de devenir Autre à son tour - mais le fini fausse cet Autre, lui attribuant une puissance sans finitude (quand la religion vire à la superstition). Enfin, par le don, la cause se donne comme Chose (agissant comme cause efficiente), Chose créatrice ouverte sur son Autre, ce que doit devenir à son tour le sujet existant par l'accomplissement de l'oeuvre.


"Accordons-le à la pensée de l’existence, le sujet s’arrête d’abord à une conception fausse de la cause. Car il rejette la cause vraie qui, l’appelant à devenir lui-même cause vraie, créatrice, lui ferait éprouver sa finitude. De la cause il n’accepte alors que ce qui ne met en rien « en cause » son identité immédiate à lui, le monde où se déploie cette identité, la signification et le savoir caractéristiques de ce monde. Une cause qui certes ordonne, comme principe, l’objectivité, et qui y introduit la nécessité, mais une nécessité formelle, en rien existentielle. Une cause qui certes suppose une succession temporelle, mais dans le cadre du temps imaginaire – de sorte que cette sorte de cause peut être supprimée, comme dans la science positive, au profit de la loi abstraite. Au fond de cette conception courante règne cependant, parce que le sujet reste radicalement fini, une cause toute-puissante qu’il ne maîtrise plus par son savoir. Cause comme l’Autre absolu, non plus le vrai, mais le faux qu’il s’est inventé, et qui lui aurait fait subir le « traumatisme de la finitude ». Mais la pensée de l’existence, en refusant toute position, dans un savoir nouveau, de la cause vraie, ne rejoint-elle pas en fait cette conception courante ? Pourtant elle suppose elle-même, par cela seul qu’elle affirme la finitude radicale et l’Autre absolu, une telle cause vraie et créatrice."
JURANVILLE, 2000, JEU

CASTRATION, Sexualité, Pulsion, Chose, LACAN

Initiée par le signifiant Phallus, qui lui-même renvoie au vide réel de la Chose, la castration interrompt le principe de plaisir et le cycle pulsionnel. Certes l'objet de la pulsion est dit "perdu", mais tout autant et indéfiniment "retrouvé", donc la perte ici n'est pas réelle (à la différence de la Chose) mais un simple effet du processus pulsionnel, imaginaire. Cependant, si elle s'oppose ai sexuel de la pulsion, la castration ne se situe pas totalement hors du champ sexuel puisqu'elle conditionne - via le Phallus - aussi bien le désir que la jouissance.


"Parlant du champ du principe de plaisir, Lacan dit de l’objet qui y est retrouvé qu’il est de sa nature un objet retrouvé, et que si on peut le dire perdu, ce n’en est qu’une conséquence après coup. C’est, malgré qu’en ait Lacan, le domaine de la pulsion partielle (dont la pulsion de mort fait bien le fond, mais dissimulé). Et pour autant que la pulsion est le lieu primordial du sexuel, la castration, qui lui retire son objet, conduit à une certaine « désexualisation »... Mais le positif auquel elle amène est lui-même sexuel. C’est en tant que phallus que le sujet désire et jouit."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Père, Interdit, Imaginaire, LACAN

Le désir interdit, névrotique et culpabilisant, s'appuie sur le mythe entretenu du meurtre du père. Il s'agit là du père imaginaire. Mais l'agent de la castration est le père réel, "celui qui besogne la mère" dit Lacan, ou qui par sa présence est en mesure de le faire, bref c'est le père désirant lui-même castré. La rivalité n'est qu'imaginaire (et pour cause, l'enfant, lui, n'étant en mesure de rien du tout) et justement névrotique, elle entretient en miroir avec l'enfant l'image d'un père faible, un père qui a failli, finalement d'un père vengeur qui prendra la figure du Surmoi.


"Le désir interdit est un désir qui en reste au fantasme : c’est le symptôme. Refouler, c’est aimer l’interdit qu’on subit, c’est s’aimer dans cet interdit. S’aimer et se haïr, comme aimer et haïr l’autre. Le mythe du meurtre du père est ce qui permet d’entretenir l’illusion de la possibilité de la jouissance absolue. Et la culpabilité liée au désir de mort éternise (c’est-à-dire imaginarise) le père. Mais justement, il est essentiel pour Lacan de ne pas confondre le père réel, et le père imaginaire. Le père castrateur, c’est le père réel, dit Lacan. Pourquoi ? Si le père réel est castrateur, c’est pour autant qu’il « besogne » celle vis-à-vis de qui l’enfant est en rivalité avec lui, la mère. Ce qui compte, ce n’est pas l’aspect de rivalité, qui renvoie à l’imaginaire, mais le caractère effectif du désir du père. Désirant, il se pose comme castré. Et c’est la castration du père qui est castratrice pour l’enfant."
JURANVILLE, LPH, 1984

PHALLUS, Castration, Signifiant, Désir

Le signifiant, par nature, implique son propre effacement : c'est cette fonction que remplit originellement le phallus, en tant que signifiant non verbal, à la fois en se substituant à l'objet et en disparaissant lui-même pour laisser place au langage - et au désir. Le phallus est ce qui dans le langage laisse à désirer, fait désirer ; il porte en lui l'absence de la Chose, l'objet fondamental du désir. Enfin, en tant qu'il se fait représenter par le Nom-du-Père dans le langage, il instaure la loi - identiquement loi du désir et loi de la castration - qui assujettit le parlêtre au signfiant.


"Par la castration, le phallus advient comme signifiant. Mais que veut dire que le phallus soit signifiant ? L’analyse doit partir du signifiant originaire, qui est le signifiant verbal. C’est uniquement parce que le langage ne tient pas ce qu’il promet, et fait réellement désirer (la vérité totale), que s’impose l’existence d’un signifiant non verbal, et que le phallus apparaît comme ce signifiant... Le désir qu’il maintient et commande, n’est pas désir pour lui, mais toujours désir pour la Chose. La castration simplement « fixe » (elle est loi) la coupure où réside le sujet comme sujet du signifiant."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Identification, Phallus, Désir, LACAN

Dans la constitution du sujet du désir, la castration se rapporte directement à l'identification symbolique, qui s'effectue à l'idéal-du-moi en tant que c'est la place du père réel : la castration est d'abord celle de ce père qui donne son nom, et qui se pose comme désirant (qui renonce donc aussi potentiellement à la jouissance). C'est pourquoi l'identification symbolique, qui conditionne le désir, ne peut être que phallique aux yeux de la psychanalyse (pour l'homme comme pour la femme).


"Cette identification symbolique se fait par le nom, mais aussi par ce que Lacan appelle le trait unaire. Elle vaut pour l’un et l’autre sexe. Comme sujet désirant en effet, la femme ne se distingue pas de l’homme. Disons même qu’elle est « phallique ». Le « phallocentrisme » de la théorie de l’inconscient est absolu pour ce qui est de la constitution du sujet du désir. Lacan écrit ainsi : "Le phallocentrisme produit par cette dialectique est tout ce que nous avons à retenir ici… Cette fonction imaginaire du phallus, Freud l’a donc dévoilée comme pivot du procès symbolique qui parachève dans les deux sexes la mise en question du sexe par le complexe de castration" ."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Jouissance, Phallus, Signifiant, LACAN

Par rapport à la jouissance, comme "au-delà du principe de plaisir", la castration en marque à la fois la possibilité (avec le désir) et l'impossibilité en tant que totale. Et c'est aussi la castration qui fait du Phallus le signifiant - comme signifiant et donc négation de la chose - le signifiant de cette impossible jouissance absolue.


"Jouissance absolue, non pas interdite, comme le prétend Lacan entraîné par le « point de vue névrotique », mais impossible. Si la castration est négation (Aufhebung) de l’objet, et donc négation du négatif, elle ne conduit pourtant pas à une positivité absolue, mais au contraire à une positivité inséparable d’une négativité radicale."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Interdit, Complexe d'Oedipe, Désir, LACAN

Si la loi du désir ne peut être définie par un quelconque objet, c'est qu'elle est constituée par la castration, le manque, la finitude humaine. Mais le névrosé "oedipianisé" ramène cette loi à l'interdit paternel - qui fait accroire à un objet et à une jouissance non pas impossibles mais interdits - parce qu'il est plus facile de subir l'interdit que d'affronter la loi de la castration. L'interdit a pour fonction de refouler aussi bien le désir que la castration, de même que l'interdit intériorisé en Surmoi refoule la vraie loi et se constitue en faute morale d'après Lacan : non pas d'avoir désiré l'objet interdit (puisque la transgression, sur fond de rivalité avec le père, est la seule option laissée par le Surmoi) mais d'avoir "cédé sur son désir".


"L’analyse de l’interdit fait apparaître peu à peu tous les éléments de la structure décrite par la théorie psychanalytique sous le nom de Complexe d’Œdipe. Car si l’interdit est une forme de la loi et que la loi ne puisse être référée qu’au père, l’interdit doit venir du père. Et que peut interdire le père, sinon le désir pour cet objet même qu’il est censé désirer, et exclusivement, soit la mère ? Tout interdit renvoie à l’interdit de l’inceste. Quel rapport déterminer alors entre la loi de la castration et le complexe d’Œdipe ? La thèse de Lacan est la suivante : l’interdit (et le désir interdit, qui en est inséparable) refoule la loi de la castration. En rester au conflit avec le père interdicteur est plus facile que de se retrouver seul devant la mort présentée dans la castration."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Désir, Fantasme, Phallus

Le fantasme supporte sans doute le désir, en posant l'objet comme face réelle du signifiant phallique, mais il nourrit surtout la pulsion ; c'est la castration, en érigeant cette fois le phallus au rang de signifiant, qui constitue le désir comme tel, et comme sexuel. La castration n'est pas seulement la détumescence d’après l’orgasme, soit négativement l'aphanisis du désir, elle représente aussi paradoxalement, positivement, le passage au désir et sa pérennité. Elle est la vérité partielle qui échoie à l'homme.


"Figure de ce que l’on appelle traditionnellement la finitude de l’homme. Mais c’est une figure doublement particulière : le non-sens y est éprouvé dans le sexuel, et surtout il y est inséparable du sens, qui devient lui-même sexuel. Le désir est pour la théorie de l’inconscient désir sexuel, conduisant à une plénitude qui est jouissance sexuelle ; mais jouissance qui n’est que partiellement jouissance et porte en elle "une souffrance fondamentale". La castration marque le lien du désir et du sexuel, ce qui veut dire aussi, et sur un autre plan, de la jouissance et de la souffrance."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Complexe d'Oedipe, Désir, Interdit, LACAN

Le désir primordial de l'homme est marqué par la castration, mais le désir tel qu'il apparait dans le complexe d'Oedipe n'en est que la version névrotique, marquée par l'interdit. Autrement dit, avant d'être refoulé le complexe d'Oedipe est refoulant, il sert à refouler la castration, et donc le désir lui-même. Se voir interdire la mère par le père, comme si c'elle elle l'objet du désir, c'est se masquer l'insoutenable absence de la Chose, l'absence fondamentale de l'objet du désir.


"Le complexe d’Œdipe est un mythe. Pour Lacan, le complexe d’Œdipe, c’est le « rêve de Freud ». Et en tant que tel, il doit être interprété... L’Œdipe sert au refoulement de la castration. Avant d’être refoulé, il est refoulant. Et non pas simplement l’interdit paternel, mais le désir œdipien lui-même est refoulant. Désirer selon l’Œdipe, c’est refouler le désir fondamental. Devant le terrible de l’absence de la Chose, et de la pulsion de mort, l’Œdipe établit le voile du conflit avec le père. La loi comme interdictrice, comme négative, dissimule la négativité radicale de ce qui est."
JURANVILLE, LPH, 1984

CAPITALISME, Mal, Paganisme, Sacrifice

Si le capitalisme participe du paganisme en général comme machine à produire des idoles, il s'y oppose par ailleurs en reconnaissant le mal qu'il produit ; il ne vise pas à purifier la société de tout mal, comme le fait le paganisme ancien, en le repoussant sur la victime expiatoire. Il veut simplement la fin de la guerre et de la violence sacrificielle contre les individus.


"L'institution du capitalisme s'élève contre la guerre en général, au-delà de toutes les justifications qu'on a pu en donner. Et elle déclare l'ère de la guerre terminée. Cela parce qu'elle s'oppose au paganisme brut comme système sacrificiel. Lequel rejette le mal (la finitude radicale, la pulsion de mort, le péché) sur la victime devenue bouc émissaire pour assurer la "perfection du groupe social", sa "participation au bien", au vrai, au réel. Rejet violent du mal, qui est lui-même le mal."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Travail, Plus-value, Jouissance, MARX, LACAN

Le vrai principe de la valeur réside bien dans le travail et non dans la marchandise fétichisée, comme l'a bien vu Marx, mais il n'est pas non plus dans la plus-value soi-disant extorquée au travailleur par le capitaliste. En interprétant celle-ci comme "plus-de-jouir", Lacan souligne la complicité du travailleur pris dans la même jouissance que le maître, le même fétichisme du capital, à qui finalement il ne fait que rendre la dime de ce plus-de-jouir.


"La lucidité de Marx c'est de bien voir le conflit existentiel majeur alors présent (entre le capitaliste et le travailleur). L'aveuglement de Marx, c'est de croire que la plus-value serait extorquée au travailleur comme sa puissance active et créatrice. Alors que la plus-value est puissance de mort, à l'avance extorquable, n'est nullement personnelle (Lacan note le consentement fondamental à cette extorsion au profit de l'idole). La lucidité de Lacan, c'est d'avoir montré ce qui est au fond de la plus-value, ce qu'il appelle le plus-de-jouir - l'objet 'a' comme trace d'une mythique jouissance absolue hors finitude radicale : l'esclave (le travailleur) reste pris dans cette jouissance, devrait au maître (au capitaliste) la dîme de ce plus-de-jouir."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Travail, Plus-value, Création

La philosophie interprète le VIIe commandement comme une invitation à un capitalisme raisonné, capable de laisser place à l’individualité grâce au droit. Deux conceptions ordinaires s’opposent : celle d’Adam Smith, qui glorifie le capitalisme via la « main invisible » où l’intérêt individuel sert l’intérêt général, et celle de Marx, qui le condamne pour son caractère sacrificiel, où le travailleur est exploité par l’extorsion de la plus-value. Cependant, ces visions méconnaissent la finitude de l'existence humaine et tombent dans l’illusion d’une identité immédiate. Chez Smith, travail et capital font un et sont complémentaires ; chez Marx, l'identité originelle du travailleur est supposée et retrouvée par la révolution. Or, l’homme, fasciné par l’idole du capital ou obsédé par la plus-value, y sacrifie son autonomie créatrice. Le travail supposé « vivant » de Marx, produisant du capital, est en réalité déjà « mort », contrairement au travail créateur, unique et « égoïste » défendu par Stirner. La philosophie rejette ainsi les conceptions ordinaires du capitalisme, qu’elles soient laudatives ou critiques.


"Le travailleur qui perçoit son salaire ne cède pas, en échange, du travail créateur qui serait «sacrifié». Il cède du travail que Marx dit vivant parce que produisant du capital en plus ou capital variable (qu'il oppose au travail mort que serait le capital constant), mais qui n'est en réalité que du travail mort, voué à l'avance à sa propre mort dans le capital - car la plus-value produite ne fait que déployer toujours plus loin l'identité anticipative du capital, laquelle n'est que la mythique puissance de vie fausse de la Mère-Nature du paganisme!. À ce travail mort, social, humain parce que l'individualité y a peu d'importance et parce qu'on peut y dresser à peu près tout homme, Stirner oppose, lui, de manière existentiellement plus juste, le travail réellement vivant, créateur, « égoiste parce que personne ne peut faire à ta place tes compositions musicales ou exécuter tes tableaux ». La philosophie est donc fondée à récuser la conception ordinaire du capitalisme, sous quelque forme que ce soit, pleinement louangeuse ou radicalement critique."
JURANVILLE, 2021, UJC

CAPITALISME, Révélation, Révolution, Individu

La révélation appelle nécessairement le capitalisme, non comme bien mais comme le moindre mal social, et comme le terme suprême de la révolution : soit un système social régi par le droit, ouvert à l'avènement de l'individu. Cet événement est proclamé par la philosophie dès lors qu'elle reconnait la vérité de toutes les grandes religions, elles-mêmes reconnaissant l'autonomie de l'individu.


"L’existant est appelé, par la révélation qui lui en donne toutes les conditions, à revouloir pour le bien le capitalisme comme forme minimale du mal social. Pour le bien qui est la possibilité qu’advienne l’individu, en réponse à la révélation. La révélation veut le capitalisme pour autant qu’il est le paganisme quand celui-ci est empêché, par le droit, de broyer la possibilité qu’advienne l’individu."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Révélation, travail, Protestantisme , WEBER

Les analyses de Max Weber font le lien entre la révélation religieuse, le désenchantement du monde et le développement du capitalisme. Le judaïsme ancien, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejette les superstitions et la magie, et introduit une rupture avec le monde tout en reconnaissant le non-sens constitutif de l'existence humaine, autrement dit le péché. C'est en assumant ce non-sens, donc en recueillant la révélation, que le capitalisme prend naissance comme forme minimale du mal social. Mais ce premier capitalisme se supporte de l'élection d'un peuple, et reste donc limité ou marginal (un « capitalisme de paria » dit Weber) : financier, en fait. Seule la grâce chrétienne, qui a vocation à se répandre dans le monde, peut en même temps étendre le capitalisme au commerce (lequel se diffuse en même temps que la foi), supporté par l'institution de l'Eglise. Mais c'est justement cette mondanisation de la grâce, devenue sacramentelle (et presque magique, "consacrant" un quasi-réenchantement du monde), qui la fausse et qui empêche l'institution définitive du capitalisme. Le protestantisme tient que l'autonomie offerte par la révélation, aussi bien que le capitalisme, relèvent du domaine privé et ne doivent pas être posés dans le monde ; pour lui l'état de grâce (supposant l'élection) et même le salut, passent par le dévouement au travail, que seul Dieu est censé juger. Le protestantisme favorise donc bien la généralisation du capitalisme comme industriel, puisqu'il absorbe la totalité du monde du travail. Encore faut-il admettre que le désenchantement du monde, introduit par la révélation, doit être fixé socialement par l'Etat, et que l'oeuvre produite ne doit pas être seulement formelle (comme simple incitation au travail) mais aboutir à un savoir réel.


"Le désenchantement du monde ne peut donc être définitivement établi, et rendre possible l’avènement du capitalisme sous sa forme essentielle, comme capitalisme industriel, que si l’autonomie offerte par la révélation, à la fois, se diffuse auprès de tous (révélation chrétienne), et n’est pas posée comme telle dans le monde (risque de falsification de la grâce dans le catholicisme). Ce qui caractérise cette réinterprétation de la révélation chrétienne qu’est le protestantisme. Protestantisme pour lequel il n’y a pas d’autre indice du salut, de l’état de grâce (et d’élection) que dans l’exercice d’un métier comme Beruf, «  vocation  ». Dans un travail sans relâche qui reconnaît certes le sens vrai, en Dieu au-delà du monde. Mais qui s’affronte toujours à nouveau au non-sens constitutif. Dans un travail qui débouche sur une œuvre, et rationnellement produite. Mais sur une œuvre formelle (le produit de l’industrie)."
JURANVILLE, 2010, ICFH

CAPITALISME, Aliénation, Capitalisme, Ethique, HEIDEGGER

La révolution véritable ne peut prétendre abolir toute aliénation, en particulier celle propre au capitalisme, mais au contraire - en reconnaissant le caractère inéliminable de cette aliénation - engager le sujet à s'y confronter. C'est ce qu'exprime Heidegger en indiquant que, pour le Dasein, l'éthique consiste à faire "le choix du choix" afin de lutter contre la déchéance et l'inhauthenticité que représente justement l'absence de choix (même si Heidegger se tait sur les conditions sociales et politique d'un tel choix).


"Ce qui fait le fond du monde païen, c’est que l’existant y est empêché, par le sacrifice, de se confronter à l’aliénation inéliminable et d’advenir comme individu. La révolution véritable doit donc introduire un monde où l’existant puisse advenir ainsi. C’est-à-dire un monde qui ouvre l’espace de l’éthique essentielle. C’est d’une telle éthique qu’il s’agit chez Heidegger quand il dit du Dasein que celui-ci, toujours d’abord « déchu » dans le « On » et la « privation de choix » et perdu dans l’inauthenticité ou impropriété (Uneigentlichkeit), doit, pour devenir lui-même et accéder à son authenticité et propriété, effectuer le « choix du choix », s’affronter à cette inauthenticité inéliminable et l’assumer."
JURANVILLE, 2010, ICFH