L’écriture ne produit pas simplement la lettre, elle tend vers son accomplissement dans l’œuvre et relève en ce sens la sublimation, « élever l’objet à la dignité de la Chose ». Car si la première lettre provient du lieu de l’Autre symbolique, et se définit déjà comme signifiante, son destin est de se constituer en véritable unité signifiante — du point de vue de cet Autre symbolique. C'est pourquoi l’activité d’écriture déploie et institue des structures, comme autant d'unités cohérentes et nécessaires, entrant en relation à la fois avec chaque unité prise séparément (mots ou phrases) et avec le tout en formation de l'oeuvre - jusqu'à ce que cet ensemble apparaissent soudain comme fini et clôturé. Deux voies se présentent alors dans le cas de structures bien formées : d’une part, la prolifération infinie, où la nécessité ne se clôt jamais et où la structure demeure ouverte — telle est la logique propre de la science moderne (et jamais l'on ne dira du savant qu'il "écrit") ; d’autre part, l’accomplissement, lorsque plus aucun élément ne peut être ajouté sans briser la cohérence interne de la structure : c’est là qu’apparaît l’œuvre, à l'image du poème qui ne saurait se prolonger que dans un silence signifiant. Une fois advenue l'oeuvre fait apparaître le signifiant articulé au Nom-du-Père ; en même temps surgit la Chose maternelle elle-même — celle qui, dans sa parole originaire, énonce le signifiant paternel. "L’écriture s’accomplit en ce sens comme « parlante »" dit bien Juranville : son essence et sa valeur éminente résident dans la parole essentielle qu’elle institue en produisant l’œuvre. C'est en ce sens que l'écriture est purement création, acte créateur.
"L’écriture tend vers l’œuvre. Mais si l’œuvre est produite quand se constitue enfin de manière effective et définitive le signifiant qui s’articule au Nom-du-Père, ce qui surgit avec l’œuvre, c’est la Chose maternelle elle-même, celle qui, dans sa parole, qui est la parole fondamentale, énonce le signifiant paternel. L’écriture s’accomplit en ce sens comme « parlante ». L’essence même de l’écriture, sa valeur éminente, tient à cette parole qu’elle institue en produisant l’œuvre. Parole nullement extérieure à l’écriture. L’écriture n’est pas première, comme le veut Derrida, mais elle n’est pas non plus secondaire par rapport à la parole. Elle seule peut faire advenir cette autre parole. L’écriture n’« exprime » rien, a fortiori rien qui lui soit extérieur, elle crée. Elle est acte au sens plein du terme."
JURANVILLE, 1984, LPH
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