DROIT, Information, Capitalisme, Individu

Le droit à l'information est un pilier de l'institution du capitalisme, car même si le capitalisme crée ses propres idoles, il permet de s'affranchir de l'idole du pouvoir comme telle (laquelle retient l'information, et ment). Pour le meilleur et pour le pire, il libère à la fois l'individu vrai et l'individualisme (le culte de l'individu), la liberté de dire et l'obligation de tout dire (illusion de la "transparence"). Finalement il laisse le choix entre un faux "souci de soi" et le "souci de l'autre".


"Il eût fallu, pour accéder à la véritable exception et individualité, quitter le souci de soi pour le "souci de l'autre", comme le dit Levinas - c'est ce dont le système capitaliste laisse, par le droit, la possibilité à chacun. D'où l'on peut conclure que l'institution du capitalisme doit conduire à l'avènement, comme droit politique nouveau, du droit à l'information - par quoi le droit effectivement s'accomplit. Droit qui permet à l'existant de s'arracher à son aliénation d'individu individualiste devant l'idole, suprêmement devant celle qu'est le pouvoir souverain (et celui qui le détient)."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Individu, Démocratie, Discours

Le droit ne se réduit pas à un ensemble de règles organisant les rapports entre les membres du corps social et avec l’État : il a pour sens et pour fin l’individu. Il constitue un savoir qui, prenant acte de la finitude humaine, donne à chacun les conditions d’une autonomie véritable, par la grâce dans le droit civil et par l’élection dans le droit politique. Le droit progresse historiquement en fonction des régimes politiques, jusqu'à la démocratie représentative qui garantit au mieux la liberté individuelle. Elle correspond au principe libéral d’organisation ou d’équilibre des pouvoirs — législatif, exécutif et judiciaire —, chacun renvoyant à un discours fondamental du monde social : discours du clerc (fondé sur l'altérité), du maître (subjectivité réalisée) et du peuple (objectivité établie). Mais un quatrième discours, celui de l’individu affirmant l’identité, est décisif pour la démocratie : il assure que les sujets puissent, au-delà du simple droit abstrait, trouver socialement l’espace concret où exercer leurs droits, condition de la volonté générale et de l’individualité accomplie.


"Rappelons simplement, d’une part, à propos du droit, qu’il ne se borne pas, selon nous, à être formellement un ensemble de règles qui organisent les relations entre eux des membres du corps social (c’est le droit civil) et leurs relations au Tout de ce corps, de ce monde (c’est le droit politique) : le droit a un sens et une fin qui résident dans l’individu. Le droit est savoir dans lequel on tient absolument compte de la finitude de l’homme en lui donnant à partir de là, contre le système sacrificiel, toutes les conditions pour accéder à son autonomie réelle d’individu véritable (grâce quant au droit civil, élection quant au droit politique)."
JURANVILLE, 2017, HUCM 

DROIT, Finitude, Savoir, Liberté

Le droit est le moyen que se donne l'Etat pour réaliser la justice et donc, autant que possible, réduire la violence parmi les hommes. Il est donc savoir de la finitude. Par son aspect savoir, le droit rationalise, pense et octroie les libertés (civiles et politiques) nécessaires à l'homme pour se réaliser comme individu ; sous l'angle de la finitude, il limite ces mêmes libertés, en se faisant droit pénal. Le savoir juridique porte sur les conditions qu'il faut donner à l'existant pour qu'il assume justement son existence, qu'il résiste à la tentation de la fuir (finitude radicale). Ces conditions sont, comme toujours, la grâce, l'élection et la foi. La grâce reconnaît en l'homme une volonté libre, "naturelle", et octroie des droits réels portant surtout sur les biens (comme la liberté de propriété). L'élection exige en outre que cette liberté soit justifiée, pensée collectivement : elle statue sur les personnes et octroie des droits politiques (comme la liberté d'enseignement...). La foi accorde finalement que ces droits doivent s'appliquer à tous, autrement dit elle les pose comme universels (c'est l'aspect cosmopolitique du droit). Mais constamment la finitude se rappelle au droit, le fait que les libertés sont régulièrement transgressées ou empêchées : le savoir porte alors sur les moyens répressifs et coercitifs pour rappeler à chacun son devoir de respecter les droits de tout autre, et les peines encourues s'il s'y refuse (ce qui revient toujours à refuser les conditions de sa propre autonomie, de sa propre existence d'homme libre.)


"L’État réalise la justice comme il le doit pour autant qu’il garantit le règne, dans le monde social, du droit comme limite à la violence, et comme réduction de celle-ci à sa forme minimale, celle du contrat de travail. Certes le droit a, pour la philosophie, précisément pour celle qui affirme l’inconscient et qui, ce faisant, se pose comme savoir, une fondamentale vérité. Face à la philosophie comme savoir de l’existence, le droit est savoir de la finitude  –   et donc de la manière dont l’existant tend à fuir son existence et de ce qu’il faut faire face à cette fuite. Qu’est-ce en effet que le droit  ? Contentons-nous ici d’une réponse très sommaire (en renversant l’ordre des aspects que nous venons de déterminer)."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DROIT, Etat, Droit de propriété, Droit de suffrage

"Le droit est savoir de la finitude. Savoir des conditions que le fini doit recevoir pour atteindre la finitude essentielle" écrit Juranville. Mais le droit est établi par l'Etat, qui implique à la fois pouvoir et autorité : pouvoir (comme volonté dans sa réalité) pour triompher des résistances que la voloté de justice suscite immanquablement ; autorité (comme vérité de la volonté) pour transposer la volonté de justice en capacité pour chacun de reconstituer la loi à laquelle il est soumis. Le droit qui apparait avec l'institution de l'Etat est lui-même double : à la fois civil et politique. Le droit civil fondamental est alors le droit de propriété, reconnu à chaque particulier par l'Etat comme condition matérielle de son autonomie. Le droit politique fondamental est maintenant le droit de suffrage, permettant à chacun de participer au pouvoir dans le cadre d'une démocratie.


"L'Etat véritable suppose que toutes les conditions aient été données socialement à chacun pour accéder à son autonomie d'individu. Le droit est savoir de la finitude. Savoir des conditions que le fini doit recevoir pour atteindre la finitude essentielle. Mais le droit est établi dans l'Etat par la volonté qui institue l'Etat pour autant que cette volonté triomphe des résistances qu'elle rencontre, c'est-à-dire pour autant que cette volonté est pouvoir. Pourvoir qui est la volonté dans sa réalité. Mais le pouvoir peut être fondé ou sur la violence (répétition de la violence sacrificielle) - et alors la résistance provient positivement de l'exigence, légitime, d'autonomie réelle. Ou sur la grâce, qui libère l'autre et le met en position de reconstituer à partir de soi la loi à laquelle il est soumis - l'Etat véritable suppose donc l'autorité, comme vérité de la volonté, l'autorité en ce que la volonté, qui a produit l'œuvre apparaît comme devant et pouvant devenir celle de chacun. Ce qui tient à l'élection qu'elle porte en elle et communique."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DROIT, Etat, Internationalisation, Capitalisme

Avec l'institution du capitalisme, l'internationalisation du droit (différent du "droit international") affirme le principe fondateur du droit qu'est la volonté de paix parmi les hommes. Elle implique que la souveraineté de l'Etat, désabsolutisée, se soumette à l'autorité de la "conscience universelle", dont les instances juridiques internationales sont les représentantes. C'est sous ces conditions - cosmopolitiques, limitant son arbitraire - que l'Etat peut garantir concrètement (administrativement et plus seulement politiquement) à chacun les conditions (sociales) pour s'accomplir comme individu.


"L'institution du capitalisme se manifeste, dans le monde social, par l'internationalisation du droit - qui en est aussi l'accomplissement, puisque l'individu reçoit alors toute la place qu'il devrait recevoir... Avec l'Etat législatif toujours présent, l'Etat administratif gère l'économie en prenant des "mesures". Etat entrepreneur et Etat providence. L'institution du capitalisme débouche donc sur l'accomplissement tant de l'Etat tel qu'il avait été voulu par la philosophie, que du droit dans lequel l'Etat se déploie et qui consiste à donner à chacun toutes les conditions (sociales) pour devenir individu véritable. Ce que disant, nous nous opposons à Carl Schmitt et à sa thèse selon laquelle l'actuel Etat administratif serait idéalement "Etat totalitaire"."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

JUSTICE, Lutte, Droit, Peuple

Ni le droit positif ni le droit naturel, considérés en eux-mêmes, ne suffisent à soutenir l'idée de justice, quand bien même l'on admettrait avec Adorno que "l'idée de droit naturel contient en elle, de façon critique, la non-vérité du droit positif". Il faut y ajouter la nécessité des luttes, sociales et politiques, qui s'opposent à toute violence de fait du droit positif, et qui légitiment seulement après-coup la référence à un droit naturel. C'est plutôt la lutte comme telle qui est juste, mais seulement quand elle s'affranchit de la violence populaire faisant cercle avec la violence des maîtres (donc quand elle s'affranchit aussi bien du discours du peuple que du discours du maître), et seulement quand elle accouche de droits nouveaux pour tous, autrement dit quand elle réalise un progrès effectif dans l'histoire.


"Nous voulons souligner (...) la portée de la lutte. Elle est menée pour le peuple, à travers le peuple (et sa violence qui menace), non pas par le discours du peuple qui ne s’oppose pas directement aux maîtres ordinaires, mais par le discours philosophico-clérical qui s’oppose directement à eux et qui donne au peuple des maîtres d’un type nouveau (intellectuels, syndicalistes). Telle est la seule lutte effective qui puisse correspondre à ce que dit Marx quand il proclame que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes », et quand il décrit très attentivement les « luttes des classes en France ». D’où il résulte que le droit se caractérise par ses progrès dans l’histoire."
JURANVILLE, 2010, ICFH

LIBERTE D'ENSEIGNEMENT, Eglise, Raison, Christianisme, SAINT AUGUSTIN

L'institution de l'Eglise a promu la liberté d'enseignement car, comme le dit en substance Saint Augustin, les hommes doivent faire le bien (ce qu'enseigne le Christianisme) mais ils ne peuvent bien faire ce qu'ils ignorent. L'individu doit donc pouvoir reconstituer à partir de soi toute vérité révélée, et c'est ce que veut également le Christianisme. Sur le plan historique et institutionnel, il est nécessaire que la raison, capable d'affronter toute objection, confirme l'autorité de l'Eglise dans un espace reconnu comme laïc et autonome. A terme, on peut penser que la liberté d'enseignement conduira à poser comme telle, et à faire accepter par tous la vérité de toutes les grandes religions.


"Le droit politique nouveau qui apparaît avec l'institution de l'Eglise est la liberté d'enseignement... C'est cette liberté d'enseignement que l'Etat médiéval a voulu établir - en reprenant le leg des écoles philosophiques antiques. Ainsi pour les universités qui apparaissent peu à peu à partir du XIè siècle, et dont le grade par excellence est la licentia ubique docenti, la liberté d'enseigner en tout lieu."
JURANVILLE, 2015, LCEDL 

DROIT CANON, Eglise, Etat, Egalité

Le Droit canon est le moyen, pour l'institution de l'Eglise, d'affirmer son principe d'égalité entre tous les hommes, conformément à la célèbre proclamation de saint Paul : "Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car tous vous êtes un en Jésus Christ" (Galates, 3, 28). Il n'abolit certes pas les différences voire les hiérarchies constitutives de l'humain, selon ses principes, mais au moins il s'assigne comme but de réaliser le bien commun. Dans cette optique, le droit matrimonial apparaît comme central car c'est avec la famille et la consommation du mariage (union des deux sexes dans la procréation) que se soude le lien social, dans le respect toutefois de la personne individuelle et du libre consentement (abandon de la répudiation et de la polygamie). L'autorité de l'Eglise s'affiche indépendamment du pouvoir de l'Etat (conformément à la célèbre parole des Evangiles "rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est Dieu"), sur lequel elle entend exercer un contrôle moral, contrairement à ce qui existait à Rome où cette autorité émanait, de façon immanente à l'Etat, de la voix des ancêtres. L'institution de l'Eglise avait promu, d'abord pour elle-même, la liberté d'enseignement ; mais faute de perspective philosophico-scientifique unifiée ou vraiment universelle, les savoirs se contentent d'épouser les différents discours sociaux qui se déclinent typiquement, au Moyen-Age, comme autant d'"ordres" (clergé, noblesse, tiers-état) contredisant le concept même d'"Etat" (que la Royauté centralisée et surtout la République rétabliront).


"Tel est le propre de l'Etat médiéval comme Etat des états, où l'Etat n'est qu'un état parmi d'autres, où un état, celui de la noblesse, détient le pouvoir d'Etat, tandis qu'un autre, celui du clergé, veut exercer son autorité sur l'Etat."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

DOUTE, Vérité, Négation, Existence

Le doute essentiel correspond à une négation dans l'optique de rechercher le vrai ; il est donc l’altérité absolue de la critique et son essence (en même temps que la résolution de la contradiction subjective de la critique). Doute hyperbolique chez Descartes, doute du désespoir chez Kierkegaard, qui dans les deux cas conduit à la certitude de soi, de son existence radicalement finie.


"Avant même le savoir ordinaire auquel s’arrête le sujet social, il y a une vérité reconnue par ce sujet, une vérité qu’il a à s’approprier pour parvenir au savoir. Ce qu’il faut, c’est nier toute vérité à laquelle l’existant devrait se soumettre, et la nier au profit d’une vérité qui surgit et qui s’efface aussitôt, confiant à l’existant la tâche de la reconstituer, de la recréer. Ce qu’il faut par conséquent, c’est le doute, puisque négation et vérité définissent le doute."
JURANVILLE, HUCM, 2017

SUBSTANCE, Sens, Doute, Individu, DESCARTES, LACAN

Pas de vrai savoir du sens sans épreuve du non-sens, lequel apparaît à l'existant dans le monde, comme savoir ordinaire de ce monde. Le doute permet de circonscrire ce non-sens en affirmant, comme avec Descartes, l'existence individuelle. Elle s'exprime dans le langage par la proposition, et par le jugement catégorique (chez Kant) ; son concept (ou sa catégorie, toujours chez Kant) est alors celui de substance. Chez Descartes, c'est la substance pensante, finie en l'homme mais infinie en Dieu. Chez Lacan on retrouvera le noeud des trois substances : pensante ou imaginaire (le sens), étendue ou symbolique (l'articulation signifiante), jouissante ou réelle (le signifiant dans son absolu).


"Le savoir du sens en tant qu'il est toujours déjà illusoire, doit être reconstitué comme vrai par chacun, dans l'épreuve du non-sens. Le sens illusoire que l'homme met en question (en doute) comme individu, est celui de l'ordinaire monde sacrificiel ; et le sens vrai qu'il reconstitue est celui du monde juste où chacun reçoit toutes les conditions pour devenir individu. Doute hyperbolique en tant que, d'un côté, il forge l'hypothèse du Malin génie et que, de l'autre, il lui oppose son refus par la proclamation souveraine 'Je suis, j'existe'. Par le doute, l'homme se refuse à la loi de la jouissance ; le savoir nouveau alors dégagé dans sa possibilité pourra avoir de l'objectivité."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

DOUTE, Malin génie, Illusion, Grâce, DESCARTES

Si le doute méthodique conduisait Descartes jusqu'à l'évidence, apparemment indépassable, des vérités mathématiques, le doute hyperbolique remet en cause - provisoirement, avec l'hypothèse du Malin Génie - le primat de la raison au profit de la seule pensée, la pensée la plus pure et la plus libre, potentiellement la plus folle, mais aussi grosse d'une rationalité future, conduisant au savoir vrai. Car la pensée du Malin Génie, pur non-sens en elle-même, fait surgir la grâce chez celui qui la conçoit (un peu comme Socrate affirmant ne rien savoir, mais plus radicalement) : il se place en retrait, quasiment en position de déchet, pour mieux dévoiler la fausseté du "malin" qui croit pouvoir l'illusionner et le manipuler, ce que la psychanalyse appelle le Surmoi, symbole de tous les maitres et faux dieux prétendant régner sur les esprits et sur le monde.


"Evénement capital qu'est avec Descartes l'affirmation du doute - laquelle n'est autre que la proclamation d'un savoir philosophique nouveau, entièrement rationnel. "Chemin du doute" (Hegel) qui n'est autre que le chemin (la mét-hode, de hodos chemin, voie) de la science... Ce doute est quelque chose d'essentiel dans quoi on se replie par liberté, contre le savoir ordinaire dénoncé dans sa fausseté. Mais aussi doute fou, puisque, par lui, on dénonce l'objectivité reconnue de tous. Le Malin Génie est le Dieu qu'envisage le fou dans sa psychose pathologique. Or, si l'affirmation cartésienne du doute fait rupture, c'est par la grâce qu'elle implique. Car Descartes, avec son doute hyperbolique, se met, par rapport au Dieu trompeur ou Malin Génie, dans la position du déchet."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

DOUTE, Cause, Désir, Savoir, DESCARTES

C'est avec le doute radical que l'on passe d’un savoir cosmologique potentiel, tourné vers la substance, à un savoir réel centré sur la cause, où Dieu est reconnu comme cause première. L'enjeu étant que ce savoir réel trouve son principe, il faut une preuve de l’existence de Dieu. Or cette preuve ne peut plus être l’argument ontologique, purement formel : elle doit être la première (puis la seconde) preuve par les effets, dans une démarche incluant le doute, mais au-delà de sa simple dimension de refus, comme désir : « Comment serait-il possible que je puisse connaître que je doute et que je désire — c’est-à-dire qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas parfait — si je n’avais en moi aucune idée d’un être plus parfait que le mien ? » (Troisième Méditation, §23). La cause est l’identité originaire à partir de quoi tout ce qui existe pour nous a commencé d’exister. La cause véritable est donc créatrice — en dernier ressort, c’est toujours Dieu lui-même. Chez Descartes, c’est encore l’idée de Dieu en moi, grâce divine, qui déploie le savoir par la libre volonté, à travers les contradictions de la finitude humaine. De ce mouvement naît un nouveau savoir, reconstruit dans sa réalité et doté d’objectivité. Cette objectivité s’exprime dans le langage — non plus pris comme simple proposition, mais comme articulation de propositions. Cela correspond, chez Kant, au jugement hypothétique parmi les jugements de relation, et à la catégorie de la cause. Quant au savoir philosophique qui en résulte, dégagé dans sa nécessité, il possède encore sa propre objectivité, que manifeste le langage pris cette fois comme système de toutes les propositions : un système où, d’une part, toutes les propositions sont produites par un même principe, et où, d’autre part, chacune peut devenir principe pour toutes les autres. Cela correspond, chez Kant, au jugement disjonctif et à la catégorie de la communauté. La communauté véritable est ainsi fondamentalement religieuse : elle est ordonnée par la loi du vrai Dieu, cause première, grâce à laquelle les êtres finis accèdent à leur autonomie de substances individuelles.


"Au-delà de son phénomène, comme refus, Descartes établit le doute dans sa vérité, comme désir. Désir qui se rapporte à l'Autre comme tel, et comme l'Autre est ouverture pure à son Autre, désir qui vise par là à s'approprier le manque en l'Autre, son manque heureux... Il faut affirmer le doute dans son essence, comme indifférence. Elle est négation et en même temps désir. Négation du désir ordinaire et faux qui demande à être comblé, et place laissée au désir vrai qui vise à être creusé... Cependant, l’homme, être radicalement fini, rejette d’abord ce désir. Il réduit l’Autre, qui le suscite, à un objet censé être plénitude — un fétiche capable, croit-il, de le combler. Pourtant, le véritable accomplissement du désir n’est possible que si l’homme assume ce rejet et transforme l’objet-fétiche en objet-déchet, c’est-à-dire en signe de sa propre finitude."
JURANVILLE, 2015, LCEDH

DON, Symbole, Consistance, Imaginaire

Le don n'est pas de l'ordre de l'avoir. Avant de répondre à un besoin, par exemple économique, le don possède une valeur symbolique, l'objet donné se fait symbole de la consistance d'un monde pour l'Autre. En tant que symbolique le don s'opère à la place d'un Autre, en faveur d'un Autre que l'on considère comme capable à son tour de donner. Or même si l'objet donné a valeur de symbole, cette plénitude envisagée du don est ce qui caractérise l'imaginaire en tant que ce qui est visé, anticipé, est la consistance d'un monde.


"On donne à qui donne. Le don est donc la plénitude même. Le donateur doit tirer de soi la valeur symbolique de l’objet dans son articulation avec les symboles déjà là. Donner, c’est donner des éléments symboliques qui fassent nœud, et soient donc bien symboles de la consistance du monde. C’est en cela que le don est positivité pure en acte. Qui s’ouvre à l’Autre certes. Donner, c’est toujours donner son amour. Et Lacan dit très bien qu’« aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas » ; ce qui caractérise le don en général, puisque ce qu’on donne, le symbole, ne devient symbole, ne prend sa valeur symbolique, que par le don."
JURANVILLE, LPH, 1984

DON, Oeuvre, Esprit, Sens

L'objet par excellence du don, que l'on ne peut chercher à posséder puisqu'il est symbolique, est l'oeuvre. Ce don s'effectue par l'écriture en général, qui revient littéralement à croire en l'Autre, à projeter imaginairement le don de l'Autre comme à-venir. Dans l'oeuvre se projette la consistance imaginaire d'un sens, porté par l'articulation symbolique ou littérale. Le symbole est alors ce qui supporte le sens, lequel anime en retour le symbole, le spiritualise. C'est toujours l'esprit qui allume la flamme du don, avant que l'oeuvre ne le réalise.


"Le sup-posé du don qui se pose lui-même dans l’œuvre, c’est l’esprit. L’esprit a toujours été conçu par la tradition philosophique comme ce qui rend vivant, comme ce qui, précisément, anime d’un sens. C’est l’esprit qui fait apparaître les éléments du monde comme des symboles, signifiants dans le cadre d’un sens qui les unit en les traversant. Sa temporalité est celle de la fulguration du don. Il est « trait » d’esprit, lueur qui se produit soudain, mais a à se prolonger dans l’écriture de l’œuvre, où l’esprit se pose comme tel, et produit dans le littéral la consistance de l’imaginaire qui est sienne. Il se pose pour l’Autre avec lequel il entre en communion spirituelle, mais dont l’altérité est irréductible."
JURANVILLE, LPH, 1984

DON, Finitude, Liberté, Jouissance

La finitude de l'homme tient dans sa capacité limitée de donner, à tirer de soi du symbolique, jusqu'à faire oeuvre. Laquelle oeuvre vient à fixer - pour l'éternité - l'épreuve de souffrance qu'il aura fallu traverser pour ce faire. Mais l'interruption du don chez l'humain n'est pas une fatalité, pas plus que n'est sa propension inverse à la jouissance, elle résulte de la liberté finie qui conduit à choisir le don ou bien la jouissance. Quant à la possibilité toujours offerte à l'homme de choisir le don, elle résulte précisément de l'infinité du don divin, qui lui ne s'interrompt jamais.


"La négativité propre de l’homme est finitude de sa capacité de donner. Que signifie cette finitude ? Comme créé, l’homme ne peut pas donner toujours, son don s’interrompt. Mais cette interruption ne tient pas à quelque finitude du don de Dieu, qui ne cesse au contraire de réouvrir la possibilité que l’homme donne. Elle résulte de la liberté, finie, de l’esprit en l’homme. L’homme peut choisir librement de donner ou de ne pas donner."
JURANVILLE, 1984, LPH

SACRIFICE, Dieu, Fils, Spiritualité

Qu'est-ce qui permettra à chaque individu de se considérer dans son essentielle autonomie, en reconstituant pour lui le sens rationnel de la création par Dieu le Père ? Autrement dit, comment passer de l'objectivité à la subjectivité du Dieu de la Révélation, ce Fils qui a dû subir le sacrifice ultime pour mieux le dénoncer et en délivrer les hommes ? C'est justement ce Sacrifice du Fils - vécu dans la Passion en tant qu'homme, mais jusque dans la Résurrection en tant que Dieu - qui révèle aux hommes leur nature spirituelle malgré la finitude - spiritualité assumant et pardonnant la finitude. Et cependant le Fils n'engage pas les hommes à l'imiter dans la perpétuation rituelle du Sacrifice - ce serait revenir à la barbarie et au paganisme - seulement à en recueillir le sens spirituel.


"Subjectivité du dieu, avons-nous dit, subjectivité hors laquelle les hommes ne pourraient, comme sujets, accéder à l'objectivité de ce dieu, à celle de Dieu le Père. C'est ce que disent ces paroles de Jésus : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ; nul ne va au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père » (Jean, 14, 6-7). Preuve de Dieu comme Fils en tout cas selon nous, celle que Kant dit preuve physico-théologique et qui est chez Descartes la première preuve par les effets, Dieu comme cause en moi de l’idée de Dieu laquelle - c'est la Pâque - vient m'arracher au paganisme (l'Egypte) dans lequel j'étais pris. Le sujet social toutefois reste fixé à ce qu'est pour lui traditionnellement le sacrifice, ou à une de ses variantes. Contradiction subjective du concept de dieu."
JURANVILLE, PHER, 2019

SACRE, Dieu, Raison, Spiritualité

Comment l'absolu du Dieu de la Révélation peut-il se faire raison, pour l'homme, et ainsi se donner dans une totalité et faire monde ? Pour que l'homme s'imprègne de cet absolu (ce qui existe par soi, ne dépendant d'aucune relation), pour qu'il puisse reconstituer pour lui cette raison jusque dans le tissu des relations du monde, il doit célébrer le Sacré - soit cette spiritualité se faisant réalité dans laquelle finalement réapparaît l'objectivité du Dieu. Réalisant la spiritualité dans sa face réelle, c'est vers Dieu le Père, principe de la Création, que reconduit fondamentalement le Sacré.


"Cet absolu réapparaitra, par rapport à l'ordinaire totalité de relations, comme liberté et, pour autant qu'il est en soi raison, comme liberté allant jusqu'au savoir d'elle-même, comme spiritualité. Et, puisqu'il réapparaîtra ainsi aux yeux de l'homme qu'il appelle à assumer sa finitude il réapparaitra comme assumant à l'avance cette finitude de l'homme, il réapparaitra dans la réalité, qui est être et finitude. Il réapparaitra donc comme le sacré, puisque spiritualité et réalité définissent le sacré qui est ainsi l'objectivité du dieu, ce qu'il est en lui-même dès l'origine et dans quoi, pour l'homme, il s'accomplit. Pour cet homme auquel il dispense toutes les conditions de l'autonomie, il sera Dieu le Père, le principe de la Création."
JURANVILLE, PHER, 2019