DESIR, Besoin, Demande, Signifiant, LACAN
DEMOCRATIE, Individu, Représentation, Parlementarisme
Le peuple n'est pas cette masse indivise que les nationalismes ou les collectivismes se plaisent à mythifier. Il est bien un ensemble d'individus qui se soumettent librement, et qui parfois se consacrent activement à la volonté générale, représentée concrètement par une majorité élue. Ceci dans le cadre d'un Etat respectant la séparation des pouvoirs, afin d'éviter que l'individu ne risque de devenir victime d'un pouvoir absolu. C'est donc parce qu'elle se fonde sur l'individu que la démocratie véritable se veut représentative et qu'elle s'accomplit comme démocratie parlementaire : la voix de chacun valant théoriquement celle de quiconque dans le débat public, mais ne valant politiquement et pratiquement qu'en tant qu'elle est représentée.
DEMOCRATIE, Individualisme, Cosmopolitisme, Judaïsme
"L'évidence (égalitaire) du prolétariat, l'idée que certes n'ont pas reçu les conditions ou en ont été privés alors que d'autres en regorgent, la recherche à ce propos d'un coupable, la certitude (païenne) qu'il y ou que c'est le "système", tout cela est aujourd'hui, après l'Holocauste et l'affirmation de l'inconscient, inacceptable. Certes il y a et il y aura toujours des luttes sociales à mener pour que certaines conditions soient données ou redonnées à tous. Mais chacun est, dans le monde actuel, renvoyé à sa responsabilité d'individu, qui a à ne pas céder à l'envie et à la haine contre l'"élu" (alors qu'il l'est lui aussi, s'il le veut, l'élu !). Mais la falsification sociale traditionnelle toujours présente de la grâce se manifeste, avec la fin de l'évidence du prolétariat par la venue au jour de l'individualisme. On n'y considère plus qu'on n'a pas reçu la grâce. Mais on s'arrête à celle qu'on a reçue, avec l'illusion qu'on n'a rien à faire de plus. On est devenu, par la grâce, principe et origine. Mais on ne veut pas voir qu'on ne l'est réellement, effectivement, que dans la mesure où l'on fait un travail, où l'on entre dans l'épreuve de la ladite finitude et où l'on découvre en soi l'Autre absolu, seul absolument principe et sans lequel on n'est pas soi-même principe. L'individu individualiste n'est pas l'individu véritable."
JURANVILLE, 2015, LCEDL
DEMOCRATIE, Christianisme, Communauté, Orthodoxie
Face aux risques de repaganisation qui menacent la communauté, la démocratie dans le cadre de l'Etat a besoin d'un soutien constant des Eglises chrétiennes. Car celles-ci, issues du Sacrifice du Christ, rappellent aux Etats l'exigence d'une justice universelle, précisément démocratique, puisque dans la vision démocratique l'universel est censé provenir de l'Autre puis passer en chacun dans la mesure où il se fait l'élu de cet Autre. Cependant, même si elles affirment explicitement l'égalité de tous les hommes devant Dieu, les Eglises n'ont pas toujours promu la démocratie (cas du catholicisme) ni même concrètement l'égalité (cas du protestantisme), faute d'assumer les exigences sociales impliquées dans l'idée même de démocratie, autrement dit faute d'avoir pris en compte la réalité de la communauté. C'est pourquoi les inconséquences des deux Eglises occidentales peuvent dans doute être contrebalancées, pour la défense de la démocratie, par l'esprit communautaire de l'Eglise d'Orient ou Eglise othodoxe, pour peu qu'elle résiste à ses propres déviations paganisantes.
DEMOCRATIE, Egalité, Création, Autre
"L'homme ne peut donc réellement participer à la démocratie et à son institution que s'il suppose introduite dans le monde social, et s'il promeut par son œuvre propre, une fondamentale égalité des conditions. Elle permettrait que chacun sans cesse pût accéder, en soi, à la volonté générale ; elle ne fait pas que tous entreront dans leur œuvre propre et accéderont en eux à la volonté générale, mais elle le rend possible. Elle implique la correction permanente de l'égalité par la liberté."
JURANVILLE, 2015, LCEDL
DEMOCRATIE, Existence, Autre, Peuple
La démocratie n'est pas autre chose que l'affirmations sociale de l'existence. Est démocrate celui qui voit en l'Autre - d'abord l'Autre absolu puis le peuple comme communauté des autres Autres - la source de la vérité et de l'universel.
DESESPOIR, Non-sens, Haine, Répétition
Nous savons que, "sur les cimes du désespoir" (comme le dit Cioran), le moi doit finir par affronter le non-sens radical et donc par poser la répétition comme essentielle. Ce qui ne produit pas tant qu'il accorde créance aux absolus faux qui le protègent du non-sens ; tant qu'il s'en tient au sens courant (empiriste ou métaphysique) excluant tout absolu vrai, toute finitude radicale, tout non-sens pur. Le désespoir ne disparaît pas pour autant : se fuyant comme essentiel, il se pérennise comme haine de l'Autre et haine de soi, il s'assimile finalement à cette forme de répétition pure (mais non essentielle) que la psychanalyse appelle pulsion de mort.
DESESPOIR, Moi, Autonomie, Finitude, KIERKEGAARD
Pour Kierkegaard, le désespoir est une « maladie du moi », née de la tension entre autonomie et finitude. Le moi, rapport à soi et à l’Autre (son auteur), tend à rejeter sa dépendance et veut s’autosuffire, mais échoue : de là vient le désespoir. Celui-ci prend deux formes : ne pas vouloir être soi (désespoir-faiblesse, qui rejette l’autonomie ou désespère du temporel/éternel) et vouloir être soi sans accepter sa finitude (désespoir-défi, refus de Dieu). Si Kierkegaard reconnaît l’autonomie réelle du moi, il refuse qu’elle puisse, par elle seule, atteindre l’absolu. Le désespoir ne peut être surmonté que par la foi : en voulant être soi-même, le moi se tourne vers la puissance qui l’a posé, ce qui définit la foi.
DESESPOIR, Répétition, Non-sens, Autre, FREUD
"Rappelons comment la répétition apparaît au sujet fini. Il y a le non-sens, qui résulte de la finitude. Mais, tant que le sujet croit au sens dont il recouvre ce non-sens, tant qu’il a recours à quelque Autre absolu qui « garantit » un sens illusoire, tant qu’il ne rejette pas pareil absolu, le non-sens qui se répète peut ne pas lui apparaître. C’est en désespérant, c’est par le désespoir comme négation de l’absolu, qu’il s’affronte enfin à ce non-sens. Cela ne veut pas dire qu’il se découvre voué à un non-sens indépassable. Du seul fait qu’il s’établit absolument dans le désespoir, une vérité est supposée, un sens nouveau et vrai, et une nouvelle jouissance - comme dans le doute absolu de Descartes. Simplement le sens pour lui devra se constituer à partir du non-sens."
JURANVILLE, 2000, L’INCONSCIENT
DESESPOIR, Mort, Foi, Non-sens, KIERKEGAARD
Kierkegaard décrit le désespoir comme une "maladie mortelle", une perte de sens touchant la vie aussi bien que la mort, puisque la mort elle-même ne saurait nous en délivrer. Le non-sens étant général, il ne reste plus qu'à le poser comme constitutif de l'existence et à supposer le sens venant exclusivement de l'Autre absolu. Cet état d'esprit caractérise la foi. Or si Kierkeggard reconnait que celle-ci peut finalement donner sens à l'existence, en reconduisant le moi jusqu'à sa source et donc jusqu'à lui-même, si elle parvient même à vaincre le désespoir, il ne fait aucune mention d'une causalité entre la positivité du moi, porté par la foi, et l'affirmation du sens ; autrement dit le moi ne dispose d'aucune autonomie supplémentaire grâce à la foi, ce qui reste malgré tout, bien désespérant !
DESESPOIR, Non-sens, Répétition, Absolu, KIERKEGAARD
La répétition se définit comme sens et en même temps non-sens - non sens essentiel (sinon il n'y aurait pas de répétition). Or qu'est-ce que d'abord ce non-sens ? La négation (horrifiée) de tout absolu qui ferait sens, et en même temps l'affirmation paradoxale d'un absolu faux (faux car excluant toute finitude radicale, toute relation essentielle à l'Autre). Le sens d'un tel non-sens consistera à le conduire jusqu'à son terme, avec la négation de l'absolu faux et l'affirmation (désespérée) du non-sens essentiel.
DENEGATION, Analyse, Discours, Monde
Le procédé linguistique propre de la cure, qui fait apparaître l'inconscient dans le discours, est la dénégation. Le sujet y tient la place du Père symbolique, puisque telle est l'identification imaginaire suscitée par l'analyse. Le sujet cherche à produire la signification, à reconstituer la consistance du monde dans l'élément du discours et de la parole signifiante, mais à ce niveau sans interaction avec le monde. C'est la négation qui permet cela, et plus précisément la dénégation, qui souligne l'hétérogénéité, voire la contradiction, entre le signifiant et le monde : "ce n'est pas cela, cela ne peut pas être ainsi". C'est un processus d’évitement de la castration, au même titre le refoulement névrotique, le déni pervers, ou la forclusion psychotique, mais au lieu que le signifiant du désir apparaisse intrusivement comme symptôme, comme objet fétiche, ou comme hallucination, il apparaît exclusivement (en tant qu'autre) dans le discours, où le sujet le pose comme contradictoire avec la consistance du monde. Ce qui n'est pas sans effets réels, car comme l'écrit Juranville "ce qu’on tend de mieux en mieux à démontrer comme impossible, apparaît de plus en plus comme réel, conformément à la thèse de Lacan que l’impossible, c’est le réel".
DEMOCRATIE, Universalisme, Civilisation, Colonialisme
"L'universel de la démocratie devrait en soi déjà, de même que ceux de l'État, de l'église et de la science, s'étendre à l'univers entier. Il le devrait parce qu'il met en question, comme universel surgissant en l'Autre et ne venant à l'existant que pour autant que ce dernier est et se veut l'élu de cette Autre, les hiérarchies traditionnelles empêchant certains peuples d'entrer dans le mouvement de l'histoire. Et cependant, de même que ceux de l'État, de l'église et de la science, il se heurte à un double obstacle qui résulte là aussi du paganisme fondamental de l'humain."
JURANVILLE, 2015, LCEDL
DEMOCRATIE, Représentation, Peuple, Oeuvre, MARX
La plupart des philosophes ont vanté la démocratie comme le "régime où il fait meilleur vivre" (Platon), "le meilleur des régimes" (Aristote), ou "l’énigme résolue de toutes les constitutions" (Marx). Reste que la méfiance à l'égard de la représentation politique, la crainte d'une séparation entre l'Etat dirigeant et la société civile, ont engendré les conceptions illusoires, théoriquement et pratiquement, de la "démocratie directe" (Rousseau) ou de la "démocratie sociale" (Marx) qui ont, à chaque fois, débouché sur des régimes de terreur. Marx voit dans la démocratie politique, en particulier dans sa version libérale, un pur produit de l'idéologie, mais lui-même traite abstraitement de la représentation, refusant de considérer le travail concret qu'elle représente elle-même, travail sur soi et surtout travail de l'oeuvre en tant qu'universalisable.
DEMOCRATIE, Représentation, Finitude, Election, SCHMITT
Ceux qui se confrontent à la mort en combattant l'ennemi acquièrent un grand pouvoir fondé sur le prestige ; mais ceux qui affrontent la finitude radicale, la pulsion de mort en eux, acquièrent une grande autorité et surtout une double responsabilité : celle d'assumer pour eux-mêmes cette finitude (inéliminable) tout en la dépassant, celle aussi d'en témoigner auprès d'autrui à travers la constitution de l'oeuvre. Tel est le principe de l'élection - pour peu que l'oeuvre soit reconnue et validée par le peuple - sur lequel repose la démocratie représentative ou parlementaire. Dès lors, la position centrale de l'élu et l'influence qu'il exerce dans la cité ne doit pas masquer sa fondamentale solitude, ni surtout le fait qu'il devient immanquablement objet de haine et de jalousie de la part de ceux qui - à juste titre ou non - s'estiment déshérités ou en situation d'exclusion. Si la finitude est la même pour tous - c'est le sort de la Créature - il n'y a pas d'égalité naturelle et encore moins sociale devant la capacité de s'y confronter. Finitude ou pulsion de mort qui est, fondamentalement, aliénation à la répétition et refus du choix, refus de "changer les choses" (même si l'on voudrait que "les autres" le fassent). Mais certains utiliseront la misère du peuple, prétendant le représenter "directement", pour conquérir le pouvoir ; ils n'auront de cesse d'obtenir la chute, et si possible, l'exclusion d'élus compétents mais jugés trop "éloignés du peuple" ; ils s'en prendront finalement au régime démocratique qui avait permis leur élection. Tel est la loi sacrificielle d'un monde livré aux idoles populistes, ayant fait bon marché de la démocratie.
DEMOCRATIE, Autorité, Représentation, Totalitarisme
Il se produit une "crise de l'autorité" lorsque les représentants titulaires d'une charge, d'une responsabilité politique, se trouvent dénigrés et donc délégitimés par des forces contestataires (de l'intérieur) ou ennemies (de l'extérieur), leur reprochant soit un excès d'autoritarisme soit à l'inverse - le plus souvent - un excès de faiblesse. Ainsi la crise d'autorité de la démocratie, notamment parlementaire, peut sembler systémique, dans la mesure où l'autorité des représentants comme des gouvernants repose sur leur volonté explicite d'exercer ladite autorité pour réaliser le bien commun. Or c'est cette volonté qui peut faire défaut au regard de ce qu'implique de fondamentalement vertueux la vraie autorité : faire accéder l'Autre à la liberté et à l'égalité effectives, augmenter littéralement (augeo, « augmenter ») sa créativité, lui permettre d'exercer un jour, à son tour, pareille autorité qui implique nécessairement (là où il y a élection) la reconnaissance de l'oeuvre. Ainsi les régimes totalitaires (ou, à un degré moindre, tyranniques et autocratiques), qui ignorent la vraie autorité comme elles ignorent la vérité de l'oeuvre individuelle, n'ont pas de tâches plus pressantes que de saper l'autorité des démocraties, meilleur moyen d'éliminer la démocratie elle-même. Or c'est souvent la relation assumée des démocraties avec le capitalisme (en tant qu'il laisse place à l'oeuvre individuelle), et l'affaiblissement politique et moral qu'elle est censée engendrer (l'éloignement des "valeurs traditionnelles", la "perte de sens", etc., bref la "crise de l'autorité" !), qui a servi de prétexte aux anti-démocrates dans l'histoire récente, pour attaquer les démocraties et tenter d'en finir avec elles.
DEMOCRATIE, Religion, Politique, Capitalisme
"La philosophie doit donc d’une part, pour accomplir la démocratie, reconnaître la portée politique décisive, contre le paganisme, des grandes religions (au-delà de la tentative purement formelle de Platon dans Les Lois, avec le religieux qu’il y affirme). Portée politique décisive du christianisme d’abord parce que c’est par lui que l’acceptation jusqu’au bout, par le sujet social, de la démocratie devient possible, et qu’il est la voie (pour reprendre Rosenzweig reprenant saint Jean). Du judaïsme ensuite parce qu’il est, apparue d’emblée, la vérité qu’il faut atteindre au bout de cette voie. De l’islam enfin et, au-delà de la révélation, de toutes les grandes religions instituées par l’homme, parce que celui-là et celles-ci sont la vie en tant qu’elle peut, par cette voie, s’élever à cette vérité. Et la philosophie doit alors d’autre part, parce que le paganisme foncier est inéliminable, donner toute sa place – jusqu’à l’instituer – au capitalisme comme forme minimale du paganisme. Sans les grandes religions et sans le capitalisme, la démocratie ne pourra s’accomplir."
JURANVILLE, 2010, ICFH