DISCOURS, Vérité, Philosophie, Individu

Le système des quatre discours peut soutenir l'existence d'un monde juste, lorsque celui-ci parvient à la démocratie (comme c'est le cas, tendanciellement, dans l'époque actuelle) , c'est-à-dire quand la vérité de chacun des discours est reconnue par tous, à commencer par le discours philosophique dont c'est la vocation (dès lors qu'il accède à sa propre vérité, celle de son savoir) d'instaurer cette démocratie d'abord dans l'ordre du discours. Vérité du discours magistral, comme étant celui du pouvoir, quand celui-ci - conseillé par la philosophie - admet l'existence légitime d'autres pouvoirs (syndicaux, économiques, etc.). Vérité du discours populaire, comme étant celui de la superstition, quand la "vox populi" - guidée encore par la philosophie - retrouve la "vox dei" contenue dans les grandes religions de la tradition. Vérité enfin du discours de l'individu, qui apparaît lorsque le sujet individuel se décolle du sujet social, pour le pire (l'individualisme contemporain fuyant toute individualité véritable et autonome) comme pour le meilleurs quand il répond à l'appel de l'Autre, l'Autre absolu ou l'Autre humain comme cela se produit dans la cure psychanalytique. - S'il revient à la philosophie en tant que discours d'instaurer et en quelque sorte d'orchestrer cette démocratisation générale, ce n'est pas au nom d'un pouvoir impérial que lui vaudrait son savoir "supérieur", c'est surtout dû au fait que le champ général du discours correspond à ce qu'on pourrait appeler le "monde philosophique", ou encore le "monde de la question de l'être", question à laquelle répondent justement - chacun à leur manière - les grands discours. Le discours philosophique s'"impose" d'autant moins qu'il en vient à s'effacer, voire à destituer son propre pouvoir, au nom de la Révélation (d'où vient toute vérité) mais en suivant le modèle du discours psychanalytique.

"Le discours philosophique reconnaît enfin la vérité du discours de l'individu (ou psychanalytico-individuel). Il reconnaît, se faisant lui-même idéologie vraie, l'idéologie de ce discours comme un fait ici encore indépassable et comme pouvant devenir une idéologie vraie. Car le discours de l'individu est d'abord celui du sujet individuel qui fuit toute individualité véritable et qui se fait sujet social, ce discours portant alors tout le système sacrificiel du paganisme. Mais quand il se met à être tenu par un individu qui a répondu à l'appel du Dieu et qui ouvre à l'autre homme l'espace pour devenir lui aussi individu, quand il devient discours vrai de l'individu - ce qui se produit avec Socrate au commencement de l'histoire, avec la psychanalyse aujourd'hui -, il devient modèle pour la philosophie, d'un discours faisant reconnaître le savoir qu'il véhicule."
JURANVILLE, UJC, 2021

DISCOURS, Etre, Langage, Question

L'ensemble des discours, selon Juranville, appartient au "champ philosophique", qui est celui de la Question sur l'être dans la perceptive de son unité ; de là que pour tout discours, la double référence au savoir et à la vérité s'impose ; mais chacun répond à la question selon des principes différents, et seul le discours philosophique proprement dit assume consciemment et pleinement cette finalité. Mais chacun y participe, et tous se valent au regard du principe général selon lequel l'unité de l'être, ou plutôt l'être-un de l'étant est recherchée et proposée dans le cadre du langage, et d'un langage en acte comme le discours. Dans ce contexte, le rôle du sujet parlant est d'assumer l'unité d'un certain point de vue (subjectivité) sur l'étant, d'abord par la nomination, puis de projeter un certain mode d'être et même plusieurs qui rassemblent l'étant (objectivité), en tant que ce que le sujet énonce s'articule logiquement et peut se répéter. La question de l'unité, voire de la conformité entre le langage et l'être, est traditionnellement celle de la vérité ; et la façon de l'envisager, de l'affirmer ou de la mettre en doute, est précisément ce qui différencie les différents discours. Toujours à l'intérieur du champ problématique, philosophique, seules quatre réponses sont possibles, et les voici :

"1) il n’y a pas de vérité, 2) il y a une vérité totale, 3) il y a vérité totale et vérité partielle. Reste logiquement une quatrième réponse possible, selon laquelle il y a bien une vérité, mais uniquement une vérité partielle. Ce serait une théorie pour laquelle il y aurait bien le désir, mais nullement l’objet du désir. La pensée de Lacan, et donc la théorie de l’inconscient, assume cette quatrième possibilité, sous le nom de discours analytique."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS UNIVERSITAIRE, Savoir, Autre, Philosophie, HEGEL

Le discours universitaire s'oppose au discours du maître, et plaçant le savoir et non plus la loi en position dominante, bien qu'il n'efface pas l'effet de fascination propre à tout discours et qu'il reconduise une volonté de pouvoir. L'universitaire (et d'abord le clerc, historiquement) revendique un Autre absolu au-delà du maître, et aussi au-delà de l'objet idolâtré par le peuple. Dans l'optique philosophique qui englobe largement ce discours, cela correspond d'une part à l'attitude critique kantienne (réduction de la connaissance à l'objectivité finie mais supposition d'un Absolu moral au-delà, pour éviter justement l'idolâtrie), d'autre part à la Science hégélienne (pour qui le doute et la finitude font partie du chemin par lequel le Concept en vient à se poser dans sa vérité). Reste une impuissance caractéristique, pour ce discours, à atteindre justement l'Autre (toujours idéalisé, en fait) et donc à rendre crédible la vérité visée. Si Lacan surnomme Hegel « le plus sublime des hystériques », paradoxalement, c'est bien parce que l'effet produit par ce discours (sa chaine signifiante inférieure) reconduit, en l'inversant, la relation signifiante hystérique (chaine supérieure dudit discours) en tant qu'elle se méprend, typiquement, sur la nature même du désir, rabattu sur un désir de savoir, savoir attribué à un sujet qui plus est ! « C’est la béance où s’engouffre le sujet qu’il [ce discours] produit de devoir supposer un auteur au savoir » dit Lacan dans Radiophonie, soit la "Je-cratie", cette fausse identité du "Je idéal, du Je qui maîtrise", où Lacan voit le mythe philosophique par excellence. Reste que, socialement, du point de vue de l'histoire, ce discours doit avoir sa légitimité selon Juranville, comme les trois autres discours ; disons même que son rôle, de par sa nature intellectuelle, sa position enseignante, sa relative abnégation au regard du pouvoir (ce que Juranville appelle sa "grâce") est de favoriser une telle reconnaissance mutuelle entre les différents discours.

"Un troisième discours est alors introduit par l’existant  pour autant que, s’étant engagé dans l’épreuve de la finitude  radicale, il est prêt à en assumer expressément quelque chose et qu’il veut, à partir de là, réellement s’opposer au discours du  maître. Discours dont la dominante n’est plus la loi, comme pour le discours du maître, ni le symptôme, comme pour le  discours hystérico-populaire, mais le savoir où s’exprime cette  assomption expresse. Ce discours s’oppose bien réellement au discours du maître, il élève bien un autre pouvoir contre le  pouvoir du maître. Mais il ne libère pas de l’essentiel, qui est la soumission fascinatoire à l’Autre voulu faux et idolâtrique, bien au contraire il tend à la faire apparaître comme indépassable. Car d’une part, reconnaissant expressément la finitude, l’existant fait référence à un Autre absolu au-delà du maître ramené à sa finitude d’humain et qui ne peut plus incarner cet Autre. Autre divin ou grand auteur qui a, dans et par son œuvre, rendu perceptible, manifesté et montré la présence indubitable d’un tel Autre absolu."
JURANVILLE, 2024, PL

DISCOURS UNIVERSITAIRE, Discours de l'analyste, Vérité, Savoir

Comment le discours universitaire (et donc la philosophie) est-il en mesure d'énoncer la vérité du discours analytique, alors même qu'il ne saurait énoncer lui-même l'inconscient ?Certes l'agent de ce discours, parlant au nom du savoir, de cette maîtrise là, tient que l'autre (l'étudiant) n'a aucune maîtrise et ne sait pas ; en revanche il reconnait que l'étudiant pourra accéder au savoir et s'emploie donc à susciter en lui ce désir de savoir. Or qu'est-ce que cette non-maitrise de l'autre (a/$) sinon la situation symptômatique du discours analytique lui-même (a --> $) dans l'histoire, ce fait inadmissible que l'objet (de jouissance) "parle" au sujet et repose sur un savoir (inconscient) ? Donc, au moins, le discours universitaire reconnait-il le non-savoir comme un authentique symptôme, une situation remédiable qu'il tente de résoudre pour sa part en désir de maîtrise. En quoi, s'il échoue à faire produire un savoir personnel à l'étudiant (puisqu'à la différence du discours analytique, il ne reconnait aucun savoir au sujet), l'important est que ce symptôme soit reconnu comme présence d'un désir et donc comme lieu d'une vérité. Il reste au discours universitaire, dont la vocation est historique et non individuelle, à énoncer explicitement la vérité (certes partielle) du discours analytique, au lieu de se contenter de la supposer, condition même pour que sa propre pensée absolue (en tant que philosophique) parvienne à se déployer en savoir spéculatif et vérité totale.

"Si le discours universitaire, et donc le discours philosophique, peut dire effectivement l’inconscient, en le faisant éprouver dans sa vérité de signifiant, ce ne saurait donc être directement, mais par l’intermédiaire du discours analytique, en tant que symptôme social et ce qui fait problème pour tous les discours. Le discours universitaire affirme qu’il y a une maîtrise absolue, celle des grands auteurs, mais aussi une non-maîtrise, celle justement de l’autre (de l’étudiant nommément). Mais de cette non-maîtrise il affirme aussi la vérité. À la différence du discours du maître et du discours de l’hystérique... Si l’étudiant (et l’analyste) n’a pas de savoir pour le discours universitaire, il a en tout cas une vérité. Le discours universitaire donne vérité au symptôme, donc au discours analytique, soit celui qui peut énoncer l’inconscient en le faisant directement éprouver. Le discours universitaire ne fait donc pas éprouver directement l’inconscient, mais son énonciation suppose le discours analytique comme le lieu d’une vérité. La pensée absolue saisissant l’inconscient peut s’y dire, pour autant que ce discours renvoie celui qui écoute à une vérité qui est celle du discours analytique."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS, Identification, Vérité, Sujet social, LACAN

 Un sujet prend place dans un discours en s'identifiant à ce qui est signifié pour lui, posé comme vérité, dans ce discours. Ainsi l'hystérique (et le peuple pour Juranville) s'identifie à l'objet désirable alors même qu'elle s'adresse en tant que sujet au maître - c'est tout son drame ; tandis que le peuple croit essentiellement à l'objectivité et refuse toute transcendance. Le maitre s'identifie essentiellement à lui-même - c'est toute sa folie - et voudrait que l'autre auquel il s'adresse accède à sa propre subjectivité (en se faisant sujet de la loi), et ainsi à l'objectivité vraie. L'universitaire (le clerc pour Juranville) s'identifie d'abord à l'Autre comme Absolu (signifiant maître) puis aux autres en tant qu'humains, misant tout sur cette transcendance, sur cette autorité (qu'incarnent les grands auteurs) pour donner vérité au savoir et ainsi exercer son pouvoir. L'analyste (selon Lacan) incarne l'objet pulsionnel pour l'analysant, mais (selon Juranville) il s'identifie plutôt à la Chose signifiante (S2 dans ce discours) ; plus généralement ce discours est celui de l'individu en tant qu'il veut son identifié vraie, toujours incarnée par la Chose.

"Le sujet social a en propre de s’égailler parmi les divers discours fondamentaux qui organisent le monde social. Et qui se caractérisent chacun par l’identification sociale à un moment déterminé de la structure – identification qui correspond à ce qui est signifié, ou posé comme vérité, par celui qui tient le discours."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DISCOURS, Sublimation, Discours de l'analyste, Autre, LACAN

Quoi qu'en dise Lacan, et bien qu'il n'apparaisse pas en premier dans l'histoire, le discours analytique est nécessairement le discours primordial. Le maitre en position d'agent ne s'adresse à l'autre que pour répondre - illusoirement - à sa question et à sa demande. Mais la cause de la question n'est rien d'autre que le symptôme premièrement signifiant et "parlant", position qu'incarne justement l'analyste dans son discours, grâce à quoi l'autre pourra alors énoncer le signifiant paternel (S1). Tout discours est nécessairement, pour le sujet qui y prend place, en rapport avec une forme de sublimation ; or structurellement, dans l'inconscient, celle-ci requiert que le sujet occupe la place de l'Autre, ce qui qui est le cas dans le discours analytique. Tous les autres discours en dérivent, mais en modifiant les rôles (et non les places bien sûr) font échouer la sublimation qu'ils supposent pourtant :

"C’est de cette place que l’amour qu’il donne et suscite ne s’étouffe pas dans la haine (comme dans le discours universitaire et dans le discours de l’hystérique), et ne s’efface pas dans le désir (ce qui est le cas du discours du maître)."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS, Structure, Signifiant, Savoir, LACAN

Le discours se distingue de la simple énonciation ou parole ; il peut d'ailleurs subsister sans parole effective. Or si dans la structure de l'inconscient qui est celle de toute énonciation, l'agent semble premier comme cause efficiente et l'autre auquel il s'adresse second, dans la structure du discours c'est bien l'autre initiant le discours avec sa question qui est premier tandis que l'agent est second. L'acte énonciatif de celui-ci, en tant que répondant à la question, consiste à poser une thèse dans le signifié autrement dit à énoncer une vérité. Mais cette vérité n'est liée à aucun savoir et apparait donc illusoire ! Pourquoi ? Parce que le savoir, produit par l'articulation signifiante (l'échange de paroles si l'on veut), se trouve nécessairement du côté de l'autre, une fois l'articulation faite justement. C'est pourquoi l'effet du côté de l'autre se détermine comme jouissance. A partir de là on peut voir que le discours manifeste structurellement à la fois une impossibilité et une impuissance. Impossible, par principe même, que satisfaction soit apportée par le discours à une question surgissant imprévisiblement depuis l'autre réel. Impuissance parce que l'effet de jouissance produit chez l'autre ne peut jamais correspondre à l'effet de vérité prétendu du côté de l'agent. Pour autant le discours n'est pas sans consistance :

"Le discours a toutefois une consistance, qui est celle-là même de la structure de l’inconscient. Et cette consistance est nécessairement éprouvée par un sujet, comme son savoir. À l’illusion d’un savoir spéculatif, que produit l’énoncé de la « vérité » du discours, répond la réalité du savoir inconscient. Ce savoir, qui marque simplement que la structure (ici du discours) a sens pour un sujet qui s’y inscrit, est supporté par un signifiant (celui de l’identification symbolique), qui peut venir occuper n’importe quelle place de la structure. Mais ce signifiant est inséparable du signifiant paternel qui le soutient et à quoi il fait référence. De ces deux signifiants se déduisent les termes du sujet et de l’objet, et une nouvelle chaîne signifiante se constitue, qui suit l’ordre signifiant de la structure du discours, et glisse sur elle avec le déplacement du savoir. Apparaissent alors quatre possibilités structurales, qui déterminent autant de discours."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS DU PEUPLE, Discours du maître, Discours, Oeuvre, LACAN

Qu'est-ce que le discours du peuple ? Un discours où les sujets, fort de leur appartenance à une totalité sociale, et au nom de cette finitude, rejettent toute prétention à un savoir absolu. C'est bien le premier discours historique, celui qui déploie l'oeuvre du monde social traditionnel, bloqué sur un mode de pensée quaternaire analogique ("quand le divin est à l’humain ce que l’humain est au divin" résume bien Juranville) et donc une structure discursive elle-même faussée, incapable de se projeter sur une ouverture au Cinq de l'Histoire, et encore moins au Six du Savoir. Or Lacan, qui fait du discours du Maitre le discours primordial ne voit pas en quoi celui-ci, qui semble régner sur le monde traditionnel, est en réalité déterminé par le discours du peuple (discours de l'hystérique, pour lui). De là aussi que sa propre construction du discours en général, tirée de la structure du discours du maître (S 1-S 2-a-$), présente une clôture artificielle et fausse, qui doit être rectifiée à l'aune de la structure complète, sénaire (doublement ternaire, et incluant le quaternaire de l'oeuvre : Autre-Chose-objet-sujet), du mouvement existentiel.

"Dès lors la présentation structurale, par Lacan, du discours aura, dans l’analyse ternaire que nous proposons pour le discours en général (pensée-conflit-dialogue), mais aussi pour les discours fondamentaux ou structures historiales, les correspondants suivants. Le plan supérieur, celui de l’agent et de l’autre, renverra au discours dans son acte, ou son phénomène (la pensée, rappelons-le, est suscitée par l’essence venant en l’Autre et comme Autre, et implique que l’essence est reconstituable par chacun, par soi d’abord, mais aussi par tout autre à venir). Le plan inférieur chez Lacan, celui de la production et de la vérité, aura comme correspondant le discours dans ce par quoi il s’accomplit, dans l’identification qui le caractérise (le conflit résulte de ce qu’il y a plusieurs identifications possibles). Les flèches de l’impossibilité et de l’impuissance enfin, là où le discours se heurte, pour Lacan, à une contradiction indépassable, renverront chez nous (qui voulons montrer comment cette contradiction peut se résoudre) au discours dans son principe subjectif (le dialogue reçoit de l’Autre absolu, posable comme tel par la philosophie, sinon par la psychanalyse, toutes les conditions pour se déployer universellement, et donner au conflit toute sa vérité)."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

DISCOURS, Savoir, Jouissance, Analyse

 L'inconscient signifie que l'on sait quelque chose à notre insu et que l'on en jouit. Il n'y a aucun savoir de ce savoir mais seulement un discours pour l'énoncer, et encore dans les conditions propices à susciter l'épreuve de ce savoir et de cette jouissance, c'est-à-dire dans la situation de la cure analytique. Cela reste un discours, sauf que ce discours analytique est le seul à dénoncer l'illusion spéculative d'un discours déployant un savoir sur le savoir inconscient ; il énonce juste qu'il y a de la jouissance au savoir et en récupère une partie. Il faut comprendre que le discours en général prend naissance d'une question, et même d'une question sur l'être, et donc d'un manque ; non pas directement d'un manque à être mais d'un manque à penser l'être-comme-un, comme plénitude, manque à jouir. Et le discours en général, spécialement sous sa forme initiale qu'est le discours du maître, propose une réponse à la question, et donc une thèse sur la jouissance. Il n'y a pas moyen de sortir de cette effet spéculatif, en quelque sorte pervers du discours, sauf avec le discours analytique parce que seul il assume le savoir comme jouissance (ou pensée) inconsciente, et il en propose l'épreuve au sujet au moyen du discours.

"Comment alors concevoir ce discours sur l’inconscient ? Comment, plus radicalement, concevoir le discours en général, qui porte l’illusion spéculative, à partir de l’inconscient, qui la dénonce ? Rappelons que tout discours suppose une question, qui renvoie finalement à la question philosophique sur l’être. Ce que recherche la question, c’est le savoir sur l’être. Mais ce savoir est fondamentalement problématique, il est suspendu à la possibilité effective de la pensée, et la question n’aurait plus de sens si la pensée, d’une certaine manière, ne manquait pas. Ce manque de la pensée, comme lieu premier de l’être-un, c’est le manque de la plénitude, ou encore de la jouissance. Le discours trouve son origine dans le défaut de la jouissance, et quelle que soit la thèse qu’il soutient, voire la thèse qu’il n’y a pas de plénitude, il apparaît, en tant que discours, comme disant Voici ce qu’il faut faire pour connaître la jouissance."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS, Religion, Autonomie, Hétéronomie

En assumant sa propre finitude, et en reconnaissant la vérité de toutes les grandes religions, le discours philosophique dispense sa grâce aux quatre discours fondamentaux, et ce faisant les élève à leur propre vérité. Ainsi, à travers la vérité du judaïsme (soit une autonomie humaine rendue possible par l'hétéronomie divine), le discours du clerc - devenant philosophico-clérical - transforme l'hétéronomie qui le caractérise premièrement (comme Surmoi) en autonomie nouvelle et vraie (puisqu'il se réfère, librement, aux grandes religions). A travers la vérité du christianisme (soit l'autonomie que confère pour chacun la traversée de la passion), le discours individuel - devenant psychanalytico-individuel - permet un passage d'autonomie d'un individu à un autre (principe de l'analyse). A travers la vérité de l'islam (soit encore l'autonomie dans l'hétéronomie), le discours du peuple - devenant scientifico-populaire - rend possible une certaine forme d'autonomie pour chacun. Enfin à travers la vérité du bouddhisme (soit l'autonomie de quelques initiés incarnant l'hétéronomie pour les autres), le discours du maître - devant métaphysico-magistral -, permet effectivement au peuple la reconnaître une forme d'hétéronomie dans l'autonomie de certains.

"Le discours philosophique dispense donc sa grâce aux divers discours fondamentaux, à la fois en assumant sa propre finitude radicale et en reconnaissant la vérité de toutes les grandes religions. Il transforme par là même chacun des discours."
JURANVILLE, 2010, ICFH

DISCOURS, Raison, Vérité, Maitrise, LEVINAS

Rappelons que le discours se caractérise, de la part d'un locuteur, comme une suite coordonnée de propositions destinée à influencer un auditeur, de façon à le convaincre (ou le persuader) que la raison d'un tel discours est vraie ; ce qui advient justement lorsque la raison du discours est partagée, à la suite éventuellement d'un dialogue. Mais l'effet d'ensemble, ou de totalité, véhiculée par la raison supposée du discours, suscite toujours dans un premier temps une fascination qui provoque une adhésion immédiate au discours du locuteur, toujours déjà, de ce point de, en position de maîtrise. C'est que le discours est avant tout un instrument de pouvoir, d'abord évidemment pour le pouvoir politique ; d'où la dénonciation constante par Platon de la rhétorique - et des Sophistes passés maîtres en cet art de persuader. Il y a donc une perversion en quelque sorte originelle du discours, du fait que le jugement de l'autre étant attendu, redouté, le locuteur va tout faire pour obtenir son approbation jusqu'à éventuellement tordre et dénaturer sa propre raison. « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours » écrit Levinas (le "transcendant" étant ici l'Autre en général). Mais cela n'empêche pas, selon Juranville, que la subjectivité naturelle du discours, en tant que celui-ci est raison et vérité (sinon il n'est rien), cherche à se dépasser dans la reconnaissance de l'Autre et avant tout de l'Autre absolu.

"Le discours est, aux yeux de Levinas et légitimement, toujours, pour celui qui le tient, un discours dapologie. Apologie de soi directement ou de la cause qu’on veut défendre. Elle est inévitable parce que la subjectivité qui, par sa parole, par son verbe, par sa voix, prononce le discours, veut être jugée le plus favorablement par l’Autre: « L’apologie, où le moi à la fois s’affirme et s’incline devant le transcendant, est l’essence du discours. » Mais Levinas a eu beau en venir finalement à parler, pour le sujet existant caractérisé par l’élection, d’« identité injustifiable de l’ipséité », le discours, outre la dimension de subjectivité de l’apologie, toujours menacée d’être une brute affirmation de soi, toujours en soi équivoque, prétend nécessairement avoir objectivité et rationalité. L’existant cherche en effet à fonder son discours, l’identité et consistance de son discours, dans un principe qui dépasse sa subjectivité ; à le justifier, aux yeux de l’Autre absolu (jugement de Dieu) et par cet Autre comme principe premier, mais aussi aux yeux de l’Autre fini, de l’autre homme, puisque c’est à celui-ci que le discours s’adresse directement."
JURANVILLE, 2024, PL

DISCOURS, Raison, Vérité, Autre, LACAN

Le discours se définit comme raison et vérité. Raison de par la consistance de son argumentation, vérité quand il peut répondre aux objections de tout autre - c'est alors qu'il devient objectif. Pour Lacan seul le discours de l'analyste parvient à passer comme vérité à l'Autre, du fait que l'analyste demeure en retrait comme dépositaire de la vérité ; mais selon Juranville il faut admettre que le discours philosophique fait de même, tout aussi objectivement, cette fois pour le sujet social. Pour la psychanalyse comme pour la philosophie, on parle ici d'une vérité du discours (rapport aux sujets) et non d'une vérité scientifique (rapport au monde).

"Ce qui apparait à la philosophie contemporaine affirmant l'existence essentielle, c'est que le discours exerce toujours d'abord un effet de captation et fascination sur l'existant - et qu'en cela, quelque vérité qu'il y ait dans ce discours, cette vérité ne passe pas objectivement à l'existant. D'où l'importance majeure, pour la philosophie, de l'entreprise de Lacan qui montre, au-delà de Freud, que la Psychanalyse n'est pas science, mais discours, et discours qui passe comme vérité à son Autre. Et même le seul, pour Lacan, à le faire, parmi les discours fondamentaux qui se déduisent de la structure de l'existence (et de l'inconscient). Cela invalide-t-il définitivement tout discours philosophique ? Non, dans la mesure où la philosophie peut montrer que ce qui fait passer le discours psychanalytique à l'Autre de ce discours, c'est la grâce. Que l'Autre auquel s'adresse le discours psychanalytique est l'existant comme sujet individuel. Que celui auquel s'adresse le discours philosophique est l'existant non pas non pas comme sujet individuel, mais comme sujet social. Si bien qu'il n'y a plus pour la philosophie, qu'à montrer qu'elle dispense, à son Autre à elle qu'est le sujet social, une semblable grâce."
JURANVILLE, FHER, 2019

DISCOURS, Raison, Autrui, Transcendance, LEVINAS

Pour Emmanuel Levinas, toute relation éthique avec autrui est discours, car le discours est un acte rationnel qui préserve la transcendance et l'altérité de l'autre ; en effet la "raison, comme l'un pour l'autre" ainsi que le proclame Levinas, est bien ce qui nous réunit dans la transcendance. D'où cette affirmation que "l'essence du discours est éthique". Mais dans les faits, le discours cherche toujours à capter l'autre dans une totalité qui est falsification de la transcendance. Il faut donc distinguer trois discours. Un premier discours "ontologique" affirme qu'il y a une vérité pour toutes choses, contenue dans les essences ; mais ce Dit totalisant des choses n'est jamais confronté à son acte de Dire, autoritaire ou mystérieux, qui reste donc occulté, et ce discours est perçu tôt ou tard comme trompeur. Un second discours "sceptique" se fonde sur la falsification potentielle de tout Dit, et donc sur le droit de toujours Dire autre chose ; mais en affirmant au fond qu'il n'y a pas de vérité il n'interroge pas lui-même son propre Dire (son point de vue sceptique tenu pour vrai) contredisant à l'évidence ce qu'il Dit. Enfin un discours "philosophique" se veut la synthèse des deux premiers et la solution de leur conflit, en conditionnant la vérité à une certaine diachronie des discours, ce qui revient à prendre au sérieux le discours comme tel, comme raison. Mais Levinas n'envisage pas que ce discours puisse se poser comme vrai, au risque encore de trahir la transcendance qui le fonde. Il faudra le discours analytique pour clarifier ce rapport du discours à la vérité, et pour restituer à la philosophie la part qui lui revient.

""L'essence du discours est éthique" (Levinas). Certes pareille dimension éthique est toujours menacée de falsification parce que le discours est tentative de justification et d'apologie, et donc de captation de l'autre dans la totalité qu'on lui déploie. L'apologie, où le moi à la fois s'affirme et s'incline devant le transcendant, est dans l'essence du discours. Le moi s'incline, mais aussi s'affirme. De là, pour Lévinas, la nécessité de trois discours."
JURANVILLE, FHER, 2019

DISCOURS, Question, Etre, Signifiant, LACAN

Tout discours a pour vocation de répondre à la question de l'être- même si seul le discours philosophique le reconnait explicitement -, en ce sens tout discours peut être considéré comme spéculatif. A ce titre, Lacan se contente de viser le discours philosophique qu'il rabat sur le discours du maître, comme supposant un signifié qui serait total. Mais il sait aussi que tout discours se nourrit d'une illusion constitutive, précisément de promouvoir une réponse unitaire à cette question de l'être ; et le discours de l'analyste pas moins qu'un autre, dès lors qu'il fait du signifiant l'instance à même d'y répondre ("vérité partielle" selon Juranville). Que fait banalement le sujet en analyse sinon soulever la question de son existence, de son être-là, de son être "soi", puisque déjà l'inconscient (en tant que pure articulation signifiante) vaut comme remise en question du soi, du sexe, du rapport à l'autre ? Mais pour Lacan, spéculer sur la question, soit le propre de la philosophie, est "une honte" ; l'ontologie est une "hontologie" car il n'y a pas de métalangage, pas de dire possible sur le dire, donc pas de langage de l'être ; la vérité de tel être ne peut surgir imprévisiblement que de l'inconscient, de la bouche parlante de la Chose elle-même.

"Mais en énonçant comme thèse sur l’« être » le signifiant comme vérité partielle, et en le présentant selon sa structure quadripartite fondamentale, le discours analytique laisse le savoir inconscient s’écrire. Ainsi pour le concept de l’inconscient. Le discours analytique demeure donc un discours spéculatif, et ne saurait comme tel échapper à l’illusion propre au discours. Croire qu’il le pourrait, ce serait en fait le discours philosophique."
JURANVILLE, LPH, 1984

DISCOURS, Pouvoir, Démocratie, Individu

L'ensemble des discours, en tant qu'ils sont reconnus dans leur vérité propre, forme le système de la démocratie parlementaire, et l'on y retrouve des correspondances avec les trois pouvoirs étatiques. Ainsi le discours magistral est celui que tient le pouvoir exécutif, chargé de faire appliquer la loi, au besoin par la force. C'est le premier discours en tant qu'il ordonne et le pouvoir primordial en tant qu'il s'impose. Le discours philosophico-clérical, de son côté, est tenu par le pouvoir législatif, qui élabore et vote les lois, dans le dialogue. Enfin le discours populaire correspond au pouvoir judiciaire, lequel vérifie que la loi a bien été appliquée et corrige en ce sens les situations d'injustice. Quant au discours psychanalytico-individuel, il ne détient évidemment aucun pouvoir, mais il ouvre à chacun la possibilité de prétendre exercer l'un des trois pouvoirs existant et de s'exprimer, en responsabilité, au nom de la volonté générale.

"Le discours psychanalytico-individuel quant à lui, assurément hors pouvoir, ouvre à chacun la possibilité d'entrer dans son oeuvre propre, de devenir individu véritable, porteur de la volonté générale, à même d'exercer la responsabilité des divers pouvoirs, d'être représentant du peuple. Car le peuple – dont les membres (tous les citoyens) sont toujours d'abord menacés d'en rester, loin de la volonté générale pour laquelle il faut payer le prix, à ce que Rousseau appelle la volonté de tous, spontanément sacrificielle et par laquelle « on adore ou on maudit » – a en propre le pouvoir de voter (voter = juger) pour des représentants qui n'ont certes aucun mandat impératif à avoir puisqu'ils sont censés porter la volonté générale."
JURANVILLE, UJC, 2021

PHILOSOPHIE, Histoire, Discours, Savoir

La philosophie n'est pas seulement histoire subjectivement (pour la personne tenant le discours), elle l'est aussi objectivement, pour le sujet social confronté à la lutte entre les discours. La philosophie doit d'abord s'affranchir du "discours du peuple" qui ne demande rien tant que de continuer à subir - la tyrannie et la fascination exercée par les maîtres ; sa justification par le discours consiste à en appeler inlassablement à la Tradition, qui est bien une forme de raison. Elle côtoie mais doit dépasser ensuite le discours métaphysique, qui certes prend une tournure plus philosophiques en cherchant à déterminer l'être, soit objectivement soit subjectivement, mais jamais comme cette altérité qui caractérise l'existence ; de fait la métaphysique continue d'affirmer un savoir déjà là, éternel, simplement réservé à quelques uns. Enfin la philosophie reconnait le discours individuel (psychanalytique) qui seul, en posant l'inconscient, permet d'accéder à un savoir réellement objectif. - Mais c'est bien la philosophie, et non la psychanalyse (Lacan en est l'illustration), qui peut affirmer ce savoir comme savoir de l'existence, mais aussi comme savoir historique ; mais sans affirmer un tel inconscient, comme relevant d'abord du discours psychanalytique, l'altérité de l'existence ne déboucherait sur aucun savoir (Levinas en est l'illustration).

"Il n’y a donc plus qu’à aller jusqu’au bout de l’affirmation de la philosophie comme savoir effectif. C’est ce que permet l’inconscient. Si, du moins, on a reconnu qu’il doit être énoncé d’abord dans le discours psychanalytique, et si on le reprend, à partir de là, dans le discours philosophique. Car si l’inconscient est reconnu comme advenant dans le discours psychanalytique, et qu’on en reste à ce discours – c’est la position de Lacan –, alors certes ne peut apparaître en quoi l’inconscient permet d’affirmer la philosophie comme savoir effectif. Et si l’inconscient est reconnu comme le terme ultime de l’altérité (existence) telle qu’elle est proclamée par la pensée philosophique depuis Kierkegaard, et qu’on ne pose pas qu’il doive advenir d’abord dans le discours psychanalytique – c’est la position de Lévinas –, alors ne peut apparaître non plus qu’il a pour conséquence le savoir philosophique."
JURANVILLE, 2000, JEU

PHILOSOPHIE, Histoire, Personne, Trinité

Même si elle est déterminée comme discours, la philosophie rejoint une geste plus large qu'on peut dire poétique, et plus précisément historique. On le voit bien, subjectivement d'abord, en ceci selon la philosophie l'Individu (porté par la grâce) doit non seulement devenir Moi (porté par l'élection) mais encore Personne (porté par la foi). Personne qui est le vrai sujet du discours et qui doit y engager, justement, son histoire, comme elle doit y engager tout Autre. Cela se produit pour autant qu'elle est tournée vers l'Autre absolu, le Dieu personnel du christianisme, modèle de relation de personne à personne dans sa trinité, ouvrant ainsi à chacun l'espace de sa propre histoire.

"Mais le sujet ne peut accéder à la raison vraie du discours que si, à partir de la grâce qui lui vient de l’Autre, et toujours d’abord, certes, de l’Autre absolu (vrai), à partir de la liberté alors à lui offerte, il s’engage à aller jusqu’au savoir, jusqu’au savoir de la liberté, jusqu’à l’esprit ; s’il se fait, non seulement individu (dont l’essence est la grâce), ni même moi (dont l’essence est l’élection), mais personne (dont l’essence est la foi). C’est ainsi par la personne que le discours est tenu."
JURANVILLE, 2000, JEU