CERTITUDE, Sujet, Enonciation, Folie, LACAN, DESCARTES

 Pour Lacan, la certitude du sujet est fondée sur l'acte de l'énonciation, bien qu'elle porte indéniablement sur l'être - au dernier terme un étant marqué par la castration, un sujet du désir, assumé dans sa relation à l'Autre. Pour Descartes également la certitude est fondée sur l'acte de la pensée, qui est bien une parole, d'où s'en conclut l'existence, le "je suis", au dernier terme une "res cotigans" - un sujet, certes, au sens de ce qui demeure identique sous les changements (soit le contenu divers des pensées) - car sans cela la certitude des pensées ne serait que ponctuelle. C'est en assurant le sujet dans son être que le dieu non trompeur, finalement, le conforte dans ses pensées, et dans le fait qu'il n'est pas fou (la distinction raison/folie n'intervient pas au niveau purement signifiant du cogito). Telle est le sens en tout cas de l'interprétation de Lacan avec sa logique du signifiant : il y a d'abord l'articulation signifiante, au niveau de l'énonciation, mais la certitude apparaît avec le surgissement du signifié, produit de cette articulation, donc effectivement avec l'être. Le "je suis" surgit non comme la conséquence mais comme le signifié du "je pense". Mais pour Lacan, contrairement à Descartes, on ne peut en déduire aucune permanence du sujet, lequel ne pense pas tout le temps ou ne saurait le dire - encore Descartes évoque-t-il son propre être de désir et de doute, par opposition avec la puissance de ce dieu, témoignant par là qu'il n'est pas fou. Le fou lui, pense et parle tout le temps, au sens où il semble parlé par l'Autre, sans pouvoir effectuer le passage du signifiant au signifié, le signifiant passant directement dans le réel avec le phénomène de l'hallucination.


"Si l’on a quelque raison d’affirmer que même chez Descartes, la certitude du sujet est celle d’un Je suis, j’existe, plus que celle d’un Je pense, pour Lacan il est sûr, en revanche, que la certitude est uniquement celle d’un Je suis. En disant Je pense, on ne prétend pas penser toujours, être une substance pensante, mais penser parfois, et c’est cela seulement que Lacan peut accepter. Le sujet n’est pas un sujet « pur-pensant » selon la formule de Lacan. Il faut donc distinguer sujet de l’énonciation et sujet de l’énoncé (ce sujet illusoire que nous posons quand nous parlons – de lui)... On peut comprendre maintenant qu’avec le sujet de l’inconscient, Lacan affirme qu’il touche à la vérité du sujet cartésien. L’essentiel, c’est de fonder la certitude d’un sujet (comme tel) sur l’acte de l’énonciation, sur l’acte de la pensée pour Descartes. De fonder une certitude intramondaine sur quelque chose qui demeure étranger au monde (et pour Lacan, Descartes justement ne s’est pas assez attaché à cet excès du monde). Situant l’inconscient au niveau de la chaîne signifiante et donc de l’acte de l’énonciation, Lacan parle à son propos de la cause et de la béance causale.... Quant au caractère éthique de l’inconscient, il tient à ce que la certitude est celle du sujet qui a « assumé » l’assujettissement à la loi de la castration. C’est un tel assujettissement qui est « rejeté » dans la folie. Lorsque le signifiant produit son signifié et qu’une certitude deviendrait possible, c’est alors qu’a lieu ce rejet qui empêche le monde de s’établir et qui laisse le fou en proie au réel de l’hallucination. Le prétendu Cogito possible même au fou comme tel est alors tout à fait évanouissant, mais c’est le signifié qui s’y évanouit, de sorte que réapparaît la chaîne signifiante elle-même."
JURANVILLE, 1984, LPH

CERTITUDE, Parole, Reconnaissance, Castration, DESCARTES

Toute parole s'adresse à un autre, présent ou absent (s'il s'agit de l'Autre absolu), dont il semble que le sujet escompte la reconnaissance ; car toute parole implique la castration, et le désir, par laquelle le sujet se fait phallus, et objet de désir, pour l'Autre. C'est à ce niveau de reconnaissance que la certitude se constitue dans l'acte de parole, illustré par le cogito de Descartes. Quelque soit l'énoncé produit, l'énonciation résiste au doute, puisqu'elle présuppose d'emblée l'être ("je pense", donc "je suis, j'existe"). Triple certitude cartésienne : de la pensée, du sujet qui pense, de l'être du sujet comme pensant, reprise par Lacan en ces termes : d'abord l'articulation signifiante (ou énonciation, au niveau inconscient), puis le passage au signifié (de fait, à l'être), enfin la certitude du sujet assumant sa parole (autrement dit sa castration). Mais il convient de préciser que la certitude, celle de l'être du sujet, si elle implique bien la reconnaissance, celle de l'Autre absolu, n'en est pas la conséquence directe : elle consiste plutôt à se découvrir, dans le monde, dans son être, toujours déjà reconnu en tant que phallus pour l'Autre, donc une nouvelle fois à assumer la castration.


"Pour Lacan, il y a l’acte de la parole, ou plus précisément ce qui le fait acte, soit la présence de l’articulation du signifiant. Il y a donc l’énonciation. C’est ce qui fait l’acte de la pensée (et la situe d’emblée dans l’inconscient). Il y a ensuite le passage au signifié, là où de fait on peut parler de l’être. Et c’est à ce moment que devient possible une certitude, qui se constituera proprement et s’affirmera enfin dans l’acte effectif de la parole du sujet. Parce que parler, c’est assumer le signifié, et donc le phénomène de la castration. Mais cette constitution de la certitude ne tient pas à l’émergence d’une reconnaissance : on est à l’avance reconnu, on a déjà sa place dans le monde – comme castré cependant, c’est-à-dire comme le phallus, comme l’indication de ce phallus « perdu », l’index du phallus. Assumer la castration, c’est accepter cette reconnaissance, se la garantir. La reconnaissance demeure donc bien d’abord celle par l’Autre absolu, mais elle se confirme et s’affirme dans et par l’acte de la parole adressé à l’Autre présent. La certitude est toujours celle d’un Je suis (qui comme pour Descartes, renvoie là aussi à un réel, au sens précis de ce terme pour Lacan)."
JURANVILLE, 1984, LPH

CERTITUDE, Subjectivité, Critique, Finitude, DESCARTES

L’individu qui se revendique d’une vision absolue doit reconnaître que l’objectivité ordinaire, qu’il absolutise illusoirement, est produite par sa propre subjectivité. Il doit commencer par poser la subjectivité comme source de l’objectivité absolue. La certitude, position de la subjectivité, et l’évidence, position de l’objectivité, sont au cœur de la critique, ce par quoi et ce dans quoi elle s'accomplit. Dans la deuxième Méditation, après le doute radical provoqué par l'hypothèse du Malin Génie, Descartes affirme la certitude du « Je suis, j’existe », mais cette certitude reste ponctuelle et dépendante de la pensée. Elle nécessite la confirmation divine pour atteindre une identité durable, permettant de déployer le savoir vrai de la critique. Cependant - contradiction subjective de la critique -, d'une telle certitude essentielle l’individu ne veut pas, il est prêt à accepter une objectivité comme celle qu’induit la subjectivité transcendantale chez Kant, c'est-à-dire celle des sciences positives, tout en refusant la critique radicale de sa propre finitude.


"Comment l’existant qui s’est mis en marge du monde ordinaire et qui se réclame, comme individu, d’une évidence vraiment absolue (c’est sa « vision ») peut-il donner à cette évidence toute son objectivité ? Il est là devant l’objectivité ordinaire. Pour pouvoir réellement la dépasser, il doit découvrir non seulement que c’est par finitude radicale qu’il l’avait faussement absolutisée, mais surtout que c’est lui comme sujet qui la produit et la reproduit : il doit donc poser la subjectivité en lui et en tout existant comme ce qui peut produire et reproduire l’objectivité absolue. Or position et subjectivité définissent la certitude, comme position et objectivité définissent l’évidence. La certitude est ainsi la subjectivité absolue de la critique, ce par quoi elle s’accomplit, comme l’évidence en est l’objectivité absolue, ce dans quoi elle s’accomplit."
JURANVILLE, HUCM, 2017

CERTITUDE, Evidence, Subjectivité, Objectivité

L'évidence, comme la certitude, sont des actes du sujet. L'évidence n'est pas l'objectivité en soi, mais la position subjective de l'objectivité, et en tant que telle l'instrument de la (bonne) mélancolie ; tandis que la certitude n'est pas la subjectivité en soi, mais la position de la subjectivité, et comme telle l'instrument de la culpabilité essentielle. La certitude est l'acte du sujet se posant comme principe de toute objectivité, quant il vise au savoir vrai, et quand l'objectivité commune, avec son évidence trompeuse, s'effondre sous l'effet du doute radical.


"De même que la mélancolie a comme instrument l’évidence, et que c’est ainsi qu’elle apparaît au fini, de même la culpabilité a comme instrument la certitude, par quoi elle se donne au fini... L’évidence, l’évidence vraie, est ce qui attire vers sa propre réeffectuation. La certitude est ce qui pousse à accomplir cette réeffectuation, dans l’œuvre et le savoir."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CERTITUDE, Culpabilité, Objectivité, Altérité, DESCARTES

La certitude qui advient au sujet, par l'expérience du cogito et par la grâce du Dieu non trompeur, n'est pas tant un rapport à soi qu'une soumission à l'hétéronomie ; elle se fait instrument de la culpabilité essentielle et fait prendre conscience au sujet qu'il a à s'objectiver, à ne pas en rester à la certitude immédiate de soi. Pourtant, c'est bien comme conscience abstraite ignorant toute finitude, que la subjectivité se pose d'abord intérieurement et qu'elle engage, face au monde, son entreprise d'objectivation. Alors ces deux mouvements inverses, érigeant une subjectivité et une objectivité également absolues, également désincarnées, lui font oublier la certitude première basée sur l'altérité essentielle. Le sujet peut encore reconnaître cette altérité, affirmant sa propre finitude (et culpabilité) mais en occultant cette fois la nécessité de l'objectivation et allant jusqu'à nier toute possibilité d'un savoir vrai. Ce à quoi s'en tient la pensée de l’existence tant qu'elle ignore la vérité structurale de l'inconscient.


"Que la certitude soit l’instrument de la culpabilité, cela se comprend déjà en ce qu’elle rappelle au sujet qu’il a à s’objectiver, à accomplir son œuvre de sujet. C’est cette certitude qui meut Descartes dans sa recherche du principe. C’est elle qu’il dégage comme telle pour y atteindre, puisque c’est à partir d’elle qu’il reconstituera, avec la grâce du Dieu bon, tout le système du savoir vrai."
JURANVILLE, 2000, ALTER

CAUSE, Identité, Oubli, Loi

L'identité avec l'existence définit la cause, laquelle fait acte de la loi pour le sujet. Cette loi, le sujet s'en saisit pour reconstituer peu à peu une nécessité à travers l'oeuvre - mais toujours d'abord le fini refuse pareille cause remettant "en cause" son identité immédiate et l'appelant à devenir cause lui-même. D'abord, par la grâce, la cause se donne comme objet fini (agissant comme cause matérielle), lequel est censé se faire oublier comme tel - mais l'existant refuse d'oublier l'objet, le fausse et l'absolutise, refoulant de ce fait la cause elle-même (comme dans la science). Ensuite, par l'élection reçue de l'Autre, la cause se donne comme sujet (agissant comme cause formelle), lequel peine à s'oublier comme substance, en tout cas comme conscience faussement souveraine (comme souvent en philosophie). Puis, par la foi, la cause se donne comme Autre (agissant comme cause finale), pour permettre à l'existant d'affronter la finitude et d'accepter l'oubli essentiel, afin de devenir Autre à son tour - mais le fini fausse cet Autre, lui attribuant une puissance sans finitude (quand la religion vire à la superstition). Enfin, par le don, la cause se donne comme Chose (agissant comme cause efficiente), Chose créatrice ouverte sur son Autre, ce que doit devenir à son tour le sujet existant par l'accomplissement de l'oeuvre.


"Accordons-le à la pensée de l’existence, le sujet s’arrête d’abord à une conception fausse de la cause. Car il rejette la cause vraie qui, l’appelant à devenir lui-même cause vraie, créatrice, lui ferait éprouver sa finitude. De la cause il n’accepte alors que ce qui ne met en rien « en cause » son identité immédiate à lui, le monde où se déploie cette identité, la signification et le savoir caractéristiques de ce monde. Une cause qui certes ordonne, comme principe, l’objectivité, et qui y introduit la nécessité, mais une nécessité formelle, en rien existentielle. Une cause qui certes suppose une succession temporelle, mais dans le cadre du temps imaginaire – de sorte que cette sorte de cause peut être supprimée, comme dans la science positive, au profit de la loi abstraite. Au fond de cette conception courante règne cependant, parce que le sujet reste radicalement fini, une cause toute-puissante qu’il ne maîtrise plus par son savoir. Cause comme l’Autre absolu, non plus le vrai, mais le faux qu’il s’est inventé, et qui lui aurait fait subir le « traumatisme de la finitude ». Mais la pensée de l’existence, en refusant toute position, dans un savoir nouveau, de la cause vraie, ne rejoint-elle pas en fait cette conception courante ? Pourtant elle suppose elle-même, par cela seul qu’elle affirme la finitude radicale et l’Autre absolu, une telle cause vraie et créatrice."
JURANVILLE, 2000, JEU

CASTRATION, Sexualité, Pulsion, Chose, LACAN

Initiée par le signifiant Phallus, qui lui-même renvoie au vide réel de la Chose, la castration interrompt le principe de plaisir et le cycle pulsionnel. Certes l'objet de la pulsion est dit "perdu", mais tout autant et indéfiniment "retrouvé", donc la perte ici n'est pas réelle (à la différence de la Chose) mais un simple effet du processus pulsionnel, imaginaire. Cependant, si elle s'oppose ai sexuel de la pulsion, la castration ne se situe pas totalement hors du champ sexuel puisqu'elle conditionne - via le Phallus - aussi bien le désir que la jouissance.


"Parlant du champ du principe de plaisir, Lacan dit de l’objet qui y est retrouvé qu’il est de sa nature un objet retrouvé, et que si on peut le dire perdu, ce n’en est qu’une conséquence après coup. C’est, malgré qu’en ait Lacan, le domaine de la pulsion partielle (dont la pulsion de mort fait bien le fond, mais dissimulé). Et pour autant que la pulsion est le lieu primordial du sexuel, la castration, qui lui retire son objet, conduit à une certaine « désexualisation »... Mais le positif auquel elle amène est lui-même sexuel. C’est en tant que phallus que le sujet désire et jouit."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Père, Interdit, Imaginaire, LACAN

Le désir interdit, névrotique et culpabilisant, s'appuie sur le mythe entretenu du meurtre du père. Il s'agit là du père imaginaire. Mais l'agent de la castration est le père réel, "celui qui besogne la mère" dit Lacan, ou qui par sa présence est en mesure de le faire, bref c'est le père désirant lui-même castré. La rivalité n'est qu'imaginaire (et pour cause, l'enfant, lui, n'étant en mesure de rien du tout) et justement névrotique, elle entretient en miroir avec l'enfant l'image d'un père faible, un père qui a failli, finalement d'un père vengeur qui prendra la figure du Surmoi.


"Le désir interdit est un désir qui en reste au fantasme : c’est le symptôme. Refouler, c’est aimer l’interdit qu’on subit, c’est s’aimer dans cet interdit. S’aimer et se haïr, comme aimer et haïr l’autre. Le mythe du meurtre du père est ce qui permet d’entretenir l’illusion de la possibilité de la jouissance absolue. Et la culpabilité liée au désir de mort éternise (c’est-à-dire imaginarise) le père. Mais justement, il est essentiel pour Lacan de ne pas confondre le père réel, et le père imaginaire. Le père castrateur, c’est le père réel, dit Lacan. Pourquoi ? Si le père réel est castrateur, c’est pour autant qu’il « besogne » celle vis-à-vis de qui l’enfant est en rivalité avec lui, la mère. Ce qui compte, ce n’est pas l’aspect de rivalité, qui renvoie à l’imaginaire, mais le caractère effectif du désir du père. Désirant, il se pose comme castré. Et c’est la castration du père qui est castratrice pour l’enfant."
JURANVILLE, LPH, 1984

PHALLUS, Castration, Signifiant, Désir

Le signifiant, par nature, implique son propre effacement : c'est cette fonction que remplit originellement le phallus, en tant que signifiant non verbal, à la fois en se substituant à l'objet et en disparaissant lui-même pour laisser place au langage - et au désir. Le phallus est ce qui dans le langage laisse à désirer, fait désirer ; il porte en lui l'absence de la Chose, l'objet fondamental du désir. Enfin, en tant qu'il se fait représenter par le Nom-du-Père dans le langage, il instaure la loi - identiquement loi du désir et loi de la castration - qui assujettit le parlêtre au signfiant.


"Par la castration, le phallus advient comme signifiant. Mais que veut dire que le phallus soit signifiant ? L’analyse doit partir du signifiant originaire, qui est le signifiant verbal. C’est uniquement parce que le langage ne tient pas ce qu’il promet, et fait réellement désirer (la vérité totale), que s’impose l’existence d’un signifiant non verbal, et que le phallus apparaît comme ce signifiant... Le désir qu’il maintient et commande, n’est pas désir pour lui, mais toujours désir pour la Chose. La castration simplement « fixe » (elle est loi) la coupure où réside le sujet comme sujet du signifiant."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Identification, Phallus, Désir, LACAN

Dans la constitution du sujet du désir, la castration se rapporte directement à l'identification symbolique, qui s'effectue à l'idéal-du-moi en tant que c'est la place du père réel : la castration est d'abord celle de ce père qui donne son nom, et qui se pose comme désirant (qui renonce donc aussi potentiellement à la jouissance). C'est pourquoi l'identification symbolique, qui conditionne le désir, ne peut être que phallique aux yeux de la psychanalyse (pour l'homme comme pour la femme).


"Cette identification symbolique se fait par le nom, mais aussi par ce que Lacan appelle le trait unaire. Elle vaut pour l’un et l’autre sexe. Comme sujet désirant en effet, la femme ne se distingue pas de l’homme. Disons même qu’elle est « phallique ». Le « phallocentrisme » de la théorie de l’inconscient est absolu pour ce qui est de la constitution du sujet du désir. Lacan écrit ainsi : "Le phallocentrisme produit par cette dialectique est tout ce que nous avons à retenir ici… Cette fonction imaginaire du phallus, Freud l’a donc dévoilée comme pivot du procès symbolique qui parachève dans les deux sexes la mise en question du sexe par le complexe de castration" ."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Jouissance, Phallus, Signifiant, LACAN

Par rapport à la jouissance, comme "au-delà du principe de plaisir", la castration en marque à la fois la possibilité (avec le désir) et l'impossibilité en tant que totale. Et c'est aussi la castration qui fait du Phallus le signifiant - comme signifiant et donc négation de la chose - le signifiant de cette impossible jouissance absolue.


"Jouissance absolue, non pas interdite, comme le prétend Lacan entraîné par le « point de vue névrotique », mais impossible. Si la castration est négation (Aufhebung) de l’objet, et donc négation du négatif, elle ne conduit pourtant pas à une positivité absolue, mais au contraire à une positivité inséparable d’une négativité radicale."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Interdit, Complexe d'Oedipe, Désir, LACAN

Si la loi du désir ne peut être définie par un quelconque objet, c'est qu'elle est constituée par la castration, le manque, la finitude humaine. Mais le névrosé "oedipianisé" ramène cette loi à l'interdit paternel - qui fait accroire à un objet et à une jouissance non pas impossibles mais interdits - parce qu'il est plus facile de subir l'interdit que d'affronter la loi de la castration. L'interdit a pour fonction de refouler aussi bien le désir que la castration, de même que l'interdit intériorisé en Surmoi refoule la vraie loi et se constitue en faute morale d'après Lacan : non pas d'avoir désiré l'objet interdit (puisque la transgression, sur fond de rivalité avec le père, est la seule option laissée par le Surmoi) mais d'avoir "cédé sur son désir".


"L’analyse de l’interdit fait apparaître peu à peu tous les éléments de la structure décrite par la théorie psychanalytique sous le nom de Complexe d’Œdipe. Car si l’interdit est une forme de la loi et que la loi ne puisse être référée qu’au père, l’interdit doit venir du père. Et que peut interdire le père, sinon le désir pour cet objet même qu’il est censé désirer, et exclusivement, soit la mère ? Tout interdit renvoie à l’interdit de l’inceste. Quel rapport déterminer alors entre la loi de la castration et le complexe d’Œdipe ? La thèse de Lacan est la suivante : l’interdit (et le désir interdit, qui en est inséparable) refoule la loi de la castration. En rester au conflit avec le père interdicteur est plus facile que de se retrouver seul devant la mort présentée dans la castration."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Désir, Fantasme, Phallus

Le fantasme supporte sans doute le désir, en posant l'objet comme face réelle du signifiant phallique, mais il nourrit surtout la pulsion ; c'est la castration, en érigeant cette fois le phallus au rang de signifiant, qui constitue le désir comme tel, et comme sexuel. La castration n'est pas seulement la détumescence d’après l’orgasme, soit négativement l'aphanisis du désir, elle représente aussi paradoxalement, positivement, le passage au désir et sa pérennité. Elle est la vérité partielle qui échoie à l'homme.


"Figure de ce que l’on appelle traditionnellement la finitude de l’homme. Mais c’est une figure doublement particulière : le non-sens y est éprouvé dans le sexuel, et surtout il y est inséparable du sens, qui devient lui-même sexuel. Le désir est pour la théorie de l’inconscient désir sexuel, conduisant à une plénitude qui est jouissance sexuelle ; mais jouissance qui n’est que partiellement jouissance et porte en elle "une souffrance fondamentale". La castration marque le lien du désir et du sexuel, ce qui veut dire aussi, et sur un autre plan, de la jouissance et de la souffrance."
JURANVILLE, LPH, 1984

CASTRATION, Complexe d'Oedipe, Désir, Interdit, LACAN

Le désir primordial de l'homme est marqué par la castration, mais le désir tel qu'il apparait dans le complexe d'Oedipe n'en est que la version névrotique, marquée par l'interdit. Autrement dit, avant d'être refoulé le complexe d'Oedipe est refoulant, il sert à refouler la castration, et donc le désir lui-même. Se voir interdire la mère par le père, comme si c'elle elle l'objet du désir, c'est se masquer l'insoutenable absence de la Chose, l'absence fondamentale de l'objet du désir.


"Le complexe d’Œdipe est un mythe. Pour Lacan, le complexe d’Œdipe, c’est le « rêve de Freud ». Et en tant que tel, il doit être interprété... L’Œdipe sert au refoulement de la castration. Avant d’être refoulé, il est refoulant. Et non pas simplement l’interdit paternel, mais le désir œdipien lui-même est refoulant. Désirer selon l’Œdipe, c’est refouler le désir fondamental. Devant le terrible de l’absence de la Chose, et de la pulsion de mort, l’Œdipe établit le voile du conflit avec le père. La loi comme interdictrice, comme négative, dissimule la négativité radicale de ce qui est."
JURANVILLE, LPH, 1984

CAPITALISME, Mal, Paganisme, Sacrifice

Si le capitalisme participe du paganisme en général comme machine à produire des idoles, il s'y oppose par ailleurs en reconnaissant le mal qu'il produit ; il ne vise pas à purifier la société de tout mal, comme le fait le paganisme ancien, en le repoussant sur la victime expiatoire. Il veut simplement la fin de la guerre et de la violence sacrificielle contre les individus.


"L'institution du capitalisme s'élève contre la guerre en général, au-delà de toutes les justifications qu'on a pu en donner. Et elle déclare l'ère de la guerre terminée. Cela parce qu'elle s'oppose au paganisme brut comme système sacrificiel. Lequel rejette le mal (la finitude radicale, la pulsion de mort, le péché) sur la victime devenue bouc émissaire pour assurer la "perfection du groupe social", sa "participation au bien", au vrai, au réel. Rejet violent du mal, qui est lui-même le mal."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Travail, Plus-value, Jouissance, MARX, LACAN

Le vrai principe de la valeur réside bien dans le travail et non dans la marchandise fétichisée, comme l'a bien vu Marx, mais il n'est pas non plus dans la plus-value soi-disant extorquée au travailleur par le capitaliste. En interprétant celle-ci comme "plus-de-jouir", Lacan souligne la complicité du travailleur pris dans la même jouissance que le maître, le même fétichisme du capital, à qui finalement il ne fait que rendre la dime de ce plus-de-jouir.


"La lucidité de Marx c'est de bien voir le conflit existentiel majeur alors présent (entre le capitaliste et le travailleur). L'aveuglement de Marx, c'est de croire que la plus-value serait extorquée au travailleur comme sa puissance active et créatrice. Alors que la plus-value est puissance de mort, à l'avance extorquable, n'est nullement personnelle (Lacan note le consentement fondamental à cette extorsion au profit de l'idole). La lucidité de Lacan, c'est d'avoir montré ce qui est au fond de la plus-value, ce qu'il appelle le plus-de-jouir - l'objet 'a' comme trace d'une mythique jouissance absolue hors finitude radicale : l'esclave (le travailleur) reste pris dans cette jouissance, devrait au maître (au capitaliste) la dîme de ce plus-de-jouir."
JURANVILLE, 2015, LCEDL

CAPITALISME, Travail, Plus-value, Création

La philosophie interprète le VIIe commandement comme une invitation à un capitalisme raisonné, capable de laisser place à l’individualité grâce au droit. Deux conceptions ordinaires s’opposent : celle d’Adam Smith, qui glorifie le capitalisme via la « main invisible » où l’intérêt individuel sert l’intérêt général, et celle de Marx, qui le condamne pour son caractère sacrificiel, où le travailleur est exploité par l’extorsion de la plus-value. Cependant, ces visions méconnaissent la finitude de l'existence humaine et tombent dans l’illusion d’une identité immédiate. Chez Smith, travail et capital font un et sont complémentaires ; chez Marx, l'identité originelle du travailleur est supposée et retrouvée par la révolution. Or, l’homme, fasciné par l’idole du capital ou obsédé par la plus-value, y sacrifie son autonomie créatrice. Le travail supposé « vivant » de Marx, produisant du capital, est en réalité déjà « mort », contrairement au travail créateur, unique et « égoïste » défendu par Stirner. La philosophie rejette ainsi les conceptions ordinaires du capitalisme, qu’elles soient laudatives ou critiques.


"Le travailleur qui perçoit son salaire ne cède pas, en échange, du travail créateur qui serait «sacrifié». Il cède du travail que Marx dit vivant parce que produisant du capital en plus ou capital variable (qu'il oppose au travail mort que serait le capital constant), mais qui n'est en réalité que du travail mort, voué à l'avance à sa propre mort dans le capital - car la plus-value produite ne fait que déployer toujours plus loin l'identité anticipative du capital, laquelle n'est que la mythique puissance de vie fausse de la Mère-Nature du paganisme!. À ce travail mort, social, humain parce que l'individualité y a peu d'importance et parce qu'on peut y dresser à peu près tout homme, Stirner oppose, lui, de manière existentiellement plus juste, le travail réellement vivant, créateur, « égoiste parce que personne ne peut faire à ta place tes compositions musicales ou exécuter tes tableaux ». La philosophie est donc fondée à récuser la conception ordinaire du capitalisme, sous quelque forme que ce soit, pleinement louangeuse ou radicalement critique."
JURANVILLE, 2021, UJC