METAPHORE, Etre, Objet, Théologie

Puis, toujours dans le premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie bien l'étant à l'objet, mais en le reconnaissant dans sa finitude (un être non seulement sensible et temporel, mais pécheur, et fuyant sa finitude) par rapport à l'être absolu, divin, éternel (alors qu'il est créateur) : cette interprétation correspond historiquement à la période médiévale. Avec l'institution de l'Eglise, se déploie le savoir théologique trinitaire du réalisme, fondé sur le Verbe, donc ouvert à la temporalité. Cette fois le Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection) devait permettre l'universalisation de la Révélation et de son savoir.

"L’objet (l’étant) est ensuite reconnu dans sa finitude. Il est toujours le sensible par rapport à l’être comme l’intelligible. Mais il est de plus le fini par rapport à l’être comme l’absolu ; il est le radicalement fini dans le cas de l’homme, dès lors que, par le péché, celui-ci se détourne de Dieu, de l’absolu, de ce qui est par excellence l’être ou l’intelligible – toujours présenté comme l’intemporel, alors qu’il est maintenant créateur. À partir du Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection), l’avènement du christianisme devait permettre, par la grâce en lui glorifiée, d’obtenir la diffusion et l’universalisation les plus amples ; de passer outre aux limites qu’avaient rencontrées la philosophie et, plus originellement, le judaïsme, d’abord porteur seul de la Révélation. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque médiévale. Le savoir définitif qui y est élaboré est celui, théologique, du réalisme. Il se fonde sur le langage comme verbe (avec ses trois personnes, ses trois temps – passé, présent, futur – et ses trois modes fondamentaux – indicatif, impératif, subjonctif –, toujours à l’image de la Trinité divine)."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Objet, Ontologie

Dans un premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie l'étant à l'objet, soit à une version seulement formelle de l'être qui se divise de surcroit en un pôle sensible temporel (mais c'est un temps imaginaire) et un pôle intelligible intemporel : cette interprétation "métaphysique" de la différence être-étant, où le premier n'est jamais qu'une version absolutisée du second, correspond historiquement à la période antique. Dans la cadre de la démocratie et de l'institution de l'Etat, s'y déploie le savoir ontologique de l'idéalisme, fondé sur le Nom - mais un savoir qui ne peut pas atteindre la reconnaissance universelle.

"La métaphore de l'être pose d’abord l’étant comme objet. L’étant n’est alors identifié que formellement, et pas encore réellement, à l’être. L’objet (ici l’étant) est d’abord absolutisé – illusoirement parce qu’il devra être découvert dans sa finitude, véritablement aussi parce qu’un savoir en est définitivement établi. L’étant, en effet, est identifié formellement à l’être, l’étant comme sensible participe de l’être comme intelligible – ce que Heidegger souligne (à l’époque de la « métaphysique », du « platonisme », la « différence ontologique » entre l’étant et l’être serait perdue, interprétée comme celle du sensible et de l’intelligible). L’être lui-même (l’idée) n’est pas alors envisagé comme temps réel, créateur, mais, parce qu’intemporel, hors temps, comme se différenciant de l’étant apparemment pris dans le temps, en fait dans le temps ordinaire, imaginaire, en fait donc lui-même hors temps. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque antique. Le savoir définitif qui y est développé est celui, ontologique, de l’idéalisme. Il se fonde sur le langage comme nom."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Inconscient, Chose

La métaphore de l'être se déploie jusqu'à l'affirmation de l'inconscient comme essence de l'existence, justement parce qu'on y découvre le primordial rejet de l'existence, la finitude radicale ; mais aussi au terme de cet affrontement nécessaire que propose la psychanalyse, un sens nouveau surgit, une identité nouvelle et vraie : c'est le moment de la Chose parlante et créatrice, l'accomplissement de la métaphore de l'être pour l'existant.

"La métaphore de l’être atteint au terme de son déploiement, et est pleinement assumée par l’homme, par l’existant, quand, au-delà de l’affirmation de l’existence, est énoncée l’affirmation de l’inconscient. Car affirmer l’être comme existence, c’est appeler l’existant à s’affronter à son primordial rejet de l’existence, jusqu’à assumer pleinement celle-ci. Mais affirmer l’inconscient, l’être comme l’inconscient même, c’est dire ce qu’on découvre au terme de cet affrontement, dans cette assomption : l’inconscient comme essence de l’existence. Découverte de Freud, lequel engage le patient-analysant à dire librement, à propos d’un rêve, autour d’un symptôme, « ce qui lui passe par la tête », sans le juger, si incongru ou inconvenant ou vide de sens que ce soit, jusqu’à ce que cette succession de paroles libres – succession selon la structure quaternaire de l’existence – débouche sur un sens qui éclaire le tout, sur une identité et consistance nouvelle, qui était et est justement l’inconscient... C’est, dans le déploiement de la métaphore de l’être, le moment de la Chose, quand l’étant humain, l’existant, s’identifie réellement, avec toute sa finitude, à l’être, à la Chose créatrice originelle, à Dieu."
JURANVILLE, 2024, PL

CHOSE, Métaphore, Psychanalyse, Philosophie

Au-delà du corps maternel, objet mythique du désir, au-delà de l'objet fini de la pulsion, la Chose ("freudienne", comme l'appelle Lacan) est l'énonciation vraie, la vérité parlante ; elle surgit socialement dans le discours psychanalytique pour accomplir la métaphore de l'être, substituer l'être à l'étant au niveau du sujet individuel ; mais comme il est impossible pour la psychanalyse d'accomplir cette métaphore jusqu'au bout et en son nom dans le champ social, il revient à la philosophie, dispensant sa grâce au sujet social, se faisant Chose elle-même (c'est la "chose" philosophique, l'affaire propre de la philosophie), de déployer la métaphore de l'être cette fois à l'échelle de l'histoire - même si elle devra à son tour, à un moment, reconnaître son impuissance politique, et en appeler à la religion qui seule peut donner sa vérité et sa légitimité à chacun des discours fondamentaux du champ social.

"La Chose est en soi, dans le monde social où elle émerge et pour autant que ce monde a rompu avec la violence sacrificielle et qu’il laisse place au savoir vrai, ce que Lacan appelle « la Chose freudienne », à laquelle il fait dire : « Moi, la vérité, je parle. » Elle s’incarne décisivement dans le psychanalyste énonçant: Il y a l’inconscient, laisse venir librement les paroles qui sont en toi et il se révélera... Elle s’incarne socialement dans le discours qu’elle tient en parlant et qui est le discours psychanalytique... Ce discours dit l’inconscient, il le dit en tant que l’inconscient serait l’être passant à l’étant humain. Mais il ne peut le dire comme tel jusqu’au bout, de façon pleinement rationnelle, parce que ce serait perdre la grâce qu’il dispense à son autre et se contredire. De là ce que dit Lacan rejoignant à sa manière ce que nous appelons la métaphore de l’être : « L’inconscient est ce qui, de parler, détermine le sujet en tant qu’être, mais être à rayer de cette métonymie dont je supporte le désir en tant qu’impossible à dire comme tel. » Reste que la Chose freudienne, le discours psychanalytique, ne peut pas s’assurer sa présence dans le monde social... Et qu’il faut donc, pour garantir cette présence, un discours qui, reprenant tout ce qu’a apporté le discours psychanalytique, et le posant comme être, à la fois institue et justifie de façon absolument rationnelle un monde sans plus aucune violence sacrificielle institutionnalisée. C’est précisément la tâche de la philosophie, du discours philosophique. [Lesquel] dispense sa grâce propre à l’existant comme sujet social, comme tenant l’un des discours fondamentaux du monde social et y prenant ainsi une position... Telle est, au-delà de la Chose psychanalytique, la Chose philosophique dans laquelle s’accomplit, selon la métaphore de l’être, toute l’histoire universelle."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Autre, Dasein, HEIDEGGER

Dans la métaphore de l'être il est essentiel que l'être soit tout autre, et non de même nature que l'étant : il est verbe, ou temps réel, quand l'étant est nom, ou temps imaginaire ; de même lorsque Heidegger pose l'homme comme Dasein, métaphoriquement, le Dasein devient l'Autre de l'être, du Sein ; de même encore lorsqu'il remplace finalement le Sein (être) par l'Ereignis (Evénement originel) - exempt d'ontologie, donc de savoir, selon lui -, l'Ereignis donne son propre nom à l'homme, Eigen, qui devient l'Autre de cet Autre. Le déploiement de la métaphore de l'être serait ainsi parvenu à son troisième moment, celui de l'altérité, mais aucune reconnaissance universelle du savoir philosophique n'est envisageable selon Heidegger...

"La reconnaissance universelle du savoir philosophique est rendue philosophiquement concevable quand le déploiement de la métaphore de l’être parvient à son troisième moment. Que l’Autre, avant tout l’Autre absolu, est affirmé comme lieu premier de la vérité. Et que l’homme, l’étant humain, est en position de devenir l’Autre de cet Autre. Troisième moment où la métaphore rétrospective, comme dans le cas d’Abraham et de Jacob, est énoncée expressément (ici celle qui substitue l’être à l’étant). Heidegger aurait perçu, selon Levinas – c’est capital pour la métaphore –, que l’être est tout autre que l’étant, qu’il est verbe (pour nous, temps réel), quand l’étant est substantif (pour nous, temps imaginaire). C’est ainsi que Heidegger, à partir de l’être, Sein, comme Autre absolu, pose l’homme comme Dasein, non plus simplement un étant, mais l’être lui-même, l’être-là. C’est la métaphore. L’homme posé comme l’Autre de l’Autre, comme doué, malgré et avec sa finitude radicale, d’une vérité nouvelle et propre, créatrice de même que celle de l’Autre absolu."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Contradiction, Nomination, Oeuvre

Déployer la métaphore implique de résoudre la contradiction logique entre le terme substitué et celui qui subit la substitution : nulle facilité et nul arbitraire dans ce processus. D'autant moins que, s'agissant de l'homme, de son être, il devra en passer par tous les moments constituants de l'existence afin de recouvrer cette puissance créatrice que, depuis le commencement, sa finitude lui a fait perdre. Par la métaphore, l'homme retrouve la puissance de nommer, et donc d'oeuvrer, jusqu’à reconstituer une identité nouvelle et vraie.

"Comment faire apparaître la métaphore dans toute sa vérité ? Comment prouver qu’elle n’est pas cet « effet du jeu de l’arbitraire subjectif » que dénonçait Hegel ? Par la résolution patiente de la contradiction qu’elle implique entre ses deux termes, celui qui a été substitué et qui est mis en lumière et celui qui a subi la substitution et qui est effacé. Résolution qui fait passer – c’est le déploiement de la métaphore – par tous les moments nécessaires de l’existence en tant qu’elle détermine avant tout l’être de l’homme. Car le nom était à l’origine ce qui fait exister et, de fait, ce qui caractérisait éminemment l’Autre absolu comme principe de toute création. Mais le propre de la finitude de l’homme, c’est d’avoir fait perdre à ce dernier la puissance créatrice du nom. Or la métaphore est ce qui, selon nous, rétablit, pour lui, cette puissance. Dans la mesure néanmoins où il assume l’existence que toujours d’abord il rejette. De là le parcours de toute l’épreuve de la contradiction suscitée par l’initial rejet, jusqu’à la résolution de cette contradiction. Ce parcours est celui de toute oeuvre dans et par laquelle se reconstitue comme nouvelle l’identité et consistance originelle."
JURANVILLE, 2024, PL

METAPHORE, Etre, Rétrospection, Autre

La métaphore, par laquelle le fini reconstitue son identité nouvelle et vraie, suppose bien l'accomplissement d'une oeuvre parvenant, au moins implicitement, à la reconnaissance de tous. Mais pour cela il faut supposer l'intervention de l'Autre absolu d'où provient nécessairement la substitution de l'être. Or celle-ci ne peut surgir, dans son déploiement, qu'après avoir franchi les moments de l'objet et du sujet, selon la structure propre de l'existence. D'où le concept de "métaphore rétrospective", précisément pour ce qui concerne la métaphore de l'être, en tant qu'elle provient de l'Autre absolu : c'est celle-là même qui fut énoncée dans la Bible par l'Autre divin "Je suis ce que je serai", et qui fera travailler, rétrospectivement, l'être humain et notamment - sans qu'il en soit même conscient - le philosophe. Car derrière l'apparente énigme, il ne faut voir que la contradiction, portée par la métaphore, mais dont la solution n'incombe qu'à l'homme, entre l'identité ordinaire (du moi, du peuple, etc.) et l'identité reconstituée vraie.

"Dans le mouvement par lequel se déploie la métaphore, le moment de l’Autre ne peut être atteint – c’est ce qu’implique la structure de l’existence – qu’après que ceux de l’objet et du sujet ont été parcourus. La métaphore de l’être en tant qu’elle vient de l’Autre peut donc travailler d’emblée ce à quoi elle fait subir une substitution, elle ne peut surgir elle-même explicitement qu’en un troisième moment, être en cela une métaphore rétrospective... Métaphore de l’être qui permet selon nous de penser le savoir philosophique, le savoir de l’essentiel. Un tel savoir ne devient, à nos yeux, possible à l’existant que par une intervention de l’Autre absolu, en l’occurrence celle de la Révélation. Où, à Moïse s’apprêtant à dire au peuple d’Israël: « Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous » (Exode, 3, 13), soulignant que ce peuple demandera aussitôt quel est son nom, et priant l’Éternel de lui dire ce nom, celui-ci répond: « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël: “Je suis ce que je serai” m’a envoyé vers vous. » Métonymie, avions-nous dit dans le cadre de la Révélation. Remplacement de l’expression ordinaire « Le Dieu de vos pères » par l’énigmatique « Je suis ce que je serai. » Cette énigme devant être résolue et l’étant dans la signification absolument rationnelle élaborée par le savoir philosophique. Mais, en même temps qu’il y a remplacement (métonymique), il y a substitution (métaphorique). À l’usage ordinaire de la conjugaison du verbe « être » (« Je suis le Dieu de vos pères ») est substitué un usage « intensif », redoublé, en forme de noeud, écrit en caractères gras (« Je suis ce que je serai »), du même mot qui devient absolument signifiant. C’est la métaphore de l’être, qui portera la philosophie dans toute son histoire, mais qui ne sera dégagée expressément qu’en un moment tardif de cette histoire, comme pour toutes les métaphores rétrospectives."
JURANVILLE, 2024, PL

ABANDON, Finitude, Parole, Signifiance

L'abandon se définit comme vérité de la finitude, assentiment donné à cette finitude que l'on éprouve dans la relation à l'Autre, dans l'idée que l'Autre donnera aussi vérité à la finitude en s'abandonnant à son tour, jusqu'à ce que tout homme finisse pas reconnaitre cette finitude principalement dans le savoir. Or accueillir la finitude et s'abandonner dans le savoir revient à accueillir la signifiance, la vérité de la signifiance c'est-à-dire la parole - parole qui est ce que l'on donne, donc l'acte même de l'abandon, à tout Autre, jusqu'à la constitution d'un savoir rationnel pour tous.

"Parce que l’abandon n’est pas simplement finitude, mais vérité de la finitude, celle-ci devant apparaître bonne et essentielle aux yeux de tous, accueillir l’abandon essentiel, c’est accueillir la vérité de la signifiance, celle-ci devant, elle aussi, apparaître essentielle aux yeux de tous ; c’est donc accueillir la parole. Parole qui, comme vérité et en même temps signifiance, est ainsi l’acte de l’abandon, l’acte par lequel celui qui s’abandonne se tourne vers son Autre dont il attend le même abandon – et la même parole. L’abandon étant ce par quoi on veut le jeu, et s’engage à l’instituer ou le réinstituer comme nouveau, la parole est alors l’objectivité même de la puissance créatrice, en l’Autre absolument Autre et, à partir de là, dans le fini... Et principe créateur, par lequel on s’engage à assumer toute la finitude et à répondre à toutes les objections. De là le poids d’une vraie parole, par exemple quand on « donne sa parole » – et tous n’ont pas de « parole », ne sont pas capables de « donner leur parole ». Et signifiance supposée venir en l’Autre. Pas de parole qui ne vise la parole de l’Autre, qui n’appelle à parler."
JURANVILLE, 2000, JEU

ABANDON, Foi, Objectivité, Autre, KIERKEGAARD

C'est d'abord l'Autre absolu qui, en s'abandonnant, accorde au fini les conditions - essentiellement la foi - pour accéder à la vraie autonomie et à l'objectivité absolue dans ses oeuvres. Car celui qui a la foi, en s'abandonnant à son tour au fini, et en lui redonnant toutes les conditions d'abord données par l'Autre absolu, peut être assuré que son oeuvre sera reconnue universellement. Mais s'abandonner aux autres, dans le monde ordinaire, sans s'abandonner d'abord à l'Autre absolu, ne permettra pas la reconnaissance des oeuvres individuelles par lesquelles des individus témoignent de leur foi, plutôt ces oeuvres seront-elles stigmatisées. Inversement celui qui s'abandonne à l'Autre absolu (à la manière de Kierkegaard) en refusant d'envisager l'abandon à tout autre et en déniant à celui-ci toute possibilité de parvenir à l'objectivité absolue, celui-là s'en tient au "paradoxe" et ne parvient pas non plus à l'autonomie absolue.

"À l’abandon ordinaire, qui permet certes d’accéder à l’objectivité reconnue dans le monde commun, mais qui est clôture sur soi du sujet fini et rejet, par celui-ci, de l’Autre absolu, la pensée de l’existence oppose un abandon vrai. Un abandon par quoi le sujet, contre l’autonomie illusoire où il s’enfermait, accepte sa finitude radicale, et s’abandonne, comme individu, à l’Autre absolu. Kierkegaard part de l’abandon traditionnellement attribué à la femme (« Son être est attachement, abandon, sinon elle n’est pas femme »). Cet abandon peut errer, s’arrêter à l’homme sans aller jusqu’à Dieu, transformer son objet en idole, comme Marguerite avec Faust. Mais, essentiellement, il dépasse tout Autre fini. Il est alors aussi bien masculin que féminin, abandon de la créature en général, où celle-ci, ayant renoncé au moi faux, trouve son vrai moi. Et Kierkegaard remarque d’autre part que l’Autre absolu lui-même, par le paradoxe, s’abandonne au fini. Certes Kierkegaard, comme toute la pensée de l’existence, accorderait que le fini, s’abandonnant à l’Autre absolu qui lui-même s’abandonne, reçoit alors de cet Autre les conditions pour assumer la finitude, et accède à l’autonomie réelle. Autonomie de la foi qui est le « tiers » par quoi « le disciple arrive à entrer en contact avec le paradoxe, quand l’intelligence se résorbe et que le paradoxe s’abandonne ». Kierkegaard accorderait même que le fini se heurte alors à l’objectivité réelle et vraie, celle du paradoxe, celle, pour Lacan, de l’objet « a ». Mais il exclut qu’on puisse, par-là, entrer dans un mouvement qui amène jusqu’à une objectivité absolue reconnue par tous."
JURANVILLE, 2000, ALTERITE

INDIVIDU, Christianisme, Finitude, Autre

Il revient au christianisme d'avoir reconnu et proclamé l'individu, dans son essentielle vérité, en lui révélant et en lui faisant accepter sa finitude (le péché) face à l'Autre absolu, et dans une relation aimante à l'Autre dans laquelle il découvre sa véritable identité.

"C'est au christianisme qu'est revenu en premier de reconnaître et même de proclamer l'individu, dans sa vérité propre, en posant que l'Autre absolu lui a révélé, à lui l'existant, sa finitude radicale (péché, pulsion de mort), et parce qu'il ne peut accéder à cette identité nouvelle et vraie d'individu, qu'à partir du moment où il assume cette finitude. Et parce qu'un Autre humain (le directeur de conscience, plus tard le psychanalyste) lui rappelle cette révélation - l'Autre humain, comme a fortiori l'Autre divin, ne sont alors en rien des moyens provisoires, mais le principe d'une relation essentielle. Pour l'existant il s'agit de renoncer à l'identité immédiate qu'on lui avait, et qu'il s'était, donnée : ce qui se fait à travers l'aveu (non pas extorqué par un Autre méchant, mais offert à un Autre aimant) de toutes les marques de finitude découvertes dans la relation à l'Autre."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Christ, Solitude, Dieu, KIERKEGAARD

Selon Kierkegaard, le Sacrifice du Christ comme événement primordial de l’histoire appelle chacun à s’arracher à la tentation de la foule sacrificielle, et ainsi à se tenir, comme individu, seul "en face de Dieu".

Comme l’a dit Kierkegaard, l'individu est la « catégorie chrétienne décisive » – catégorie avec laquelle « la cause du christianisme subsiste et tombe », qui « reste le point fixe capable de tenir contre toute confusion panthéiste » et qui, auparavant, « n’a été utilisée qu’une fois, la première fois, avec une dialectique décisive, par Socrate, pour dissoudre le paganisme ». Pourquoi « catégorie chrétienne décisive » ? Parce que le Sacrifice du Christ comme événement primordial de l’histoire appelle chacun à s’arracher à la tentation de la foule sacrificielle, à s’identifier, comme le Christ l’a fait éminemment, à celui que cette foule ferait victime du sacrifice et, comme le Christ, à se rapporter, dans l’épreuve libre de la finitude, à l’Autre absolu comme Père. L’individu est alors, comme le dit Kierkegaard, « seul, absolument seul au monde entier, en face de Dieu ».
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

ABANDON, Sublimation, Psychose, oubli

De même que l'oubli, sublimation finie, conduit à sombrer dans la névrose pathologique en cas de refus du savoir, de même l'abandon, sublimation totale, conduit à sombrer dans la psychose pathologique, exactement pour la même raison, au lieu de poser la bonne psychose, celle qui accueille l'inconscient.

"L’oubli, ce qu’on joue, ce à quoi on joue, nous était apparu comme en soi sublimation finie, dans le cadre de la névrose, de la bonne névrose. Mais nous avons vu ensuite – réalité de l’oubli – que, si cette sublimation finie ne débouche pas sur le savoir, on retombe alors, en fait, dans l’ordinaire névrose pathologique. L’abandon, ce qui joue, ce par quoi on joue le jeu, vient de nous apparaître, lui, comme en soi sublimation totale, où la finitude est absolument revoulue. Or – réalité de l’abandon – si cette sublimation totale ne débouche pas sur le savoir, on reste alors pris en fait dans l’ordinaire psychose pathologique. Et si la sublimation totale peut s’accomplir effectivement et atteindre au savoir, au savoir philosophique, c’est pour autant qu’elle aura laissé venir en elle, et posé comme telle, la bonne psychose, celle qu’implique l’inconscient."
JURANVILLE, 2000, JEU

ABANDON, Finitude, Surmoi, Déchéance

L'abandon ordinaire, refusant la finitude, et donc tout abandon réel à l'Autre absolu vrai, conduit à la constitution d'un Autre absolu faux, bon ou méchant, Idéal-du-Moi ou Surmoi, qui ne fait que conforter le système social sacrificiel et réduit l'abandon à une déchéance.

"L’abandon ordinaire est d’abord et toujours fondamentalement rejet haineux de l’Autre absolu vrai. Rejet haineux de cet Autre, parce que celui-ci, voulant pour lui-même toute la finitude, et s’abandonnant au fini comme à son Autre, l’appelle à revouloir lui aussi toute la finitude, et à s’abandonner à son tour du même abandon, dont il lui donne toutes les conditions – mais le fini refuse d’abord de s’abandonner ainsi. L’abandon ordinaire est, à partir de là, représentation fausse de cet Autre absolu comme méchant... Il l’aurait abandonné, « largué », laissé tomber, lui aurait refusé ce qu’il devait lui donner – alors que, soulignons-le, c’est le fini lui - même qui toujours d’abord tend à infliger un tel abandon, un tel refus à son Autre. Représentation fausse qui n’est autre que la constitution de l’Autre absolu faux ou Surmoi. L’abandon ordinaire est ensuite représentation fausse d’un Autre absolu bon qui, certes lui-même hors finitude, protégerait, dans sa bonté, le fini de l’épreuve douloureuse de la finitude. Et c’est à un tel Autre, et à tous ceux qui s’identifieraient à lui, que le fini alors s’abandonnerait d’un abandon « serein », « confiant », accédant peu à peu à un savoir socialement reconnu. Représentation fausse de l’Autre absolu comme Idéal du moi, qui n’est que l’autre face, inessentielle, de l’Autre absolu faux comme Surmoi. L’abandon ordinaire est enfin organisation, prétendument par amour pour cet Autre, du système social sacrificiel, où la haine maintenue contre l’Autre absolu vrai se transforme en violence contre la victime – elle-même cruellement abandonnée, « abandonnée à son triste sort », pour autant qu’elle incarne celui qui, individu, peut vouloir s’abandonner jusqu’au bout et assumer, dans l’autonomie, la finitude radicale de l’humain."
JURANVILLE, 2000, JEU

ABANDON, Finitude, Autre, Sublimation

L'abandon vrai est celui par lequel le fini s’abandonne à l’Autre absolu, comme cet Autre toujours déjà s’abandonne à lui, tous deux revoulant la finitude ; mais d'abord le fini ne veut pas de cet abandon, par rejet de la finitude, et sombre dans la déchéance sociale - ou bien refuse l'épreuve du savoir qui pourrait conduire le monde social vers cet abandon.

"La pensée de l’existence récuserait notre conception de l’abandon vrai par lequel le fini s’abandonne à l’Autre absolu, comme cet Autre toujours déjà s’abandonne à lui. Abandon par lequel le fini reveut toute la finitude, comme cet Autre toujours déjà la veut. Abandon par lequel le fini s’engage, comme individu, à « jouer le jeu » jusqu’au bout, jusqu’à instituer lui-même, sur fond de jeu de l’Autre, le jeu du savoir. Et certes il nous faut bien reconnaître que l’abandon, pour le fini, n’est pas d’emblée celui-là. Et que, d’abord, ou bien il affirme un abandon qui permette un savoir reconnu, dans le cadre d’un monde social, et alors c’est un abandon faux, celui de la déchéance, dans lequel on ne s’abandonne pas et rejette en fait la finitude radicale, ou bien il veut un abandon vrai, à l’Autre comme tel, avec toute la finitude, et alors il doit exclure tout savoir et tout monde social à quoi mènerait cet abandon. Mais n’est-ce pas justement en excluant ainsi tout savoir nouveau, qu’on entretient le plus radicalement ce qui fait le fond de l’abandon ordinaire et faux ?"
JURANVILLE, 2000, JEU

INDIVIDU, Christ, Sacrifice, Histoire, KIERKEGAARD

De même que l'oubli, sublimation finie, conduit à sombrer dans la névrose pathologique en cas de refus du savoir, de même l'abandon, sublimation totale, conduit à sombrer dans la psychose pathologique, exactement pour la même raison, au lieu de poser la bonne psychose, celle qui accueille l'inconscient.

"L’oubli, ce qu’on joue, ce à quoi on joue, nous était apparu comme en soi sublimation finie, dans le cadre de la névrose, de la bonne névrose. Mais nous avons vu ensuite – réalité de l’oubli – que, si cette sublimation finie ne débouche pas sur le savoir, on retombe alors, en fait, dans l’ordinaire névrose pathologique. L’abandon, ce qui joue, ce par quoi on joue le jeu, vient de nous apparaître, lui, comme en soi sublimation totale, où la finitude est absolument revoulue. Or – réalité de l’abandon – si cette sublimation totale ne débouche pas sur le savoir, on reste alors pris en fait dans l’ordinaire psychose pathologique. Et si la sublimation totale peut s’accomplir effectivement et atteindre au savoir, au savoir philosophique, c’est pour autant qu’elle aura laissé venir en elle, et posé comme telle, la bonne psychose, celle qu’implique l’inconscient."
JURANVILLE, 2000, JEU

INDIVIDU, Universel, Métaphysique, Existence

La tradition métaphysique n'a de cesse de rabattre l'individu soit sur une conception de l'espèce (d'Aristote à Leibniz), soit sur un concept d'universel agissant (l'Unique toujours déjà là se déployant en toute chose, avec Hegel) ; l'individu réel est alors identifié soit à l'Etat, soit à une partie de l'Etat, soit au principe constituant de l'Etat. C'est avec la pensée de l'existence que l'individu répond, à l'appel de l'Autre, de son être propre (unicité et identité), en même temps que de sa finitude, quitte à reconstituer à partir de là, imprévisiblement, un universel.

"On peut, au-delà de Platon par lequel commence la philosophie, et qui s’en tient au général (l’universel) et ignore, au moins thématiquement, l’individuel (le singulier), vouloir donner, avec Aristote, vérité à l’individu, mais alors à l’espèce comme individu, et non pas à ce qu’on appelle habituellement ainsi... On peut aussi, au-delà d’Aristote, vouloir donner, avec Leibniz, vérité à ce qu’on appelle habituellement l’individu. C’est ainsi que, pour Leibniz, chaque individu (au sens habituel) est comme monade le lieu d’une « différence interne », essentielle (principe de l’identité des indiscernables). Mais l’individu est alors lui-même ramené logiquement à l’espèce, il est species infima... On peut enfin, au-delà de toute détermination ou différence déjà advenue, au-delà et d’Aristote et de Leibniz, mais en dégageant pour l’individu en général ce qui est proclamé chez eux pour le seul individu divin, envisager, avec Hegel, l’individu ou singulier comme le général ou universel en acte... Mais, dans tous ces cas, on en reste à un universel toujours déjà là qui se déploie, et dont l’individu est, au mieux, la présence en acte : pas de vérité propre de l’individu comme tel. Avec l’existence tout change."
JURANVILE, 2000, JEU

INDIVIDU, Subjectivité, Objectivité, Autre, LACAN

La pensée de l'existence avec Kierkegaard, comme la théorie de l'inconscient avec Lacan, posent la division du sujet en disjoignant temporellement la pensée de l'être ; mais seule la seconde rend possible, pour l'individu, une nouvelle objectivité pour autant que l'Autre lui en donne toutes les conditions : grâce, élection, et foi. En vertu de quoi, de la division du sujet l'on peut repasser à l'indivision, mais cette fois de l'individu, sans quoi aucune rupture de sa part ne serait possible.

"L’individu peut et doit, en tant que subjectivité existante, parvenir à l'objectivité. Car la subjectivité est relation à l’Autre et épreuve, dans cette relation, d’une contradiction à traverser pour devenir pleinement objectif (reconnu)... Mais la relation à l’Autre ne saurait demeurer, aux yeux de qui affirme l’existence, ce qu’elle était pour la pensée moderne, une relation qu’une subjectivité toujours déjà là ouvre pour s’objectiver et se connaître. Aux yeux de qui affirme l’existence, la relation à l’Autre survient imprévisiblement, faisant s’effondrer toute subjectivité déjà là. C’est une telle subjectivité qui commence par l’épreuve de pareil effondrement que vise Lacan quand il déclare : « De naître avec le signifiant, le sujet naît divisé. » Division du sujet qu’il a pu commenter ainsi : « Je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas. » Où il retrouve Kierkegaard opposant, à la subjectivité moderne, la « subjectivité de l’éthique et de l’existence », celle qui assume que « l’existence sépare la pensée et l’être, les tient distants l’un de l’autre dans la succession »... Certes la subjectivité se caractérise initialement et constitutivement par sa « division ». Certes, dans la relation à l’Autre, elle est, toujours d’abord et chaque fois à nouveau, objet, par quoi elle doit reconnaître et à partir de quoi elle doit éprouver sa finitude radicale (c’est ce que Lacan appelle l’objet « a ») – elle est en cela subjectivité finie, se sachant objet fini. Mais elle peut alors, par l’Autre, passer de sa « division » à une « indivision » d’individu, de monade – et devenir, comme, formellement, chez Hegel, subjectivité absolue menant l’objectivité jusqu’à son terme. Indivision du sujet avant tout par la grâce venue de l’Autre, sans laquelle il ne saurait y avoir d’individu... Mais indivision du sujet aussi par l’élection venue de l’Autre, sans laquelle l’individu ne pourrait pas s’engager à accomplir la rupture. Et par la foi venue de l’Autre, sans laquelle l’individu n’accomplirait pas effectivement, dans l’objectivité, cette rupture."
JURANVILLE, 2010, ICFH