INDIVIDU, Souci de soi, Antiquité, Maîtrise, FOUCAULT

L'individu est présupposé par toute la philosophie antique, comme l'a bien thématisé Foucault avec le "souci de soi", qui est aussi un souci des autres, mais toujours dans le cadre d'une maîtrise supposée par un savoir (théorique, chez Socrate, ou pratique, chez les stoïciens), qui ne pointe pas l'individu comme fin en soi.

"Si un discours philosophique véridique peut être déployé et proposé, ce ne peut être, pour Foucault, que par l'individu en tant qu'il échappe à toute idéologie, à tout discours totalitaire, à toute totalité sociale écrasante, à toute forme de paganisme... Par un individu qui fait l'épreuve de sa finitude et qui n'est apparu pleinement, pour Foucault, qu'avec le christianisme, même s'il est certes supposé par toute la philosophie antique... Mais, transcendance socratico platonicienne ou immanence stoïcienne, l'individu dans l’Antiquité ne peut être conçu comme tel : le socratisme moral du Nul n'est méchant volontairement l'empêche, de même que la recherche stoïcienne d'une « maîtrise totale et parfaite de soi-même » où l'Autre (décisivement l'Autre humain) n'est qu'un moyen passager."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Solitude, Universalité, Oeuvre, ROSENZWEIG

Fruit de la philosophie nouvelle autant que de la Révélation judéo-chrétienne, selon Rosenzweig, l'individu mêle deux caractéristiques en apparence opposées : la solitude existentielle, et l'universalité essentielle (précisément comme enjeu majeur de la Révélation) ; deux propriétés que seule l'unité consistante de l'oeuvre peut rassembler, et le fait qu'elle est tout entière destinée à l'Autre.

"Rosenzweig reprend les apports décisifs de Kierkegaard quant à l'individu, en leur donnant quelques prolongements. D'une part, il souligne que l'individu, l'individu véritable, est une conquête de la philosophie nouvelle, celle qui vient après l'idéalisme (de Parménide et Platon à Hegel)... D'autre part, il inscrit cette affirmation de l'individu dans le cadre de la révélation non seulement chrétienne, mais aussi et primordialement juive. L'individu aurait été dégagé d'abord dans le judaïsme ; sans contradiction alors avec la communauté parce que c’est une communauté juste acceptant l’individu ; il serait seul néanmoins, notamment lors des Jours redoutables... L'individu aurait été ensuite proclamé comme exigence valant universellement par le christianisme... Mais il souligne surtout l'unité de l'œuvre, sa consistance et le fait qu'elle est tout entière pour l'Autre. Reste que Rosenzweig exclut toujours toute détermination objective rationnellement confirmée, toute fixation sociale, de pareille consistance – de l’œuvre, et par là, de l’individu."
JURANVILLE, FHER, 2019

INDIVIDU, Société, Jeu, Révolution

C’est l’individu qui donne toute sa vérité à la société. Si le contrat est l'acte instituant la société, et si le jeu est ce dans quoi elle s’accomplit, l’individu en est le principe subjectif, celui qui veut la société et la pose finalement comme jeu - jusqu'à l'événement terminal qu'est la Révolution.

"La société est enfin individu. Comment aller jusqu’au bout du jeu essentiel, jusqu’au jeu du savoir philosophique qui pose comme telles la vérité et la justice de tous les jeux vrais et justes ? En s’engageant dans le pur affrontement à la finitude radicale, au-delà de tout modèle, en mettant son identité dans l’unicité. Or identité et unicité définissent, on le sait, l’individu. C’est donc l’individu qui donne toute sa vérité à la société. Si le contrat est la société dans l’acte qui l’institue, et si le jeu est ce comme quoi doit être posée cette société, ce dans quoi elle s’accomplit, l’individu est ce qui veut la société, ce qui passe pour cela contrat, et en vient à la poser comme jeu. Car si l'individu commence par la solitude, par l’arrachement au monde social ordinaire, il doit retourner ensuite vers la société, cette fois-ci comme vraie et juste. Et là, au-delà de l’événement primordial qu’est le Sacrifice du Christ, on rencontre l’événement terminal qu’est la Révolution. Au-delà de Kierkegaard, Marx. Marx pour qui « il se révèle que l’épanouissement d’un individu dépend de l’épanouissement de tous ceux avec lesquels il entretient des contacts directs ou indirects »."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Rupture, Unicité, Autre

C'est en tant qu'individu que l'on accomplit la rupture, que l'on se débarrasse de sa sujétion à l'Autre absolu faux (Idole), auprès duquel l'on recherchait une vaine protection ; c'est en s'établissant dans son unicité, en faisant l'épreuve de la finitude radicale, que l'on s'ouvre à la détermination de l'Autre absolu vrai.

"La révélation, qui est la rupture en tant qu’elle vient de l’Autre absolu, doit être accueillie par l’homme, parce que c’est à lui d’accomplir la rupture. Ce qu’il fait en devenant individu... Certes la rupture devra finalement porter sur le système sacrificiel en général, et notamment sur son principe, sur l’Autre absolu faux que l’homme ne laisse de refabriquer. Mais s’arracher à ces maîtres et modèles auprès desquels il s’était réfugié, c’est pour l’homme s’établir dans son unicité, avec la finitude radicale dont il fait alors l’épreuve sans plus être protégé, cette finitude qui surgit sans cesse du fait de la relation à l’Autre. Positivement – car tout ce qui est, est déterminé –, l’unique, c’est celui (ou ce) qui, imprévisiblement et dans l’épreuve de la finitude radicale, recevra sa détermination de l’Autre, comme il l’avait déjà reçue imprévisiblement de tel et tel Autre."
JURANVILLE, 2010, ICFH

INDIVIDU, Rupture, Savoir, Sacrifice

Avant toute appropriation et toute revendication d'un savoir vrai (ce qui est le propre du moi), mais au-delà du sacrifice initial (évènement) produisant la rupture, c'est en tant qu'individu que l'on s'arrache au savoir ordinaire - l'individu est donc bien "l'essence et le principe subjectif de la rupture".

"S’arracher à la captation par le savoir faux, c’est s’arracher à l’évidence des maîtres qui détiennent ce savoir et qui devraient être des modèles à imiter ; c’est mettre son identité dans l’unicité ; c’est se faire individu. Certes c’est en tant que moi que l’existant mène le savoir jusqu’à son terme et le pose comme savoir de l’existence – et il faudra montrer comment l’existant, d’individu, se fait moi. Mais c’est en tant qu’individu que l’existant s’arrache au savoir ordinaire, et c’est en tant qu’individu, et seulement ainsi, qu’il s’engage vers le savoir vrai posé comme tel. Face au sacrifice comme la rupture en elle-même, et au savoir comme ce par quoi et dans quoi elle s’accomplit, c’est donc l’individu qui est l’essence et le principe subjectif de la rupture."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Prochain, Oeuvre, Populisme

Le Vè commandement appelle ne pas tuer, à laisser être le prochain avec l'œuvre qui est la sienne, et à ne pas considérer que celle-ci puisse nous nuire du seul fait qu'elle semble meilleure ou plus avancée que la nôtre : au contraire, se savoir redevable à autrui pour mener à bien sa propre oeuvre, à rebours de tout populisme revanchard, est le fait de l'individu véritable.

"On peut légitimement soutenir que le Vè commandement prend aujourd'hui toute sa portée d'indiquer à l'existant comment devenir individu véritable. En renonçant à en vouloir aux autres sous prétexte qu'ils empêcheraient, par leurs œuvres, la sienne propre d'être reconnue comme elle devrait l'être ; et à croire qu'il faudrait, pour son œuvre à soi, les éliminer, eux et leurs œuvres. En menant opiniâtrement à terme pareille œuvre. Et en pesant que cette œuvre, de toute façon, est offerte aux autres en général, à leur jugement... Or laisser être le prochain, avec ses œuvres déjà produites ou son ambition d'œuvres, voire lui permettre de devenir ce qu'il peut devenir - dans les deux cas individu -, c'est justement le propre de l'individu véritable... Le V° commandement prend donc toute sa portée dans le monde actuel, en montrant - contre tout populisme qui en veut à l'élite, à ceux qui sont supposés avoir déjà mené à bien leurs œuvres - qu'on ne devient soi-même individu qu'en accueillant ces œuvres comme elles doivent être, et en élaborant la sienne à partir de là."
JURANVILLE, UJC, 2021

INDIVIDU, Prochain, Autre, Unicité

Le commandement de l'amour du Prochain n'a de sens que s'il permet à l'Autre de se réaliser comme individu authentique, en devenant pleinement l'Autre de l'Autre, et d'abord de l'Autre divin en son unicité essentielle.

"Le premier commandement se trouve dans le commandement de l'amour du prochain, tel que mentionné dans le Lévitique et par saint Matthieu. Saint Augustin affirme à son tour que "l'amour de Dieu est premier dans l'ordre du principe, mais l'amour du prochain est le premier dans l'ordre de l'exécution". L'individu véritable doit devenir pleinement l'Autre de l'Autre divin, en voulant l'existence finie qu'il a créée et se rapportant aux autres hommes comme de vrais Autres. L'unicité de l'individu, répondant à l'unicité divine, est confirmée dans la solitude en forgeant de nouveaux traits, devenant ainsi pleinement l'Autre et s'ouvrant à son prochain unique, comme dans la cure analytique. Dans le monde actuel, le premier commandement prend toute sa portée en offrant à chacun la possibilité de devenir un individu véritable et en montrant comment cela se réalise."
JURANVILLE, UJC. 2021

INDIVIDU, Parrhèsia, Parole, Autrui, FOUCAULT

Le Parrhèsiaste ne désigne pas seulement l'homme du "souci de soi", "celui qui fait valoir sa propre liberté d'individu qui parle" selon Foucault, il est aussi l'homme qui se soucie d'autrui en lui tenant une parole de vérité tout en laissant advenir en l'autre, tel Socrate par la vertu du dialogue, une même parole de vérité.

"La captation par le social est mise en question avec l’avènement du l’histoire. Et c’est alors qu’apparaît l’individualisme. Ce qu’a parfaitement dégagé Foucault avec le thème du “souci de soi” - qui se complète, quand il s’agit de l'individu véritable, du « souci de l'autre » et qui se noue alors autour du terme de parrhèsia. Socrate, qui fonde, repris par Platon, la philosophie, c'est par excellence, dit-il, « le parrhèsiaste », « celui qui fait valoir sa propre liberté d'individu qui parle ». « C'est l'homme du souci de soi et il le restera », mais aussi celui du souci des autres et même du souci que ces autres pourraient avoir pour leurs autres (il est "celui qui guide les autres vers le soin d'eux-mêmes, et éventuellement vers la possibilité de prendre soin des autres"). Celui qui, tout en maintenant l'exigence du savoir - à quoi il a été appelé par l'oracle de Delphes : « Connais-toi toi-même » -, s'efface comme maître qui sait ; affirme son non-savoir ; et soutient que la vérité est en chacun comme individu et qu'il faut la laisser venir, par la parole, dans le dialogue entre individus. Cet individualisme de la pratique socratique se prolongeant, pour Foucault, à l'époque hellénistico-romaine et s'épanouissant, pour lui, avec le christianisme."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Oeuvre, Rupture, Politique

L'individu est celui qui mène la rupture d'avec le monde sacrificiel, en accomplissant son oeuvre, car c'est par elle qu'une identité nouvelle prend corps dans un langage, et donc qu'est posée l'objectivité de l'existence - c'est toute la portée politique d'un tel accomplissement et d'une telle épreuve.

"Certes celui qui s’engage dans l’individualité doit traverser l’épreuve terrible de la finitude radicale comme solitude. Mais cette épreuve que l’individu a à traverser jusqu’au bout pour être un individu effectif, elle est fixée dans l’œuvre. Dans le parcours qui est celui de sa forme, elle témoigne auprès de tout Autre de l’épreuve traversée pour la relation à cet Autre. Et que, dans l’apaisement final qui correspond au moment où la forme se fait contenu, nouveau contenu, elle témoigne de ce que cette épreuve a été menée jusqu’au bout, jusqu’à la constitution d’une identité nouvelle dans le cadre de laquelle est revoulue toute la finitude. Dans l’œuvre est ainsi justifié le mouvement du sujet existant vers son individualité. L’individu est donc bien celui qui mène la rupture, d’abord introduite par la révélation, jusqu’à son accomplissement objectif – et il peut être ainsi posé dès lors qu’on pose comme telle l’objectivité de l’existence, ce que nous faisons en affirmant, au-delà de l’existence, l’inconscient. Individu dont toute la visée du système sacrificiel est d’empêcher la venue – où l’on voit que la catégorie de l’individu relève primordialement et ultimement, malgré qu’en eût eu Kierkegaard, de la politique."
JURANVILLE, 2010, ICFH

INDIVIDU, Oeuvre, Prochain, Individualisme, NIETZSCHE

L'individualisme pourrait se définir comme une revendication d'autonomie illusoire, de la part d'individus plus consommateurs que créateurs, fuyant l'exigence de l'oeuvre et l'épreuve de la création, dans laquelle seulement l'individu gagne son autonomie et surtout en offre le témoignage au Prochain, afin qu'il puisse devenir à son tour individu ; ce qui est le sens profond du II° commandement ("Tu aimeras ton prochain comme toi-même").

"Le II° commandement prend toute sa portée dans le monde actuel de montrer comment on devient, loin de tout individualisme, un individu véritable. En ne se prétendant pas toujours déjà autonome, mais en constituant son autonomie dans l'œuvre, de quelque espèce qu'elle soit, qu'on produit ou au moins dans laquelle on s'engage. L’individualisme apparaît dans toute sa négativité, aux yeux de la philosophie actuelle, quand on le proclame, comme le fait l'opinion commune, sans vouloir peser qu'il n'y a de vérité de l'individu que si celui-ci traverse l'épreuve de l'existence et en rend témoignage à l'Autre en général, dans une œuvre ; et quand, au contraire, on gomme cette exigence d'œuvre. Ainsi pour l'individualisme comme phénomène social, où l'individu exalté est celui du souci égoïste de soi, de ses aises et de ses plaisirs, qui veut croire qu'il y a d'emblée réelle autonomie. Individualisme qui n'est alors que la manifestation, indirecte, contournée, « moderne », du primordial rejet de l'existence finie et de l'individualité véritable qui assumerait cette existence. C'est ce que dénonce Nietzsche quand il dit que « les deux termes qui caractérisent les Européens modernes semblent contradictoires, l'individualisme et l'égalitarisme ». Contradictoires parce que l'individu véritable devrait «[vouloir] la solitude et l'estime du petit nombre» et qu'en fait « nos individualités sont faibles et craintives », au point que "le principe individualiste élimine les très grands hommes", c'est-à-dire les individus véritables, avec leurs œuvres. D'un autre côté, il n'y a pas à en rester à une déploration du « désert » nihiliste qui « croît », et à dire avec Nietzsche : « Ma pensée, c'est que les buts nous manquent, et que ces buts ne peuvent être que des individus. Nous voyons la marche générale des choses, l'individu y est sacrifié et sert d'instrument)”. L'individu est bien le but que s'était fixé le monde historique. Ce but est atteint aujourd'hui."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Oeuvre, Passion, Ecriture

En tant que difficile travail de la forme, écriture, recherche d'unité et de consistance, l'oeuvre est toujours vécue intérieurement, par l'individu, comme sa Passion propre (comprenant les quatre passions fondamentales que sont l’angoisse, la culpabilité, la honte et la peur.)

"L’œuvre est ensuite l’intérieur de l’œuvre. C’est l’œuvre en tant que travaillée, ou encore l’œuvre en tant que produite par un individu qui est lui-même travaillé. C’est l’œuvre en tant qu’écriture, et donc forme – mais une forme qui, à la différence de ce qui a lieu dans les objets ordinaires, se constitue imprévisiblement, à partir de la matière, dans l’épreuve de la finitude radicale. Épreuve de l’unicité conduite, dans l’œuvre, par l’individu, jusqu’à l’unité et identité objective. L’œuvre implique, pour l’existant comme matière et mère, une souffrance, une passion. Du fait de l’exigence d’absolue consistance qui y est éprouvée. Et du fait de la fuite, toujours d’abord, de l’existant devant cette exigence. Elle implique donc, pour l’existant, la traversée de ce que nous avons appelé sa passion propre, c’est-à-dire des quatre passions fondamentales que sont, dans l’ordre, l’angoisse, la culpabilité, la honte et la peur."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Histoire, Moi

Par essence toujours tournée vers l'Autre, la finalité ultime de l'oeuvre est de contribuer à cette oeuvre de toutes les oeuvres qu'est l'histoire (faute de quoi elle se fossilise en masque, fétiche), en tant qu'elle doit déboucher sur une société juste garantissant la liberté d'oeuvrer pour chacun. Cette contribution est l'oeuvre de chacun parvenu à ce stade accompli (et autonome) de l'individu qu'est le moi.

"L’œuvre est enfin l’essentiel de l’œuvre. Car l’œuvre est certes tout entière tournée vers l’Autre comme tel ; elle est certes, pour l’existant, ce qui le fait se désapproprier de ses identités et propriétés ordinaires. Mais, parce qu’elle lui fait traverser, douloureusement, sa passion propre, elle est aussi, pour lui comme individu, ce qu’il a de plus propre, sa propriété vraie par excellence. Or, parce que tous, par finitude, n’effectueront pas cette traversée de la passion, l’œuvre, à la fois, donne, à celui qui l’a produite, un droit et un pouvoir et, en même temps, elle se transforme, socialement, en œuvre fausse, fétiche, masque fascinant et terrifiant, lettre qui tue et ne vivifie plus. Il faut donc que l’existant, pour son œuvre propre, vise toujours aussi, à travers cette œuvre, l’œuvre des œuvres humaines qu’est l’histoire et, dans l’histoire, la société juste sur quoi celle-ci débouche. Société juste comme société de droit où chacun sera mis en position de créer son œuvre propre (là est le sens du droit), sa propriété essentielle – sans être voué à se soumettre aux propriétés et aux pouvoirs de certains. Société juste où toutes les œuvres auront leur reconnaissance. Pareille œuvre de l’histoire – avec, en elle, la société juste –, c’est alors non plus simplement comme individu, mais comme moi, que l’existant la produit."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Etre, Unicité

L'unicité de l'oeuvre est d'abord celle de l'être se détachant de l'étant anonyme, c'est donc bien celle également de l'individu ; elle se prouve et s'éprouve comme unité d'une matière et d'une forme.

"L’œuvre est d’abord l’extérieur de l’œuvre. C’est l’œuvre en tant que, surgissant dans le monde, elle se distingue des autres étants, des objets ordinaires. Elle se distingue des « objets » ordinaires parce qu’elle est reconstitution, parmi eux, de la « chose » originelle. Elle se distingue des autres « étants » parce que, parmi les étants en relation les uns avec les autres dans le tout du monde, elle est, non seulement étant, mais être ; parce qu’elle est, parmi eux, l’être même, comme puissance originelle. Unicité de l’œuvre, comme celle de l’individu. Unicité de l’œuvre qui se marque en ceci qu’elle n’est pas reproductible comme le sont les autres étants, les autres objets ; par ceci qu’en elle la forme ne peut pas être séparée de la matière, et qu’on ne peut pas « réaliser » cette forme dans une autre matière pour obtenir un objet équivalent, une même œuvre."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Chose, Unité

L'individu s'accomplit dans l'oeuvre, qui donne vérité à la chose, laquelle donne réalité à l'unité.

"L’individu est ensuite œuvre, par et dans quoi il s’accomplit. Ce qu’il faut, c’est que l’identité, et donc d’abord l’unité, reconnue (car ce qui est reconnu dans l’identité, c’est d’abord l’unité) ne soit pas celle du maître ordinaire, mais une identité, et d’abord une unité, constituée à partir du réel imprévisible de la finitude radicale. Or unité et en même temps réalité, cela définit selon nous la chose. Ce qu’il faut donc, c’est que cette chose soit reconnue de tous, c’est qu’à cette chose – que l’existant est censé être devenu dans la solitude, où l’épreuve de l’unicité est menée jusqu’à l’un – vérité soit donnée. Mais chose et en même temps vérité, cela définit selon nous l’œuvre."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT

INDIVIDU, Oeuvre, Autre, Sens

L'on peut supposer que le sens du III° commandement, stipulant que Dieu se reposa au 7è jour de la Création, est de laisser à la créature - cet Autre de l'Autre - la possibilité d'oeuvrer à son tour ; et d'oeuvrer en tant qu'individu, lequel, ayant éprouvé sa finitude dans la solitude nécessaire, s'ouvre à son Autre afin de délivrer et confirmer le sens même de son oeuvre.

"On peut légitimement soutenir que le III° commandement prend aujourd'hui toute sa portée d'indiquer à l'existant comment être pleinement individu, En s'ouvrant, une fois faite son œuvre propre, à l'œuvre à venir de l'autre homme. Par le III° commandement l'homme est appelé, à l'image de l'Autre divin, une fois achevé son ouvrage en six jours (entendons, en ces six jours, une structure nécessaire), à se reposer le septième jour et, en cela, à sanctifier ce jour. Il n'est certes pas dit que, quand Dieu se repose, il ouvre l'espace pour l'œuvre de l'homme. Mais c'est, selon nous, supposé - ce serait la sanctification du septième jour - parce que le sens de la création de l'homme est de produire une créature capable de liberté et autonomie créatrice et de voir confirmée, par l'œuvre de la créature, l'œuvre divine. Et l'homme aura donc à faire de même et, se reposant une fois achevée son œuvre à lui, à ouvrir l'espace pour l'œuvre à venir de l'autre homme. Or laisser ouvert et même ouvrir, une fois son œuvre faite, l'espace pour que l'autre homme élabore son œuvre à lui, c'est le propre de l'individu véritable."
JURANVILLE, 2021, UJC

INDIVIDU, Nihilisme, Passion, Autre, HEIDEGGER

Heidegger pointe avec raison le déploiement du nihilisme dans l'histoire, même s'il ne mesure pas à quelle Passion extrême cela conduit (holocauste), et même pire s'il l'encourage implicitement ; il ne mesure pas non plus que la séparation entre ces deux figures de l'Autre absolu, respectivement vraies et fausses, que sont l'Ereignis et le Gestell, ouvre l'espace à l'individu pour vivre sa Passion et accomplir son oeuvre propre.

"Dans Contribution à la question de l’être, Heidegger traite, en dialogue avec Jünger, du nihilisme. Heidegger ne dit pas que le « mouvement du nihilisme, dans sa dimension planétaire, dans sa multiformité, dans sa hâte dévorante », ne provoque pas des « séquelles funestes » et ne s’accompagne pas de « phénomènes menaçants », qu’il faut combattre, autant qu’on le peut. Mais il souligne que le nihilisme, qui est retrait (oubli) de l’être, appartient à l’essence de l’être, et qu’il ira jusqu’au bout de ses possibilités essentielles. Heidegger certes ne mesure pas l’extrême de l’horreur à quoi a conduit le nihilisme contemporain ; il ne mesure pas qu’à l’extrême cette Passion de l’homme débouche sur ce que Lévinas lui-même appelle la Passion des Passions, sur l’holocauste. Mais il dit juste quand il affirme le caractère inévitable et essentiel du déploiement du nihilisme dans l’histoire. Conséquence de la séparation entre les deux figures de l’Autre absolu. La figure vraie, celle du vrai Dieu – l’Ereignis, en langage heideggérien. Et la figure fausse, inventée par les hommes, celle du dieu obscur ou Surmoi – le Gestell, pour Heidegger. Séparation qui ouvre à l’homme l’espace de son individualité, pour son œuvre propre. Reste à montrer, au-delà de Heidegger, que la Passion de l’individu conduit à l’institution du monde juste, et que le nihilisme, dans les déploiements les plus frénétiques de la science et de la technique, n’est qu’une face de ce monde, sa face obscure, mais maintenue dans les limites du droit."
JURANVILLE, 2000, JEU

INDIVIDU, Libération, Altérité, Psychanalyse

L'individu est l'altérité absolue de la libération et son essence, il est ce qui doit finalement être libéré ; et le discours psychanalytique est le moyen de cette libération, contre le discours du maître, et avec la philosophie en permettant à celle-ci de se penser comme savoir effectif.

"La libération n'est fixée socialement — et l'acte philosophique définitivement accompli — que si, dans le savoir philosophique, est proclamé l'individu comme ce qui doit être libéré, qui l'est finalement et qui, de là, devient libérateur. C'est ce que permet, à la philosophie, l'émergence sociale de la psychanalyse, qui montre comment l'existant devient un tel individu. Car la psychanalyse permet à la philosophie et de se penser et de se poser comme savoir et, dans ce savoir, de poser comme effectif et objectif l'avènement, dans le monde social, de l'individu. Car la psychanalyse montre comment se produit cet avènement. Comment l'existant peut-il sortir de la position, toujours première, de déchet fasciné devant celui qui tient le discours et qui est devenu pour lui, au mieux, un idéal et un modèle ? En s'établissant dans l'épreuve de la finitude. Ce vers quoi le dirige l'Autre et avant tout l'Autre absolu, et ce qu'il ne peut qu'en s'installant dans son unicité hors de tout modèle et en constituant et reconstituant à partir de là son identité. Unicité et identité, cela définit l'individu. L'individu est donc l'altérité absolue de la libération et son essence."
JURANVILLE, FHER, 2019