D'abord l'aliénation à l'idéal-du-moi se fait obsession, que la grâce permet de surmonter, mais en laissant intouchée l'injustice sociale. Puis l'aliénation au Phallus se fait possession, que l'élection permet d'assumer et de dépasser, mais sans pouvoir faire accepter de tous la justice sociale. Enfin l'aliénation au Surmoi se fait persécution, contre laquelle la foi permet de lutter, en démystifiant la jouissance dudit Surmoi assimilé à la Chose.
ALIENATION, Obsession, Possession, Persécution
ALIENATION, Religion, Scène primitive, Séparation, LACAN
On peut qualifier de "religieuse" l'aliénation fondamentale qui constitue l'une des deux opérations par lesquelles le sujet se réalise dans sa relation à l'Autre, la seconde étant la séparation. Si la "réalité psychique" même au sens de Freud est "religieuse", selon Lacan, c'est dans la mesure où elle est suspendue à une première articulation signifiante perçue (faussement) comme totale et complémentaire, celle du couple parental, avec pour signifié un rapport sexuel supposé parfait dont l'enfant ne peut que se sentir exclu (c'est la fameuse "scène primitive"), rejeté au titre de déchet sacrifié. De là le sens en quelque sorte inné, la fascination universelle et pérenne de l'être humain pour le sacrifice en général, en tant que noyau dur de l'aliénation religieuse.
ALIENATION, Révolution, Altérité, Objectivité
Avec les révolutions socialistes et le totalitarisme, le XXè siècle aura été le témoin d'une "aliénation de la désaliénation elle-même" comme le dit Levinas, prouvant par là-même ce qu'elles niaient farouchement, à savoir le caractère inéliminable de l'aliénation. Cela parce que l'aliénation a été ramenée à sa seule dimension sociale, elle n'a pas été vue dans son caractère essentiel, comme constitutive de la finitude humaine. On a voulu lui substituer une identité mythique à "retrouver", à "libérer", celle d'un "moi" déjà là (quelque soit le nom qu'on lui donne), exactement comme chez Hegel. A l'inverse la pensée de l'existence, celle de Levinas notamment, sous-estime trop l'enjeu politique de l'aliénation, comme elle efface trop vite la perspective d'une identité en général : « Unicité sans intériorité, moi sans repos en soi, otage de tous – homme sans identité » écrit Levinas. Même chose chez Lacan avec sa conception d'un Autre sans Autre, qui en ne reconnaissant pas, pour le sujet, la possibilité de se faire l'Autre de l'Autre, d'en retirer identité et objectivité, rend impossible toute désaliénation sociale.
ALIENATION, Sexualité, Possession, Objet
Tout homme doit affronter l'aliénation à la sexualité - figurée d'abord par couple parental et plus généralement par le Phallus - pour se libérer de son pouvoir de possession. Là où le sujet se tenait devant l'Autre comme son objet, son complément, voire son instrument, il doit réaliser - par la grâce de l'Autre vrai, par exemple le psychanalyste - que le "rapport sexuel" n'existe pas et que la sexualité recèle, fondamentalement, la pulsion de mort.
ALIENATION, Révélation, Discours psychanalytico-individuel, Discours philosophico-clérical
Pour surmonter l'aliénation ordinaire - tout en la reconnaissant dans sa forme minimale qu'est la sexualité, au niveau du sujet individuel - l'existant doit s'installer dans le discours de l'individu (ou psychanalytico-individuel). Mais affirmer l'altérité vraie n'est possible qu'en passant par la Révélation, qui au demeurant fait la vérité de chacun des grands discours. Or c'est plus particulièrement la fonction du discours du clerc (ou philosophico-clérical), qui se tient à la place de l'Autre, d'instaurer la justice ou la concorde entre les différents discours, de proclamer la révolution vraie dans l'esprit même de la Révélation, tout en reconnaissant l'aliénation dans sa forme minimale, soit le capitalisme, au niveau du sujet social.
ALIENATION, Obsession, Analysant, Analyste
L'analysant subit l'aliénation spécifique à l'idéal-du-moi que représente, à ses yeux, l'analyste, au point d'en être obsédé. Cette obsession pour l'Autre a sa justification puisqu'il s'agit bien de reconstituer, à partir de lui, une identité vraie en lieu et place du symptôme ; mais dans le cadre de la cure, il revient à l'analyste de faire cesser cette obsession, en l'occurrence névrotique, par la grâce qu'il dispense à l'analysant et qui doit l'inviter à s'exprimer librement.
ALIENATION, Finitude, Holocauste, Paganisme, HEIDEGGER
Heidegger analyse parfaitement l'aliénation comme conséquence inévitable d'une finitude non assumée ; mais c'est aussi au nom de la finitude qu'il refuse d'envisager la possibilité d'un savoir rédempteur. Pire, en proclamant l'"esprit du peuple" dans son année de rectorat, il promet au même titre que le Führer de vaincre et même de supprimer ladite aliénation, interprétée de surcroit en terme de déracinement, faisant ainsi allégeance à l'idole la plus païenne qui soit, le peuple lui-même (appartenant à la patrie, appartenant au sol, etc.) ; cette folie ne pouvait s'achever que par la catastrophe historique que l'on sait. Ce qui eut lieu avec l'holocauste fut proprement un acte sacrificiel en l'honneur de cette idole, et dans l'intention de venger l'aliénation de ceux qui, supposément, n'auraient pas reçu toutes les conditions de l'émancipation, et ceci à cause des nantis, des "élus" (d'où la persécution des Juifs au premier chef).
ALIENATION, Déchéance, Identité, Holocauste
Dès lors que l'existence essentielle est affirmée, l'aliénation doit être reconnue comme constitutive de la relation à l'Autre, car cette altérité de l'Autre et en même temps l'identité nouvelle qu'on reçoit de lui est toujours d'abord refusée. L'existant réduit alors sa propre identité au statut de déchet par rapport à un Autre ramené lui-même à une identité mythique et close. Pire, la négation sociale de cette réalité de l'aliénation - effet de l'aliénation elle-même - conduit au projet sacrificiel d'éliminer ceux que le peuple désigne comme responsables de cette déchéance, les réduisant alors eux-même à la pire des déchéances - ce qui a débouché historiquement à la catastrophe de l'holocauste. Le juif, soi-disant refermé sur son identité et considéré volontiers comme parangon du capitaliste, est ainsi accusé d'avoir confisqué les conditions de toute émancipation : il est condamné à payer à la place de ceux qui, en réalité, refusent justement de payer le prix pour s'émanciper (ce qui, une nouvelle fois, définit l'aliénation).
ALIENATION, Discours, Maitrise, Capitalisme
Le discours psychanalytique reconnait l'aliénation comme inévitable, comme conséquence de la pulsion de mort, et il la relie nécessairement à l'institution sociale dont c'est la nature même de promouvoir la jouissance (et le travail), à savoir le discours capitaliste. L'aliénation se constitue ordinairement dans le capitalisme par la production de la plus-value, qui est en fait la part de jouissance qui revient au maitre - et non au travailleur qui a consenti à ce travail faute d'avoir pu ou voulu entreprendre lui-même, travailleur qui est donc dispensé de ce risque d'avoir à énoncer un désir, une vérité première. Il n'y a donc pas eu extorsion comme l'affirme Marx, puisque ce supplément n'est nullement le produit de sa "pure" force de travail, de son désir propre, mais seulement d'un savoir formel et d'un dispositif technique mis à sa disposition, dont certes il a acquis l'expertise. Cela ne rend pas son travail plus authentique ou plus satisfaisant pour autant, c'est même le contraire ; ce n'est pas la pulsion de vie qui est mise en oeuvre ici mais bien la pulsion de mort. Cette aliénation réelle et inévitable peut cependant être supportée dans les limites du droit, sans lequel le capitalisme lui-même ne fonctionnerait pas. Ordinairement, elle est pourtant, inévitablement, contestée par deux autres types de discours. Le discours de l'hystérique, ou discours du peuple, conteste l'aliénation devenue symptôme en se tournant vers un Autre sachant - clerc, scientifique ou professeur - pour le délivrer de son aliénation au maître politique. Sauf que ce pivotement plaçant maintenant le savoir en position de maître ne modifie pas sa propre relation fascinée avec la maîtrise, puisque l'hystérique (le peuple) attend maintenant tout d'un supposé savoir qui, d'être sans sujet et sans destination, ne le satisfait pas davantage que l'énoncé primordial du maître - d'autant plus que ce savoir reste son produit, comme tout à l'heure la plus-value, simplement récupéré par l'Autre. Reste alors le discours universitaire, ou discours du clerc, dont nous voyons déjà comment il s'auto-justifie en se revendiquant comme seul véritable savoir, seule source (littéralement autor-isée) de vérité, alors qu'il trompe l'étudiant en lui faisant croire que s'il s'assujettissait à ce savoir il pourrait s'affranchir du maître et même de toute aliénation - alors que lui-même, ce faisant, ne fait que collaborer activement au pouvoir du maître.
ALIENATION, Capitalisme, Psychanalyse, Pulsion de mort
Le discours psychanalytique ne supprime pas l'aliénation, même s'il donne toutes les conditions nécessaires (venues de l'Autre) pour que la vérité puisse advenir dans la parole du patient et que celui-ci se libère de ses symptômes sous leur forme maligne ; tout simplement parce qu'il ne supprime pas la pulsion de mort, toujours à l'oeuvre derrière le masque grimaçant du Surmoi et de la culpabilité, de sorte que le patient peut toujours faire le choix paradoxal de l'aliénation en se soumettant à ce "mauvais" Autre plutôt qu'à l'Autre vrai. De la même manière le droit, pour le sujet social, n'a pas vocation à éliminer toute aliénation dès lors que pris dans le système capitaliste - lequel, en s'adossant au droit, limite pourtant (sans les éliminer) ses propres effets pervers - l'individu se laisse berner par la pseudo-création de plus-value, interprétée comme plus-de-jouir par Lacan, autrement dit le contraire même de la création, de sorte que cette participation volontaire à la jouissance capitaliste le conduit non seulement à s'aliéner aux biens du maître mais aussi à perdre réellement ses droits (alors que toutes les conditions pour en bénéficier étaient données et le sont toujours : l'Autre ne peut donc pas être accusé d'avoir failli à la place du sujet).
ALIENATION, Capitalisme, Illusion, Idéologie, MARX
Dénonçant une aliénation persistante, de nature religieuse, dans le système de Hegel, les jeunes hégéliens en appellent à la libération de la conscience individuelle, mais reconduisent une aliénation que leur reproche à juste titre Marx : cette individualité n'est nullement libre, si elle ne prend pas conscience de ses conditions matérielles de subsistance et demeure donc ce qu'elle est déjà chez Hegel : philosophiquement idéaliste et politiquement petite-bourgeoise. Marx, quant à lui, répète la même illusion consistant à prétendre éliminer toute aliénation dans le social, en croyant pouvoir mettre à bas le capitalisme - alors que ni l'une ni l'autre ne sont éliminables -, au nom d'une même identité métaphysique insuffisamment critiquée (certes matérialiste et non plus idéaliste) et d'une autonomie simplement supposée. Etant donné ses fins révolutionnaires, le marxisme conduit à une idéologie encore plus aliénante et dévastatrice que le capitalisme puisque toute finitude y apparaitra comme insupportable.
ALIENATION, Altérité, Identité, Existence, HEGEL
Il y a bien chez Hegel, en tant que point d'aboutissement extrême de la métaphysique, une reconnaissance et une pensée de l'altérité mais seulement comme aliénation surmontée. L'existence apparaît bien comme relation essentielle à l'Autre, lequel s'ouvre en retour à son Autre ; mais cet Autre apparaît finalement conforme à une identité déjà-là, simplement perdue puis retrouvée, finalement désaliénée ; nullement comme un Autre pourvoyeur d'une identité nouvelle et imprévisible, que l'existant devrait découvrir et reconstituer peu à peu.
ALIENATION, Révolution, Existence, Société, MARX
L'aliénation pour Hegel est le processus nécessaire par lequel l'esprit absolu s'incarne et se perd, dans un premier temps, dans la conscience humaine, pour mieux se ressaisir et se comprendre lui-même. Aliénation purement formelle et de type religieuse dénoncent les jeunes hégéliens et Marx en particulier, lequel souligne le caractère avant tout social et économique de l'aliénation et en appelle à la révolution pour permettre une autonomie réelle. Mais l'inconséquence de Marx, au regard de l'existence, qu'il suppose et reconnait pourtant - au moins formellement, au titre de l'individu concret disposant de sa force de travail - est d'ignorer les conséquences encore plus aliénantes et totalitaires d'une révolution prétendant nier l'aliénation dans son principe. Comme si pour penser l'existence il ne fallait pas en même temps reconnaitre le caractère radical et inévitable de l'aliénation, comme sujétion à l'Autre en général (et d'abord à l'Autre absolu), justement pour la vaincre - autant que possible, mais jamais totalement - comme prétendue justification du pouvoir (laquelle doit revenir au droit).
ACTE, Révélation, Histoire, Infini, LEVINAS
Si l'acte se définit bien comme autonomie et réalité, l'acte propre de la philosophie consiste à déployer l'histoire au moyen du savoir et à l'accomplir jusqu'au bout, jusqu'à la reconnaissance sociale et universelle du discours de l'individu. Elle répond ainsi à l'acte originel provenant de l'Autre absolu, soit la Révélation qui commande à l'homme de rompre avec le paganisme et d'accueillir Autrui. Levinas a déjà suggéré que l'idée même d'Infini, transmise par la Révélation, implique une activité qui est "surplus de l'être sur la pensée", voire une "descente dans le réel" qui constitue un point de départ pour l'éthique. Mais l'acte ne perdure qu'en se faisant oeuvre dans la voie de la sublimation.
ACTE, Résolution, Pensée, Etre, HEIDEGGER
Pour Heidegger, l'acte essentiel se confond avec la résolution par laquelle l'existant répond à l'appel de l'être. Au-delà de la simple résolution il y répond activement par la pensée, qui certes comme accomplissement ou déploiement d'une chose "dans la plénitude de son essence", ne relève pas, pour Heidegger, de l'objectivité d'un savoir. "La pensée accomplit la relation de l’être à l'essence de l'homme", sans être cette relation elle-même car comme le précise Heidegger, "la pensée la présente seulement à l’être comme ce qui lui est remis à elle-même par l’être." Cela signifie clairement qu'aucune fin n'est assignable à l'acte, que son achèvement reste voué à l'imprévisible, que son accomplissement n'est pas de l'ordre d'un "objectif" - à moins de confondre l'acte avec un faire, une technique de la pensée, comme s'y emploie la métaphysique depuis Platon, selon Heidegger.
ACTE, Signifiant, Sujet, Sublimation, LACAN
L'acte est toujours un signifiant qui, produit à partir d'un autre signifiant, vient introduire une rupture, un changement structurel dans le sujet : en réalité l'acte instaure un sujet différent, différemment représenté par un signifiant pour les autres signifiants (selon la célèbre définition du signifiant par Lacan). L'acte ne vaut que d'être confirmé (il peut aussi échouer), ce qui implique que le signifiant en question puisse se répéter. Or la répétition de l'acte - quand elle n'est pas "passage à l'acte" régressif, mais parole ou écriture - vaut comme une structure à part entière, et même structure créatrice : c'est la voie de la sublimation.
ACTE, Philosophie, Histoire, Psychanalyse
Comme savoir de la rupture en général, l'histoire s'analyse dans son concept comme événement, récit, puis acte. "Il [l'acte] est ce qui fait accueillir la rupture de l’événement en tant que cette rupture doit se répéter aussi longtemps qu’elle ne s’est pas accomplie dans le savoir." écrit Juranville. Lacan reconnait au seul discours analytique la capacité de faire acte, faisant en sorte que l'Autre, le patient, accède à sa vérité. C'est pourtant en se plaçant sur le terrain de la philosophie, en posant l'être comme vérité du sujet de l'inconscient qu'il a cherché à faire entendre et reconnaitre cet acte analytique. Car la philosophie poursuit elle-même une visée d'acte, acte politique au niveau du sujet social, tout en prenant la psychanalyse comme modèle de discours permettant à l'acte de s'accomplir (le patient y étant placé par l'analyste au lieu de la vérité). Déjà la relation éthique, comme relation à l'homme vrai selon Levinas, relève d'une logique de l'acte - simple visée cependant, sans aller jusqu'à s'accomplir en acte politique. L'acte politique de la philosophie nécessite que celle-ci accorde sa grâce aux autres grands discours, qu'elle reconnaisse leur vérité partielle et qu'elle s'efface comme pouvoir face à l'Autre absolu de la religion. L'acte propre de la philosophie est donc bien l'achèvement de l'histoire. L'acte comme fin de l'histoire (et épiphanie des religions) s'analyse alors comme libération (l'acte en lui-même), responsabilité (ce dans quoi et par quoi s’accomplit l’acte), enfin comme révélation (ce qui inspire l'acte jusqu'à son accomplissement).
ACTE, Analyse, Parole, Interprétation
Ce qui se passe dans l'analyse relève d'un acte de parole, celui de l'analyste. Même si c'est l'analysant qui parle (comme sujet barré) et l'analyste qui se tait (comme objet 'a' d"abord, présent physiquement, mais comme Chose signifiante ensuite), en réalité l'analysant fait bien acte d'écriture en cherchant à formuler (certes oralement) le signifiant-maître S1 (même si c'est l'analyste qui prend des notes), et l'analyste fait bien acte de parole lorsque, intervenant depuis son écoute attentive et/ou distraite, sa coupure opportune suscite au lieu de l'analysant une interprétation. Dès lors, même s'il doit parler effectivement, c'est comme si c'était l'analysant, car c'est toujours au lieu de l'analysant que l'interprétation se fait.
ABSOLU, Finitude, Objectivité, Péché
L'homme ne peut prétendre, par ses propres moyens, qu'à la connaissance d'une objectivité finie. Mais en assumant sa finitude, sa séparation, en renonçant à "l'illusion du grand Tout mythologique", l'homme se dispose à accueillir le Nouveau, l'Autre divin. Lequel se laisse caractériser aussi bien comme Absolu (puisque surgissant en dehors de toute relation établie) que comme Infini, puisqu'il n'est soumis à aucune limitation, n'étant ni à l'intérieur du monde ni même à sa limite. Dès lors la finitude peut prendre une nouvelle valeur, l'homme plaçant désormais son identité dans sa relation à l'Autre absolu. La faute, le péché consiste précisément à absolutiser l'objectivité finie, à s'en suffire : orgueil, suffisance ordinaire de la créature, bien plus "mortelle" que la simple tentation charnelle. Mais un espace s'ouvre pour l'objectivation du fini, avec la science galiléenne, dès lors qu'elle ne cherche plus à absolutiser l'objet dans la foulée, laissant à la philosophie la tâche de fixer une effective objectivité absolue dans son propre discours.
DISCOURS, Vérité, Autre, Individu
Là où le problème donne lieu au savoir, le paradoxe donne lieu au discours qui a pour mission de le soutenir : pour cela il doit se faire raison et vérité, vérité donnée à la raison. Sa totale cohérence ne suffit pas (illusion métaphysique) s'il faut que l'Autre endosse et reconstitue à son tour le discours, le vérifie. La vérité ne peut surgit que de l'Autre et le modèle du discours de vérité est bien sûr celui de l'Autre absolu comme Fils, comme Verbe. En ce sens le discours est le pendant, du côté du paradoxe, de l'amour du côté du sacrifice. Ce discours vrai tenu par l'Autre absolu, par le Fils incarné dans le Christ, correspond dans le système des discours au discours de l'individu ; c'est logiquement le discours premier de l'existant, mais c'est aussi celui que le sujet individuel, par finitude, et a fortiori le sujet social, par intolérance, rejette systématiquement. Dans l'histoire il fut introduit par Socrate, comme par exception, puis universalisé par le Christ pour toucher cette fois le sujet social et remettre en question l'ensemble du monde sacrificiel. Il se présente comme le discours paradoxal par excellence. Redécouverte dans le discours analytique, la parole de vérité toujours menacée d'exclusion (qu'elle soit religieuse ou psychanalytique), nécessite toutefois d'être justifiée rationnellement - et fixée socialement - dans le cadre d'un discours philosophique (universitaire) qui ne rejetterait pas par avance la perspective d'un savoir vrai.
DISCOURS, Vérité, Philosophie, Individu
Le système des quatre discours peut soutenir l'existence d'un monde juste, lorsque celui-ci parvient à la démocratie (comme c'est le cas, tendanciellement, dans l'époque actuelle) , c'est-à-dire quand la vérité de chacun des discours est reconnue par tous, à commencer par le discours philosophique dont c'est la vocation (dès lors qu'il accède à sa propre vérité, celle de son savoir) d'instaurer cette démocratie d'abord dans l'ordre du discours. Vérité du discours magistral, comme étant celui du pouvoir, quand celui-ci - conseillé par la philosophie - admet l'existence légitime d'autres pouvoirs (syndicaux, économiques, etc.). Vérité du discours populaire, comme étant celui de la superstition, quand la "vox populi" - guidée encore par la philosophie - retrouve la "vox dei" contenue dans les grandes religions de la tradition. Vérité enfin du discours de l'individu, qui apparaît lorsque le sujet individuel se décolle du sujet social, pour le pire (l'individualisme contemporain fuyant toute individualité véritable et autonome) comme pour le meilleurs quand il répond à l'appel de l'Autre, l'Autre absolu ou l'Autre humain comme cela se produit dans la cure psychanalytique. - S'il revient à la philosophie en tant que discours d'instaurer et en quelque sorte d'orchestrer cette démocratisation générale, ce n'est pas au nom d'un pouvoir impérial que lui vaudrait son savoir "supérieur", c'est surtout dû au fait que le champ général du discours correspond à ce qu'on pourrait appeler le "monde philosophique", ou encore le "monde de la question de l'être", question à laquelle répondent justement - chacun à leur manière - les grands discours. Le discours philosophique s'"impose" d'autant moins qu'il en vient à s'effacer, voire à destituer son propre pouvoir, au nom de la Révélation (d'où vient toute vérité) mais en suivant le modèle du discours psychanalytique.
DISCOURS, Etre, Langage, Question
L'ensemble des discours, selon Juranville, appartient au "champ philosophique", qui est celui de la Question sur l'être dans la perceptive de son unité ; de là que pour tout discours, la double référence au savoir et à la vérité s'impose ; mais chacun répond à la question selon des principes différents, et seul le discours philosophique proprement dit assume consciemment et pleinement cette finalité. Mais chacun y participe, et tous se valent au regard du principe général selon lequel l'unité de l'être, ou plutôt l'être-un de l'étant est recherchée et proposée dans le cadre du langage, et d'un langage en acte comme le discours. Dans ce contexte, le rôle du sujet parlant est d'assumer l'unité d'un certain point de vue (subjectivité) sur l'étant, d'abord par la nomination, puis de projeter un certain mode d'être et même plusieurs qui rassemblent l'étant (objectivité), en tant que ce que le sujet énonce s'articule logiquement et peut se répéter. La question de l'unité, voire de la conformité entre le langage et l'être, est traditionnellement celle de la vérité ; et la façon de l'envisager, de l'affirmer ou de la mettre en doute, est précisément ce qui différencie les différents discours. Toujours à l'intérieur du champ problématique, philosophique, seules quatre réponses sont possibles, et les voici :
DISCOURS UNIVERSITAIRE, Savoir, Autre, Philosophie, HEGEL
Le discours universitaire s'oppose au discours du maître, et plaçant le savoir et non plus la loi en position dominante, bien qu'il n'efface pas l'effet de fascination propre à tout discours et qu'il reconduise une volonté de pouvoir. L'universitaire (et d'abord le clerc, historiquement) revendique un Autre absolu au-delà du maître, et aussi au-delà de l'objet idolâtré par le peuple. Dans l'optique philosophique qui englobe largement ce discours, cela correspond d'une part à l'attitude critique kantienne (réduction de la connaissance à l'objectivité finie mais supposition d'un Absolu moral au-delà, pour éviter justement l'idolâtrie), d'autre part à la Science hégélienne (pour qui le doute et la finitude font partie du chemin par lequel le Concept en vient à se poser dans sa vérité). Reste une impuissance caractéristique, pour ce discours, à atteindre justement l'Autre (toujours idéalisé, en fait) et donc à rendre crédible la vérité visée. Si Lacan surnomme Hegel « le plus sublime des hystériques », paradoxalement, c'est bien parce que l'effet produit par ce discours (sa chaine signifiante inférieure) reconduit, en l'inversant, la relation signifiante hystérique (chaine supérieure dudit discours) en tant qu'elle se méprend, typiquement, sur la nature même du désir, rabattu sur un désir de savoir, savoir attribué à un sujet qui plus est ! « C’est la béance où s’engouffre le sujet qu’il [ce discours] produit de devoir supposer un auteur au savoir » dit Lacan dans Radiophonie, soit la "Je-cratie", cette fausse identité du "Je idéal, du Je qui maîtrise", où Lacan voit le mythe philosophique par excellence. Reste que, socialement, du point de vue de l'histoire, ce discours doit avoir sa légitimité selon Juranville, comme les trois autres discours ; disons même que son rôle, de par sa nature intellectuelle, sa position enseignante, sa relative abnégation au regard du pouvoir (ce que Juranville appelle sa "grâce") est de favoriser une telle reconnaissance mutuelle entre les différents discours.
DISCOURS UNIVERSITAIRE, Discours de l'analyste, Vérité, Savoir
Comment le discours universitaire (et donc la philosophie) est-il en mesure d'énoncer la vérité du discours analytique, alors même qu'il ne saurait énoncer lui-même l'inconscient ?Certes l'agent de ce discours, parlant au nom du savoir, de cette maîtrise là, tient que l'autre (l'étudiant) n'a aucune maîtrise et ne sait pas ; en revanche il reconnait que l'étudiant pourra accéder au savoir et s'emploie donc à susciter en lui ce désir de savoir. Or qu'est-ce que cette non-maitrise de l'autre (a/$) sinon la situation symptômatique du discours analytique lui-même (a --> $) dans l'histoire, ce fait inadmissible que l'objet (de jouissance) "parle" au sujet et repose sur un savoir (inconscient) ? Donc, au moins, le discours universitaire reconnait-il le non-savoir comme un authentique symptôme, une situation remédiable qu'il tente de résoudre pour sa part en désir de maîtrise. En quoi, s'il échoue à faire produire un savoir personnel à l'étudiant (puisqu'à la différence du discours analytique, il ne reconnait aucun savoir au sujet), l'important est que ce symptôme soit reconnu comme présence d'un désir et donc comme lieu d'une vérité. Il reste au discours universitaire, dont la vocation est historique et non individuelle, à énoncer explicitement la vérité (certes partielle) du discours analytique, au lieu de se contenter de la supposer, condition même pour que sa propre pensée absolue (en tant que philosophique) parvienne à se déployer en savoir spéculatif et vérité totale.
DISCOURS, Identification, Vérité, Sujet social, LACAN
Un sujet prend place dans un discours en s'identifiant à ce qui est signifié pour lui, posé comme vérité, dans ce discours. Ainsi l'hystérique (et le peuple pour Juranville) s'identifie à l'objet désirable alors même qu'elle s'adresse en tant que sujet au maître - c'est tout son drame ; tandis que le peuple croit essentiellement à l'objectivité et refuse toute transcendance. Le maitre s'identifie essentiellement à lui-même - c'est toute sa folie - et voudrait que l'autre auquel il s'adresse accède à sa propre subjectivité (en se faisant sujet de la loi), et ainsi à l'objectivité vraie. L'universitaire (le clerc pour Juranville) s'identifie d'abord à l'Autre comme Absolu (signifiant maître) puis aux autres en tant qu'humains, misant tout sur cette transcendance, sur cette autorité (qu'incarnent les grands auteurs) pour donner vérité au savoir et ainsi exercer son pouvoir. L'analyste (selon Lacan) incarne l'objet pulsionnel pour l'analysant, mais (selon Juranville) il s'identifie plutôt à la Chose signifiante (S2 dans ce discours) ; plus généralement ce discours est celui de l'individu en tant qu'il veut son identifié vraie, toujours incarnée par la Chose.
DISCOURS, Sublimation, Discours de l'analyste, Autre, LACAN
Quoi qu'en dise Lacan, et bien qu'il n'apparaisse pas en premier dans l'histoire, le discours analytique est nécessairement le discours primordial. Le maitre en position d'agent ne s'adresse à l'autre que pour répondre - illusoirement - à sa question et à sa demande. Mais la cause de la question n'est rien d'autre que le symptôme premièrement signifiant et "parlant", position qu'incarne justement l'analyste dans son discours, grâce à quoi l'autre pourra alors énoncer le signifiant paternel (S1). Tout discours est nécessairement, pour le sujet qui y prend place, en rapport avec une forme de sublimation ; or structurellement, dans l'inconscient, celle-ci requiert que le sujet occupe la place de l'Autre, ce qui qui est le cas dans le discours analytique. Tous les autres discours en dérivent, mais en modifiant les rôles (et non les places bien sûr) font échouer la sublimation qu'ils supposent pourtant :
DISCOURS, Structure, Signifiant, Savoir, LACAN
Le discours se distingue de la simple énonciation ou parole ; il peut d'ailleurs subsister sans parole effective. Or si dans la structure de l'inconscient qui est celle de toute énonciation, l'agent semble premier comme cause efficiente et l'autre auquel il s'adresse second, dans la structure du discours c'est bien l'autre initiant le discours avec sa question qui est premier tandis que l'agent est second. L'acte énonciatif de celui-ci, en tant que répondant à la question, consiste à poser une thèse dans le signifié autrement dit à énoncer une vérité. Mais cette vérité n'est liée à aucun savoir et apparait donc illusoire ! Pourquoi ? Parce que le savoir, produit par l'articulation signifiante (l'échange de paroles si l'on veut), se trouve nécessairement du côté de l'autre, une fois l'articulation faite justement. C'est pourquoi l'effet du côté de l'autre se détermine comme jouissance. A partir de là on peut voir que le discours manifeste structurellement à la fois une impossibilité et une impuissance. Impossible, par principe même, que satisfaction soit apportée par le discours à une question surgissant imprévisiblement depuis l'autre réel. Impuissance parce que l'effet de jouissance produit chez l'autre ne peut jamais correspondre à l'effet de vérité prétendu du côté de l'agent. Pour autant le discours n'est pas sans consistance :
DISCOURS DU PEUPLE, Discours du maître, Discours, Oeuvre, LACAN
"Dès lors la présentation structurale, par Lacan, du discours aura, dans l’analyse ternaire que nous proposons pour le discours en général (pensée-conflit-dialogue), mais aussi pour les discours fondamentaux ou structures historiales, les correspondants suivants. Le plan supérieur, celui de l’agent et de l’autre, renverra au discours dans son acte, ou son phénomène (la pensée, rappelons-le, est suscitée par l’essence venant en l’Autre et comme Autre, et implique que l’essence est reconstituable par chacun, par soi d’abord, mais aussi par tout autre à venir). Le plan inférieur chez Lacan, celui de la production et de la vérité, aura comme correspondant le discours dans ce par quoi il s’accomplit, dans l’identification qui le caractérise (le conflit résulte de ce qu’il y a plusieurs identifications possibles). Les flèches de l’impossibilité et de l’impuissance enfin, là où le discours se heurte, pour Lacan, à une contradiction indépassable, renverront chez nous (qui voulons montrer comment cette contradiction peut se résoudre) au discours dans son principe subjectif (le dialogue reçoit de l’Autre absolu, posable comme tel par la philosophie, sinon par la psychanalyse, toutes les conditions pour se déployer universellement, et donner au conflit toute sa vérité)."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT