Comme vérité de l'autonomie, la création - qu'elle soit humaine ou divine - veut la loi, la loi telle qu'elle provient de l'Autre comme cause - que cet Autre soit déjà là ou à venir. Mais par ailleurs la loi demande à être justifiée par la raison, qui elle-même demande à être posée socialement dans le savoir (pour répondre à toutes les objections).
CREATION, Raison, Autonomie, Loi
CREATION, Oeuvre, Consistance, Dieu
Contrairement à la chose, consistante mais non produite, et contrairement à l'outil, produit mais inconsistant (par lui-même), l'oeuvre se veut consistante en même temps que produite. Par consistance il faut entendre à la fois la totalité et l'unité de l'oeuvre (elle tient en ses divers éléments) et son achèvement (elle apparait dans le temps, après l'épreuve de la finitude). Mais ces conditions mêmes renvoient à une consistance parfaite qui ne peut être que celle de la Création divine, hors finitude. La consistance de l'Oeuvre originelle tient à la substance même de son Créateur, essentiellement trinitaire, ce en quoi elle consiste - et ek-siste - elle-même avec ses trois Personnes en relation (Père, Fils, Esprit). Trois Personnes qui entrent en jeu par deux fois dans la création, dont la structure est le sénaire (les "6 jours" de la Création), deux fois le ternaire, le second aboutissant à l'achèvement de la créature créatrice, l'être humain.
CREATION, Nomination, Homme, Dieu
La création s'exerce par la nomination, divine d'abord (comme il est rapporté dans la Genèse), humaine ensuite pour donner consistance aux choses. "Dieu se reposa lorsque dans l’homme il eut déposé son pouvoir créateur" et lorsque "les choses reçoivent leur nom de l’homme" écrit Benjamin. Ensuite Dieu créa la femme afin que l'homme ne se sente pas seul, à partir d'une côte prélevée sur l'homme (on peut voir dans cette partie désormais manquante le Phallus dont parle la psychanalyse) : elle devient dès lors son semblable et son égale. Cependant la puissance créatrice ne tarde pas à se fausser chez l'homme, à se transformer en rivalité avec Dieu (adoration d'idoles fausses, sacrifices, prétention par la magie d'égaler Dieu... toute la panoplie du paganisme). C'est bien parce qu'un matriarcat s'installe, célébrant la Nature plutôt que le divin, ou le corps maternel plutôt que la parole paternelle, que la tentation - ourdie par le serpent-phallus (prétendant effacer la castration) - touche d'abord la femme, puis l'homme immédiatement, puisqu'il ne tarde pas à croquer à son tour dans la pomme (objet partiel du corps maternel). Même finitude donc, chez l'homme et la femme, qu'ils devront assumer (et non pas nier) dans le désir et la sexualité comme moyen de se tourner vers l'Autre, de le "connaître", et bien sûr moyen de procréer ...des semblables, d'autres créatures de Dieu.
CREATION, Historicité, Autre, Existant
"L’historicité se donne au savoir comme création. Car l’histoire, toujours d’abord chassée de son immédiateté par l’existant, est acceptée par lui pour autant qu'il s'établit dans son autonomie (un mode de l'immédiateté) et qu'il veut la faire reconnaitre de tous. Autonomie et vérité, ce qui définit la création. L'existant, par son œuvre propre, participe au déploiement de l'histoire, puisque toute œuvre requiert un monde où elle puisse être reconnue de tous et invite chacun à entrer à son tour dans son œuvre d'individu. La création est l'objectivité absolue de l'historicité et ce dans quoi elle s'accomplit. Comme création par l'existant radicalement fini, elle suppose que celui-ci en ait reçu les conditions (grâce, élection, foi) de l'Autre absolu. Elle suppose donc la Création par l'Autre absolu, puisque ces conditions font de l'existant l'œuvre de cet Autre."
JURANVILLE, 2017, HUCM
CREATION, Existence, Autre, Essence
Si l'existence est absolument essentielle (conforme absolument à son essence), c'est parce qu'elle est essentiellement création. Elle est d'abord le fait de l'Autre divin qui, tourné vers son Autre, lui supposant l'existence, lui donne toutes les conditions pour exister vraiment, c'est-à-dire pour créer.
CREATION, Mélancolie, Absolu, Autonomie, KIERKEGAARD
La création est l’acte par lequel l’être fini transforme sa finitude en autonomie et en vérité, recréant un absolu à partir de lui-même. Cette création est issue de la mélancolie, elle-même causée par le Bien. La mélancolie pousse l’être fini à désirer le savoir, à participer à l’Œuvre de la Création. Mais il existe deux formes de mélancolie : la vraie mélancolie, féconde, qui mène à la création et à un savoir absolu, et qui doit être supposée à tout créateur y compris au créateur suprême (car il attend que son oeuvre soit confirmée par sa créature) ; la mélancolie fausse, stérile, où le sujet se replie sur un faux absolu, une Chose close sur elle-même, refusant la relation et la finitude — ce que Kierkegaard appelle le "démoniaque". Kierkegaard reconnaît une mélancolie sublime, tournée vers une grande idée, mais refuse d’en faire la base d’un savoir absolu, craignant qu’on nie ainsi la finitude humaine. Or refuser d’objectiver la création et le savoir, c’est paradoxalement tomber dans la mélancolie fausse que Kierkegaard dénonce. Par ailleurs la création, troisième temps de l'analyse de la mélancolie, correspond à la troisième preuve de l'existence de Dieu chez Descartes, celle qui établit Dieu comme cause première absolue et l'être fini comme cause absolument libre, capable de devenir créateur.
CREATION, Consistance, Oeuvre, Histoire
La consistance est ce qui caractérise l'oeuvre, d'abord divine avec le sénaire primordial de la Création (double ternaire comprenant le divin et l'humain), puis humaine (avec le quaternaire) dans la mesure où l'homme doit reprendre à son compte cette création qu'il a lui-même faussée, en se posant lui-même comme quart-élément. La consistance du quinaire s'impose aussi du fait que l'oeuvre humaine n'est réalisable que dans l'Histoire, ouverte avec le sacrifice du Christ. Enfin le sénaire se répète avec la consistance du savoir sur lequel débouche l'oeuvre humaine.
CONTRAT, Autonomie, Contrat social, Finitude, ROUSSEAU, MARX
CONTRADICTION, Parole, Autre, Inconscient
Le premier stade du paradoxe est la contradiction, puisqu'il s'agit de s'opposer à une soi-disant vérité, niant la finitude radicale, pour en proposer une autre qui, justement ne soit pas purement formelle ou convenue, mais existentielle : il s'agit d'un acte authentique, toujours d'abord refusé. Pour cette raison la source de la contradiction essentielle ne saurait être que l'Autre, l'Autre absolu, et puisqu'elle survient comme parole, parole pure (ou pure signifiance), elle ne saurait être que celle du Fils engendré. Ajoutons qu'il faut la grâce de cet Autre pour que la contradiction soit, non seulement formulée, mais solutionnée ; il faut que l'Autre absolu se retire d'une certaine façon, afin de laisser l'existant accueillir la contradiction, et réaliser son oeuvre, métaphorique, de substitution. Encore faut-il que la vérité nouvelle puisse se déployer jusqu'à l'objectivité, ce qui représente le but de la conscience, mais seulement lorsque l'inconscient, comme parole Autre et contradiction pure au niveau du sujet, a été entendu et analysé (ce qui ne serait pas possible si l'Autre inconscient ne dispensait pas sa grâce, en se faisant lui-même non-sens et non pensée, en se faisant objet).
CONTRADICTION, Identité, Essence, Objectivité, HEGEL
La contradiction se présente comme la négation d'une identité, et plus profondément d'une essence reconnue comme fausse au coeur de cette identité. Grâce à la contradiction, la véritable essence peut être posée dans le concept ; mais cette essence sera nécessairement faussée, par finitude, et donc à son tour contredite. D'une façon générale, la contradiction fait s'effondrer, chez le sujet ou en dehors de lui, toute identité supposée déjà là et donc anticipative ; corollairement elle fait découvrir l'Autre comme le lieu premier de la vérité. La contradiction principale, bien décrite par Hegel, est celle du sujet et de l'objet, puisque le premier n'a de cesse, sur le chemin de la reconnaissance, de chercher à s'objectiver ; ce faisant il commence par poser l'identité déjà-là de l'objet, depuis sa propre identité subjective supposée, ce qui n'aboutit qu'à une détermination subjective de l'objet ; il ne lui reste plus qu'à remette également en question sa propre identité subjective. Etc.
CONTRADICTION, Identité, Autre, Existence, KIERKEGAARD
"En refusant qu’à partir de la contradiction éprouvée par le fini, et grâce à l’Autre qui s’y manifeste, un savoir nouveau puisse advenir, la pensée de l’existence ne rejoint-elle pas ce qui fait le fond de la conception commune ou métaphysique ? Ne rejoint-elle pas l’image d’un Autre absolu tout-puissant qui ne voudrait pas pour lui, comme Autre vrai, la contradiction dans sa relation au fini comme son Autre, mais qui, lui-même hors contradiction, vouerait, comme Autre faux, le fini à une contradiction sans vérité, destructrice de toute identité, et de tout être, à la contradiction devenue terreur sacrificielle ? Nous verrons plus loin que la terreur est elle-même, face à la contradiction comme négation de l’essence, négation de l’être."
JURANVILLE, 2000, JEU
CONSCIENCE, Sens, Savoir, Autre, HEGEL, HUSSERL
"Le sujet comme conscience veut s’être réellement mis du point de vue de l’Autre ; et il ne l’aura fait que s’il lui offre le sens objectif qui lui conviendra, et s’il atteint au même savoir qu’il suppose en cet Autre ; il sera alors con-scius, complice (ou confident) dans le même savoir. Un tel sens, qui est propre, avant tout, à la conscience psychologique (et phénoménologique), est capital aussi, bien sûr, pour la conscience morale, si elle ne veut pas se perdre dans le subjectivisme. La conscience comme liberté et sens est ainsi ce qui, dans le sujet, l’appelle à reconstituer, à « vérifier » ou, mieux, à recréer imprévisiblement, un savoir supposé en l’Autre. Elle est ce qui ouvre au travail de la pensée, et ce qui devient le lieu de ce travail, où peu à peu s’accomplit le savoir. Elle implique une bonne névrose, et la montre permettant tout le déploiement de la sublimation."
JURANVILLE, 2000, JEU
CONSCIENCE, Raison, Totalité, Entendement, HEGEL
"Certes Hegel a bien vu que la raison est vérité de la totalité – d’où sa critique, à la fois, contre l’entendement kantien, et contre la raison kantienne. Mais ce qu’il n’a pas vu, et pas pu voir, c’est que la raison ne se réalise pas par un mouvement naturel, qu’elle ne va pas ainsi vers la reconnaissance universelle, et que, dans le mouvement non naturel de sa réalisation, l’entendement pur a une place décisive. Car le fini refuse toujours d’abord la totalité vraie, et s’arrête toujours d’abord à une totalité fausse, sacrificielle. Seul dès lors l’Autre absolu, l’Autre divin, raison universelle, nécessité primordiale, loi, mais loi qui s’efface pour laisser les hommes la recréer librement, peut faire que finalement tous les hommes acceptent la raison. Ce qu’il fait par la révélation. Et le fini qui s’est engagé, porté par la foi, dans la raison, dans la totalité vraie de la raison vraie, doit de son côté, avant de pouvoir faire reconnaître cette totalité et cette raison, parvenir seul à l’entendement pur, dans son autonomie d’individu, dans sa solitude qui est celle aussi, autrement, de l’entendement divin."
JURANVILLE, 2000, JEU
CONSCIENCE, Jugement, Inconscient, Travail
Le jugement est ce par quoi s’accomplit la conscience, là où l’entendement est l’acte de la conscience. De même que le concept a en propre la position de l'essence, le jugement a en propre la position de l'être, soit la venue de l'essence dans l’immédiateté du fini. Le jugement est ce qu’on vise dans la conscience, de même que le travail est ce dont on est inconscient. Et cependant la conscience a besoin de l'inconscient pour s'accomplir, de son mouvement et de son travail, lequel implique la confrontation avec le jugement de l'Autre puisque bien sûr le premier jugement, porté depuis le monde ordinaire, est toujours un jugement faux. Accepter le jugement de l'Autre revient ainsi à accepter l'inconscient puisque celui-ci n'est rien d'autre, sous cet angle, qu'un travail produisant le savoir sur lequel s'appuie la conscience pour émettre un jugement, et ultimement, poser la consistance de la chose jugée. Consistance qui est aussi celle de l'oeuvre produite, qui juge, et qui s'offre elle-même au jugement. Notons que la pensée de l'existence s'arrête à une conception répressive et objectivante du jugement, le réduisant à une condamnation. Elle accepte le jugement de l’Autre, comme conscience et voix de la conscience, qui lui fait toucher sa finitude radicale, elle admet l'objectivité de son propre jugement (sinon juger n'aurait aucun sens), mais ne conçoit pas qu'il puisse être reconnu comme tel ; dans le meilleur des cas, dans la psychanalyse, elle reconnait l'inconscient mais n'assume pas en retour le passage à la conscience.
CONSCIENCE, Intersubjectivité, Finitude, Autre, HUSSERL
Husserl attribue - légitimement - au sujet une "conscience constituante" créatrice de sens et capable de reconstruire le savoir, à condition de dépasser l'attitude naturelle par la réduction phénoménologique. Or cette capacité suppose a minima une foi en la raison, héritée de la philosophie grecque. Mais il est illusoire, pour la conscience, de prétendre dépasser la finitude radicale sur la foi de l'intersubjectivité raisonnable - altérité fausse. S'impose, au coeur même de la conscience, la présence d'un Autre absolu capable d'instiller une "conscience de la rupture de la conscience" (Levinas), ce qui ouvre alors la voie vers l'inconscient - altérité vraie.
CONSCIENCE, Entendement, Subjectivité, Sens
Pour le sujet fini, la conscience se manifeste initialement par la reconnaissance de ce qui est objectivement partagé dans son monde. Cependant, la vraie conscience définie comme sens et subjectivité, émerge lorsque le sujet reconstitue un sens objectif à partir de sa propre liberté. C'est la condition pour que lui-même, mais aussi tout autre, puisse "entende" (et comprendre) le sens de ce qui est dit. Ce sens concerne l’existence humaine, dans sa finitude et son autonomie, lorsqu'interviennent les concepts philosophiques : correctement définis et articulés, ils deviennent des règles pour la pensée, à réinstituer à chaque fois par chaque sujet.
CONSCIENCE, Entendement, Autre, Subjectivité
"La conscience se donne au savoir comme entendement... On a ouï (ouïr, d'audire) l'appel de l'Autre, on y a obéi (obéir, d'oboedire, ob-audire), on l'a entendu (au sens de l'entendement — entendre a pris en français le sens d'ouïr, mais en gardant celui de comprendre). C'est la « vocation » en tant qu'elle mène jusqu'au bout de l'œuvre. Et c'est, pour l'œuvre qu'est la philosophie, la formation et l'usage des concepts spéculatifs où la conscience philosophique répond à la parole (appel) de l'Autre en supposant dans ses objets (et en elle-même) la même parole."
JURANVILLE, HUCM, 2017