Dans le discours psychanalytique, l'agent qu'est l'analyste tient la place de l'objet pour amener l'analysant à produite le signifiant paternel, de l'ordre de la lettre. Car du lieu de l'Autre symbolique qu'il occupe alors, celui-ci ne voit plus l'analyste comme l'objet de son fantasme, mais comme la Chose qui l'appelle à sublimer, et justement à inscrire la lettre sur la page blanche symbolisée par l'analyste.
"Le dernier discours fait venir à la place de la vérité le savoir inconscient. Sa thèse, c’est que c’est le savoir qui est signifiant. Mais non pas au sens où il serait le signifiant suprême et l’objet du désir. Le propre du savoir comme savoir « inconscient », c’est en effet d’être un savoir qui ne manque pas et qu’on a déjà, et qui au contraire pose comme signifiant suprême un autre signifiant. Si le savoir inconscient est signifiant pour l’agent de ce discours, ce ne peut être qu’à partir du signifiant suprême, et comme lettre, savoir écrit. Énonçant le savoir inconscient dans son discours, l’agent doit lui-même être pris dans l’écriture et dans la sublimation à quoi il convie l’autre... L’analyste n’est pas simplement l’objet, mais la Chose , et sublimer, pour le sujet, c’est supporter que l’analyste ne soit pas simplement l’objet de son fantasme, c’est « élever l’objet à la dignité de la Chose », en réaccomplissant l’acte créateur par quoi, du lieu de l’Autre symbolique, la lettre est produite sur la page qu’est en l’occurrence l’analyste lui-même. Cette identification imaginaire au père symbolique, propre à la sublimation, ne constitue en elle-même aucune maîtrise."
JURANVILLE, LPH, 1984
DISCOURS PSYCHANALYTIQUE, Individu, Sens, Grâce, LACAN
Seul le discours psychanalytique rompt avec l'effet de fascination qu'exerce structurellement l'agent sur celui auquel il s'adresse. En effet d'une part l'analyste pose explicitement sa propre finitude en se faisant objet-déchet, renonçant à incarner la vérité, le sens ou la raison, d'autre part il pose implicitement l'autre comme étant dépositaire d'une vérité, en lui donnant l'occasion de la déployer progressivement dans la parole. Or ce double mouvement, comme le mentionne Lacan, caractérise la grâce. A l'effet de fascination, se substitue du côté de l'analysant l'effet de sens (conquis dans la traversée du non-sens) comme finalité du discours. Car au bout du compte, c'est bien un savoir que reconstitue l'analysant, un savoir qui donne sens à ses symptômes. Enfin, dans une perspective historique, c'est bien un individu autonome au sein d'une société juste que ce discours psychanalytique, articulé rationnellement, et cette fois adossé à la philosophie, tend à promouvoir. (Même si l'on peut penser que ce "discours de l'individu" a toujours été présent, de façon latente, depuis que la société existe, comme la supportant secrètement, puisqu'il est en soi raison et raison reconnue par l'Autre - le discours psychanalytique n'en serait que la version la plus récente.)
"Comment le discours peut-il réellement mettre en question le rapport de fascination que l’existant établit avec un maître quel qu’il soit ? Et comment peut-il se conformer à son essence de discours qui est de s’ouvrir à l’Autre et de chercher son libre accord avec le savoir rationnel qu’il véhicule ? Il faut que celui qui est en position de fasciner pose sa propre finitude – de façon absolument libre, sans en jouir libidinalement comme le fait celui qui tient le discours hystérico-populaire parce qu’il reste fasciné par le maître auquel il adresse vainement son discours de protestation. Et il faut en même temps qu’il pose celui qui est en position d’être fasciné comme ayant déjà la vérité en lui et devant simplement la laisser venir dans sa parole – ce qui impliquera l’épreuve de la finitude, mais n’a pas à être mentionné d’emblée. Ce double mouvement d’effacement ou dé-position de soi, et d’affirmation de la vérité en l’autre devenant Autre vrai, caractérise la grâce."
JURANVILLE, 2024, PL
"Comment le discours peut-il réellement mettre en question le rapport de fascination que l’existant établit avec un maître quel qu’il soit ? Et comment peut-il se conformer à son essence de discours qui est de s’ouvrir à l’Autre et de chercher son libre accord avec le savoir rationnel qu’il véhicule ? Il faut que celui qui est en position de fasciner pose sa propre finitude – de façon absolument libre, sans en jouir libidinalement comme le fait celui qui tient le discours hystérico-populaire parce qu’il reste fasciné par le maître auquel il adresse vainement son discours de protestation. Et il faut en même temps qu’il pose celui qui est en position d’être fasciné comme ayant déjà la vérité en lui et devant simplement la laisser venir dans sa parole – ce qui impliquera l’épreuve de la finitude, mais n’a pas à être mentionné d’emblée. Ce double mouvement d’effacement ou dé-position de soi, et d’affirmation de la vérité en l’autre devenant Autre vrai, caractérise la grâce."
JURANVILLE, 2024, PL
DISCOURS DU CLERC, Idéologie, Bureaucratie, Justice
Le discours du clerc ordinaire ne s'en tient pas malheureusement à promouvoir l'autonomie par le savoir sous la condition d'une relation authentique à l'Autre absolu, qui tiendrait compte de la finitude. Son référentiel est la totalité déjà là d'un monde où rien de vraiment nouveau ni d'imprévu ne peut survenir. Il met donc son savoir au service des intérêts du Maître, en inventant la bureaucratie, machine à broyer les individus et à effacer tout ce qui pourrait faire "problème". Dévoyé au service de la valeur et non plus dévoué à l'essence, il se transforme en idéologie au lieu de s'assumer comme philosophie. Ce qui impliquerait de vouloir explicitement la justice et donc de laisser une place relative à chacun des discours sociaux, mais il confond la "rédemption" de l'humanité avec le "salut" d'une communauté (préférentielle), au mépris donc de la justice et des individus.
"Cet ordinaire discours clérical, que ce soit sous les figures qu’il prend dans le monde historique et que nous avons présentées avec Weber et Lacan, ou que ce soit sous la figure la plus générale, ne se borne pas à être faux objectivement et théoriquement ; il l’est, comme la dernière référence à Lacan l’a laissé pressentir, subjectivement et pratiquement ; et il l’est en tant qu’idéologie. De l’idéologie, gardons quant à nous, sans entrer en discussion avec Marx, ceci d’abord qu’il s’agit d’un discours qui, comme tel, se fonde sur un principe, mais voulu comme valeur, et non pas comme essence (ainsi que le voudrait la philosophie), et d’un discours qui, à partir de ce principe, justifie tout, et notamment ce qui pourrait faire problème. Et ceci d’autre part que ceux qui mettraient en question ce principe, cette valeur suprême, et la justification qu’à partir de lui on propose, seraient, par le discours idéologique, voués à l’exclusion sacrificielle, rejetés dans les « ténèbres extérieures ». Qu’on pense à l’idéologie du nazisme, avec comme valeur supérieure, le peuple et la race ; à celle du fascisme, avec l’État ; à celle du stalinisme, avec le parti ; à celle du maoïsme, avec les masses. À la place de la rédemption qui eût été le principe subjectif d’un vrai discours du clerc, ce qui apparaît alors comme principe subjectif de l’ordinaire discours du clerc, c’est le salut. De même qu’on avait vu, pour le discours du peuple, venir à la place de la création l’évolution et, pour le discours du maître, venir à la place de la révélation le progrès. Le salut est ainsi le troisième maître mot des conceptions ordinaires et fausses de l’histoire."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT
"Cet ordinaire discours clérical, que ce soit sous les figures qu’il prend dans le monde historique et que nous avons présentées avec Weber et Lacan, ou que ce soit sous la figure la plus générale, ne se borne pas à être faux objectivement et théoriquement ; il l’est, comme la dernière référence à Lacan l’a laissé pressentir, subjectivement et pratiquement ; et il l’est en tant qu’idéologie. De l’idéologie, gardons quant à nous, sans entrer en discussion avec Marx, ceci d’abord qu’il s’agit d’un discours qui, comme tel, se fonde sur un principe, mais voulu comme valeur, et non pas comme essence (ainsi que le voudrait la philosophie), et d’un discours qui, à partir de ce principe, justifie tout, et notamment ce qui pourrait faire problème. Et ceci d’autre part que ceux qui mettraient en question ce principe, cette valeur suprême, et la justification qu’à partir de lui on propose, seraient, par le discours idéologique, voués à l’exclusion sacrificielle, rejetés dans les « ténèbres extérieures ». Qu’on pense à l’idéologie du nazisme, avec comme valeur supérieure, le peuple et la race ; à celle du fascisme, avec l’État ; à celle du stalinisme, avec le parti ; à celle du maoïsme, avec les masses. À la place de la rédemption qui eût été le principe subjectif d’un vrai discours du clerc, ce qui apparaît alors comme principe subjectif de l’ordinaire discours du clerc, c’est le salut. De même qu’on avait vu, pour le discours du peuple, venir à la place de la création l’évolution et, pour le discours du maître, venir à la place de la révélation le progrès. Le salut est ainsi le troisième maître mot des conceptions ordinaires et fausses de l’histoire."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT
DISCOURS DU CLERC, Autonomie, Philosophie, Autre
Le discours du clerc est celui qui, au nom de la vérité, prétend à l'autonomie grâce au savoir, et qui affirme la capacité de chacun à reconstituer ce savoir. Cette autonomie était déjà l'héritage réservé aux prêtres lévites (Deutétonome), et c'était aussi l'ambition première de la philosophie, de sorte qu'il devrait s'appeler "discours philosophico-clérical". Il consiste en une identification sociale, non plus à l’objet (discours empirico-populaire), ni au sujet (discours métaphysico-magistral), mais à l’Autre absolu, puisqu'il vise, en tant que philosophique, à atteindre le savoir de l'existence, soit un savoir qui résulte d'une confrontation avec les contradictions de l'existence. Il correspond au discours universitaire de Lacan, mais cette fois clairement dégagé dans sa dimension historique pleine, comme structure historiale. A ce titre, le discours du clerc se manifeste (c'est son phénomène) comme révolution ; structurellement il est identification - on l'a dit - à l'altérité ; enfin par essence ou en lui-même (c'est son principe subjectif), il est rédemption.
"Des Lévites, le Deutéronome dit ainsi : « Les prêtres lévites, toute la tribu de Lévi, n’auront point de part ni d’héritage avec Israël ; ils vivront des mets offerts à Yahvé et de son patrimoine. Cette tribu n’aura pas d’héritage au milieu de leurs frères ; c’est Yahvé qui sera son héritage, ainsi qu’il le lui a dit. » Position générale qui se distingue et de la position de l’ensemble du peuple et de la position du maître qui possède les richesses et fait travailler. Et l’on peut comprendre que le discours du clerc soit défini comme discours de l’autonomie. Car le discours de l’ensemble du peuple apparaît – dès lors qu’on introduit la question, et donc qu’on se place du point de vue de la philosophie et du savoir vrai qu’elle vise – discours qui, au nom de la finitude, récuse pareille visée. Le discours du maître se présente alors, dans le monde social, comme discours qui a déjà atteint cette visée et qui, au nom de la vérité, ordonne toutes les choses comme elles doivent l’être. Mais le discours du clerc se donne, lui, dans ce monde, comme discours qui, au nom de l’autonomie, dénonce le maître soumettant en fait le peuple à l’ordre de son discours faux, et qui montre dans l’autonomie le principe à partir duquel chacun pourra – c’est son « droit » – réengendrer tout discours comme réellement, et non plus formellement, vrai."
"Des Lévites, le Deutéronome dit ainsi : « Les prêtres lévites, toute la tribu de Lévi, n’auront point de part ni d’héritage avec Israël ; ils vivront des mets offerts à Yahvé et de son patrimoine. Cette tribu n’aura pas d’héritage au milieu de leurs frères ; c’est Yahvé qui sera son héritage, ainsi qu’il le lui a dit. » Position générale qui se distingue et de la position de l’ensemble du peuple et de la position du maître qui possède les richesses et fait travailler. Et l’on peut comprendre que le discours du clerc soit défini comme discours de l’autonomie. Car le discours de l’ensemble du peuple apparaît – dès lors qu’on introduit la question, et donc qu’on se place du point de vue de la philosophie et du savoir vrai qu’elle vise – discours qui, au nom de la finitude, récuse pareille visée. Le discours du maître se présente alors, dans le monde social, comme discours qui a déjà atteint cette visée et qui, au nom de la vérité, ordonne toutes les choses comme elles doivent l’être. Mais le discours du clerc se donne, lui, dans ce monde, comme discours qui, au nom de l’autonomie, dénonce le maître soumettant en fait le peuple à l’ordre de son discours faux, et qui montre dans l’autonomie le principe à partir duquel chacun pourra – c’est son « droit » – réengendrer tout discours comme réellement, et non plus formellement, vrai."
JURANVILLE, 2007, EVENEMENT
DISCOURS DE L'HYSTERIQUE, Science, Savoir, Transfert, LACAN
Le discours dit "de hystérique" par Lacan est tenu par le sujet barré, désirant, mais il est causé par l'objet "a" placé en dessous, refoulé, en position de vérité. Il s'adresse au maître et à son supposé savoir, afin qu'il le mette à l'épreuve et l'augmente toujours plus. Ce (désir de) savoir qui laisse son sujet derrière lui, qui forclos le Nom-du-Père, qui se poursuit indéfiniment sans rien produire de significatif, est typiquement celui de la science (« Si paradoxale qu’en soit l’assertion, dit Lacan, la science prend son élan du discours de l’hystérique ») ; mais c'est aussi celui que cherche à produite le transfert comme résistance à l'analyse, puisque que pour l'analysant, le lieu véritable de ce savoir, ou la vérité de ce savoir, n'est rien d'autre que son symptôme (précisément ignoré par la science).
"Pour Lacan, c’est le désir de savoir qui institue le discours de l’hystérique, mais c’est jouer le jeu de l’hystérique d’entrer dans le mythe d’un désir de savoir (et Lacan a bien montré que le complexe d’Œdipe, et au-delà tout le mythe d’Œdipe qui désire savoir, est une production hystérique). Dans Encore, il précise qu’« il n’y a pas de désir de savoir, ce fameux Wissentrieb que quelque part pointe Freud ». Conséquence nécessaire de l’idée de l’inconscient : le savoir est là, suffisant, et ce n’est pas parce que quelque chose « échappe » au savoir, le savoir lui-même, que le savoir manque de rien – ce qui compte, c’est la manière dont l’homme se rapporte à son savoir ; le poser dans l’écriture comme écriture parlante est la sublimation même. Le discours universitaire ne fait pas accéder l’autre au savoir écrit, à la lettre dont il est le gardien, mais c’est un vrai savoir ; le discours de l’hystérique fait advenir en tout autre le savoir comme savoir écrit, en ce sens le savoir se communique, on n’a pas à passer par de « dures expériences » dans la solitude pour le produire, mais il est tronçon de savoir, savoir essentiellement inaccompli."
JURANVILLE, LPH, 1984
"Pour Lacan, c’est le désir de savoir qui institue le discours de l’hystérique, mais c’est jouer le jeu de l’hystérique d’entrer dans le mythe d’un désir de savoir (et Lacan a bien montré que le complexe d’Œdipe, et au-delà tout le mythe d’Œdipe qui désire savoir, est une production hystérique). Dans Encore, il précise qu’« il n’y a pas de désir de savoir, ce fameux Wissentrieb que quelque part pointe Freud ». Conséquence nécessaire de l’idée de l’inconscient : le savoir est là, suffisant, et ce n’est pas parce que quelque chose « échappe » au savoir, le savoir lui-même, que le savoir manque de rien – ce qui compte, c’est la manière dont l’homme se rapporte à son savoir ; le poser dans l’écriture comme écriture parlante est la sublimation même. Le discours universitaire ne fait pas accéder l’autre au savoir écrit, à la lettre dont il est le gardien, mais c’est un vrai savoir ; le discours de l’hystérique fait advenir en tout autre le savoir comme savoir écrit, en ce sens le savoir se communique, on n’a pas à passer par de « dures expériences » dans la solitude pour le produire, mais il est tronçon de savoir, savoir essentiellement inaccompli."
JURANVILLE, LPH, 1984
METAPHORE, Signifiance, Finitude, Signification
En soi, le langage est signifiance produisant la signification. Mais, du point de vue de l'existence, du fait de la finitude, la signifiance est toujours perdue, refusée ; et c'est justement l'efficience de la métaphore, en tant qu'elle est à la fois sens et non sens, donc épreuve de la finitude, de réactiver la signifiance. Formellement, elle consiste à substituer un signifiant à un autre signifiant, mais avec cet effet d'accentuation caractéristique qui confère au second terme une signifiance nouvelle et pleine. Après le travail de substitution et d'accentuation, le processus métaphorique s'achève sur une identification, le nom ayant retrouvé sa puissance créatrice de verbe, et la signification peut enfin être produire. (Si toutes les langues peuvent produire et déployer la signification essentielle, comme la visée commune de l'humanité, c'est justement au moyen - et seulement par ce moyen - de la métaphore.)
"Dans le cadre de l’affirmation non seulement de l’existence, mais, en plus, de l’inconscient, nous aussi, comme Rosenzweig, Heidegger et Benjamin, proclamons le caractère essentiel de la langue. Mais en le posant comme tel, dans la métaphore. Et nous conclurons sur la justification possible, par le savoir philosophique, d’une fin de l’histoire, toutes les langues ayant libéré en elles le pouvoir de déployer la signification essentielle et de la poser comme telle dans le savoir. Car le langage est, en soi, signifiance produisant une signification. Mais le propre de la finitude de l’humain, c’est que cette signifiance est toujours d’abord perdue et qu’elle ne peut revenir comme vraie que si l’on part de la non-signifiance. De là le fait que le principe réel (c’est-à-dire tenant compte de la finitude) soit pour le pur langage la métaphore (qui est non-signifiance et signifiance). Benjamin avait dit du pur langage que son « essence la plus intime » est le nom et qu’il est à la fois « ce qui crée et ce qui achève, verbe et nom. » La métaphore justement permet d’éclairer ce propos. Tous les éléments du langage peuvent être considérés comme des noms, avait dit saint Augustin dans "Le maître". C’est vrai « au repos », et quand il n’y a pas d’acte véritable de langage. Mais, lors d’un tel acte, primordialement lors d’une métaphore, le nom retrouve la puissance de verbe qu’il avait perdue et redevient nom véritable, créateur."
JURANVILLE, 2017, HUCM
"Dans le cadre de l’affirmation non seulement de l’existence, mais, en plus, de l’inconscient, nous aussi, comme Rosenzweig, Heidegger et Benjamin, proclamons le caractère essentiel de la langue. Mais en le posant comme tel, dans la métaphore. Et nous conclurons sur la justification possible, par le savoir philosophique, d’une fin de l’histoire, toutes les langues ayant libéré en elles le pouvoir de déployer la signification essentielle et de la poser comme telle dans le savoir. Car le langage est, en soi, signifiance produisant une signification. Mais le propre de la finitude de l’humain, c’est que cette signifiance est toujours d’abord perdue et qu’elle ne peut revenir comme vraie que si l’on part de la non-signifiance. De là le fait que le principe réel (c’est-à-dire tenant compte de la finitude) soit pour le pur langage la métaphore (qui est non-signifiance et signifiance). Benjamin avait dit du pur langage que son « essence la plus intime » est le nom et qu’il est à la fois « ce qui crée et ce qui achève, verbe et nom. » La métaphore justement permet d’éclairer ce propos. Tous les éléments du langage peuvent être considérés comme des noms, avait dit saint Augustin dans "Le maître". C’est vrai « au repos », et quand il n’y a pas d’acte véritable de langage. Mais, lors d’un tel acte, primordialement lors d’une métaphore, le nom retrouve la puissance de verbe qu’il avait perdue et redevient nom véritable, créateur."
JURANVILLE, 2017, HUCM
REVELATION, Autre, Métaphore, Grâce
Le sens général de la Révélation juive est l'ouverture à l'Autre, Autre reçu dans sa puissance créatrice, de même que l'homme a été créé par Dieu comme son Autre, par métaphore, à son image. Le secret de tout être est cette altérité constitutive, accordée par la grâce de Dieu, qui est appel à se signifier par le langage, à s'identifier métaphoriquement à l'Autre, et finalement à poursuivre la création. Si la philosophie grecque, dans sa visée épistémique, s'est centrée plutôt sur l'Etre (l'Autre s'identifiant à l'Etre), elle n'est pas quitte de sa relation essentielle à l'Autre, le philosophe dispensant sa grâce lui aussi, implicitement, à son interlocuteur (Socrate faisant de l'esclave son alter ego en intelligence).
"Que, pour le dégagement, en toute langue, de la signification essentielle en question et pour la libération du principe créateur de cette signification, la rupture par la Révélation religieuse et, de là, par l’avènement de la philosophie soit décisive, nous l’avons souvent dit. La Révélation appelle à dépasser le rejet de l’Autre, de l’autre homme, la violence sacrificielle exercée contre lui et, bien au contraire, à espérer cet Autre, à l’accueillir et à l’aimer dans la puissance créatrice qu’il a comme Autre... La portée majeure accordée par la Révélation, à la différence de ce qu’on peut voir dans la philosophie grecque, au langage, serait le signe de la mise au premier plan de la relation à l’Autre en général. Mais, si la pensée biblique peut être opposée, en cela, à la lettre de la philosophie grecque, cela ne vaut, selon nous, que pour la thématisation que la philosophie propose (et doit proposer) à son commencement. La grâce (avec l’élection) est par elle en fait présupposée dans la relation de Socrate avec ses interlocuteurs, et elle deviendra l’un des thèmes majeurs de la philosophie contemporaine. Trigano ("L’Hébreu, une philosophie") note à juste titre l’identification, dans la Bible (et elle serait également fondatrice pour la philosophie), de Dieu et de l’être. Il parle du « coup de force philosophique qui fonde la pensée juive : le radical du verbe être (HVH) [donnant] le nom divin YHVH, qui est une forme (erratique) de la conjugaison du verbe être."
JURANVILLE, 2017, HUCM
"Que, pour le dégagement, en toute langue, de la signification essentielle en question et pour la libération du principe créateur de cette signification, la rupture par la Révélation religieuse et, de là, par l’avènement de la philosophie soit décisive, nous l’avons souvent dit. La Révélation appelle à dépasser le rejet de l’Autre, de l’autre homme, la violence sacrificielle exercée contre lui et, bien au contraire, à espérer cet Autre, à l’accueillir et à l’aimer dans la puissance créatrice qu’il a comme Autre... La portée majeure accordée par la Révélation, à la différence de ce qu’on peut voir dans la philosophie grecque, au langage, serait le signe de la mise au premier plan de la relation à l’Autre en général. Mais, si la pensée biblique peut être opposée, en cela, à la lettre de la philosophie grecque, cela ne vaut, selon nous, que pour la thématisation que la philosophie propose (et doit proposer) à son commencement. La grâce (avec l’élection) est par elle en fait présupposée dans la relation de Socrate avec ses interlocuteurs, et elle deviendra l’un des thèmes majeurs de la philosophie contemporaine. Trigano ("L’Hébreu, une philosophie") note à juste titre l’identification, dans la Bible (et elle serait également fondatrice pour la philosophie), de Dieu et de l’être. Il parle du « coup de force philosophique qui fonde la pensée juive : le radical du verbe être (HVH) [donnant] le nom divin YHVH, qui est une forme (erratique) de la conjugaison du verbe être."
JURANVILLE, 2017, HUCM
METAPHORE, Signifiance, Mythe, Nom-du-Père, LACAN
Parce que dans son principe elle conjoint signifiance et non-signifiance, la métaphore représente la possibilité la plus générale de résoudre une contradiction. En insufflant une altérité essentielle. Par exemple la métaphore du Nom-du-Père, inventée par la mère, permet à l'enfant de réorienter son désir en l'articulant à la loi du père, le père symbolique devenant signifiant, effaçant la loi de la mère. Chaque histoire gagne ainsi en objectivité, chaque mythe individuel peut se déployer et prendre sens, grâce aux métaphores qui sont appelées à être recrées, jusqu'à la constitution finale, quaternaire, de l'oeuvre.
"La métaphore est ainsi l’altérité absolue du mythe et son essence. Ce qui, le créant et le recréant, lui donne sa structure fondamentale quaternaire. La pensée qui n’affirme que l’existence ne lui donne guère de place : pour Heidegger, qui ne l’envisage que comme figure évoquant l’intelligible en nommant le sensible, « la métaphore n’existe qu’à l’intérieur des frontières de la métaphysique ». Déjà certes Lévinas lui accorde une place majeure (dans la « signifiance-de-l’un-pour-l’autre »). Mais c’est la pensée de l’inconscient, nommément Lacan, qui la reconnaît comme principe, notamment à travers la métaphore existentiellement originelle qu’est la métaphore du Nom-du-Père, « soit la métaphore qui substitue ce Nom à la place premièrement symbolisée par l’opération de l’absence de la mère » (E, 557). La mère produit par une création cette métaphore : aux yeux de l’enfant, elle s’efface comme l’objet absolu, absolument signifiant qu’elle a été, et pose comme dorénavant suprêmement signifiant le père, non pas le père réel, mais le Nom du père, le père symbolique. Ce qui pourrait être interprété par l’analogie : la mère serait d’abord pour l’enfant ce que le père symbolique serait pour le père réel. Mais ce qui peut se comprendre dans la perspective de la création : la mère aurait créé cette métaphore ; le père réel et l’enfant à leur tour, pour être à la hauteur de leur nom, auraient à la recréer. Là serait ce à partir de quoi le mythe est déployé."
JURANVILLE, 2017, HUCM
"La métaphore est ainsi l’altérité absolue du mythe et son essence. Ce qui, le créant et le recréant, lui donne sa structure fondamentale quaternaire. La pensée qui n’affirme que l’existence ne lui donne guère de place : pour Heidegger, qui ne l’envisage que comme figure évoquant l’intelligible en nommant le sensible, « la métaphore n’existe qu’à l’intérieur des frontières de la métaphysique ». Déjà certes Lévinas lui accorde une place majeure (dans la « signifiance-de-l’un-pour-l’autre »). Mais c’est la pensée de l’inconscient, nommément Lacan, qui la reconnaît comme principe, notamment à travers la métaphore existentiellement originelle qu’est la métaphore du Nom-du-Père, « soit la métaphore qui substitue ce Nom à la place premièrement symbolisée par l’opération de l’absence de la mère » (E, 557). La mère produit par une création cette métaphore : aux yeux de l’enfant, elle s’efface comme l’objet absolu, absolument signifiant qu’elle a été, et pose comme dorénavant suprêmement signifiant le père, non pas le père réel, mais le Nom du père, le père symbolique. Ce qui pourrait être interprété par l’analogie : la mère serait d’abord pour l’enfant ce que le père symbolique serait pour le père réel. Mais ce qui peut se comprendre dans la perspective de la création : la mère aurait créé cette métaphore ; le père réel et l’enfant à leur tour, pour être à la hauteur de leur nom, auraient à la recréer. Là serait ce à partir de quoi le mythe est déployé."
JURANVILLE, 2017, HUCM
METAPHORE, Etre, Concept, Raison
Une fois admis que le principe créateur du langage philosophique est l'essence, on montre que ce langage se déploie selon trois métaphores. La première est la métaphore de l'être, sur le fond d'une équivocité entre le verbe (être) et le nom (étant), le premier se substituant au second dans l'opération. La seconde est la métaphore du concept, qui permet de passer du sens ordinaire des termes à leur usage spéculatif, et donc de déployer richement le langage philosophique. La troisième est la métaphore de la raison, car il faut toujours justifier le concept en posant une dualité qui le définit ; de sorte qu'en ouvrant le concept à la contradiction, en enchainant et en résolvant toutes les contradictions, se constitue le savoir philosophique.
"D’abord la métaphore de l’être, où l’être (comme verbe) se substitue à l’étant (comme nom qui a perdu sa signifiance originelle). En tout ce qui est, on suppose alors la présence active du principe (du verbe) créateur. C’est cette « équivocité » qu’Adorno présentait, négativement à tort, comme « ontologisation de l’ontique », arrêt à l’étant en tant qu’il est illusoirement élevé à l’absolu comme être. C’est cette même équivocité que Heidegger avait soulignée dans l’ἐὸν grec, nom et verbe, parce que participe. Ensuite, pour le déploiement du langage philosophique, la métaphore du concept, où l’usage philosophique du terme devenant concept se substitue à l’usage ordinaire du langage (de quelqu’un qui travaille à son bureau, on peut dire ainsi : Non, il ne travaille pas, il joue – et diriger, ce disant, vers le concept philosophique, spéculatif, « psychologique », dirait Wittgenstein). Le principe créateur (l’essence) est alors posé, sur son mode particulier (ici le jeu), par le concept. Enfin la métaphore de la raison, où la dualité qui le définit se substitue au concept menacé de perdre sa signifiance et de retomber dans l’usage ordinaire. Par cette dernière métaphore, le langage de la pensée philosophique devient celui du savoir philosophique."
JURANVILLE, 2017, HUCM
"D’abord la métaphore de l’être, où l’être (comme verbe) se substitue à l’étant (comme nom qui a perdu sa signifiance originelle). En tout ce qui est, on suppose alors la présence active du principe (du verbe) créateur. C’est cette « équivocité » qu’Adorno présentait, négativement à tort, comme « ontologisation de l’ontique », arrêt à l’étant en tant qu’il est illusoirement élevé à l’absolu comme être. C’est cette même équivocité que Heidegger avait soulignée dans l’ἐὸν grec, nom et verbe, parce que participe. Ensuite, pour le déploiement du langage philosophique, la métaphore du concept, où l’usage philosophique du terme devenant concept se substitue à l’usage ordinaire du langage (de quelqu’un qui travaille à son bureau, on peut dire ainsi : Non, il ne travaille pas, il joue – et diriger, ce disant, vers le concept philosophique, spéculatif, « psychologique », dirait Wittgenstein). Le principe créateur (l’essence) est alors posé, sur son mode particulier (ici le jeu), par le concept. Enfin la métaphore de la raison, où la dualité qui le définit se substitue au concept menacé de perdre sa signifiance et de retomber dans l’usage ordinaire. Par cette dernière métaphore, le langage de la pensée philosophique devient celui du savoir philosophique."
JURANVILLE, 2017, HUCM
METAPHORE, Philosophie, Essence, Etre, HEIDEGGER
Le propre du langage philosophique est de parvenir à nommer l'essence des choses, ce qui revient à répéter l'acte créateur de l'Autre absolu en posant cette fois la Chose dans son unité, ce qui est précisément la définition de l'essence. Le procédé linguistique qui permet d'envisager l'essence est la métaphore ; c'est donc de métaphores que le langage philosophique se nourrit, à commencer par la métaphore de l'être par laquelle le verbe (être) se substitut au nom (étant), et ceci potentiellement dans toutes les langues - quelques soient les nuances sémantiques locales pouvant affecter ce terme d'être, son caractère essentiel, foncièrement indéterminé, demeure.
"Par [la métaphore] on quitte le plan où les réalités dépendent les unes des autres et n’ont pas d’unité en elles-mêmes. Et on passe sur le plan de l’essence qui est la position de la Chose dans son unité – position qui n’est autre que l’acte créateur originel de l’Autre absolu ; sur le plan de l’essence qui est le présupposé constitutif du langage philosophique tel qu’il est établi depuis Socrate (il y a, dit-il, une essence des choses – à confirmer certes, dans le dialogue, mais elle est présupposée)... Soulignons que ces métaphores constitutives du langage philosophique peuvent être instituées en toutes langues. Certes à partir d’un terme dont la signification sera devenue indéterminée, et renverra simplement au fait d’être signifiée, dans le langage humain et, primordialement, dans le langage en général, dans la parole de l’Autre absolu. Cette signification aura à être reconnue comme celle de l’essence – à la suite de quoi viendront d’abord le terme d’être, puis tous les concepts philosophiques. Elle est au moins implicite en toute langue. Heidegger le note à propos de l’être (sinon directement de l’essence) : « Supposons qu’il n’y ait pas cette signification indéterminée d’“être”, et que nous ne comprenions pas non plus ce que ce signifier veut dire. Qu’y aurait-il alors ? Seulement un nom et un verbe en moins dans cette langue ? Non. Dans ce cas il n’y aurait pas de langue »."
JURANVILLE, 2017, HUCM
"Par [la métaphore] on quitte le plan où les réalités dépendent les unes des autres et n’ont pas d’unité en elles-mêmes. Et on passe sur le plan de l’essence qui est la position de la Chose dans son unité – position qui n’est autre que l’acte créateur originel de l’Autre absolu ; sur le plan de l’essence qui est le présupposé constitutif du langage philosophique tel qu’il est établi depuis Socrate (il y a, dit-il, une essence des choses – à confirmer certes, dans le dialogue, mais elle est présupposée)... Soulignons que ces métaphores constitutives du langage philosophique peuvent être instituées en toutes langues. Certes à partir d’un terme dont la signification sera devenue indéterminée, et renverra simplement au fait d’être signifiée, dans le langage humain et, primordialement, dans le langage en général, dans la parole de l’Autre absolu. Cette signification aura à être reconnue comme celle de l’essence – à la suite de quoi viendront d’abord le terme d’être, puis tous les concepts philosophiques. Elle est au moins implicite en toute langue. Heidegger le note à propos de l’être (sinon directement de l’essence) : « Supposons qu’il n’y ait pas cette signification indéterminée d’“être”, et que nous ne comprenions pas non plus ce que ce signifier veut dire. Qu’y aurait-il alors ? Seulement un nom et un verbe en moins dans cette langue ? Non. Dans ce cas il n’y aurait pas de langue »."
JURANVILLE, 2017, HUCM
METAPHORE, Nom-du-Père, Désir, Phallus, LACAN
Pourquoi la métaphore du Nom-du-Père est-elle la métaphore fondamentale, le modèle de toute métaphore ? Il faut comprendre que la métaphore, par la substitution d'un signifiant à un autre, produit un signifié qui se révèle être le même pour toute métaphore, à savoir le signifié du signifiant en général. Quel est-il ? Le passage du signifiant dans le signifié caractérise proprement le désir : un sens nouveau vient d'être créé, l'accès à la signification est désormais ouvert ; or ceci est précisément lié à la fonction paternelle en tant que le père est nommé (Nom-du-Père) par la mère, dont le désir est le grand inconnu initial, en tout cas pour l'enfant. C'est pourquoi ce signifié (le désir) ne peut être représenté que par ce signifiant spécial qu'est le Phallus - présent, par conséquent, en toute métaphore - qui, tout en restant également l'objet du désir de la mère, devient le signifiant propre du désir de l'enfant.
"Il s’agit donc qu’ici apparaisse ce que Lacan a appelé « la signification du phallus ». Le premier signifiant, pour celui qu’on désigne comme le sujet, c’est la mère comme désirante, le désir de la mère. Mais « che vuole ? », que veut-elle ? A cette question, la réponse doit être apportée par la métaphore paternelle justement. Si la mère désire le père comme l’enfant désire la mère (et c’est ce désir qui fait du désir de la mère un signifiant), cela ne signifie pas autre chose d’abord sinon que c’est ce qui manque à la mère et que le père « possède », qui devient le signifiant effectif du désir de l’enfant. Soit le phallus. Le phallus est donc « signifié au sujet »... Le fait que le désir et la signification du phallus soient signifiés en même temps conduit à lier métaphore paternelle et castration (puisque l’homme, qui « n’est pas sans l’avoir », doit pour désirer aussi, s’en trouver séparé). Et c’est là que l’autre figure essentielle de la pensée inconsciente, la métonymie, prend sa place, qui consiste dans le remplacement d’un signifiant de la chaîne par l’autre qui s’y articule, soit finalement le phallus. »"
JURANVILLE, 1984, LPH
JURANVILLE, 1984, LPH
METAPHORE, Signifiant, Signifié, Substitution, LACAN
Partons de ceci que la métaphore se définit comme la substitution d'un signifiant à un autre signifiant, en tant que tous deux sont parties prenantes d'une chaine signifiante et non parce que leurs signifiés seraient liés a priori ; d'autant moins que c'est justement l'opération métaphorique qui engendre la signification. Il n'y a de signifié, même "originel", qu'en fonction d'un rapport entre deux signifiants, notés S et $' par Lacan. Dans la métaphore, c'est en se substituant à $, dont le signifié est noté x (inconnu à ce stade) [$'/x], que S se voit d'abord doté d'un signifié équivalent au signifiant $' [S/$'] - ce qui est logique puisqu'il va se substituer à lui, donc dans un premier temps le représenter - avant que l'opération métaphorique ne fasse émerger un signifié nouveau, noté s par Lacan, prenant place maintenant sous S [S(1/s]. D'où la formule complète de la métaphore : S/$'.$'/x > S(1/s.
"La pensée inconsciente, on sait que Lacan la caractérise dans ses processus par les figures rhétoriques de la métaphore et de la métonymie. Mais c’est de la métaphore qu’il convient de s’occuper, parce que c’est elle qui met en place la pensée inconsciente. En effet pour Lacan, c’est par la métaphore que s’effectue l’émergence du signifié. Lacan, « la métaphore est radicalement l’effet de la substitution d’un signifiant à un autre dans une chaîne, sans que rien de naturel ne le prédestine à cette fonction de phore, sinon qu’il s’agit de deux signifiants, comme tels réductibles à une opposition phonématique » - qui entend le vers de « Booz endormi » y cherche et en cherche la signification. Lacan écrit à ce propos : « C’est dans la substitution du signifiant au signifiant que se produit un effet de signification qui est de poésie ou de création, autrement dit d’avènement de la signification en question ». "
JURANVILLE, 1984, LPH
"La pensée inconsciente, on sait que Lacan la caractérise dans ses processus par les figures rhétoriques de la métaphore et de la métonymie. Mais c’est de la métaphore qu’il convient de s’occuper, parce que c’est elle qui met en place la pensée inconsciente. En effet pour Lacan, c’est par la métaphore que s’effectue l’émergence du signifié. Lacan, « la métaphore est radicalement l’effet de la substitution d’un signifiant à un autre dans une chaîne, sans que rien de naturel ne le prédestine à cette fonction de phore, sinon qu’il s’agit de deux signifiants, comme tels réductibles à une opposition phonématique » - qui entend le vers de « Booz endormi » y cherche et en cherche la signification. Lacan écrit à ce propos : « C’est dans la substitution du signifiant au signifiant que se produit un effet de signification qui est de poésie ou de création, autrement dit d’avènement de la signification en question ». "
JURANVILLE, 1984, LPH
METAPHORE, Existence, Analogie, Métaphysique, HEIDEGGER
Une philosophie ignorant l'existence essentielle (et la finitude qui la caractérise) ne peut qu'ignorer également la métaphore (comme identification à l'Autre), la réduire à une figure simple comme l'analogie ou la comparaison, pour finalement ramener tout sujet au Même, dans une temporalité homogène qui est aussi négation du temps. C'est le cas des rhétoriciens (comme Fontanier) qui n'y voient que procédé formel, des métaphysiciens qui ne sortent guère de l'axe analogique sensible-intelligible (cf. la critique de Heidegger), des scientifiques qui la réduisent à une association non essentielle tout en la parant de vertus illustratives et pédagogiques.
"Mais, quel que soit l’effet d’éclairement surprenant, d’étrangeté, de surprise que la métaphore comme analogie puisse susciter, elle ne laisse de renvoyer, partant d’un élément concret donné dans l’expérience, à un au-delà qui n’est pas un Autre vrai, à une identité et signification anticipative, hors temps. Exemple par excellence, celui de l’Allégorie de la caverne au livre VII de La République de Platon, où l’au-delà est celui du Bien par rapport au soleil, le soleil étant l’analogue sur le plan physique, par son action éclairante et fécondante, du Bien sur le plan métaphysique. De là ce qu’il y a de tout à fait légitime dans la critique de Heidegger contre la métaphore: « Le métaphorique n’existe qu’à l’intérieur de la métaphysique » – celle-ci caractérisée par la « séparation du sensible et du suprasensible comme de deux domaines subsistant chacun pour soi. » À quoi Heidegger oppose la vérité originelle des noms: « Puisque notre entendre et notre voir ne sont jamais une simple réception par les sens, il ne convient pas non plus d’affirmer que l’interprétation de la pensée comme saisie par l’ouïe et le regard ne représente qu’une métaphore. » Nous entendons par tout notre être une sonate de Beethoven, et non pas par nos oreilles une suite de sons (« C’est nous qui entendons, et non l’oreille. »), nous voyons de même un tableau de Van Gogh, et non pas par nos yeux telles taches de couleur. Sauf que la métaphore ne se réduit pas forcément à l’analogie. Et que le propre de l’homme, c’est que la vérité originelle des noms, par et pour lui, est d’abord perdue et doit être reconstituée."
JURANVILLE, 2024, PL
"Mais, quel que soit l’effet d’éclairement surprenant, d’étrangeté, de surprise que la métaphore comme analogie puisse susciter, elle ne laisse de renvoyer, partant d’un élément concret donné dans l’expérience, à un au-delà qui n’est pas un Autre vrai, à une identité et signification anticipative, hors temps. Exemple par excellence, celui de l’Allégorie de la caverne au livre VII de La République de Platon, où l’au-delà est celui du Bien par rapport au soleil, le soleil étant l’analogue sur le plan physique, par son action éclairante et fécondante, du Bien sur le plan métaphysique. De là ce qu’il y a de tout à fait légitime dans la critique de Heidegger contre la métaphore: « Le métaphorique n’existe qu’à l’intérieur de la métaphysique » – celle-ci caractérisée par la « séparation du sensible et du suprasensible comme de deux domaines subsistant chacun pour soi. » À quoi Heidegger oppose la vérité originelle des noms: « Puisque notre entendre et notre voir ne sont jamais une simple réception par les sens, il ne convient pas non plus d’affirmer que l’interprétation de la pensée comme saisie par l’ouïe et le regard ne représente qu’une métaphore. » Nous entendons par tout notre être une sonate de Beethoven, et non pas par nos oreilles une suite de sons (« C’est nous qui entendons, et non l’oreille. »), nous voyons de même un tableau de Van Gogh, et non pas par nos yeux telles taches de couleur. Sauf que la métaphore ne se réduit pas forcément à l’analogie. Et que le propre de l’homme, c’est que la vérité originelle des noms, par et pour lui, est d’abord perdue et doit être reconstituée."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Identité, Signifiance, Nom, LEVINAS
La métaphore promeut la signifiance d'un terme substitué à un autre (renvoyé provisoirement à la non-signifiance), dont il est maintenant l'Autre vrai, porteur d'une nouvelle identité. Levinas évoque un tel effacement du sujet devant Autrui dont il est responsable : ce n'est rien d'autre qu'une substitution signifiante (métaphore) d'Autrui à moi et une identification de moi à Autrui, mais bien au niveau du dire (signifiance au sens plein - c'est pourquoi il y a obligation, éthique) et non à celui du dit (simple renvoi réciproque, égalitaire, non éthique). Or le premier terme (ou sujet) subissant la substitution ne disparait pas, il est amené à se reconstituer au contraire (après avoir subi jusqu'au bout l'épreuve du non-sens et de la contradiction) par la grâce de cet Autre qui, après l'avoir changé, lui dispense les conditions pour se signifier à nouveau lui-même, c'est-à-dire finalement retrouver la puissance créatrice du nom au moyen de nouvelles métaphores.
"Pourquoi donner une place absolument décisive à la métaphore dans un ouvrage intitulé: Philosophie et langage ? Parce que l’existant a été infidèle (c’est son péché originel, dit Benjamin) à la puissance créatrice du nom; parce que pèse dorénavant sur lui l’exigence de la restaurer effectivement, de reconstituer comme nouvelle l’identité et consistance originelle ; et parce que cette identité pourra alors être principe du savoir philosophique. Or la métaphore permet une telle restauration et reconstitution. Car elle est substitution d’un terme (nom) posé comme pleinement signifiant, lieu d’identité et consistance pleine, à un autre effacé au contraire, renvoyé dans la non-signifiance – le terme effacé ayant à faire jusqu’au bout l’épreuve de sa non-signifiance, jusqu’à se reconstituer comme pleinement signifiant lui aussi. Car l’identité supposée du terme qui subit la substitution est effacée, vidée, réduite à néant par rapport au terme qui lui est substitué et qui est en position d’Autre vrai, lieu par excellence de la vérité, de la signifiance, de l’identité et consistance : la générosité de Booz, trop humain, n’est rien par rapport à celle de la gerbe mythique qui se déploie et s’offre sans réserve... La métaphore peut donc être présentée comme conduisant à l’élaboration d’une identité nouvelle, par identification à l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL
"Pourquoi donner une place absolument décisive à la métaphore dans un ouvrage intitulé: Philosophie et langage ? Parce que l’existant a été infidèle (c’est son péché originel, dit Benjamin) à la puissance créatrice du nom; parce que pèse dorénavant sur lui l’exigence de la restaurer effectivement, de reconstituer comme nouvelle l’identité et consistance originelle ; et parce que cette identité pourra alors être principe du savoir philosophique. Or la métaphore permet une telle restauration et reconstitution. Car elle est substitution d’un terme (nom) posé comme pleinement signifiant, lieu d’identité et consistance pleine, à un autre effacé au contraire, renvoyé dans la non-signifiance – le terme effacé ayant à faire jusqu’au bout l’épreuve de sa non-signifiance, jusqu’à se reconstituer comme pleinement signifiant lui aussi. Car l’identité supposée du terme qui subit la substitution est effacée, vidée, réduite à néant par rapport au terme qui lui est substitué et qui est en position d’Autre vrai, lieu par excellence de la vérité, de la signifiance, de l’identité et consistance : la générosité de Booz, trop humain, n’est rien par rapport à celle de la gerbe mythique qui se déploie et s’offre sans réserve... La métaphore peut donc être présentée comme conduisant à l’élaboration d’une identité nouvelle, par identification à l’Autre."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Philosophie, Création, Nom
Eminemment, la métaphore est à l'oeuvre dans le déploiement du savoir philosophique en tant qu'il doit être vécu comme épreuve, affrontement à la finitude, et finalement reconstitution du principe créateur (que la finitude nous conduit précisément à fuir) contenu initialement dans le nom : d'abord métaphore de l'être (signant l'entrée dans le discours philosophique comme tel), puis métaphore du concept (structurant ce savoir en propositions), enfin métaphore de la raison (organisant le savoir en système).
"Toujours semblable structuralement à la métaphore première qui est celle du nom, la métaphore intervient, pour le savoir philosophique, d’abord comme métaphore de l’être, par quoi on entre dans le langage (discours) de la philosophie, de son savoir ; ensuite comme métaphore du concept, par quoi on énonce les propositions de ce savoir ; enfin comme métaphore de la raison, par quoi on établit le système de ce savoir. Encore faut-il que la métaphore ait conduit effectivement à l’épreuve de toute la finitude, que l’identification entre le terme qui a subi la substitution et celui qui lui a été substitué ne se fasse que par cette épreuve – et alors l’identité sur laquelle on débouche sera véritable."
JURANVILLE, 2024, PL
"Toujours semblable structuralement à la métaphore première qui est celle du nom, la métaphore intervient, pour le savoir philosophique, d’abord comme métaphore de l’être, par quoi on entre dans le langage (discours) de la philosophie, de son savoir ; ensuite comme métaphore du concept, par quoi on énonce les propositions de ce savoir ; enfin comme métaphore de la raison, par quoi on établit le système de ce savoir. Encore faut-il que la métaphore ait conduit effectivement à l’épreuve de toute la finitude, que l’identification entre le terme qui a subi la substitution et celui qui lui a été substitué ne se fasse que par cette épreuve – et alors l’identité sur laquelle on débouche sera véritable."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Identification, Substitution, Autre
Toute métaphore, basée sur la substitution d'un signifiant à un autre signifiant, est dans son principe identification à l'Autre (ce n'est pas une analogie, ni une comparaison). Elle fait jaillir le sens de la traversée du non-sens (voire du "plus grand disparate" comme chez les surréalistes) ; elle correspond, sur le plan logique, à une contradiction résolue. Dans la vie subjective l'identification métaphorique est toujours un parcours, un processus d'écriture (ou plutôt de réécritures, d'imitations successives) faisant apparaître plusieurs Autres (ainsi les trois modes d'identification chez Freud, reprises par Lacan).
"Dès qu’on pousse l’affirmation de l’existence jusqu’au bout, dès qu’on affirme l’inconscient, l’identification devient identification à l’Autre et prend une portée tout à fait majeure. Elle n’est plus dégagement d’une identité intemporelle commune (celle de la fin pour le jour et la vie, avec le soir et la vieillesse), mais la constitution, par l’épreuve de la contradiction et finitude radicale, d’une identité nouvelle... C’est ce parcours d’écriture, d’épreuve à faire et faite de la contradiction que la métaphore fait suivre."
JURANVILLE, 2024, PL
"Dès qu’on pousse l’affirmation de l’existence jusqu’au bout, dès qu’on affirme l’inconscient, l’identification devient identification à l’Autre et prend une portée tout à fait majeure. Elle n’est plus dégagement d’une identité intemporelle commune (celle de la fin pour le jour et la vie, avec le soir et la vieillesse), mais la constitution, par l’épreuve de la contradiction et finitude radicale, d’une identité nouvelle... C’est ce parcours d’écriture, d’épreuve à faire et faite de la contradiction que la métaphore fait suivre."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Sujet, Révolution
Puis, toujours le deuxième moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie bien l'étant au sujet, mais en le reconnaissant dans sa finitude : selon Kant c'est l'objet qui se règle sur la connaissance, c'est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, et il faut admettre qu'il ne se donne que dans l'expérience sensible. Il ne peut y avoir de sujet absolu que dans le domaine moral, et encore cela ne relève t-il que qu'un idéal. Hegel ouvre certes la voie, dialectique, vers un sujet absolu et même un savoir absolu, explicitement philosophique, mais qui ne peut obtenir aucune reconnaissance universelle. Ce savoir philosophique débouche pourtant, à la fin de l'époque moderne, sur l'événement de la Révolution et donc sur la reconnaissance au moins d'un progrès, essentiellement juridique ; progrès inséparable d'ailleurs d'une autre finitude dite "radicale", elle-même morale et comme redoublant la finitude naturelle, puisqu'elle consiste dans le refus même de la liberté et de tout progrès, volonté de répétition pure, pulsion de mort.
"Le sujet est ensuite découvert dans sa finitude irréductible. C’est ce qu’a apporté Kant. Non seulement l’objet doit selon lui (c’est la « révolution copernicienne ») se régler sur la connaissance, c’est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, mais il doit être donné dans l’expérience sensible. Pas d’autre savoir reconnu de tous que celui des sciences positives, qui n’envisage qu’un objet fini. L’homme doit se vouloir sujet absolu, mais cela ne vaut que pour le domaine moral et reste de toute façon hors d’atteinte (c’est l’idéal impossible de sainteté), et la faille de la finitude est toujours là. Certes Hegel va reprendre les analyses de Kant et soutenir que la finitude inéliminable alors découverte peut être dépassée dialectiquement, le sujet humain se faire sujet absolu déployant le savoir vrai, philosophique... Mais ledit savoir absolu, quelque perfection formelle qu’il ait atteinte, n’a pas bénéficié (c’est le moins qu’on puisse dire!) de la reconnaissance universelle... Il y a bien pourtant reconnaissance implicite, en ce temps, pour le savoir philosophique comme cosmologique. C’est le progrès général, notamment juridique, des sociétés historiques. Progrès qui débouche sur la Révolution française. Mais, dans cette Révolution, surgit, précisément par la Terreur et la Contre-Terreur, l’évidence d’une autre finitude, de ce que nous appelons la finitude radicale ou pulsion de mort."
JURANVILLE, 2024, PL
"Le sujet est ensuite découvert dans sa finitude irréductible. C’est ce qu’a apporté Kant. Non seulement l’objet doit selon lui (c’est la « révolution copernicienne ») se régler sur la connaissance, c’est-à-dire sur les structures a priori de la subjectivité, mais il doit être donné dans l’expérience sensible. Pas d’autre savoir reconnu de tous que celui des sciences positives, qui n’envisage qu’un objet fini. L’homme doit se vouloir sujet absolu, mais cela ne vaut que pour le domaine moral et reste de toute façon hors d’atteinte (c’est l’idéal impossible de sainteté), et la faille de la finitude est toujours là. Certes Hegel va reprendre les analyses de Kant et soutenir que la finitude inéliminable alors découverte peut être dépassée dialectiquement, le sujet humain se faire sujet absolu déployant le savoir vrai, philosophique... Mais ledit savoir absolu, quelque perfection formelle qu’il ait atteinte, n’a pas bénéficié (c’est le moins qu’on puisse dire!) de la reconnaissance universelle... Il y a bien pourtant reconnaissance implicite, en ce temps, pour le savoir philosophique comme cosmologique. C’est le progrès général, notamment juridique, des sociétés historiques. Progrès qui débouche sur la Révolution française. Mais, dans cette Révolution, surgit, précisément par la Terreur et la Contre-Terreur, l’évidence d’une autre finitude, de ce que nous appelons la finitude radicale ou pulsion de mort."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Sujet, Science
Dans un second moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie l'étant au sujet, lequel part en quête d'une reconnaissance universelle du savoir : cela correspond, historiquement, à l"époque moderne de l'institution de la science. Il revient à Descartes, par l'entreprise du doute, d'avoir établi le sujet dans sa vérité, et d'en déduire la connaissance du monde (on parlera donc du "savoir cosmologique du solipsisme", lequel ne se déploie plus par le nom, mais par la proposition). Mais sans la véracité divine, n'existerait aucune garantie de quelque savoir que ce soit. Le sujet, certes séparé et fini, est désormais en mesure de recréer le monde, même si les philosophes rationalistes postérieurs à Descartes atténueront, voire nieront, cette liberté créatrice et cette finitude du sujet en ramenant celui-ci dans le giron de la substance divine (notamment Spinoza).
"La reconnaissance du savoir, un savoir universellement reconnu et donc irréfutable, c’est ce qui est visé par l’étant (l’étant humain – l’homme, dit Levinas, est « l’étant par excellence ») devenant, au deuxième moment du déploiement de la métaphore de l’être, sujet... Descartes est le premier à avoir ainsi, par l’entreprise du doute qu’il a extrémisée dans les Méditations, fait apparaître le sujet dans sa vérité. Aristote avait parlé du sujet, de l’ὐποκείμενον, mais en tant que support d’un mouvement où toute la vérité résidait dans ce qui était visé, dans l’objet (encore qu’il ne parle pas d’objet comme il parle de sujet). Descartes, dans la recherche d’un savoir absolument indubitable, décrit le mouvement du doute portant d’abord sur la connaissance sensible, puis, par l’hypothèse du Malin Génie, sur la connaissance mathématicorationnelle elle-même. Jusqu’à déboucher sur la certitude du Ego sum ego existo, Je suis j’existe. Mais celle-ci, instantanée, ne devient celle d’un sujet élevé à sa vérité que parce que le Dieu puissant et bon dont l’existence est alors démontrée assure la continuité de cette certitude, l’identité du sujet à travers le temps. De là la constitution d’un nouveau savoir philosophique définitif, au-delà du savoir mathématique qui reste un modèle de savoir indubitable, le savoir cosmologique du solipsisme – le sujet, dans sa solitude heureuse offerte par Dieu, est en position de recréer le monde."
JURANVILLE, 2024, PL
"La reconnaissance du savoir, un savoir universellement reconnu et donc irréfutable, c’est ce qui est visé par l’étant (l’étant humain – l’homme, dit Levinas, est « l’étant par excellence ») devenant, au deuxième moment du déploiement de la métaphore de l’être, sujet... Descartes est le premier à avoir ainsi, par l’entreprise du doute qu’il a extrémisée dans les Méditations, fait apparaître le sujet dans sa vérité. Aristote avait parlé du sujet, de l’ὐποκείμενον, mais en tant que support d’un mouvement où toute la vérité résidait dans ce qui était visé, dans l’objet (encore qu’il ne parle pas d’objet comme il parle de sujet). Descartes, dans la recherche d’un savoir absolument indubitable, décrit le mouvement du doute portant d’abord sur la connaissance sensible, puis, par l’hypothèse du Malin Génie, sur la connaissance mathématicorationnelle elle-même. Jusqu’à déboucher sur la certitude du Ego sum ego existo, Je suis j’existe. Mais celle-ci, instantanée, ne devient celle d’un sujet élevé à sa vérité que parce que le Dieu puissant et bon dont l’existence est alors démontrée assure la continuité de cette certitude, l’identité du sujet à travers le temps. De là la constitution d’un nouveau savoir philosophique définitif, au-delà du savoir mathématique qui reste un modèle de savoir indubitable, le savoir cosmologique du solipsisme – le sujet, dans sa solitude heureuse offerte par Dieu, est en position de recréer le monde."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Objet, Théologie
Puis, toujours dans le premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie bien l'étant à l'objet, mais en le reconnaissant dans sa finitude (un être non seulement sensible et temporel, mais pécheur, et fuyant sa finitude) par rapport à l'être absolu, divin, éternel (alors qu'il est créateur) : cette interprétation correspond historiquement à la période médiévale. Avec l'institution de l'Eglise, se déploie le savoir théologique trinitaire du réalisme, fondé sur le Verbe, donc ouvert à la temporalité. Cette fois le Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection) devait permettre l'universalisation de la Révélation et de son savoir.
"L’objet (l’étant) est ensuite reconnu dans sa finitude. Il est toujours le sensible par rapport à l’être comme l’intelligible. Mais il est de plus le fini par rapport à l’être comme l’absolu ; il est le radicalement fini dans le cas de l’homme, dès lors que, par le péché, celui-ci se détourne de Dieu, de l’absolu, de ce qui est par excellence l’être ou l’intelligible – toujours présenté comme l’intemporel, alors qu’il est maintenant créateur. À partir du Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection), l’avènement du christianisme devait permettre, par la grâce en lui glorifiée, d’obtenir la diffusion et l’universalisation les plus amples ; de passer outre aux limites qu’avaient rencontrées la philosophie et, plus originellement, le judaïsme, d’abord porteur seul de la Révélation. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque médiévale. Le savoir définitif qui y est élaboré est celui, théologique, du réalisme. Il se fonde sur le langage comme verbe (avec ses trois personnes, ses trois temps – passé, présent, futur – et ses trois modes fondamentaux – indicatif, impératif, subjonctif –, toujours à l’image de la Trinité divine)."
JURANVILLE, 2024, PL
"L’objet (l’étant) est ensuite reconnu dans sa finitude. Il est toujours le sensible par rapport à l’être comme l’intelligible. Mais il est de plus le fini par rapport à l’être comme l’absolu ; il est le radicalement fini dans le cas de l’homme, dès lors que, par le péché, celui-ci se détourne de Dieu, de l’absolu, de ce qui est par excellence l’être ou l’intelligible – toujours présenté comme l’intemporel, alors qu’il est maintenant créateur. À partir du Sacrifice du Christ (Incarnation, Passion, Résurrection), l’avènement du christianisme devait permettre, par la grâce en lui glorifiée, d’obtenir la diffusion et l’universalisation les plus amples ; de passer outre aux limites qu’avaient rencontrées la philosophie et, plus originellement, le judaïsme, d’abord porteur seul de la Révélation. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque médiévale. Le savoir définitif qui y est élaboré est celui, théologique, du réalisme. Il se fonde sur le langage comme verbe (avec ses trois personnes, ses trois temps – passé, présent, futur – et ses trois modes fondamentaux – indicatif, impératif, subjonctif –, toujours à l’image de la Trinité divine)."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Objet, Ontologie
Dans un premier moment de son déploiement, la métaphore de l'être identifie l'étant à l'objet, soit à une version seulement formelle de l'être qui se divise de surcroit en un pôle sensible temporel (mais c'est un temps imaginaire) et un pôle intelligible intemporel : cette interprétation "métaphysique" de la différence être-étant, où le premier n'est jamais qu'une version absolutisée du second, correspond historiquement à la période antique. Dans la cadre de la démocratie et de l'institution de l'Etat, s'y déploie le savoir ontologique de l'idéalisme, fondé sur le Nom - mais un savoir qui ne peut pas atteindre la reconnaissance universelle.
"La métaphore de l'être pose d’abord l’étant comme objet. L’étant n’est alors identifié que formellement, et pas encore réellement, à l’être. L’objet (ici l’étant) est d’abord absolutisé – illusoirement parce qu’il devra être découvert dans sa finitude, véritablement aussi parce qu’un savoir en est définitivement établi. L’étant, en effet, est identifié formellement à l’être, l’étant comme sensible participe de l’être comme intelligible – ce que Heidegger souligne (à l’époque de la « métaphysique », du « platonisme », la « différence ontologique » entre l’étant et l’être serait perdue, interprétée comme celle du sensible et de l’intelligible). L’être lui-même (l’idée) n’est pas alors envisagé comme temps réel, créateur, mais, parce qu’intemporel, hors temps, comme se différenciant de l’étant apparemment pris dans le temps, en fait dans le temps ordinaire, imaginaire, en fait donc lui-même hors temps. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque antique. Le savoir définitif qui y est développé est celui, ontologique, de l’idéalisme. Il se fonde sur le langage comme nom."
JURANVILLE, 2024, PL
"La métaphore de l'être pose d’abord l’étant comme objet. L’étant n’est alors identifié que formellement, et pas encore réellement, à l’être. L’objet (ici l’étant) est d’abord absolutisé – illusoirement parce qu’il devra être découvert dans sa finitude, véritablement aussi parce qu’un savoir en est définitivement établi. L’étant, en effet, est identifié formellement à l’être, l’étant comme sensible participe de l’être comme intelligible – ce que Heidegger souligne (à l’époque de la « métaphysique », du « platonisme », la « différence ontologique » entre l’étant et l’être serait perdue, interprétée comme celle du sensible et de l’intelligible). L’être lui-même (l’idée) n’est pas alors envisagé comme temps réel, créateur, mais, parce qu’intemporel, hors temps, comme se différenciant de l’étant apparemment pris dans le temps, en fait dans le temps ordinaire, imaginaire, en fait donc lui-même hors temps. C’est, dans l’histoire universelle, l’époque antique. Le savoir définitif qui y est développé est celui, ontologique, de l’idéalisme. Il se fonde sur le langage comme nom."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Inconscient, Chose
La métaphore de l'être se déploie jusqu'à l'affirmation de l'inconscient comme essence de l'existence, justement parce qu'on y découvre le primordial rejet de l'existence, la finitude radicale ; mais aussi au terme de cet affrontement nécessaire que propose la psychanalyse, un sens nouveau surgit, une identité nouvelle et vraie : c'est le moment de la Chose parlante et créatrice, l'accomplissement de la métaphore de l'être pour l'existant.
"La métaphore de l’être atteint au terme de son déploiement, et est pleinement assumée par l’homme, par l’existant, quand, au-delà de l’affirmation de l’existence, est énoncée l’affirmation de l’inconscient. Car affirmer l’être comme existence, c’est appeler l’existant à s’affronter à son primordial rejet de l’existence, jusqu’à assumer pleinement celle-ci. Mais affirmer l’inconscient, l’être comme l’inconscient même, c’est dire ce qu’on découvre au terme de cet affrontement, dans cette assomption : l’inconscient comme essence de l’existence. Découverte de Freud, lequel engage le patient-analysant à dire librement, à propos d’un rêve, autour d’un symptôme, « ce qui lui passe par la tête », sans le juger, si incongru ou inconvenant ou vide de sens que ce soit, jusqu’à ce que cette succession de paroles libres – succession selon la structure quaternaire de l’existence – débouche sur un sens qui éclaire le tout, sur une identité et consistance nouvelle, qui était et est justement l’inconscient... C’est, dans le déploiement de la métaphore de l’être, le moment de la Chose, quand l’étant humain, l’existant, s’identifie réellement, avec toute sa finitude, à l’être, à la Chose créatrice originelle, à Dieu."
JURANVILLE, 2024, PL
CHOSE, Métaphore, Psychanalyse, Philosophie
Au-delà du corps maternel, objet mythique du désir, au-delà de l'objet fini de la pulsion, la Chose ("freudienne", comme l'appelle Lacan) est l'énonciation vraie, la vérité parlante ; elle surgit socialement dans le discours psychanalytique pour accomplir la métaphore de l'être, substituer l'être à l'étant au niveau du sujet individuel ; mais comme il est impossible pour la psychanalyse d'accomplir cette métaphore jusqu'au bout et en son nom dans le champ social, il revient à la philosophie, dispensant sa grâce au sujet social, se faisant Chose elle-même (c'est la "chose" philosophique, l'affaire propre de la philosophie), de déployer la métaphore de l'être cette fois à l'échelle de l'histoire - même si elle devra à son tour, à un moment, reconnaître son impuissance politique, et en appeler à la religion qui seule peut donner sa vérité et sa légitimité à chacun des discours fondamentaux du champ social.
"La Chose est en soi, dans le monde social où elle émerge et pour autant que ce monde a rompu avec la violence sacrificielle et qu’il laisse place au savoir vrai, ce que Lacan appelle « la Chose freudienne », à laquelle il fait dire : « Moi, la vérité, je parle. » Elle s’incarne décisivement dans le psychanalyste énonçant: Il y a l’inconscient, laisse venir librement les paroles qui sont en toi et il se révélera... Elle s’incarne socialement dans le discours qu’elle tient en parlant et qui est le discours psychanalytique... Ce discours dit l’inconscient, il le dit en tant que l’inconscient serait l’être passant à l’étant humain. Mais il ne peut le dire comme tel jusqu’au bout, de façon pleinement rationnelle, parce que ce serait perdre la grâce qu’il dispense à son autre et se contredire. De là ce que dit Lacan rejoignant à sa manière ce que nous appelons la métaphore de l’être : « L’inconscient est ce qui, de parler, détermine le sujet en tant qu’être, mais être à rayer de cette métonymie dont je supporte le désir en tant qu’impossible à dire comme tel. » Reste que la Chose freudienne, le discours psychanalytique, ne peut pas s’assurer sa présence dans le monde social... Et qu’il faut donc, pour garantir cette présence, un discours qui, reprenant tout ce qu’a apporté le discours psychanalytique, et le posant comme être, à la fois institue et justifie de façon absolument rationnelle un monde sans plus aucune violence sacrificielle institutionnalisée. C’est précisément la tâche de la philosophie, du discours philosophique. [Lesquel] dispense sa grâce propre à l’existant comme sujet social, comme tenant l’un des discours fondamentaux du monde social et y prenant ainsi une position... Telle est, au-delà de la Chose psychanalytique, la Chose philosophique dans laquelle s’accomplit, selon la métaphore de l’être, toute l’histoire universelle."
JURANVILLE, 2024, PL
METAPHORE, Etre, Autre, Dasein, HEIDEGGER
Dans la métaphore de l'être il est essentiel que l'être soit tout autre, et non de même nature que l'étant : il est verbe, ou temps réel, quand l'étant est nom, ou temps imaginaire ; de même lorsque Heidegger pose l'homme comme Dasein, métaphoriquement, le Dasein devient l'Autre de l'être, du Sein ; de même encore lorsqu'il remplace finalement le Sein (être) par l'Ereignis (Evénement originel) - exempt d'ontologie, donc de savoir, selon lui -, l'Ereignis donne son propre nom à l'homme, Eigen, qui devient l'Autre de cet Autre. Le déploiement de la métaphore de l'être serait ainsi parvenu à son troisième moment, celui de l'altérité, mais aucune reconnaissance universelle du savoir philosophique n'est envisageable selon Heidegger...
"La reconnaissance universelle du savoir philosophique est rendue philosophiquement concevable quand le déploiement de la métaphore de l’être parvient à son troisième moment. Que l’Autre, avant tout l’Autre absolu, est affirmé comme lieu premier de la vérité. Et que l’homme, l’étant humain, est en position de devenir l’Autre de cet Autre. Troisième moment où la métaphore rétrospective, comme dans le cas d’Abraham et de Jacob, est énoncée expressément (ici celle qui substitue l’être à l’étant). Heidegger aurait perçu, selon Levinas – c’est capital pour la métaphore –, que l’être est tout autre que l’étant, qu’il est verbe (pour nous, temps réel), quand l’étant est substantif (pour nous, temps imaginaire). C’est ainsi que Heidegger, à partir de l’être, Sein, comme Autre absolu, pose l’homme comme Dasein, non plus simplement un étant, mais l’être lui-même, l’être-là. C’est la métaphore. L’homme posé comme l’Autre de l’Autre, comme doué, malgré et avec sa finitude radicale, d’une vérité nouvelle et propre, créatrice de même que celle de l’Autre absolu."
JURANVILLE, 2024, PL
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